Pourquoi a-t-on si peur de la mort de Nelson Mandela ?

Dernier acte du focus de Terangaweb sur l'Afrique Sud. Vincent Rouget s'interroge et nous interroge. L'Afrique du Sud pourra-t-elle tenir le choc de la disparition de Madiba.  Un article qui nous interpelle tous. 

BRITAIN-SOUTH AFRICA-POLITICS-BROWN-MANDELA2012, comme chaque année, a connu son lot de chefs d’Etat souffrants et de leaders politiques à la peine physiquement. Meles Zenawi, président éthiopien, est décédé à la fin du mois d’août des suites d’une maladie inconnue ; Hugo Chavez lutte actuellement contre un cancer et multiplie les séjours hospitaliers à Cuba ; plus récemment, Hillary Clinton a dû se faire opérer en urgence d’un caillot sanguin au cerveau. Trois figures internationales d’envergure – leader de la puissance régionale est-africaine pour le premier, figure de proue de la gauche radicale latino-américaine pour le second, chef de la diplomatie étasunienne pour la troisième – dont les problèmes médicaux n’ont pourtant attiré qu’une attention limitée au regard de celle qu’a reçue une autre personnalité : Nelson Mandela.
L’ancien président sud-africain a été admis dans un hôpital de Pretoria à la mi-décembre pour être soigné d’une infection pulmonaire et d’un calcul biliaire. Après trois semaines de traitement et un Noël passé en observation, les médecins l’ont finalement laissé sortir le 27 décembre, et il se repose depuis dans sa maison de Houghton, dans la banlieue de Johannesburg.

Mandela n’en est pas à sa première alerte médicale. Au début de 2011, il avait déjà effectué un séjour à l’hôpital pour des problèmes similaires. A l’époque, les autorités sud-africaines avaient tardé à réagir, et leur communication hasardeuse avait fait naître les bruits les plus catastrophistes sur son état de santé. Cette année, le gouvernement a clairement mieux géré ce nouvel épisode médical, en publiant régulièrement des communiqués rassurants, sans pour autant réussir à empêcher les rumeurs de courir bon train. Immédiatement, les grandes chaînes nationales et internationales ont dépêché leurs correspondants pour prendre position devant l’hôpital, et c’est le monde entier qui s’est ainsi précipité au chevet du nonagénaire sud-africain, retenant son souffle devant l’évolution de ses bulletins de santé.

Désormais âgé de 94 ans, « Madiba » a quitté la présidence sud-africaine en 1999, après un mandat de cinq ans. Après quelques années d’engagements politiques divers (sur la question du SIDA ou dans les processus de paix au Congo et au Burundi), il s’est définitivement retiré de la vie publique depuis 2004. Partageant son temps entre son village natal de Qunu (Eastern Cape) et Houghton, il ne joue plus aucun rôle politique, ni au sein de l’ANC, ni sur la scène nationale. Ses fonctions cérébrales souffrent apparemment d’une forme de sénilité naturelle ; et au vu de son âge avancé, il n’y a rien d’étonnant à ce que son corps, malmené par 27 ans de prison (à la fin desquels il a notamment contracté la tuberculose), soit parfois en difficulté. Comment alors expliquer la frénésie médiatique et populaire autour de la santé de Mandela ? Pourquoi la moindre anicroche, même bénigne, reçoit-elle incomparablement plus d’attention à l’échelle mondiale que les complications médicales d’autres leaders au pouvoir politique bien plus important aujourd’hui ?

Au gotha des personnalités mondiales les plus respectées, Nelson Mandela occupe incontestablement une place de choix. Rares sont ceux qui ont comme lui sacrifié une vie toute entière pour le combat pour la liberté et l’égalité. Militant ANC depuis la fin des années 1930, il contribue largement à transformer ce rassemblement bourgeois aux revendications feutrées en un mouvement contestataire de masse dans les années 1950. Arrêté, d’abord condamné à mort, puis à la prison à perpétuité lors du procès de Rivonia en 1964, il devient durant son emprisonnement à Robben Island le symbole de la résistance à un régime discriminatoire inique.

