WAAPP : Aider les agriculteurs et redonner du souffle à l’intégration régionale ouest-africaine !

57522021L’Afrique Subsaharienne continue d’afficher des performances macroéconomiques intéressantes avec une croissance économique réelle 4,9% en 2012 (FMI) malgré la récession qui frappe actuellement l’économie mondiale. Cependant, le niveau de vie demeure encore assez faible. En effet,  le PIB/habitant y est le plus faible dans le monde même s’il a augmenté de 3,9% en 2012 pour se situer à 2365,9 Dollars US (PPA internationaux courants).

Les ressources extractives et minières, les services ainsi que l’agriculture comptent parmi les moteurs de cette croissance économique. Cette dernière a contribué à hauteur de 12% du PIB de l’Afrique Subsaharienne en 2012 et se pratique notamment dans les zones rurales qui concentrent près de 63,2% de la population. Seulement 43,8% des terres arables  sont destinées à la pratique de l’agriculture (Banque Mondiale, WDI 2012). Les conditions de vie des populations rurales en Afrique Subsaharienne ne sont pas les meilleures. Il faut dire que l’agriculture en Afrique est encore rudimentaire et loin du niveau technologique observé en occident. Ce qui limite les performances de ce secteur. A cela, il faut ajouter les facteurs climatiques comme les inondations, la sécheresse, une pluviométrie capricieuse et des sols parfois surexploités et un déficit en matière de techniques culturales modernes.

Décidés à ne pas laisser perdurer cet état de chose, les Etats ouest africains ont pris l’initiative de soutenir le secteur en mettant en œuvre une réponse à l’échelle régionale en vue de rendre l’agriculture plus productive et pérenne en Afrique de l’Ouest. A cet effet, un programme conjoint entre les pays de la CEDEAO, le Programme de Productivité Agricole en Afrique de l’Ouest (PPAAO ou WAAPP-West Africa Agricultural Productivity Program) avec l’appui financier de la Banque Mondiale et d’un coût total de 51 millions de Dollar US, a été mis en place.

Cet  article se propose de présenter et d’analyser les enjeux du  WAAPP à travers ses objectifs et ses composantes. Il met en exergue ses particularités par rapport à d’autres programmes déjà en cours initiés dans la sous-région ouest-africaine en vue de rendre le secteur agricole plus performant.

WAAPP/PPAAO : un prolongement par continuité !

Le WAAPP met l’accent sur les filières prioritaires de la région notamment les racines et tubercules au Ghana, le bétail, le riz au Mali, les céréales au Sénégal, la banane plantain en Côte d’Ivoire, le maïs au Togo, ainsi que fruits et légumes, oléagineux et les principales spéculations d’exportations comme le coton, le café, le cacao. Il vise à contribuer à l’atteinte des objectifs du PDDAA du NEPAD à travers une croissance importante du PNB agricole mais également à l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement.

Chaque pays constitue une unité indépendante et sera donc chargé de gérer les activités du programme sur son territoire en fonction des spéculations cultivées dans le pays et entrant dans le cadre du WAAPP avec des bilans périodiques en collaboration avec toutes les institutions partenaires.

Le WAAPP n’est pas la première réponse sous régionale apportée aux problèmes que connait le secteur agricole ouest-africain. On peut évoquer le Cadre stratégique de sécurité alimentaire porté par le CILSS, Programme d’action sous régional de lutte contre la désertification mis en place depuis 1973, la Politique Agricole de  l’UEMOA (PAU) lancée en 2001. En 2005, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la CEDEAO ont adopté  la politique agricole régionale, l’ECOWAP dans le but de créer un cadre régional de politique agricole et dont les objectifs sont entre autres la sécurité alimentaire, l’intégration des producteurs aux marchés, la création d’emplois garantissant des revenus à même d’améliorer les conditions de vie des populations rurales ainsi que les services en milieu rural, l’intensification durable des systèmes de production ou encore l’adoption de mécanismes de financement appropriés.

Un nouveau souffle pour l’intégration régionale

Si le WAAPP ne diffère pas fondamentalement des projets existant déjà dans la sous-région ouest-africaine en ce qui concerne ses objectifs, c’est plutôt l’approche adoptée et les composantes du WAAPP qui font la différence. En effet, le projet est axé sur quatre composantes à savoir : la création de conditions propices à la coopération régionale en matière de développement et de diffusion de technologies, le développement de Centres Nationaux de Spécialisation (CNS), le financement de la création et l’adoption de technologies axées sur la demande en vue de renforcer et de rendre plus transparents les mécanismes de financement des activités prioritaires de R&D agricole axées sur la demande dans les pays participants et enfin la Coordination, Gestion et Suivi-Evaluation du programme.

