L’insertion des PME africaines dans les chaînes de valeur mondiales

Une chaine de valeur est une chaine d’activités que réalise une entreprise afin de produire un bien ou de vendre un service. Généralement, le point de départ d’une chaine de valeur est la R&D (recherche-développement) et elle conduit ensuite à la conception d’un produit, à l’achat et le traitement des matières premières pour sa fabrication, son assemblage, sa distribution, sa vente (et enfin le service après-vente). Avec la mondialisation tout ce processus ne se déroule pas uniquement dans le pays d’origine ; certaines activités sont en effet délocalisés ou sous-traitées à l’étranger. La grande tendance des 20 dernières années consiste à réaliser les étapes d’assemblage ou de production dans des pays à la main d’œuvre peu chère tels que la Chine ou l’Inde.

Cette fragmentation de la chaine de production naissant de la mondialisation a redessiné la carte du commerce international. En effet la division internationale du travail n’incite non pas à une spécialisation productive en fonction des écarts relatifs de productivité ou de dotations en ressources comme le suggère de célèbres théories du commerce international mais devrait plutôt conduire les pays à trouver leurs niches en se positionnant sur les tâches dans lesquelles ils détiennent un avantage coût/productivité compétitif. Cette « commerce des tâches » a ainsi façonné les échanges internationaux. Les biens intermédiaires prennent désormais une part considérable : en 2011, 60% des exportations mondiales hors combustibles concernaient des biens intermédiaires servant souvent d’intrants pour la production d’un autre produit. Parallèlement, Le contenu en importations des exportations, ou commerce vertical, de plusieurs grands acteurs du commerce mondial dépasse les 40%. Deux exemples frappants illustrent cette nouvelle donne: la production de la poupée Barbie et l’IPhone d’Apple qui intègre dans sa production 34% de produits japonais, 17 % de produits allemands, 13 % de produits coréens, 6 % de produits américains et « seulement » 3% de valeurs ajoutées de la Chine d’où il est pourtant exporté (ou plus exactement réexporté) vers les Etats-Unis et le reste du Monde.

Dans ce contexte où le clivage entre pays producteurs de biens manufacturés et pays exportateurs de biens primaires laisserait place à une situation où presque tous les pays produiraient progressivement tous les biens, mais à des niveaux différents, il est nécessaire que les PME africaines s’insèrent dans ces chaines de valeurs mondiales. L’Afrique dispose de 3 atouts à exploiter afin de s’imposer dans les échanges internationaux. Tout d’abord, le continent dispose encore d’immenses ressources naturelles, minières et agricoles. En outre, La présence d’un vaste réservoir de main d’œuvre à bon marché et en forte expansion est un avantageux pour intégrer les chaines de valeurs mondiales de certaines activités à grand main-d’œuvre (textile, habillement, chaussure, jouet, produits d’artisanat, agroalimentaire). Le milliard d’africains, éduqué et mis au travail, peut concurrencer les mains-d’œuvre chinoise et indienne. Enfin, des facteurs exogènes comme la hausse des coûts salariaux en Chine (le 12éme plan quinquennal chinois 2011-2015 table sur une croissance réelle du salaire minimum de 13% sur la période) et en Europe émergente, combinés aux atouts du continent (croissance, stabilisation politique) pourraient renforcer l’attractivité de la destination Afrique en matière de délocalisations et d’IDE (investissements directs étrangers) qui sont d’importants vecteurs de la constitution de ces chaines. En guise d’exemple, l’industrie textile chinoise perd tous les ans 10 à 15% de sa capacité de production au profit d’autres destinations low cost à cause d’une compétitivité coûts qui se dégrade dangereusement. De même, en Europe de l’Est et du Centre, l’inflation des salaires et l’appréciation des devises nationales érodent actuellement les délocalisations de services.

La participation des PMEs africaines à ces chaines leur permettra, outre son effet direct sur l’emploi, de s’intégrer au commerce mondial par un plus grand accès aux marchés, une meilleure information sur les standards internationaux et un accès à la technologie et au savoir par l’apprentissage. L’expérience réussie de certains pays d’Asie dont des PMEs locales ont su nouer des relations privilégiées (filiales, coentreprises…) avec des multinationales étrangères renforce l’espoir de l’insertion prochaine de leurs équivalents africains dans ces réseaux mondiaux.

Néanmoins, cet optimisme ne doit pas nous détourner de la lutte contre les freins à la compétitivité des PME africaines bien connus (accès au financement, déficit de formation adéquate et d’infrastructures de qualité, réglementations erratiques et corruption des institutions…). Toute politique volontariste d’offre au niveau national ou régional visant à assainir l’environnement des affaires, promouvoir l’investissement direct étranger, et le développement quantitatifs et qualitatifs (le respect de normes environnementales étant de plus en plus exigé au niveau international ) des capacités de productions du secteur privé ne fera qu’accélérer ce mouvement au bénéfice du continent.

