Un regard sur la stratégie commerciale des Etats-Unis en Afrique subsaharienne

obama-ouattaraA l’occasion du sommet Etats-Unis – Afrique qui s’est tenu le 5 août 2014 à Washington en compagnie de plus de 50 chefs d’Etat et de gouvernement africains, le président américain Barack Obama a annoncé un plan d’investissement de 33 milliards de dollars réalisé conjointement par des sociétés privées américaines et par l’aide publique au développement, d’ici la fin de son mandat prévue pour janvier 2017.  Ce plan de grande envergure vise principalement l’extension de la zone d’influence économique américaine dans des secteurs en plein essor en Afrique tels que la construction, les énergies propres, la banque et les technologies de l'information. Cet article se propose de dresser le bilan et les perspectives de la stratégie économique commerciale mise en place par l’adminsitration Obama en Afrique subsaharienne.

La réforme de l’AGOA au cœur de l’accroissement des échanges commerciaux bilatéraux dès 2015.

Lors de la conférence, le président Obama a assuré vouloir réformer au cours de l’année 2015 l’un des principaux vecteurs de commerce entre l’Afrique subsaharienne et les Etats-Unis : l’AGOA (African Growth and Opportunity Act). Cette loi adoptée par le Congrès américain et par l’administration Clinton le 18 mai 2000, et non révisée depuis lors, a permis de favoriser les échanges en accordant des avantages commerciaux à plus de 6 500 produits africains. Ainsi, « en dix ans, les importations américaines en provenance des pays d'Afrique admis à bénéficier de l'AGOA se sont accrues de 300 %, passant de 21 milliards de dollars en 2000 à 86 milliards », rappelait Rasa Whitaker, représentante adjointe au commerce extérieur, chargée de l'Afrique subsaharienne dans les administrations Clinton puis Bush ; lors d’un entretien accordé le 16 juin 2010 à America.gov. Toutefois, l’AGOA arrivant à échéance le 30 septembre 2015, une refonte de l’accord s’avère nécessaire et a été promise par le président Obama.

Dans sa mouture originale, l’accord présente plusieurs caractéristiques qui selon l’avis du représentant du Commerce américain Micheal Froman ne sont plus adaptés à l’Afrique de 2014. En effet, l’administration Obama devrait présenter cet été un accord non plus unilatéral et global mais des avantages personnalisés conclus entre les partenaires commerciaux africains et américains au sein d’une même branche à l’instar des accords développés depuis le 1er octobre 2014 entre les Etats membres de l’Union Européene et l’Afrique subsaharienne : les Economic Partenership Agreements (EPAs).

La concomitance des accords EPAs et du partenariat AGOA pose problème tant les stratégies des acteurs en présence sont divergentes. Tandis que les Etats-Unis cherchent avec AGOA à instaurer depuis 2000 un programme commercial préférentiel unilatéral pour favoriser le développement économique et accéder plus facilement au marché africain, l’Union Européenne quant à elle, cherche à dominer le marché en s’appuyant sur des accords préférentiels bilatéraux et sur la clause de la nation la plus favorisée. L’administration Obama et la commission du Commerce du Congrès ont donc jusqu’au 30 septembre 2015 pour revoir les modalités d’un accord qui n’a que péniblement fait ses preuves depuis l’an 2000. En effet, si, pour les 10 ans de l’AGOA, les rapports de l’OMC présentés à l’occasion du forum African Growth and Opportunity Act en juin 2011 à Lusaka faisaient état d’un triplement des échanges commerciaux en valeur; les flux semblaient pourtant prendre un sens unique. Ainsi, tandis que les importations américaines d’hydrocarbure en provenance d’Agola et du Nigéria (ses deux principaux partenaires africains) bondissaient de 40% entre 2009 et 2010,  on observait une chute de 48% des exportations du secteur textile africain vers les Etats-Unis en 2009, puis de 20% pour l’année 2010.   Plus récemment, le rapport annuel de U.S. Dept. of Commerce publié en janvier 2014 montrait que les importations américaines en provenance d’Afrique subsaharienne en 2014 avaient diminué de 32% par rapport à l’année précédente mais également que la part des hydrocarbures africains dans les importations énergétiques américaines  a diminué de 51% sur la même période. La situation est d’autant plus déséquilibrée que dans le même temps les exportations américaines en faveur de l’Ethiopie et du Kenya ont respectivement augmenté de 151 et 152% sous l’impulsion des exportations enregistrées dans le domaine aéronautique.   