Dans le cadre du WAAPP, des filières sont considérées comme prioritaires au niveau de chaque pays dans le but de mettre sur pied des Centres Nationaux de Spécialisation. Mais l’étude des autres filières n’est pas pour autant négligée. Par la suite, les résultats obtenus, concernant les filières non prioritaires dans chaque pays, seront diffusés et partagés avec les autres centres nationaux. Ceci dans le but de favoriser une circulation de l’information et une meilleure coopération au niveau sous régional.

Cet aspect du programme vise à pallier au manque de collaboration constatée entre les chercheurs, les services d’appui-conseils et universitaires, afin de leur permettre de travailler en partenariat avec les producteurs agricoles, le secteur privé et la société civile ; ceci en vue de mieux répondre aux besoins et aux opportunités d’innovation dans le secteur. La réhabilitation des équipements essentiels des CNS retenus,  le renforcement des capacités des chercheurs, l’Appui des programmes de R&D des CNS sont également au programme. A cela, il faut ajouter, une accélération du processus de mise en place d’un cadre commun des règles et législations sur les semences et les pesticides, la mise en place d’un cadre commun en matière de Droits de Propriété Intellectuelle (DPI) et autres comme les droits des paysans et l’Indication Géographique (IG) ainsi que la révision des procédures nationales afin de les aligner aux directives régionales.

L’approche retenue pour le WAAPP se base donc d’une part, sur l’intégration et l’harmonisation des politiques agricoles nationales et d’autre part, sur l’établissement de liens étroits entre la recherche, la vulgarisation, les producteurs et les opérateurs privés.

 Une aubaine pour les agriculteurs et les filières ciblées

Les agriculteurs sont les premiers bénéficiaires de ce programme. En effet, il sera établi un diagnostic sur les performances des exploitations agricoles et des filières retenues sur la base d’indicateurs bien précis qui seront calculés comme le rendement, la production agricole, les superficies emblavées ainsi que le revenu moyen des ménages, le type de financement des exploitations agricoles. Ensuite seront mise en place, des actions bien ciblées afin de mieux accompagner les exploitants agricoles dans leurs activités de production en mettant à leur disposition plus de moyens techniques et financiers, ce qui leur permettra d’améliorer leur productivité et leur compétitivité ainsi que leurs revenus et leurs conditions de vie. En effet, dans un contexte international instable marquée par l’insécurité alimentaire, la volatilité des prix, la récession et la baisse de la demande de certains produits comme le coton, les aléas climatiques, les agriculteurs sont de plus en plus tournés vers les cultures pouvant leur assurer des revenus réguliers comme l’hévéa, dont la saignée peut se faire durant toute l’année aux détriments de la culture du cacao dont la récolte est ponctuelle. Ce projet est donc salutaire pour peu qu’il puisse redynamiser le secteur agricole ouest-africain. Il faut dire que l’agriculture est l’un des principaux moyens de subsistance dans la région ouest-africaine, employant 60% de la population active d’après l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI).

Le WAAPP en mettant l’accent sur la recherche, apporte un plus et  offre de nouvelles perspectives au secteur agricole ouest-africain. Cependant, il montre que l’intégration régionale totale a encore du chemin devant lui et se trouve confronter à un manque de coordination apparent et un fédéralisme encore poussif conjugué à un paysage institutionnel dense marqué par une multiplication de programmes et de propositions de politiques, dont la cohérence et l’efficacité globales sont limitées. Ce qui suppose que le WAAPP, ainsi que les autres programmes ne seront efficaces que s’il y a une meilleure collaboration entre les Etats et moins de barrières à l’application des réglementations sous régionales.

Koffi ZOUGBEDE

Ibrahima Coulibaly (CNOP): «Nous sommes pauvres car nos paysans sont pauvres»

Ibrahima CoulibalyIbrahima Coulibaly: «Nous sommes pauvres car nos paysans sont pauvres»

 

Président de la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali (CNOP), vice-président du Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), membre de la Via Campesina, Ibrahima Coulibaly se bat pour les intérêts de la paysannerie qui est, selon lui, le pilier du développement en Afrique.

