Dommage qu’elle soit une p*****

When the facts change, I change my mind. What do you do, sir?
J. M. Keynes

Ce qu’il y a de terrible avec les « mea culpa », c’est que ça ne finit jamais.

Il apparaît aujourd’hui que la victime présumée du viol dont est accusé l’ancien Directeur Général du FMI est une excellente comédienne, capable de raconter, le regard mouillé, tremblant de la tête au pied, au bord de l’évanouissement, avoir été victime d’un viol collectif ou qu’elle est la veuve d’un martyr de la démocratie guinéenne, puis reconnaître ensuite, impassible, qu’il n’en est rien. D’autres détails encore plus sordides sont repris depuis deux jours par la presse mondiale : elle aurait un petit ami « dealer de drogue » ; en deux ans, 100.000$ auraient été déposés, par petits virements sur son compte ; elle annonçait au téléphone, deux jours après son agression qu’elle savait ce qu’elle faisait et que son « agresseur » avait beaucoup d’argent ; elle fraudait le fisc… et la liste continue qui dresse le portrait-robot d’une manipulatrice et d’une affabulatrice. Mais voilà, « on peut être à la fois femme de petite vertu et femme violée ».

Je n’utiliserai même pas cette astuce, bien misérable parade, en vérité. Parce que le problème posé par le cas N.D. est colossal et ses conséquences, au-delà de l’avenir de Dominique Strauss-Kahn, sont effroyables. Il y a un mois, elle était toutes les victimes : mère seule, immigrée, pauvre, soumise, abandonnée, violentée. Aujourd’hui, – la surenchère et les emportements de son avocat ne font d’ailleurs qu’ajouter au malaise – elle reste une icône, mais d’un genre bien différent.
Les vieux clichés ne tarderont pas à réapparaître, la droite radicale en Europe et au États-Unis trouvera dans cette affaire l’illustration idéale. Immigrée, elle confirmera les poncifs les plus nauséabonds distillés sur les immigrés toujours fraudeurs, fourbes, trafiquants ; femme donc forcement vénale et volage ; mère célibataire, traduisez «catin » ; « réfugiée » ? Ils savent bien, eux, qu’il n’y a que des immigrés économiques ; « violée », elle devait certainement être demandeuse ; etc. Ce n’est plus Ève, c’est Lilith.

Je ne renie pas la note écrite sur ce viol présumé. À la relecture, je la trouve d’ailleurs fort prudente et retrouve les milles hésitations qui me tiraillaient, l’impossibilité de relier ces accusations à l’image que j’avais en tête de mon ancien professeur d’économie. Le viol est et reste un crime abominable. L’essentiel de ce que je notais, à l’époque, à ce sujet est vrai. Mais l’honnêteté commande de reconnaître que j’avais cédé moi aussi à l’idéalisation de la victime présumée, ne décrivant l’accusé qu’à travers elle, par rapport à elle. J’avais tort.

J’écrivais, il y a un mois : « Il semble ancré, quelque part, dans l’inconscient collectif qu’une femme noire qui dit avoir été violentée ne peut mentir ou faire partie d’une quelconque cabale. On ne doute pas de l’orphelin qui, en pleurs, jure avoir revu sa mère. Je ne sais si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle. »

Grâce ou à cause de N.D. ce n’est plus vrai aujourd’hui. Et ça, pour le coup, je le réalise brutalement, c’est un désastre.

Joël Té Léssia

 

PS : le titre est utilisé ici, bien évidemment, pour sa force "sonore", en référence à la pièce du dramaturge Anglais John Ford.
 

Quand elles disent non…

Que la victime présumée dans ce qu’on appelle « l’Affaire DSK » – ‘affaire’ est avec ‘événement’ le mot le plus français au monde, il est simple, rapide et peut servir à tout, pour ne pas dire « viol », « tragédie », « drame », il suffit de dire affaire et… l’affaire est dans le sac – soit immigrée, Guinéenne, mère célibataire et femme de chambre est une bien étrange occurrence.

J’entends bien, de loin, le grognement impatient du chœur phallocrate : « il ne faut pas aller plus vite que la musique » ; la justice américaine « démêlera bientôt le vrai du faux » et nous dira ce qui s’est réellement passé dans cette suite d’hôtel ; « qu’est-ce qu’il reste de l’honneur d’une femme qui a cédé » ? « Quand on refuse ne dit-on pas non ? » ; etc. Oh, ils « compatissent » évidemment ! Et sont conscients de la « douleur que ça peut être ». Mais nous le savons tous depuis la Rochefoucauld « Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui ».

En vérité, peu importe ce qu’il advint dans cette pièce, la leçon qu’enseignent cette plainte et le procès qui en découlent est politique et n’épargne personne. Une Africaine exilée « derrière l’eau » élève sa fille seule et mène une vie sous le radar, paisible, consciente de l’extrême fragilité de sa situation. Une employée modèle travaille de longues heures dans une des villes les plus chères du monde au service des hommes les plus aisés de notre temps. Une femme avec sa voix de femme, son regard et ses seins de femme s’est retrouvée seule dans la chambre d’un homme inconnu, plus fort, plus décidé qu’elle. Une femme a jugé que son intégrité physique et morale a été bafouée. Ces femmes demandent que la vérité soit dite et justice rendue.

Face aux puissants, aux riches les démunis, les étrangers, les esseulés, les femmes cèdent et se taisent. Ici, une femme pauvre, sans diplôme, abandonnée, à l’étranger a décidé de ne pas se taire face à l’un des hommes les plus puissants de la planète, là où apparemment beaucoup d’autres on fait contre mauvaise fortune bon cœur – on finit bien par embrasser ce contre quoi on ne peut plus résister, c’en est vrai de l’alcool comme du sexe.

Il est intéressant de noter que le déferlement machiste qui a suivi, en France, l’annonce de l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn a étrangement cessé lorsque l’ethnicité de la victime présumée a été révélée. Il semble ancré, quelque part, dans l’inconscient collectif qu’une femme noire qui dit avoir été violentée ne peut mentir ou faire partie d’une quelconque cabale. On ne doute pas de l’orphelin qui, en pleurs, jure avoir revu sa mère. Je ne sais si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle.

Je pensais entamer cette chronique par une boutade : « je me demande si le fait que l’acte dont on accuse DSK se soit déroulé sur le lieu de travail de la victime présumée suffit à le faire requalifier en accident du travail et si Sofitel peut refuser de lui payer l’heure non-travaillée»… J’y ai renoncé, le cœur n’y est pas, je n’arrive pas à écrire de manière légère sur ce sujet. Pourtant et je sais que ce je vais écrire est abominable, mais je suis encore plus ému par le fait que cette attaque présumée ce soit produite pendant que cette femme exerçait son boulot et non dans une rue quelconque dans Harlem. Le message que cela renvoie est atroce : même lorsqu’elles essaient d’être autonomes, de s’assumer financièrement et de mener leur vie comme elles l’entendent, les femmes ne sont que des femmes – vierges, mères, putains mais rien d’autre.

Ce que, personnellement, je reproche le plus à Dominique Strauss-Kahn, c’est de m’avoir pendant quelques instants fait regretter d’être un homme.

Joël Té Léssia