Repenser la construction politique et socioéconomique en Afrique pour relever les défis sécuritaires

Lboko-harames attentats meurtriers qui ont frappé cette année la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Mali entre autres ; et la fronde continuelle que mènent les extrémistes de Boko Haram dans le nord du Nigéria n’ont pas seulement ému la communauté internationale et les politiques locaux. Ils ont aussi attiré l’attention du monde universitaire et des sphères de la défense de la sécurité sur ce que l’on a vite fait d’appeler les nouveaux défis sécuritaires liés au radicalisme dans la région. Mais si le radicalisme est un nouvel outil du grand banditisme en Afrique subsaharienne, ces défis sécuritaires n’en sont pas pour autant nouveaux, ni d’ailleurs les réponses que l’on y a jusque-là apportées.

Les extrémismes se nourrissent des extrêmes sociopolitiques et historiques

Il est nécessaire de définir les menaces dont il est question, et leur ampleur. L’Afrique subsaharienne est un vaste territoire de plus de six millions de kilomètres carrés habité par cinq cent millions d’âmes environ, et délimité en une vingtaine de pays à la géométrie très variable. Avec un PIB de moins de 1 600 milliards de dollars, et un PIB par habitant de 1 500 dollars (statistiques de la Banque Mondiale, 2015) la région a connu une croissance économique certes inégale selon les pays mais globalement positive (5-7% en moyenne de 2005 à 2015) et marquée par des mutations. Deux d’entre elles ont d’importantes conséquences au sein des populations.

La première est l’approfondissement du fossé entre les plus pauvres et les classes supérieures. Si dans certains pays comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou le Ghana l’on constate une émergence (quoiqu’encore timide) de classes moyennes, celle-ci ne rééquilibre pas pour autant l’arrogante différence de fortune entre des classes supérieures souvent proches des milieux du pouvoir, et une grande masse de populations vivant en dessous du seuil de pauvreté. L’explosion du secteur informel ces dernières années en est la conséquence cardinale, et, plus effrayante encore le chômage qui frappe de plein fouet les jeunes (environ 24% pour une jeunesse qui constitue 40% de la population de la région.).

La deuxième mutation qui a accompagné la croissance économique de ces dix dernières années dans la région, est l’essor des transports et des communications, incluant l’explosion et la diversification de leurs canaux. Ceci facilite certes des échanges commerciaux vitaux pour les pays, mais elle favorise aussi insidieusement l’apparition de zones grises – territoriales, légales, politiques ou idéologiques – avec une diminution relative du contrôle et de l’intervention des pouvoirs publiques, puisque ces zones grises s’installent par défaut là où les États se sont laissé dépasser par leur ère. L’exemple le plus intuitif de ce type de configuration est la vaste bande désertique du sahel qui a servi d’espace de nidification à la majorité des groupes terroristes de la région. D’autres exemples pourtant sont au moins aussi intéressants. Ils ont pour nom la faible règlementation d’internet, la propagation de rhétoriques visant à présenter les pouvoirs publics comme des adversaires ou des ennemis, la mauvaise connaissance par les pouvoirs publics des structures et valeurs sociales (tribales, claniques, systèmes de loyauté…) et de leurs populations.

Le point culminant du terrorisme en Afrique subsaharienne, souvent identifié à la sanglante hyperactivité du groupe nigérian Boko Haram, procède bien plus, de l’installation progressive de cette nouvelle donne et de son instrumentalisation par des idéologies extrêmes. Que l’on ne s’y trompe pas : le djihadiste d’Afrique subsaharienne qui se fait exploser en 2010 avait déjà ses armes et ses réseaux de ravitaillement dès les années 1980, et ceci est à peine une hyperbole. En effet l’idée souvent répétée que la chute du libyen Mouammar Kadhafi aurait ouvert à des réseaux terroristes dormants, les vannes de leur ravitaillement en armes et munition n’est que partiellement juste. Les conflits (larvés ou éclatés) qui ont secoué plusieurs pays de la région et l’intense activité criminelle (notamment dans les espaces frontaliers et dans la bande sahélienne où le contrôle étatique reste difficile) les ont nourris à une ampleur au moins égale autant en matériels qu’en hommes. Ces « ressources » ont permis l’installation de mafias dominant divers trafics (matières premières, drogues, armes…) et tirant profit de l’apparition des zones grises mentionnées ci-dessus, à une vitesse infiniment supérieure à la capacité d’adaptation des mécaniques administratives des États de la région. Ce n’est pourtant pas les réponses apportées par les États qui manquent.