  • Pouvez-vous nous expliquer les raisons de votre engagement dans l'agriculture et la souveraineté alimentaire des pays africains?

I.C. : Il m’est difficile de dire les raisons profondes de mon engagement mais je pense que ça m’est venu très tôt, au début des années 1970 lorsqu’il y a eu la grande sécheresse. J’étais alors très jeune et j’ai vu la famine, en 1973 au Mali. A cette époque il n’y avait pas les aides d’urgence que l’on voit aujourd’hui avec le Programme Alimentaire Mondial par exemple. J’avais la chance de ne pas être victime de cette famine mais j’ai vu des gens souffrir de la faim et cela m’a révolté. Je n’acceptais pas que certains puissent avoir à manger et que d’autres à côté n’aient rien. Ça m’a beaucoup marqué et j’y pense toujours. Je voyais des femmes venir de loin pour piler le mil afin de récupérer  le son qu’elles allaient transformer en couscous. Je n’ai jamais oublié ces images. Je pense que les raisons qui m’ont poussé à étudier l’agronomie, m’engager dans l’agriculture et me battre pour des politiques agricoles viennent de là.

  • Sur le continent africain, le phénomène d'accaparement des terres concernerait  presque 50 millions d'hectares[i]. Au Mali, plus de 800 000 hectares de terres arables auraient été vendues ou louées. Après la crise au nord Mali et vu l’imminence des prochaines élections, pensez-vous pouvoir changer la donne et obtenir d'un nouveau gouvernement des solutions au problème foncier au profit de la paysannerie?

I.C. : Tout à fait. Nous réfléchissons en ce moment à un contrat que nous allons proposer à tous les candidats à l’élection présidentielle. En effet, nous pensons que la seule chose qui peut expliquer l’accaparement des terres c’est la mauvaise gouvernance et la corruption. Autrement, il n’y a aucune justification en termes de progrès, cela n’apporte rien à l’agriculture, à la situation alimentaire ou au développement rural. Certaines personnes ont décidé de prendre le peu que d’autres ont. Moi, personnellement, je qualifie ce phénomène de banditisme d’Etat car ces actes sont réalisés au nom des gouvernements. Cela n’a rien à voir avec le développement car le fait de prendre à une famille paysanne le seul bien qu’elle possède, la terre, c’est la condamner à une mort certaine.

Mais le poids qu’ont pris les politiques libérales dans nos pays fait qu’il y a une banalisation de ce phénomène. La banque mondiale a joué un rôle important puisque, depuis 30 ans, elle ne cesse de dire que les petits paysans sont un problème pour l’Afrique, qu’il faut développer l’agro-business, remplacer les petites fermes par les grandes fermes et qu’il faut mécaniser l’agriculture afin que les paysans puissent faire face aux grands investisseurs; ce qui est impossible en réalité. Ces discours ont finalement donné une certaine acceptabilité au phénomène d’accaparement des terres. Je pense que ce qui serait plus souhaitable serait d’investir en amont et en aval de la production. Si, par exemple, des investisseurs installaient des réseaux d’irrigation et demandaient en retour aux paysans de payer une redevance, je le comprendrais tout à fait. Ou s’ils venaient pour acheter la production et organiser la transformation avec les paysans pour faire du profit, je le comprendrais aussi. Par contre, je ne comprends pas qu’on puisse retirer aux paysans leur terre, il n’y a aucune justification possible.

  • La campagne agricole 2012-2013 a cependant été très bonne au Mali et a battu tous les records. Cela peut-il avoir un lien avec les terres accaparées?

I.C. : Cela n’a absolument rien à voir avec l’accaparement des terres qui ne produisent rien à l’heure actuelle au Mali. Un seul projet lié à ces terres a été entamé et il ne produit absolument rien du tout pour le moment. Les paysans savent produire. Leur problème ne se situe pas du tout au niveau de la production. Le vrai problème c’est l’eau. Nous avons, avec le changement climatique, des saisons qui sont devenues très capricieuses. Il y a souvent des sécheresses, soit au cœur de la saison des pluies, soit en début ou en fin de saison agricole, et tout cela joue contre la production. Lorsque vous avez une sécheresse en début de saison vous ne pouvez pas semer à temps. Lorsque vous avez une sécheresse en milieu de saison, le stress hydrique joue contre les rendements, et c’est la même chose lorsque la sécheresse arrive en fin de saison. L’année dernière il n’y a pas eu de sécheresse. Il a plu tout au long de la saison sur la quasi-totalité du territoire malien. C’est ce qui explique la bonne campagne agricole.

