L’agriculture biologique est encore peu pratiquée en Afrique et en particulier en Afrique Centrale. Pourtant l’Afrique a d’énormes atouts pour profiter de la demande mondiale en produits biologiques. Il suffit d’encourager la formation des agriculteurs aux techniques agro-écologiques et de mettre en place des normes de certifications équivalentes à celles des pays développés.
L’agriculture biologique combine à la fois les techniques agricoles modernes et les enjeux écologiques en s’inspirant de l’agriculture traditionnelle[i]. Ainsi, elle se caractérise par une faible utilisation de produits synthétiques tels que les pesticides et les engrais ; contrairement à l’agriculture conventionnelle ou intensive[ii]. Compte tenu de la prise de conscience croissante des enjeux environnementaux et sanitaires de l’agriculture intensive de la part des producteurs et des consommateurs, l’offre et la demande de produits d’agriculture biologique explosent depuis le début des années 2000[iii]. Quelle est la position de l’Afrique dans cette embellie? Existe-t-il des opportunités de développement de l’agriculture biologique en Afrique ? Quels sont les principaux obstacles à lever pour une émergence effective de cette agriculture? Cet article tente d’apporter quelques réponses à ces questions en mettant l’accent sur la situation de l’Afrique Centrale.
L’agriculture biologique est encore peu pratiquée en Afrique et en particulier en Afrique Centrale
Comme le montre le graphique ci-contre, davantage de terres agricoles sont consacrées à l’agriculture biologique dans le monde et en particulier en Afrique. Ainsi, la superficie des terres d’agriculture biologique en Afrique a été multipliée par plus de 20 entre 2000 et 2011, passant de 50000 à 1,2 million d’hectares. Cependant, en 2011, elle ne représente que 3% de la superficie mondiale dédiée à l’agriculture biologique. Cette faible proportion ne doit pas néanmoins masquer des exemples de réussite tels que l’Ouganda, la Tunisie et l’Ethiopie qui sont les leaders de cette pratique en Afrique. Le cas de l’Ouganda est frappant. En 2010, ce pays représentait à lui seul 21% des terres d’agriculture biologique du continent, avec le plus grand nombre de producteurs et le système institutionnel le mieux organisé. En 2011, l’agriculture biologique en Afrique est davantage consacrée aux cultures de rente telles que le café, le coton, le cacao et l’huile de palme.
En ce qui concerne l’Afrique Centrale, les informations disponibles dans quatre des dix pays de la CEEAC (Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale), montrent une stabilité des superficies dédiées à l’agriculture biologique entre 2008 et 2011, à l’exception de la RDC et de Sao-Tomé et Principe.
L’Afrique a d’énormes atouts pour profiter de la demande mondiale en produits biologiques
La faible contribution de l’Afrique dans la production biologique contraste avec ses potentiels. Contrairement à l’intuition, le sous-développement de l’agriculture intensive sur le continent est un atout pour le développement de l’agriculture biologique. En effet, selon les conclusions de la conférence de la FAO (2007) sur l’agriculture biologique, les rendements de cette dernière sont plus élevés dans les régions qui utilisent initialement peu de produits synthétiques (notamment les pesticides). Cela est dû probablement à l’effet nocif des pesticides sur la fertilité des terres agricoles. Compte tenu de la structure actuelle du système agricole africain, caractérisé dans beaucoup de pays par une agriculture vivrière peu de produits synthétiques sont utilisés dans les terres. Par conséquent, l’état actuel du système agricole africain est très favorable à l’adoption de l’agriculture biologique.
Cet avantage se trouve renforcé par la disponibilité des terres agricoles sur le continent. Selon les statistiques de la FAO (voir graphique ci-contre), seulement 40% des terres agricoles ont été utilisées en Afrique en 2011. Cette proportion chute à 25% en Afrique Centrale, démontrant ainsi une plus grande marge de manœuvre disponible pour l’adoption de l’agriculture biologique dans cette région.
Par ailleurs, le scénario souvent évoqué dans la littérature est celui d’une agriculture biologique qui prendrait le pas sur l’agriculture conventionnelle, mettant ainsi en péril la sécurité alimentaire. Compte tenu de la disponibilité des terres, ce scénario semble très peu probable. En particulier, lorsqu’on considère la tendance de la production de céréales en Afrique, on s’aperçoit qu’elle n’a pas été affectée par l’augmentation fulgurante de la superficie des terres agricoles consacrée à l’agriculture biologique. C’est ce que montre le graphique ci-dessous.