Réformé et étendu à un plus grand nombre de produits,  l’accord pourrait à ce titre aider les Etats-Unis à contrer l’offensive commerciale menée depuis le milieu des années 1990 par la Chine en Afrique subsaharienne. En effet, dans un l’article « L’Afrique face aux partenaires commerciaux : quelles options pour le continent » paru en août 2013 dans la revue International Center for Trade an Substanaible Development, la chercheuse Assiatou Diallo rappelait que le géant asiatique était en 2013 le premier partenaire commercial du continent africain avec des échanges en valeur s’élevant à 210 milliards de dollars contre seulement 85 milliards pour les Etats-Unis.

L’électrification de l’Afrique : le programme « Power Africa ».

L’objectif du programme Power Africa, lancé dès juillet 2013 par l’agence fédérale pour le développement USaid, est de doubler l’accès à l’électricité de la population africaine. A moyen terme, c’est plus de 60 millions de foyers et de petits commerces qui devraient bénéficier des 30 000 mégawatts supplémentaires à produire d’ici 2018. Au cours du sommet d’août 2014, le président Obama a précisé les contours de ce programme qu’il a complété par de nouvelles annonces.

Le montant total de ce programme qui doit s’élever à 26 milliards de dollars sera supporté par la Banque Mondiale, le gouvernement suédois et le secteur privé américain mené par trois de ses fleurons : General Electric, Coca-Cola et Mariott. Ces trois géants de l’industrie américaine ont déjà annoncé un concours financier en faveur de l’électrification de l’Afrique à hauteur de 14 milliards de dollars d’ici 2017. Pourtant les observateurs locaux sont pessimistes. Stephen Hayes président du Corporate Council on Africa, l’organisme fédérant les entreprises américaines présentes en Afrique, déplore la faible réactivité entre l’étape de l’identification des sites et celle de la finalisation des contrats. Il regrette également la méfiance structurel du mécanisme bancaire Ex-Im Bank of America qui demeure extrêmement dépendant de l’avis des agences de notations avant l’octroi de lignes crédits en faveur d’Etats africains.

En outre, si au cours du sommet bilatéral d’août 2014, le président Obama s’est réjoui de constater que le programme Power Africa avait déjà rempli 25% de ses objectifs en permettant de raccorder au réseau électrique près de vingt millions de foyers ; une enquête publiée par le site internet Reuter le 28 novembre 2014 a révélé que les chiffres et les méthodes de calcul contenus dans le rapport annuel du programme sont contestables dans la mesure où ils prennent en compte des résultats de projets non finalisés ou lancés avant le début du programme.

Les investissements directs des Etats-Unis vers l’Afrique : un enjeu géopolitique.

Depuis 2009, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique et les investissements directs de la Chine en Afrique ont augmenté de 44% rien que pour l’année 2013, comme s’en félicitait le président chinois Xi Jinping le 20 février 2014 au cours d’une cérémonie au Grand Palais du Peuple à Pékin à laquelle était convié son homologue sénégalais Macky Sall. Ce positionnement permet à la Chine de maîtriser et de garantir ses approvisionnements en matières premières et génère la convoitise du concurrent américain. Ainsi, le président Obama a tenu à rappeler que « sur l’ensemble des produits que les Etats-Unis exportent à travers le monde, seul 1% va vers l’Afrique sub-saharienne ». L’administration américaine est consciente que la faiblesse des liens commerciaux entre les Etats-Unis et l’Afrique – dont les prévisions de croissance du FMI pour 2015 s’élèvent à 5,8% – pourraient à moyen terme, détériorer la balance commerciale et l’influence économique des Américains.