Ce que nous demandons au gouvernement depuis longtemps c’est d’investir dans la maîtrise de l’eau au profit des familles paysannes. S’il y avait de l’eau, même avec une politique soutenue par un fonds pour que les paysans puissent investir dans des micro-barrages au niveau des rivières, dans les ruisseaux ou les rigoles – parce qu’il y a beaucoup de cours d’eau à travers le pays – les gens pourraient faire de l’agriculture d’appoint et irriguer leurs cultures maraichères lorsque la saison est mauvaise. En fait, il y a toujours un moyen de fournir suffisamment de nourriture mais ce type de politique ne figure pas dans les priorités de nos gouvernants. Leur seul souci est de nous dire que les paysans sont archaïques, que nous ne produisons rien et qu’il faut laisser l’agriculture à ceux qui ont de l’argent.

Par conséquent, l’agriculture telle qu’elle est aujourd’hui est une activité peu rentable comparée aux autres secteurs et n’attire pas les investissements. Les paysans continuent de cultiver parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. C’est tout ce qu’ils ont et ils cultivent d’abord pour manger, et s’ils ont un surplus ils peuvent vendre. En revanche, avec l’explosion démographique, les gens commencent à comprendre que la terre a une grande valeur. Les investisseurs commencent à s’y intéresser car l’alimentation devient un enjeu majeur de commerce et de développement et c’est pour cela qu’il y a un accaparement des terres.

  • Le scandale d'Herakles Farms au Cameroun, a révélé le risque de voir également des organisations à priori philanthropes s'accaparer des terres. Pensez-vous que ce risque est réel ou s'agit-il d'un cas isolé?

I.C.: Au Mali, je pense que les choses sont plus transparentes. Les achats et locations de terres se sont accélérés au cours des deux dernières années de l’ancien gouvernement et les acheteurs n’avaient pas besoin de se cacher. Ils venaient et disaient qu’ils voulaient des terres agricoles. L’Etat a créé le « Conseil Présidentiel pour l’Investissement » qui était directement rattaché au Président de la République. Il suffisait d’aller voir ce Conseil avec de l’argent et automatiquement le président de l’Office du Niger était contacté pour que des parcelles de terre soient cédées. Parfois, même le ministère de l’agriculture n’était pas au courant. Il ne s’agit pas d’environnementalistes ou d’ONG, ce sont des investisseurs privés qui sont venus à visage découvert. Ceux-ci sont souvent étrangers (multinationales, fonds d’investissement…), mais on compte aussi des nationaux. L’origine des fonds est très opaque et nous avons des raisons de penser que l’argent du trafic de drogue pourrait servir à financer aussi ce type de projet.

  • Vous êtes partisan d'une agriculture basée sur les techniques agro-écologiques alors même que l'administration Obama mène une "diplomatie des OGM". Vous affirmez également subir des pressions de la part des multinationales pour l'utilisation de semences hybrides F1 et OGM. Quelles formes prennent ces pressions? Pourquoi ce combat contre ce type de semences?

I.C.: Pour les OGM, il s’agit surtout de programmes de recherche agronomique et de nombreuses propositions ont été faites par l’USaid pour que les chercheurs maliens expérimentent les OGM. Lorsqu’ils ont commencé, nous sommes entrés dans un conflit avec eux qui a duré quatre (04) ans. Puis ils ont compris que ça ne fonctionnerait pas de cette façon. Du coup une loi (« Loi sur la Sécurité en Biotechnologie ") a été préparée pour que l’expérimentation des OGM puisse débuter au Mali. Nous nous sommes battus contre cette loi mais elle a été votée avec le soutien de l’USaid et ils ne se sont pas cachés de cela malgré la marche que nous avons organisé contre ces derniers. Bien que la loi ait été votée, le Mali est probablement l’un des pays où la prise de conscience sur les conséquences néfastes des OGM est la plus développée, car nous avons fait une campagne de formation extraordinaire afin d’éduquer les paysans sur la question des OGM. Aussi, dans tous les villages maliens, les paysans savent de quoi il s’agit et ils n’en veulent pas.

