Ahmed Ben Bella : un sage africain (2)

Premier président de la jeune République Algérienne, Ben Bella se trouve confronté à d’immenses défis. Avec un bilan humain et matériel extrêmement lourd de 132 ans de colonisations et 8 ans de guerres de libération, une administration désertée de ses cadres, des campagnes déstructurées par les déplacements de population et une économie dépendante de l’ancienne métropole, l’Algérie se trouve dans une situation difficile. C’est pourtant l’heure des grands choix idéologiques qui détermineront la position du pays pendant de nombreuses années.

Ben Bella n'est pas fondamentalement lié à une idéologie en particulier, même s’il est attaché au socialisme et au rôle central de l’Etat. Il promeut ainsi la mise en place de l’autogestion, s’inspirant notamment de l’expérience de Tito en Yougoslavie. Cuba ainsi que l’Egypte Nassérienne ont également constitué des références pour le nouveau président.

Sur le plan international, l’Algérie se positionne très vite parmi les principaux leaders du non alignement et du Tiers Monde. En octobre 1962, Ben Bella se rend à New York, où les Nations Unies viennent tout juste d’intégrer l’Algérie en tant que 109éme membre. Après avoir reçu par John Fitzgerald Kennedy, qui a soutenu l’indépendance de l’Algérie, il s’envole pour Cuba, au moment de la crise des fusées. Ces deux visites symbolisent à elles seules la volonté de pragmatisme et la politique de non alignement de l’Algérie indépendante. Ahmed Ben Bella sillonne le monde, et rencontre les grands dirigeants de la planète. Auréolée par le prestige de sa Révolution, l’Algérie constitue un modèle pour les peuples du Tiers-Monde et la lutte contre l’impérialisme. Alger devient le meilleur soutien des mouvements révolutionnaires, notamment en Afrique, si bien que la capitale algérienne est bientôt surnommée « la Mecque des mouvements de libération ». Che Guevara, Nelson Mandela ou encore Amilcar Cabral y ont séjourné et s’y sont entrainés avec l’aide de l’Algérie à mener le combat chez eux.

Ahmed Ben Bella compte sur cette stature internationale pour accroitre son leadership à l’intérieur. Cependant, des divisions apparaissent, et le Président est destitué en juin 1965 pour voir Houari Boumediene (Ministre de la Défense) lui succéder. Ce changement à la tête de l’Etat n’affectera pas le cap fixé sur la politique socio-économique et la position de l’Algérie sur la scène internationale.

Après des années passées dans l’oubli, Ben Bella revient sur le devant de la scène politique au début des années 1990, avec le Mouvement Démocratique Algérien (qu’il a fondé) mais sans obtenir toutefois le succès espéré aux élections. Le premier président de l’Algérie indépendante ne bénéficie sans doute pas du même statut auprès des générations nées après l’indépendance, qui forment déjà la majorité de la population Algérienne, et alors que le pays a beaucoup changé. Ahmed Ben Bella se consacre surtout à des dossiers internationaux et soutient des causes liées à son engagement passé, tels que la Palestine et l'Irak. En 2007, il sera nommé président de la Commission des Sages africains, structure chargée de la prévention et solution des problèmes du continent Africain, puis deviendra membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine. Soutenant le mouvement altermondialiste, il publia également un livre (Ainsi était le Che) dédié à Ernesto Che Guevara, qu’il avait bien connu lors de son séjour en Algérie au début des années 1960.

En tant qu’analyste expérimenté de la vie politique et des relations internationales, et véritable mémoire vivante d’une page de l’Histoire Algérienne et Africaine, Ben Bella continuait à plus de 95 ans, d’animer les réunions de la Commission des Sages africains et à recevoir des personnalités africaines ou autres, parmi lesquels François Hollande lors de sa visite à Alger en décembre 2010. Au lendemain de sa mort, il y’a tout juste un mois, le candidat socialiste saluait ainsi la mémoire de « l'un des symboles d'une étape historique décisive ».

A la veille de la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, la disparition d’Ahmed Ben Bella donne davantage de solennité à cette étape importante de l’Histoire. A l’instar de Nelson Mandela, Gamal Abdel Nasser ou Kwame Nkrumah, Ben Bella aura su incarner la rencontre du parcours d’un homme avec le destin d’un peuple, pour marquer solidement par sa contribution personnelle, la renaissance d’une Nation.

 

Nacim KAID-SLIMANE



Ahmed Ben Bella : le militant indépendantiste (1)

Figure historique de la Révolution Algérienne, Ahmed Ben Bella s’est éteint le mois dernier à l’âge de 96 ans, et n’aura pas pu célébrer le cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays le 5 juillet prochain. Premier président de l’Algérie indépendante, il fut aussi un soutien important aux mouvements révolutionnaires africains et sud-américains, (notamment en accueillant Che Guevara et Nelson Mandela) l’un des acteurs du Tiers-Monde émergent.

Ben Bella est né le 25 décembre 1916 à Maghnia, commune de l’ouest de l’Algérie frontalière avec le Maroc. Arès des études secondaires à Tlemcen, il effectue son service militaire à Marseille, puis est mobilisé en 1943 aux cotés des Alliés en Italie. Il se distingue à la bataille de Monte Cassino, durant laquelle sa conduite héroïque lui vaudra d’être cité quatre fois et décoré de la Médaille militaire par le général de Gaulle en personne.

Comme pour bon nombre d'Algériens, l'engagement Ben Bella dans le militantisme actif pour l'indépendance débute en 1945, suites aux massacres commis par les forces coloniales françaises dans l’est de l’Algérie, particulièrement à Sétif. Ben Bella devient très vite responsable local du Parti du peuple algérien (PPA), puis du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), fondés par Messali Hadj. Elu conseiller municipal dans sa commune natale, il doit basculer dans la clandestinité pour faire faces à la répression de la police française. Il met alors son expérience militaire au service de l'organisation spéciale (OS), bras armé du MLTD, dont il devient l’un des leaders. En mai 1950, il est arrêté pour avoir organisé et mené l'attaque de la Grande Poste d'Oran, destinée à fournir l’argent et les armes nécessaires à la lutte. Arrêté et condamné à sept ans de prison, il s'évade deux ans plus tard, et parvient à gagner l’Egypte, où un noyau de dirigeants indépendantistes est installé avec le soutien du président Nasser.

Un des chefs historiques du Front de Libération Nationale (FLN), qui lancera la lutte armée pour l’indépendance de l’Algérie le 1er novembre 1954, Ben Bella est chargé des relations extérieures du FLN. Mais deux ans plus tard, il est arrêté en compagnie de quatre dirigeants indépendantistes lorsque l’avion qui devait les emmener du Maroc à Tunis est détourné dans l'espace international par des avions de chasse français, et contraint de se poser à Alger. La couverture médiatique mondiale de cette arrestation fera de Ben Bella l’un des symboles de la lutte pour l'indépendance du peuple algérien. Emprisonné en France jusqu’en 1962, il continue de suivre la lutte menée par le peuple Algérien et devient un enjeu dans les négociations entre le général de Gaulle le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA).

Il est libéré suite aux accords d’Evian du 18 mars 1962, et rentre en Algérie en triomphateur. Son passé de militant de la première heure et son emprisonnement ont fait de lui une figure mythique de la lutte pour l’indépendance. Premier président de la République algérienne indépendante, élu le 15 septembre 1963, il met en place les fondements de l’Etat Algérien socialiste de sa politique étrangère volontariste, s’attachant à incarner la lutte anti-impérialiste et le non-alignement du Tiers-Monde émergent.

 

Nacim Kaid-Slimane