Abdoulaye Ndiaye et Amaye Sy

Les défis (macro) économiques du prochain gouvernement sénégalais

Un régime tout nouveau émergera sans doute du second tour des élections présidentielles  au Sénégal. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous décrivons les grands défis macroéconomiques auxquels le nouveau gouvernement devra faire face à court mais aussi à moyen terme.

 

La croissance

 Au cours des dix dernières années la croissance du Sénégal a été en moyenne de 4% par an ; chiffre relativement faible comparé à d’autres pays de la sous région aux structures socio-économiques similaires. Le Sénégal tout comme les pays de la zone UEMOA, malgré une plus grande maitrise de l’inflation,  a fait moins bien que l’Afrique Subsaharienne qui le dépasse de deux points de croissance moyenne annuelle au cours de la même période. Ce faible taux de croissance  est loin des objectifs de 7 à 8% déclinés dans la Stratégie de Croissance Accélérée, document élaboré  en 2004 par le gouvernement  du Sénégal en accord avec le secteur privé, la société civile et les partenaires au développement, dont l’objectif était de placer le Sénégal sur la trajectoire de l’émergence et de réduire la pauvreté absolue de moitié à horizon 2015 à travers une accélération de la croissance conformément aux Objectifs du Millénaire pour le Développement.

Nous pensons que  ce document stratégique ne devra pas être jeté aux oubliettes, Toutefois ses priorités doivent être redéfinies pour une croissance soutenue partagée  et génératrice d’emplois et de revenus. Une plus grande importance devra être accordée  au secteur de l’industrie qui a stagné aussi bien au Sénégal que dans la plupart des pays d’Afrique au cours des deux décennies de  mise en œuvre des Politiques d’Ajustement Structurel. Pour cela, La densification du tissu productif industriel, la diversification de la structure économique dominée actuellement  par l’agriculture, la pèche et les services,  la promotion du sous secteur manufacturier,  une plus grande diversification sectorielle et géographique des exportations concentrées autour des produits primaires de base sont autant d’enjeux pour redynamiser ce secteur. Ainsi, une industrie à très forte intensité de main d’œuvre est aujourd’hui la clé de voûte pour les pays d’Afrique (et pour le Sénégal  en particulier) à forte croissance démographique (3% environ  par an pour le Sénégal)  afin de mobiliser un vaste réservoir de  main-d’œuvre à bas coût. A court terme, les difficultés des poumons industriels du pays  que sont les ICS (Industries Chimiques du Sénégal) et la SAR (Société Africaine de Raffinage) devront être vite levées afin que le pays redevienne un moteur industriel de l’Afrique de l’Ouest qui emporte dans son élan  la Côte d’ivoire récemment sortie de dix ans de conflits.

La sécurité alimentaire

Le prochain président du Sénégal, qu’il se nomme Sall ou Wade, devra résoudre le problème de l’alimentation . La flambée en 2007-2008 des prix mondiaux des denrées alimentaires dont le Sénégal est un grand importateur (le Sénégal importe 80% de son riz), et les fortes pressions inflationnistes (6% d’inflation en 2008) ainsi que le creusement du déficit  de la balance courante (-14% en 2008)  qui en ont résulté   montrent qu’il faudra porter une attention toute particulière à la sécurité alimentaire et à la très grande vulnérabilité du pays aux chocs extérieurs. Dans cette visée La GOANA (Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance) lancée en Avril 2008 par le Président Wade dans le but d’atteindre à très court terme  la sécurité alimentaire par la fixation d’objectifs de productions agricoles quantitatives n’a toujours  pas eu l’effet escompté.

L'énergie

Sur le plan énergétique, les sénégalais ont eu des promesses de toutes sortes sur la fin des délestages et coupures de courant. Malgré une croissance de la demande énergétique de  8% par an, le secteur de l’Energie, qui affiche en 2011 un déficit de production de 50%, est miné par la vétusté des infrastructures énergétiques, et les problèmes financiers de la Société Nationale de production et de distribution de l’électricité. Les coupures intempestives ont couté 1,4 points de croissance en 2010 selon la DPEE (Direction de la Prévision et des Etudes Economiques). Le nouveau régime devra s’atteler rapidement à résoudre ce problème et mobiliser  de manière plus efficiente le financement déjà disponible du plan d’urgence de restructuration de ce sous secteur de l’Energie Takkal.

Les infrastructures

Les réformes énergétiques doivent être soutenues par la création d’infrastructures notamment routières et la poursuite des grands travaux  étendus à l’intérieur du pays avec toutefois  un amoindrissement des coûts par une plus grande implication du secteur privé et des bailleurs de fonds par exemple. Bien que le sénégalais moyen ne ressent pas forcément à court terme les bienfaits d’infrastructures routières comme en attestent des plaintes récurrentes du genre  « les routes ne nous donnent pas à manger », ces investissements qu’on vient de voir sont nécessaires pour établir un climat  sain des affaires, réduire les coûts pour les entrepreneurs privés locaux  et attirer les investissements directs étrangers. Leur prolongement à l’intérieur du pays dans les zones carrefours permettra de lever l' obstacle majeur au développement des échanges intra-régionaux (dont les chiffres officiels montrent qu’ils sont anormalement bas comparés  à d’autres régions du monde) qu’est la médiocrité des infrastructures routières transfrontalières.