La question des hybrides est différente. Ils sont distribués via des programmes comme l’AGRA (Alliance pour la révolution verte en Afrique) qui est financée par la fondation Bill Gates. Leur stratégie est de travailler avec des ONG et ils vont dans les villages distribuer des semences, engrais et pesticides aux paysans. Les paysans qui ont des difficultés les prennent naturellement. Mais ces distributions gratuites ne durent qu’un an ou deux. Une fois que les paysans y sont dépendants, ils doivent chaque année acheter des semences à un prix très élevé, ainsi que les pesticides et les engrais chimiques. A partir de ce moment, ils sont confrontés à de gros problèmes car ils n’ont plus les moyens de commencer la campagne agricole.

Les efforts sont détruits à la base, c’est pour cette raison que je dis qu’il y a des pressions. De notre côté, nous essayons de former les paysans à être autonome, à la pratique de systèmes agro-écologiques, à fertiliser leurs sols par leurs propres moyens, à produire leurs propres semences qui ont besoin d’eau et la fumure organique permet de maintenir l’humidité des sols. De cette façon, en cas de sécheresse, ce sont les systèmes agro-écologiques qui résistent le mieux. Nous avons vu des paysans qui utilisaient les semences hybrides tout perdre suite à quelques jours de sécheresse. Nos formations ont lieu dans notre centre où nous enseignons l’agro-écologie et la protection des cultures contre les nuisibles.

  • Quelle est, selon vous, la meilleure façon de développer l'entrepreneuriat agricole en Afrique?

I.C.: Je ne peux pas envisager l’entrepreneuriat agricole en dehors de la famille paysanne. C’est pour cela qu’on ne se comprend pas toujours avec les organisations. Lorsque l’on parle d’entrepreneurs agricoles on pense qu’il faut remplacer les paysans traditionnels par un nouveau type d’agriculteurs. Or, ceci est une grosse erreur. Ce sont les familles de paysans qui produisent tout ce que nous mangeons, qui produisent notre coton, etc. Je suis en milieu rural, je connais très bien les paysans et je sais qu’un paysan qui n’est jamais allé à l’école maîtrise mieux l’agriculture qu’un ingénieur agronome car il a fait face à des problèmes et les a résolu alors que l’ingénieur connait surtout la théorie. Ce sont donc ces familles paysannes qu’il faut soutenir. Mais depuis les programmes d’ajustements structurels, elles sont abandonnées à elles-mêmes.

Les gouvernements doivent faire en sorte que ces familles puissent accéder au crédit, à la formation, à l’amélioration de leurs moyens de production et à la conservation des produits après la récolte. Si nous parvenons de cette façon à consolider la famille paysanne, nous consoliderons par là même notre économie puisque si les producteurs peuvent produire mieux et vendre mieux ils investiront dans la santé, dans l’éducation de leurs enfants, dans la formation et ils consommeront mieux. Ainsi, ce sont tous les secteurs qui en profiteront. Mais aujourd’hui les paysans sont exclus de tout cela, et c’est justement la raison pour laquelle nous sommes pauvres: Si jusqu’à 75% de la population vit dans la pauvreté, jamais ce pays ne sortira de la pauvreté; c’est la triste situation dans laquelle nous vivons.

Interview réalisée par Awa Sacko

www.afriquegrenierdumonde.com 

Retrouver les articles de terrangaweb sur la question des terres agricoles :


[i] Selon le rapport 2012 de Land Matrix, environ 80 millions d’hectares de terres agricoles ont été vendues dans le monde dont 62% en Afrique  cf également l’analyse de Georges Vivien intitulé « Les arguments contre la cession des terres en Afrique aux grands groupes internationaux »

 

Les défis du financement agricole : l’exemple de l’Agricultural Development Bank au Ghana

Alors que le financement d’État prend fin, l’Agricultural Development Bank, au Ghana, se réorganise pour mieux répondre aux attentes du secteur agricole. La stratégie de spécialisation est renforcée, de nouveaux produits sont créés, le réseau d’agences renforcé. Pour développer son action, la banque doit impérativement trouver des financements complémentaires.

La vocation de l'Agricultural Development Bank (ADB) à sa création était de fournir des services d’intermédiation financière à moyen et long terme et des services connexes au secteur agricole et agroalimentaire afin de renforcer l’attrait de l’agriculture en modernisant son fonctionnement, de créer des emplois, surtout en milieu rural, d’approvisionner les industries locales en matières premières, de fournir des devises et d’améliorer le niveau de vie des personnes travaillant dans le secteur.