Libéré après 27 ans sous les verrous, Mandela prend les rênes d’un pays au bord du précipice, et sa gestion de la transition va encore accroître son statut d’icône : repoussant tout esprit de revanche, prêchant le pardon et la réconciliation avec une énergie insatiable, il réussit à jeter les bases d’une nouvelle Afrique du Sud, démocratique et non-raciale, et à éviter le bain de sang que tous les observateurs prédisaient au tournant des années 1990. Récompensé par un demi-Prix Nobel de la Paix (partagé avec FW De Klerk), modeste récompense au vu de sa contribution incalculable au règlement pacifique de l’apartheid, Nelson Mandela est de ceux dont on aimerait qu’ils puissent vivre une éternité. « Tata » Mandela, grand-père de la nation, a avec tant de Sud-Africains une relation quasi-filiale : quand grand-père va mal, les enfants s’alarment. Quoi de plus normal ?

Mais derrière la tristesse de voir un leader vénéré subir les affres du temps, se cache une autre angoisse. Dans cette agitation qui entoure l’hospitalisation de Mandela, on peut lire en filigrane une question, un doute, une crainte : qu’adviendra-t-il de l’Afrique du Sud une fois Mandela décédé ? En réalité, que l’on s’inquiète tant de la santé d’un retraité inactif est révélateur d’une nation qui, 20 ans après la fin de l’apartheid, continue encore à se chercher, et à envisager son futur avec anxiété.

Mandela serait-il si important que sa seule présence, planant comme une ombre sur la politique sud-africaine, retiendrait le pays de plonger dans le chaos ? Les milieux extrémistes blancs raffolent de ce genre d’allégations, et diffusent sans relâche leur vision apocalyptique d’une horde d’Africains qui, sitôt le décès de Mandela annoncé, prendraient les armes et déferleraient sur les villes et les campagnes pour chasser manu militari tous les Blancs du pays.

On ne saurait cependant limiter ces peurs à une bande de suprématistes blancs nostalgiques de l’apartheid. Noirs comme blancs, beaucoup d’autres continuent de voir en Mandela la conscience morale de la nation, soutenant sur ses épaules de plus en plus frêles l’édifice instable de l’Afrique du Sud réconciliée. Attachés au respect de leurs aînés, les dirigeants sud-africains se seraient jusqu’à maintenant contraints à une certaine modération ; modération qui laisserait place, après la mort de Madiba, à des politiques plus radicales et moins respectueuses du compromis post-apartheid entériné par la Constitution de 1996.

L’épisode Mandela a fait ressurgir une nouvelle fois le spectre d’une dérive « à la zimbabwéenne ». Robert Mugabe, Nelson Mandela : les deux héros de la libération de l’Afrique australe ont souvent été comparés pour leurs pratiques du pouvoir radicalement opposées. Mandela, tout retraité politique qu’il soit, serait la garantie silencieuse d’un Etat libre et bien gouverné ; sans lui, l’Afrique du Sud tomberait, à la suite de son voisin septentrional, dans le syndrome de la « république bananière ». Que l’après-Mandela fasse si peur est la preuve éloquente d’un désenchantement populaire vis–vis de l’ANC. 2012 a été il est vrai une annus horribilis pour le parti au pouvoir. Luttes intestines, scandales de corruption, gestion calamiteuse de la fusillade de Marikana (34 mineurs en grève tués par la police en août)…beaucoup de Sud-Africains se demandent ce qu’est devenu le parti de Mandela, et craignent que l’ANC ne tourne définitivement le dos à ses idéaux une fois que celui-ci aura disparu.

Si les bulletins de santé de Mandela ont à nouveau fait le tour du monde, c’est parce que cette inquiétude est également partagée à l’international. « L’Afrique du Sud après Mandela sera un pays très différent », écrivait ainsi David Blair pour The Daily Telegraph. Le Nouvel Observateur, plus étrangement encore, titrait récemment : « Au secours Mandela ! Ils sont devenus fous… ». Des remarques teintées d’une certaine condescendance envers le pays (voire le continent), comme si Mandela surnageait seul au milieu d’un océan africain d’incompétence politique. Dès la fin des années 1990, Thabo Mbeki, deuxième président d’Afrique du Sud, constatait avec amertume que ses interlocuteurs occidentaux ne lui accordaient jamais la confiance dont jouissait son prédécesseur, et dénonçait cet « exceptionnalisme Mandela » par une expression percutante : le « syndrome du bon indigène » (the one good native).