La faible part des IDE américains en faveur de l’Afrique subsaharienne a fait l’objet de travaux du Congrès dès 2008 avec le rapport « US Trade and Investment  Relationship with Subsaharian Africa : The African Growth and Opportunity Act and Beyond », de Danielle Langton commandé par le Congrès. Il ressort de cette étude que les Etats-Unis ont pour l’heure des relations commerciales très ciblées avec l’Afrique dans la mesure ils constituent le premier importateur de pétrole Africain (soit 30% des exportations du continent). Le secteur des hydrocarbures est le principal gisement d’investissement avec des consortiums tels que Anadarko au Liberia. 

Si le président Obama n’a pas clairement affiché son intention de concurrencer le phénomène de Chinafrique, son volontarisme témoigne d’une véritable stratégie de positionnement des Etats-Unis en Afrique subsaharienne. Le plan d’investissement annoncé ainsi que la prochaine réforme de l’AGOA pourraient permettre aux Américains de gagner de nouveaux marchés en Afrique et de concurrencer les partenariats commerciaux établis par l’Europe.

L’Afrique subsaharienne, quant à elle, gagnerait à négocier des accords préférentiels dans les branches où son avantage comparatif est pour l’instant peu compétitif et menacé, à l’instar du textile qui subit la concurrence asiatique et peine à s’exporter. En demeurant dépendant des seules exportations pétrolières vers les Etats-Unis, le continent prend le risque de voir sa balance commerciale se dégrader au gré des variations du baril de pétrole tout au long de l’année 2015. L’exemple de Madagascar qui a mis l’accent sur les exportations de l’industrie textile depuis sa réintégration dans l’AGOA depuis décembre 2014, est éloquent. Ainsi, selon Robert Yamate, l’ambassadeur américain, qui s’est exprimé le 3 mars 2015 lors d’une rencontre avec le ministre de l’Industrie et du développement du secteur privé, Narson Rafidimanana ; les exportations en textile de Mada­gascar vers les États-Unis s’élèvent depuis décembre 2014 à un million de dollars et elles ne devraient cesser de croître.

Daphnée Sétondji

Références 

U.S. Trade with sub-Saharan Africa, January-December 2014

« L’Afrique face aux partenaires commerciaux : quelles options pour le continent » paru en août 2013 dans la revue International Center for Trade an Substanaible Development, par Assiatou Diallo

Danielle Langton. Rapport « US Trade and Investment  Relationship with Subsaharian Africa : The African Growth and Opportunity Act and Beyond ».

AGOA : éclairage sur les relations Etats-Unis – Afrique

Le 14 juin 2012 se tenait, dans les locaux du département d’Etat américain à Washington, le forum consacré à l’Agoa (African Growth and Opportunity Act). L’occasion de faire le point sur les relations entre l’Afrique Subsaharienne et les Etats-Unis.

 La délégation ivoirienne menée par son Premier ministre Jeannot Ahoussou Kouadio était venue en avance, dès le 9 juin, aux Etats-Unis afin de préparer ce forum. Pour cause : la Côte d’Ivoire y serait mise à l’honneur. Après avoir retrouvé son éligibilité à la loi, le forum du 14 juin était l’occasion pour l’administration américaine d’officialiser l’arrivée effective de la Côte d’Ivoire dans le « système » Agoa. « Cette entrée est une formidable aubaine. Cela permettra aux produits africains de pénétrer les marchés internationaux », s’extasiait alors le ministre ivoirien de l’Industrie Moussa Dosso dans les colonnes de Côte-d’Ivoire Economie.

 L’Agoa fonctionne sur le principe du gagnant-gagnant

Qu’est-ce exactement que l’Agoa ? L’African Growth Opportunity Act est créé le 18 juin 2000, en complément du Trade and Development Act. Au-delà de la loi, l’Agoa est avant tout un outil macroéconomique permettant le développement de l’économie libérale sur le continent africain. La possibilité pour les pays d’Afrique subsaharienne d’exporter de nombreux produits sans droits de douane constitue une aubaine considérable. Les pays africains peuvent de ce fait pénétrer un marché très fortement concurrentiel auquel ils n’auraient que difficilement accès sans ces dérogations. Mais au-delà des relations avec les seuls Etats-Unis, c’est un signal fort qui est envoyé au monde entier. Répondre aux exigences de performances du marché américain et bénéficier de partenariats avec des entreprises américaines, renforce indiscutablement la visibilité et la compétitivité des entreprises africaines à travers le globe. Dans le cas ivoirien, l’adhésion à l’Agoa va permettre au pays d’exporter pas moins de 6 400 produits, issus de secteurs divers comme l’agriculture, les minerais, l’acier ou encore le textile.