Dans un premier temps, le financement a été en grande partie assuré par l’État et des bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux. Les fonds étaient rétrocédés à des agriculteurs afin de réaliser des projets de production et transformation dans les secteurs, avicole, hévéicole, oléicole (huile de palme) et la pêche, et plus particulièrement de financer la préparation des terres, l’importation de matériels et le fonds de roulement. Ces investissements ont permis de commercialiser des produits et sous-produits agricoles et de transformer plusieurs petites entreprises en entreprises de taille moyenne, jetant les bases de la croissance industrielle et socioéconomique du Ghana.

Avec l’abolition des financements d’État, la banque a dû développer son réseau d’agences, mobiliser de nouveaux dépôts et obtenir des fonds auprès de bailleurs de fonds multilatéraux, principalement le Fonds africain de développement (FAD), la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque mondiale. Pertes de change (dues à des réformes du secteur financier), défaillances d’emprunteurs, suppression des subventions aux intrants agricoles et pertes liées aux faibles niveaux de production ont entraîné une dégradation rapide du portefeuille de prêts de la banque, qui a nécessité sa recapitalisation en 1990.

Dans ce contexte et suite à la levée de l’obligation faite aux banques d’affecter au moins un quart de leur portefeuille de prêts au secteur agricole, l’ADB dont la mission était de financer l’agriculture s’est trouvée davantage sollicitée pour financer des investissements agricoles à court, moyen et long terme.

TENDANCE ACTUELLE
Face à son manque de compétitivité opérationnelle dans un environnement financier national et international dynamique, l’ADB a entrepris de restructurer son modèle économique en 2009. Pour ce faire, elle a élaboré un plan stratégique à trois ans visant à aligner ses opérations sur les pratiques modernes de banque universelle afin de satisfaire aux exigences d'investisseurs, clients et actionnaires de mieux en mieux informés.

La restructuration a impliqué une révision de l'organigramme et de l'organisation afin de mieux satisfaire les clients, de respecter les meilleures pratiques du secteur et d’atteindre la rentabilité. Une nouvelle équipe de direction a été recrutée pour actualiser le plan stratégique et créer de nouvelles divisions – banque d’entreprise, banque de détail, financement du développement, banque transactionnelle, technologies.

L’ADB a également développé son réseau d’agences afin de rapprocher les services bancaires des investisseurs, en particulier dans l’agriculture et l’agroalimentaire. Depuis juin 2010, 22 agences ont été ouvertes (ce qui porte le total à 91 agences) dans des collectivités essentiellement rurales, tournées vers l’agriculture, et dans des centres commerciaux offrant un potentiel de production agricole.

Depuis la restructuration, le bilan de la banque enregistre une remarquable croissance, le total net des crédits passant de 372,86 millions (186 millions d’euros) en 2009 à 576,99 millions de cedis ghanéens (288 millions d’euros) en 2010. Dans le même temps, les prêts au secteur agricole ont connu une progression de 64,5*%. Cette évolution a renforcé la part de l’agriculture dans le portefeuille total de prêts, passée de 24,1 % en 2009 à 28,9*% en 2010, témoignage de la volonté de l'ADB de développer son portefeuille de prêts en faveur de l'agriculture.

Cette croissance conforte la position de leader de l’ADB au niveau national, avec plus d’un tiers des prêts au secteur agricole. Cette réussite a été reconnue en 2010 par Africa Investor qui lui a décerné le titre de “Banque de l’année en Afrique” dans le secteur agricole. L’ADB a été saluée pour ses avancées dans l’intermédiation financière adaptée au secteur agricole et l’expérience considérable qu’elle a acquise dans ce domaine.

Le volume de prêts en faveur de l'agriculture approuvés par la banque au premier semestre 2011 a augmenté de près de 70 % (hors financement de la campagne de cacao) par rapport à la même période de l’exercice précédent, consolidant ainsi la position de leader de l'ADB dans le financement de l'agriculture. Cette croissance régulière et importante des prêts en faveur de l’agriculture répond à l’un des principaux objectifs du plan stratégique à trois ans de la banque – accroître de 40 % la part de l’agriculture dans son portefeuille de prêts d’ici fin 2012. Dans le secteur agricole, le sous-secteur qui reçoit le plus d’attention est l’industrie agroalimentaire, qui représente près de 45 % des prêts agricoles signés. Elle est suivie par la distribution (Figure 1).

