Les évènements qui viennent de se produire au Mali sont graves et nous interpellent tous. Le coup de force de mutins ayant conduit au renversement du président élu Amadou Toumani Touré (ATT) n’est pas seulement un échec pour les citoyens maliens, il l’est pour tous les Africains concernés par l’idéal démocratique. Ce coup d’Etat ramène ce pays vingt ans en arrière, quand la voie du changement politique ne trouvait à s’exprimer que sur le terrain de la force militaire. Depuis 1991, le Mali s’était frayé un chemin original et ambitieux vers l’affirmation d’un modèle institutionnel démocratique, exemple servant de phare à tous les pays de la sous-région et au-delà. Le modèle ATT, celui de militaires renversant un pouvoir politique corrompu et autoritaire pour permettre l’émergence d’un système démocratique et régulier, sorte de maladie d’enfance des Nations africaines, a fait florès en Afrique francophone : le Niger, la Guinée Conakry, la Mauritanie ont, avec des succès incertains, suivi l’exemple malien. A chaque fois, le but affirmé était le même : en finir avec l’autoritarisme, la corruption et la gabegie politique et économique. Malgré l’opportunisme de certains de ces coups d’état militaires visant à instaurer la démocratie, l’exemple du Mali était là pour nous rappeler que le succès était tout de même possible.
Mais le coup d’Etat militaire du 22 mars 2012 à Bamako, s’ajoutant aux soubresauts de contestation politique qui n’ont cessé d’agiter le continent en 2011 et 2012, doit nous amener à repenser radicalement la question des institutions politiques en Afrique.
Ce qui vient de se jouer au Mali n’est pas une question de personne mais de système. Un président honnête, populaire, travailleur, dévoué, sans doute compétent, n’a pas été en mesure de répondre aux attentes légitimes de sa population. La croissance du pays, à 4% en moyenne sur les cinq dernières années, inférieure d’un point à la moyenne africaine, n’a pas permis d’améliorer les conditions de vie des populations. Surtout, aucune dynamique de développement socio-économique n’a véritablement été enclenchée. L’Etat malien reste pauvre et doit contrôler un territoire immense d’1 267 000 km², dont une grande partie incluse dans le désert du Sahara, où vivent notamment les populations touarègues dont certains représentants contestent le monopole du pouvoir et de la violence légitime à l’Etat malien. Sous-équipée, l’armée malienne a jusqu’à présent surtout subie les assauts répétés des rebelles touarègues. Le ressentiment au sein des troupes et de la population face à cette impotence militaire est à l’origine du renversement du président Toumani Touré. Mais quelles que soient les motivations sincères et honnêtes des mutins, seront-ils en mesure de faire mieux ? Tout laisse à croire le contraire.
Ils seront eux aussi confrontés à une capacité très limitée de mobilisation des ressources ; quand bien même ils en arrivent à des mesures radicales du type embrigadement de masse pour vaincre la rébellion touarègue, l’escalade de la violence ne peut être la solution pour mettre un terme aux revendications touarègues, et encore moins améliorer les conditions de vie des maliens. S’il est absolument nécessaire que le rapport de force soit favorable à l’Etat, il faudra aussi que les revendications sociales de la population touarègue soit entendues et satisfaites. C’est cet équilibre que recherchait le président Touré, sans succès.
Cet échec n’est toutefois pas celui d’un individu, mais de toute la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette institution est censée jouer un rôle supranational non seulement économique, mais également politique et militaire (avec notamment le traité de l’ECOMOG – Ecowas Ceasefire Monitoring Group – et le protocole d’assistance mutuelle en matière de défense). L’espace ouest-africain se caractérise par une multitude de défis transverses qui concernent tous les Etats de la sous-région et qu’aucun Etat pris individuellement ne peut résoudre. Ainsi du contrôle du Sahara ; de la gestion de ressources naturelles transnationales comme le fleuve Niger ou le Sénégal ; de la lutte contre la déforestation et les risques écologiques ; de la déliquescence d’Etats faibles (Guinée Bissau) devenus de véritable plaque-tournante pour tous les trafics internationaux ; des déplacements de population suite à des conflits comme la guerre civile en Côte d’Ivoire ; de la structuration internationale de mouvements terroristes. Et, surtout, du développement socio-économique. Pour enclencher la dynamique positive croissance économique/augmentation du niveau de vie/amélioration de la qualité de vie, il va falloir mobiliser des ressources colossales pour investir, agrandir les marchés pour que les entreprises locales se développent et structurer le cadre économique, réglementaire et politique d’une façon qu’aucun Etat pris individuellement ne pourra mener à court terme.
Ce constat semble évident et pourtant aucun chef d’Etat, aucun responsable politique d’envergure semble en avoir saisi la pleine mesure. Les alternances politiques amèneront des Amadou Toumani Touré : des chefs d’Etat sérieux, sincère dans leur volonté de réforme, populaire au début, mais incapables de mobiliser seuls les ressources nécessaires pour répondre au chômage des jeunes, aux besoins de protection sociale et aux aspirations au confort et à la sécurité. Il y a des préalables au renforcement de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, qui prennent du temps à mettre en place. Faire en sorte que les idées circulent et soient partagées, que les gens approfondissent leur connaissance mutuelle et leur responsabilité commune, que des mouvements politiques se structurent à l’échelon régional autour d’un programme commun clairement identifié et revendiqué. Seule la génération d’après, celle des jeunes d’aujourd’hui qui seront les responsables de demain, peut encore répondre à temps à cet impératif qui est de relancer le projet panafricain à travers des institutions sous-régionales puissantes et responsables démocratiquement devant les citoyens.
Le coup d’Etat militaire de Bamako, la crise politique ivoirienne, les coups d’Etat récurrents au Niger, au Tchad, en Centrafrique nous le rappellent cruellement : cinquante après les indépendances, nos Etats sont faibles qui plient au premier coup de semonce, qui sont à la merci des ambitions du premier venu. Il est plus qu’urgent de combler ce vide, de régler une fois pour toute ce problème institutionnel.
C’est pourquoi nous plaidons pour une République Fédérale d’Afrique de l’Ouest qui regrouperait les Etats membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) et de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), ainsi que des pays anglophones de la sous-région qui souhaiteraient rejoindre cette institution. Cet ensemble serait l’exemple le plus abouti d’intégration sous-régionale au monde, qui mettrait en commun sa politique monétaire, budgétaire, économique, sociale, agricole et militaire. Nous serons amené, au sein de l’équipe de Terangaweb, à préciser l’intérêt et les contours de cette République Fédérale d’Afrique de l’Ouest, qui aurait également pour but de rationaliser la compétition politique à travers une même élection législative qui se tiendrait en même temps à chaque échelon national, les forces politiques ainsi élues se voyant représentées à la proportionnelle au niveau supranational.
Il est temps de redonner de l’élan au projet panafricaniste en le concrétisant autour de projets viables et utiles. Il est temps de se mobiliser pour la République Fédérale d’Afrique de l’Ouest.
Emmanuel LEROUEIL