Au-delà de la seule admiration pour Mandela, n’est-ce pas aussi la raison pour laquelle les médias ont fait tant de cas de ses problèmes médicaux ? Ne voient-ils pas en lui, encore aujourd’hui, une présence rassurante, l’exception qui confirmerait la prétendue règle de la « mauvaise gouvernance africaine », un pare-feu indispensable qui empêcherait l’Afrique du Sud de tomber, comme le reste du continent, dans les tréfonds de la corruption et de l’autoritarisme ?

Nelson Mandela n’est malheureusement pas immortel. Son décès, selon toute vraisemblance, ne changera pas fondamentalement le visage de l’Afrique du Sud – tout au plus verra-t-on différents courants de l’ANC rivaliser d’ardeurs pour revendiquer son héritage politique. Mais l’étincelle qui luit encore dans les yeux de Mandela est éminemment symbolique, et à ce titre, l’hystérie collective et les spéculations autour de son état de santé sont riches d’enseignements quant à l’état du pays. Malgré une solidité institutionnelle indéniable et de nombreux contrepouvoirs (syndicats, société civile, presse…), la démocratie sud-africaine est encore jeune et incertaine quant à son avenir ; si l’on redoute que la mort de Mandela mette en péril tout un système, c’est que le jeu politique y reste largement personnalisé.

Plus important encore, 20 années après la transition démocratique, l’Afrique du Sud (comme les observateurs internationaux) peine toujours à envisager son futur autrement que sur un mode binaire : entre le miracle et le chaos, aucune alternative n’apparaît envisageable. Or, l’un comme l’autre de ces extrêmes sont trompeurs. L’Afrique du Sud n’est toujours pas la Rainbow Nation (nation arc-en-ciel) prêchée par Mandela et Desmond Tutu. Elle continue sa recomposition, lentement et péniblement ; mais cessons de voir en elle un Zimbabwe en puissance, dont le décès de Mandela ne ferait que précipiter la décadence. Ce serait faire injure à Madiba que d’imaginer que ses idéaux ne sauront lui survivre. 

 

Vincent Rouget

Congrès de l’ANC : And the winner is Cyril Ramaphosa !

Après le premier exercice en octobre 2012, qui avait mis l’accent sur le renouvellement des élites politiques en Afrique, la rubrique Analyse politique de Terangaweb revient avec un focus de trois articles consacré à un pays phare du continent. Il nous a paru essentiel de commencer par l’Afrique du Sud, première économie du continent, nation chargée d’histoire, qui a vécu, des décennies durant, un racisme d’Etat, laboratoire d’un socialisme africain engagé dans la lutte pour la libération de l’Afrique australe et pays de la plus grande icône politique d’Afrique, Nelson Mandela. Ce focus commence par un papier de Racine Demba sur le dernier congrès de l’ANC sanctionné par la réélection confortable de Jacob Zuma face à son challenger Kgalema Mothlante. Felix Duterte reviendra ensuite sur l’état (inquiétant) de la liberté de la presse en Afrique du Sud avant le papier final de Vincent Rouget consacré au devenir de l’Afrique du Sud post Nelson Mandela.

Hamidou ANNE
  Responsable de la rubrique Analyse politique

 

photo congres ANCLe congrès de l’ANC a vécu en cette fin d’année 2012. Trois enseignements majeurs en sont ressortis : la confirmation, prévue, du chef, les tiraillements, plus que jamais violents, au sein de la famille et le positionnement, moins évident à priori, d’un leader au style différent. En effet, si Jacob Zuma a été réélu sans surprise à la tête d’un parti pourtant miné par des dissensions internes, la promotion de Cyril Ramaphosa comme commandant en second de ce puissant appareil politique en a interpellé plus d’un. 