En partenariat avec le ministère de l’Alimentation et de l’Agriculture et des bailleurs de fonds comme le Fonds international de développement agricole (FIDA), la BAD et l'AFD, la banque a accompagné des agriculteurs au travers de différents schémas tels que le Projet de développement de la riziculture dans les vallées intérieures1 ou le Programme de plantations villageoises d’hévéa (Encadré), etc. Elle a aussi apporté un important soutien à plusieurs initiatives publiques telles que le Programme pour la jeunesse dans l’agriculture2.

PRINCIPAUX DÉFIS
La principale difficulté de l'ADB pour financer et accompagner les investisseurs de toutes tailles dans le secteur de l'agriculture est la levée de ressources à moyen et long terme. De fait, il est difficile pour l'ADB de proposer les produits financiers adaptés à l'achat d'équipements agricoles ou de machines agroindustrielles et au financement du fonds de roulement d'entreprises à cycle de production long.

Le manque de financement à terme a d'ailleurs toujours fait obstacle au développement régulier du secteur agricole et de l’industrie agroalimentaire, compromettant ainsi une croissance économique régulière du pays.

STRATÉGIE DANS LE SECTEUR AGRICOLE
Dans le cadre de sa stratégie en faveur du secteur agricole, l’ADB a développé une gamme de produits financiers spécialement conçue pour l'agriculture afin de pouvoir contribuer au développement de chaque filière à tous les niveaux. Des produits et facilités de prêt ont été conçus et adaptés pour répondre aux besoins de chaque secteur et de chaque type de client. Ils ont été spécialement développés pour répondre aux besoins des clients à partir de la parfaite connaissance qu’a la banque des moteurs et des structures des activités sous-jacentes et des processus opérationnels en jeu.

L’ADB offre ainsi une vaste gamme de produits*: prêts à court, moyen ou long terme, facilités de caisse et de crédit-bail. Les principaux sous-secteurs dans lesquels l’ADB est présente sont les cultures industrielles (matières premières pour l’industrie), les cultures vivrières, les cultures d’exportation, l’industrie agroalimentaire, la distribution agroalimentaire, les produits pour l’agro-industrie, les intrants agricoles et les services agricoles.

Certaines activités agricoles peuvent être financées, par exemple, par un prêt sur cinq ans assorti d’un taux d’intérêt spécial de 15 % (le taux de base étant de 16,75 %) qui peut être consenti à des exploitants individuels, à des organisations d’agriculteurs, à des groupes ou à des entreprises, en faisant appel à diverses sûretés telles que des dépôts d’espèces, des polices d’assurance-vie, des propriétés foncières, des actifs corporels et des garants personnels.

VISION ET OPPORTUNITÉS

La vision de l’ADB pour le secteur agricole est d’accompagner son développement et celui de sa filière en octroyant des financements à moyen et long terme à visée stratégique et pérenne. Cette vision se fonde sur le potentiel considérable du secteur agricole, compte tenu des prix de la plupart des produits agricoles sur les marchés internationaux.

Cependant, pour concrétiser cette vision et mettre les opportunités à profit, l’ADB a besoin de ressources à long terme. D’autre part, la création d’institutions de micro-finance et la croissance des banques rurales ont progressivement érodé le monopole dont jouissait la banque dans le financement de la petite agriculture.

Dans une perspective de consolidation, sa stratégie pour 2011 prévoit d'améliorer et de développer son appui aux investisseurs agricoles sur la base d'un système d’offre de crédit efficace, et de constituer ainsi un solide portefeuille de prêts. La banque poursuivra donc ses efforts pour abaisser son taux de base – déjà parmi les plus bas – et mettre ainsi le crédit à la portée des agriculteurs, des entreprises agroalimentaires et des investisseurs. Il est en outre indispensable de former et de développer le personnel de la banque pour améliorer ses performances, les processus opérationnels et la productivité. Enfin, rapprocher encore les services de la banque des investisseurs et des clients en ouvrant de nouvelles agences et enrichir la gamme de produits qui leur est proposée est un moyen sûr de soutenir les investisseurs nationaux, et donc une croissance économique viable.

HENRY ALHASSAN SHIRAZU et THOMAS DE GUBERNATIS

Article paru chez notre partenaire Next-Afrique