Au-delà des enjeux environnementaux, l’agriculture biologique peut s’avérer être un choix économique stratégique pour le continent africain dans un contexte mondial caractérisé par une concurrence accrue de la part des pays développés, exacerbée par des barrières non tarifaires et encouragée par les subventions agricoles. En effet, les atouts et potentiels de l’Afrique dans l’agriculture biologique peuvent être utilisés pour diversifier et différencier l’offre de produits agricoles du continent sur les marchés internationaux. Si seulement ces potentiels étaient transformés en performances, à l’instar de l’Ouganda, l’agriculture biologique pourrait être d’une part une source d’entrée de devises grâce aux exportations et d’autre part un moyen de réduction de la pauvreté grâce à l’augmentation des revenus des paysans. Cependant, sa percée est encore entravée par la certification des produits biologiques, gage de débouchés sur les marchés internationaux.
Former les paysans et mettre en place des normes de certification
Aujourd’hui, la production et les exportations des produits agricoles dépendent encore significativement de l’utilisation des pesticides. Comme le montre le tableau ci-dessous, la production et l’exportation de produits agricoles sont plus élevés dans les pays qui utilisent plus de pesticides. L’ordre de grandeur de cette corrélation est similaire qu’il s’agisse des exportations ou de la production de cultures vivrières ou de rente. Cette importance de l’utilisation des pesticides dans la production et l’exportation agricole est liée aux problèmes de certification des produits biologiques qui existent à l’échelle des grands pays/régions importateurs de produits biologiques tels que les Etats-Unis et l’Europe. A titre d’exemple, ce n’est qu’à partir de 2012 que l’Union Européenne et les Etats-Unis d’Amérique ont reconnu mutuellement leurs normes de certification. Cela permet donc aux importateurs de produits biologiques de chaque pays d’acheter des produits biologiques de l’autre pays sans demander une certification nationale.
En Afrique, le problème est encore plus alarmant, car très peu de pays disposent de normes et de réglementations régissant la production agricole biologique. Selon le rapport Organic World (2013) seuls le Maroc et la Tunisie disposaient d’une réglementation en 2012. L’Egypte, le Kenya, le Sénégal, l’Afrique du Sud, la Tanzanie, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe élaboreraient des réglementations. Là encore on note une absence totale des pays d’Afrique Centrale dans la normalisation et la règlementation de l’agriculture biologique. En ce qui concerne la certification des produits, seuls UgoCert (Ouganda) et Certysis (Belgique) sont accrédités depuis 2012 par l’Union Européenne pour certifier les produits d’agriculture biologique en provenance de l’Ouganda et de l’Afrique de l’Ouest (Burkina-Faso, Ghana, Mali, Sénégal) respectivement.
Ainsi, l’Afrique est en retard sur l’adoption de cette innovation agricole. Et pourtant, l’exemple de l’Ouganda, premier producteur africain de produits agricoles biologiques démontre bien que la clé du succès dans la production biologique réside dans la mise en place d’un système de normalisation et de certification, qui lui-même requiert une production de qualité. Cela passera nécessairement par une formation plus rigoureuse des paysans à l’agro-écologie et par la négociation d’accords bilatéraux d’équivalence des normes de certification. Il est d’ailleurs souhaitable que les programmes de normalisation et de réglementation soient mis en place à l’échelle régionale comme c’est le cas actuellement en Afrique de l’Est sur la normalisation de l’agriculture biologique. Pour le moment, l’Afrique est encore loin de cet idéal, l’Afrique centrale l’est encore davantage.
Georges Vivien HOUNGBONON
Pour aller plus loin, voir l’article de Leila Morghad sur le sujet.
[i] Le dernier colloque de l’INRA sur l’agriculture biologique montre l’intérêt économique et environnemental de l’agriculture biologique. Selon un article qui résume les conclusions de ce colloque, il ressort que le premier tri efficace des lignées est tout à fait possible, la rotation des cultures de céréales limite la propagation des maladies, l’association de céréales et de légumineuses est bénéfique en dépit de son coût élevé, et qu’enfin l’utilisation de la biodiversité pour lutter contre les prédateurs naturels des cultures est efficace.
[ii] La particularité des produits synthétiques est qu’ils sont absents du milieu naturel. Leur production en laboratoire nécessite donc des réactions de synthèses de plusieurs molécules dont les incidences sur la santé sont encore très peu connues.