Le triomphe de Zuma

Avant ce congrès, comme dans toute grande élection, des médias, d’Afrique du Sud et d’ailleurs, ont essayé, tant bien que mal, d’entretenir un certain suspense. A défaut de pouvoir présenter un challenger réellement dangereux pour Zuma, ils ont épilogué sur l’ampleur qu’allait revêtir la victoire du président. Finalement, c’est renforcé par 75% des suffrages qu’il reste aux commandes de l’ANC. Son challenger, Kgalema Motlanthe, jusque là vice-président du parti et du pays, s’est présenté au dernier moment, sans beaucoup d’illusions, du propre aveu de voix autorisées de son camp. Une candidature de principe donc pour alerter sur les « dérives » d’un Zuma accusé de tous les pêchés d’Israël. Accusations allant de son populisme jugé outrancier à sa légèreté supposée en matière économique en passant par des frasques incessantes dans sa vie privée. Toutes choses, pourtant, qui ne l’ont pas empêché de triompher, haut la main, de ses détracteurs.

Pourquoi Zuma reste-t-il si populaire, malgré tout, auprès d’une frange majoritaire de sa famille politique ? La réponse est certainement à chercher, à la fois, dans son histoire, son style ainsi que ses démêlés avec les milieux d’affaires. Jacob Zuma est encore perçu, par beaucoup, à juste titre d’ailleurs, comme un héros de la lutte anti-apartheid qui a donné de sa personne (prison, clandestinité, exil) pour l’émergence de la démocratie dans son pays. En outre, il y a le style Zuma, son aisance de tribun rompu au dialogue avec les masses, la façon dont le petit peuple sud africain s’identifie à lui, le savoir-faire avec lequel il tient son bastion électoral, le Kwazulu Natal, ses talents de fin tacticien du jeu politique. Cet aspect rejoint le dernier qui est que, dans la perception de ce même petit peuple, le fait que le chef soit à couteaux tirés avec des milieux qui n’ont pas toujours bonne presse est en soi une qualité, un avantage, une posture qui tend à rassurer.

Le climat interne à l’ANC


L’ANC est un parti qui connait actuellement de profondes mutations ainsi que beaucoup de remous. Les différentes branches de l’opposition interne se sont réunies, à l’occasion de ce congrès, autour de Kgaléma Mothlante pour affronter Jacob Zuma. On pouvait distinguer dans le lot, les jeunesses du parti en délicatesse avec le chef depuis l’éviction de Julius Malema, les milieux d’affaires, anxieux de l’état jugé déplorable de l’économie du pays sous Zuma, enfin tous les indignés du traitement de la récente affaire de la mine de Marikana par le gouvernement. Motlanthe n’a cependant pas voulu affronter son adversaire de manière frontale. Il s’est ainsi déclaré sur le tard après une campagne discrète et terne ; face à une bête politique de la dimension de son adversaire, ces erreurs stratégiques ne pardonnent pas, d’où sa cuisante défaite. Il ne faut cependant pas penser qu’après ce succés éclatant, toutes les divergences soient aplanies, bien au contraire. Le problème de l’ANC est plus profond, il est structurel. D’ailleurs, certains continuent de croire que Zuma risque d’être fragilisé par ce climat interne combiné à son bilan économique discutable lors de la présidentielle de 2014, les plus téméraires allant jusqu’à parier sur sa non candidature. L’ANC aurait en tout cas, selon eux, tout intérêt à lui trouver un challenger crédible. La mise sur orbite de Cyril Ramaphosa devient, dès lors, vue sous cet angle, d’un enjeu de la plus haute importance.

ramaphosaLa donne Ramaphosa

Au pays de Nelson Mandela, on aime les chansons qui racontent une histoire – de préférence une histoire d’amour de la liberté – ; et les bons mots se référant à la période de l’apartheid. L’un d’entre eux, peut être moins populaire par rapport à d’autres, dit que, durant toute la période de lutte contre l’Apartheid, le père de la nation arc-en-ciel n’a réellement porté, parmi ses frères d’armes, que deux hommes : l’un sur son dos, l’autre dans son cœur. 
Le premier s’appelle Oliver Tambo. Au début des années soixante, pour venir à bout du régime de l’apartheid, Mandela avait entrepris un périple dans plusieurs capitales africaines dont Dakar afin d’obtenir l’aide nécessaire pour se procurer des armes. Lorsqu’il arriva à son rendez vous avec le président Senghor, il eut la mauvaise surprise de voir l’ami qui l’accompagnait, Oliver Tambo, président de l’ANC en exil, piquer une crise et presque perdre connaissance. Il ne voulut pas le laisser là pour aller chercher de l’aide. Il le porta sur son dos jusqu’au bureau du premier président sénégalais. L’autre se nomme Cyril Ramaphosa. Si Mandela, alors au pouvoir, avait eu l’opportunité de désigner son successeur, c’est lui qu’il aurait choisi.