Que l’on ne s’y trompe pas. L’Agoa offre également de nombreux avantages aux Etats-Unis. Par l’Agoa, la première puissance mondiale retrouve une place de choix dans les échanges avec l’Afrique subsaharienne. Avec l’accroissement de la concurrence internationale, venue d’Europe mais surtout d’Asie, l’Agoa permet aux Etats-Unis de bénéficier d’un privilège implicite dans l’importation de ressources du continent noir, comme le pétrole.

 Tous les pays africains ne peuvent aujourd’hui prétendre adhérer à l’Agoa, bien que 42 pays sur les 54 du continent participent au programme. Des critères stricts d’adhésion sont nécessaires pour pouvoir présenter candidature. Parmi les critères essentiels, la bonne tenue du climat politique, la consolidation de la paix via des élections transparentes et démocratiques et le respect des droits de l’Homme.  Autant de conditions diplomatiques qui ont contribué à faire perdre à la Côte d’Ivoire son statut de pays éligible en 2004. Statut que le pays ne retrouvera que le 25 octobre 2011, à la faveur de la fin des troubles politiques.

Sur le plan purement commercial, un traitement non-discriminatoire aux sociétés et aux investisseurs étrangers est exigé. La mise en place de mesures anti-corruption et la formation des juges sont des points sur lesquels les Etats-Unis insistent tout particulièrement. Tout comme la demande d’une application juste des taxes, des droits et des règles d’exportation.

 Une bonne tenue des échanges à relativiser

Au cours du forum, la secrétaire d’Etat américaine Hilary Clinton l’a martelé : en 12 ans, l’Agoa a permis la création de 300 000 emplois directs en Afrique noire. Dans ce même laps de temps, tous les pays ayant adhéré à l’Agoa ont vu leurs exportations multipliées par 6.

Pourtant le premier trimestre 2012 a montré que les échanges entre l’Afrique subsaharienne et les Etats-Unis n’étaient pas au beau fixe.

Entre janvier et mars 2012 les échanges entre les deux ensembles ont connu une récession de 24% par rapport à la même période, lors de l’exercice précédent. Si les exportations américaines dans le monde sont en hausse de 8,5% lors du premier trimestre 2012, la donne n’évolue pas lorsque l’on se focalise sur les exportations dans les 42 pays Agoa. Les exportations vers le premier pays du continent, l’Afrique du Sud, sont en chute libre : -13% par rapport à 2011, quand elles sont de -10% au Nigéria.

La donne est pire encore lorsque l’on s’intéresse aux importations américaines (donc aux exportations des pays africains). Les exportations africaines vers les Etats-Unis diminuent d’un tiers (-31%) par rapport à 2011.

A noter également, qu’il y a une forte carence dans la diversification des échanges. Les importations américaines en provenance de l’Afrique subsaharienne représentaient en 2011 8,7 milliards de dollars. Or, 87% des importations américaines étaient liées à l’industrie pétrolière.

 Autant de chiffres qui font dire à Hilary Clinton que l’Agoa est encore sous-exploitée par les pays africains. Le continent doit encore assainir l’environnement des affaires pour pouvoir bénéficier au maximum des bienfaits de l’Agoa. « Il faut de meilleures infrastructures physiques certes. Mais il faut surtout penser aux  infrastructures réglementaires, au cadre normatif. Il faut faciliter l’obtention des permis de construire par exemple », a conclut la secrétaire d’Etat.

 Et alors que le président Obama vient de promettre de nouvelles directives et initiatives concernant les relations économiques avec le continent noir, on ne peut s’empêcher de penser que cet Agoa pourrait être un outil supplémentaire favorisant également les échanges intra-africains.

Giovanni DJOSSOU