Histoire de l’Afrique (2) : l’Antiquité dans la vallée du Nil

La première forme d’Etat en Afrique est celle de l’empire de l’Egypte antique qui, sur trois millénaires (-3500 jusqu’à -31 lorsqu’elle devient une province romaine) et plus de vingt dynasties entre l’Ancien Empire et le Nouvel Empire, a laissé à l’humanité des œuvres qui continuent encore de façonner son imaginaire : les grandes pyramides, les vestiges des tombes pharaoniques les hiéroglyphes, la munificence pharaonique. Toute « civilisation monumentale » s’appuie sur la captation d’un surplus économique important qui peut être réinvesti dans des activités de prestige et dans des infrastructures collectives coûteuses. En l’occurrence, pour l’Egypte antique, il s’agit d’abord d’un surplus agricole tiré des récoltes excédentaires permises par des systèmes d’irrigation très performants. L’empire égyptien produit également un excédent économique lié à son artisanat proto-industriel particulièrement développé. Les roseaux du Nil, matière première abondante, servent par exemple à fabriquer du papyrus (papier), des pirogues, des voiles, des nattes, des récipients ménagers, qui sont vendus sur les marchés locaux et régionaux. Le commerce contribue aussi de manière importante à la richesse égyptienne.

L’excédent économique produit par ces différentes activités est en partie capté par le pouvoir central. Ce dernier s’appuie sur une administration particulièrement sophistiquée. Spécialisée et hiérarchisée, l’administration de l’Egypte antique compte beaucoup de lettrés, les scribes, qui tiennent les comptes et communiquent par écrit pour relier entre elles les différentes composantes de l’empire. Ils édictent des règles pour la gestion des champs, des troupeaux, sur l’entrée et de la sortie des bateaux. Les fonctions régaliennes de la justice, de la sécurité militaire, des affaires internationales, font partie déjà partie des attributions de cette administration. A son sommet, le vizir, sorte de Premier ministre, qui reporte directement au pharaon, qui est à la fois une puissance temporelle et intemporelle, un chef d’Etat et une représentation divine sur terre. Le pharaon s’appuie, dans le cadre de cette dernière fonction, sur un puissant clergé religieux.
La civilisation égyptienne tient sa grandeur et son rayonnement au rôle qu’y a joué le savoir. L’adoption rapide de l’écriture dynamise la diffusion et la reproduction des idées. L’Egypte joue un rôle central dans la production mondiale des connaissances de l’époque, dans le champ de la géométrie, des mathématiques, dans le développement de la médecine ou des techniques d’architecture.

La Nubie: les royaumes de Koush, Napata et Méroé

Plus bas dans la vallée du Nil, en Nubie (Nord-Soudan actuel), s’est développée une autre société agraire complexe organisée en Etat, d’une extrême longévité. La toponymie de cette civilisation change suivant les époques et les dynasties régnantes : on parle de période pré-Kerma (8000 – 2500 av J.-C.), du Royaume de Kerma, du nom de la ville capitale (2500 – 1500 av. J.-C.) puis, après une période de domination égyptienne, du Royaume de Napata (VII° au IV° siècle avant notre ère), et enfin du Royaume de Méroé (300 av. – 350 apr. J.-C.). Durant l’Ancien Empire, les Egyptiens désignaient cette région comme le Royaume de Koush. Cette civilisation est moins connue que la précédente, sans doute parce que ses pyramides sont moins monumentales mais surtout parce que, à notre connaissance, les écritures funéraires de cette région n’ont toujours pas été déchiffrées.

Si la Nubie est moins monumentale que l’Egypte, c’est aussi parce que les conditions de développement y sont plus difficiles : le climat se caractérise par des sécheresses fréquentes, le relief est accidenté et rocailleux, moins propice à l’agriculture que les terres limoneuses égyptiennes. S’y développe toutefois une civilisation nubienne qui se singularise de l’Egypte par ses croyances religieuses, ses constructions et rites funéraires, son écriture, mais aussi par son modèle économique. La Nubie a été le théâtre d’une domestication précoce du bœuf durant la période pré-Kerma qui l’a conduit à une spécialisation dans l’élevage. Mais, surtout, Kerma puis Méroé étaient des villes et royaumes carrefour commercial, qui servaient de liens entre le monde méditerranéen, les tribus nomades des déserts environnants et l’Afrique sub-saharienne. Elles sont donc devenues des plaques-tournantes pour l’échange de produits rares. Cette civilisation a également fait preuve de grands talents militaires (notamment dans l’art des fortifications), rendus nécessaires par un environnement instable et belliqueux. Les Nubiens ont fourni l’essentiel des troupes d’élite de l’empire égyptien. Les rapports entre l’Egypte et la Nubie se sont généralement caractérisés par une suzeraineté exercée par la première sur la seconde. Le royaume de Koush a longtemps été l’arrière-cour de l’Egypte, sa base de repli. Les rapports se sont parfois inversés, notamment pendant les périodes de troubles politiques internes ou d’attaques externes subies par l’Egypte. La XXVe dynastie égyptienne a été fondée par un roi Koush, Piankhy.

L’Etat successeur du royaume de Koush en Nubie, le royaume de Napata, a accru son indépendance vis-à-vis de l’Egypte. C’est en 500 av. J.C. que la capitale du royaume est transférée de Napata à Méroé, plus au Sud. Ce transfert marque le début d’une nouvelle ère de prospérité, liée à l’exploitation du fer et au déclin relatif de l’Egypte voisine, successivement attaquée par les Assyriens, les Perses, les Grecs puis les Romains. Méroé est historiquement le premier centre d’activités métallurgiques d’Afrique. L’utilisation proto-industrielle du fer est l’une des plus grandes avancées technologiques en Afrique durant toute la période des sociétés agraires complexes. Si le fer était présent en Egypte plusieurs millénaires avant J.-C., c’était comme objet de luxe et non comme objet d’usage courant. Ce n’est que vers le VII° siècle avant l’ère chrétienne que les Nubiens exploitent leurs mines de fer pour produire des équipements militaires et agricoles.

Après la chute du royaume de Méroé et sa subdivision en trois royaumes qui marque le début d’une période agitée et de déclin, cette région du Haut-Soudan sera bientôt placée dans la zone d’influence du royaume d’Aksoum (Ethiopie).

Emmanuel Leroueil