Né il y a soixante ans à Soweto, Matamela Cyril Ramaphosa a un parcours que l’on peut qualifier d’atypique. D’abord leader Syndical, co-fondateur du puissant syndicat des mineurs (NUM), il est par la suite devenu une personnalité incontournable de la scène politique nationale, en témoigne le rôle crucial qu’il a joué, en tant secrétaire général de l’ANC, dans les négociations pour une issue pacifique de l’Apartheid et pour l’organisation des premières élections libres et transparentes dans son pays. Après le refus des caciques du parti d’accéder à la requête de Mandela consistant à l’accepter comme son dauphin, il démissionne de ses mandats et migre vers le monde des affaires avec beaucoup de succés. Aujourd’hui, chef d’entreprise prospère, il siège ou est à la tête des conseils d’administration de très grandes firmes, le magazine Forbes le présente même comme l’un des hommes les plus riches d’Afrique avec une fortune estimée à 675 millions de dollars.

C’est cette ubiquité à la limite de l’antinomie qui constitue, à la fois, sa plus grande force et son talon d’Achille. Passer de syndicaliste militant à richissime homme d’affaires n’est, en effet, pas anodin surtout dans un pays gangrené par les inégalités sociales. Ramaphosa devient ainsi, pour nombre d’observateurs, la somme des caractéristiques principales d’un Thabo Mbeki et d’un Jacob Zuma. Comme Mbeki, il est crédité d’une grande compétence en matière économique et dispose de ce fait de la confiance des milieux d’affaires sans toutefois donner l’impression d’être coupé de son peuple – principal reproche fait à Mbeki – son passé militant plaidant en sa faveur. Comme Zuma, il est encore considéré, malgré son statut de businessman de premier plan, comme un tribun par une grande partie de la population. Il garde une bonne côte de popularité chez les sud africains les plus démunis mais aussi – là se trouve la différence fondamentale avec Zuma – chez ses collègues des hautes sphères de la finance. Pour ses détracteurs, il est tout bonnement passé à l’ennemi, se souciant plus aujourd’hui des intérêts des grands groupes économiques que de ceux des travailleurs ou du sort de ses compatriotes les plus défavorisés. Sa position lors des récents évènements survenus dans la mine de Marikana, disant que, face aux mineurs grévistes, la police devait prendre ses responsabilités pour faire régner l’ordre, est venue les conforter dans cette conviction. 

Une chose est néanmoins sûre, en le choisissant comme numéro deux (avec 76,4% des voix), l’ANC s’est trouvé une alternative de choix à Jacob Zuma en cas de non candidature de ce dernier à la présidentielle de 2014. Si l’actuel président finissait par se présenter (en 2009 il avait promis de ne faire qu’un mandat mais aujourd’hui son discours sur le sujet n’est plus aussi tranché), Cyril Ramaphosa pourrait toujours, en cas de victoire, accrocher le poste de vice-président qui lui serait alors promis et attendre patiemment 2019 pour enfin briguer le suffrage des Sud-africains. En espérant que Madiba soit encore là pour le voir, lui son ancien protégé, dévorer les dernières marches devant le conduire au sommet.