Le soutien à l'activité

Les entrepreneurs et ménages doivent aussi avoir accès aux financement. Dès lors, le  développement du secteur financier  et un plus grand accès des PME et des ménages (surtout en zone rurale) aux services financiers devront aussi constituer des axes prioritaires. Les obstacles à l’intermédiation bancaire et les sources du rationnement du crédit ont pourtant été largement identifiées. On peut citer, entre autres facteurs, le manque d’information sur la solvabilité des emprunteurs, une demande de financement de projets rarement bancables, les coûts élevés de recouvrement des créances et l’inefficience des mécanismes d’enregistrement des droits de propriété. Il appartient au futur gouvernement d’entreprendre les réformes institutionnelles nécessaires, en partenariat avec le secteur privé et le secteur bancaire, pour relevé ce défi. Le retour des banques de développement comme la toute récente Banque Nationale  de Développement du Sénégal BNDS  (qui ont été toutes  démantelées à l’initiative de la réforme du secteur bancaire des années 80 dans le cadre des programmes d’ajustements structurels), s’il est accompagné de la mise en pratique de règles prudentielles strictes, peut être une solution pour le financement  des PME et des ménages en zone rurales. Dans son rapport Competitiveness 2011, la Banque Mondiale identifie le problème d’accès aux financements  comme l’obstacle majeur des affaires au Sénégal, devant la corruption, la pauvreté des infrastructures routières et énergétiques et les lourdeurs bureaucratiques.

A plus long terme un défi qui est de taille est la  formalisation des activités du secteur informel qui concentre la plus part des créations d’emploi et représente un coût d’opportunité énorme en termes de ressources budgétaires et de gains en productivité. Des mesures incitatives fortes devront être entreprises  pour réduire les coûts associés à la formalisation des petits commerces et aider les petites entreprises à grandir et gagner en productivité afin de répondre au problème structurel du « chaînon manquant » entre les petites et les grandes entreprises. En outre, le code du travail devra être réformé tout en veillant à la sécurité de l’emploi et à la protection des travailleurs  afin que soient résolus les problèmes liés à la rigidité du marché du travail et aux coûts relativement élevés d’embauche, de licenciement et de démarrage d’activité qui nuisent à la compétitivité des entreprises ainsi qu’à l’environnement des affaires, soient résolus.

 Le budget de l'Etat

Mais tout ceci peut-il être entrepris sans creuser le déficit public ? Malgré un taux d’endettement encore faible et acceptable suite à l’annulation de  moitié de la dette extérieure du Sénégal sous l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endéttés), les finances publiques ont pris une trajectoire inquiétante à cause  des grands travaux et de la pression à la baisse de la crise économique internationale sur les recettes fiscales. Le prochain gouvernement devra maitriser les déficits publics par une réduction des dépenses courantes au profit de l’investissement public productif  sans altérer le financement  des programmes sociaux d’éducation et de santé nécessaires pour atteindre les objectifs OMD.

Dans le contexte actuel de crise dans les pays partenaires au développement du Sénégal et d’un éventuel repli des flux d’aide au développement, les efforts pour une plus grande mobilisation des ressources intérieures devront être poursuivis (même si le Sénégal à l’un des niveaux de  pression fiscale  les plus élevés de la sous région) en élargissant l’assiette fiscale par exemple, sans engendrer de fortes distorsions économiques ; en continuant les réformes de l’administration fiscale et du système fiscale pour rendre plus simple et prévisible la taxation et l’imposition pour les contribuables. Une plus grande mobilisation des ressources intérieures offrira une plus grande marge de manœuvre dans l’élaboration des stratégies de développement, l’appropriation du  programme de développement. Elle offrira également une moindre dépendance aux flux d’aide extérieurs instables qui sont souvent adossés aux intérêts des donateurs et qui entrent en conflit avec les objectifs nationaux de développement.

Nous ne pouvons finir sans formuler nos vœux de réussite au prochain régime face à ces nombreux défis. Nous espérons  qu’une transition démocratique réussie renforcera l’attractivité économique du  Sénégal (forgée sur son avantage comparatif  de pays relativement stable et démocratique) légèrement écornée par  les troubles pré-électoraux. Nous espérons aussi  que le gouvernement qui émergera des élections aura la force, la légitimité et l’autonomie nécessaires pour propulser le Sénégal vers le développement durable.

Abdoulaye Ndiaye et Amaye Sy

Sources :
http://www.dpee.sn/IMG/pdf/situation_economique_et_financiere_2011_et_perspectives_2012.pdf http://www3.weforum.org/docs/WEF_GCR_Africa_Report_2011.pdf

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