Une réponse globale… pour un problème plus global qu’il n’y paraît

Depuis 2009 et les premières vagues d’attentats systématiques dont de nombreuses villes du Nigeria, du Tchad ou du Niger ont été le théâtre, les gouvernements ont progressivement investi dans la sécurité des personnes et des biens. Un investissement qui passe notamment par l’accroissement des budgets de défense nationale (lesquels, de 2010 à 2015 passent par exemple de 690 à 738 millions de dollars au Tchad ; de 115 à 194 millions de dollars au Ghana ou de 1 724 à 2 075 millions de dollars au Nigeria, selon les statistiques du SIPRI), et par la collaboration sur une base régionale, des services de police. Le dernier né de ces mécanismes de coopération policière, AFRIPOL créé sous l’égide de la Commission de l’Union africaine et basé à Alger, est attendu pour être opérationnel en 2017. Ces efforts témoignent sans doute de la bonne volonté de ces États de garantir la sécurité de leurs populations, mais encore, faire face aux défis du terrorisme dans la région. Ce qui reviendrait en priorité, à faire face aux paradoxes qui l’ont nourri et qui l’entretiennent.

D’abord et avant tout – et il n’est pas inutile de le répéter – il est urgent de couper les sources de ravitaillement des groupes terroristes concernés. Cette démarche globale nécessite que les pays de la région soldent leur histoire récente faite de conflits qui ont souvent accentué la porosité des frontières, la circulation illégale des armes et l’entretien de trafics lucratifs dans des régions entières où le contrôle étatique s’est affaibli. Depuis la fin de la deuxième guerre civile en Sierra-Leone en 2002 par exemple ; plus de 50% de jeunes Sierra-Léonais anciens enfants soldats, sont encore désœuvrés. Et au Liberia ils sont plus de 100 000 jeunes ex-combattants en attente d’insertion sociale. Ce phénomène de jeunes actifs plus ou moins aptes au maniement des armes, rendus vulnérables par le chômage et la pauvreté et exposés aux idéologies extrémistes constituent un immense vivier de recrutement et de radicalisation pour les groupes terroristes. Une enquête de la Banque mondiale réalisée en 2015 donne d’ailleurs une valeur chiffrée à l’ampleur du risque : environ 40% des jeunes personnes qui rejoignent des mouvements rebelles et terroristes seraient motivés par le manque d’emploi.

Ensuite, il est intéressant de noter que l’on ne tire pas encore suffisamment profit des particularités de la région qui pourraient servir d’outils dans la définition des politiques publiques relatives au risque terroriste. L’une des plus importantes est d’ordre territorial. D’un point de vue sociologique et eu égard au passif historique commun, la relation des populations d’Afrique subsaharienne aux frontières de leurs États est ambivalente : elle résulte de la transversalité de certains groupes ethniques, socioculturels ou religieux et entraîne en conséquence, la perception qu’au-delà de ces limites administratives, celles-ci ont les mêmes réalités et les mêmes défis en partage. Cette conception a souvent été analysée comme un frein culturel à l’expression de l’autorité de l’État et comme l’une des raisons de la difficulté de lutter contre la petite délinquance en particulier dans les zones frontalières. Elle constitue pourtant une base pertinente pour l’atteinte des objectifs de « mutualisation » du renseignement et de la coopération policière entre les États, puisqu’il est établi que plus de 70% du renseignement policier est d’origine citoyenne.

Enfin, la dimension policière et militaire de la lutte contre les terroristes paraît la plus complexe à mettre en place en raison notamment de l’extrême variabilité des théâtres d’opération probables, et de la nature même de la menace en ce qu’elle est diffuse dans un tissu populaire susceptible d’être totalement ignorant de son existence. Il paraît ainsi plus judicieux qu’elle s’exprime par un meilleur arbitrage des outils en appoint aux efforts policiers et militaire, renseignement, lutte contre la criminalité financière, renforcement de la fiabilité des états-civils… En somme, une plus ferme implantation de l’autorité des États sur la totalité de leurs territoires, ceux-ci incluant notamment les zones grises qui représentent les premières niches de terrorismes. Et il semble que la plus imprécise d’entre elles est immatérielle : internet. 

                                                                                                                     Claude BIAO

Article mis en ligne le 29.09.2016