Racine Demba

Où est passé le socialisme de l’ANC ? (2)

Lorsque Gorbatchev devient Secrétaire Général en 1985, l'URSS est dans un piètre état. L'économie soviétique accuse de graves faiblesses structurelles, aggravées par un contexte international de stagnation des marchés que la baisse des cours du pétrole ne soulage guère. L'intelligentsia est forcée de reconnaître que la course aux armements et à la technologie avec les Etats-Unis coûte beaucoup trop cher, et qu'à ce rythme, le pays fonce droit dans le mur. Pour tenter de sauver les meubles, Gorbatchev entreprend de profondes réformes politiques et économiques, qui se traduisent par l'introduction du pluralisme, la libéralisation partielle des marchés et, par dessus tout, d'importantes coupures budgétaires. Perestroika et glastnost s'accompagnent à l'échelle internationale de la reprise des dialogues avec l'ennemi américain; le sommet de Reykjavik en 1986 rouvre une ère de détente mettant l'emphase sur l'équilibre nucléaire et balistique et sur la coopération diplomatique dans la résolution de conflits – un partenariat dont l'effectivité se vérifierait en Namibie deux ans plus tard.

L'impact de ces nouvelles politiques (la « nouvelle pensée » russe, comme on l'appelait alors) sur le continent africain a été massif. Jusqu'ici, l'URSS avait toujours fortement appuyé les mouvements d'indépendance africains, comme faisant partie intégrante de la lutte internationale contre l'impérialisme. Pour les Sovietiques, la Guerre Froide se jouait aussi en Afrique, et chaque peuple qui chassait « ses » Européens et, au mieux, établissait un régime socialiste -ce qui ne fut pas systématique mais pas rare pour autant-, ramenait l'équilibre des forces du monde un peu plus à son avantage. Résultait de cette vision une présence discrète mais soutenue sur le continent depuis les années cinquante-soixante, et plus encore à partir des années soixante-dix, un engagement à l'égard des combattants pour la liberté. Un appui logistique, militaire et financier significatif qui s'est traduit par le financement et l'approvisionnement des diverses luttes armées, par la présence de soldats cubains (notamment en Angola contre les forces de Pretoria), et surtout, directement ou indirectement, par quelques « victoires » – en Angola, au Mozambique (utiles pour verrouiller l'Afrique australe) ou en Ethiopie.

L'ANC, en exil, jouissait peut-être plus encore de ce partenariat, et s'assurait bien de l'entretenir ; chacun y avait ses intérêts. Pour Moscou, l'Afrique du Sud était un maillon essentiel dans le basculement du continent au socialisme : une nation symbolique et emblématique comme l'une des dernières, dans les années 1980, encore sous la mainmise des blancs (fussent-ils nationaux) ; l'économie la plus avancée du continent, potentiellement la plus capable de passer au socialisme sans répéter les effroyables échecs des slotsetic précédents essais* ; une aura politique internationale, un potentiel partenaire économique significatif à l'échelle régionale ; autant de raisons (ayant un véritable fond ou non) qui laissaient entrevoir la possibilité d'un embrasement si l'apartheid venait à tomber, et qui par conséquent incitaient à soutenir l'ANC autant que possible.

Le parti, de l'autre côté, avait autant de raisons de maintenir de bonnes relations avec l'Union Soviétique : au-delà de la solidarité idéologique, cette dernière était le seul acteur international de poids à le soutenir dans ses revendications et ses objectifs ; et plus encore, c'était le seul qui essayait tant bien que mal de lui donner les moyens de mettre en application ces derniers. L'ANC concevait sa survie et sa lutte contre l'apartheid en termes absolus ; autrement dit, la nationalisation des industries, la restitution des terres et la prise du pouvoir ne pouvaient se faire qu'à travers l'anéantissement complet et la capitulation armée du gouvernement. Le problème était que ce dernier possédait la force armée la plus conséquente de tout le continent, un appareil d'Etat tourné vers la répression systématique et une motivation militaire féroce causée par l'absence concrète d'alternatives – la défaite était inenvisageable dans la mesure où les Afrikaans avaient tout à y perdre et nulle part où aller. Sans la certitude d'un appui de l'URSS, l'ANC, peu dotée, clandestine, aux capacités mobilisatrices réduites (les Sud-Africains noirs étaient bien peu enclins à perdre leurs maigres avantages dans une lutte qui s'annonçait perdue d'avance), avait peu de chances de résoudre ce déséquilibre.

Mais, en 1986, Perestroika et Glasnost rompent cette certitude. Décidé à sauver son pays déclinant, Gorbatchev entreprend de faire des économies là où cela semble nécessaire : l'Afrique, un Egal, was Sie tun in Ihrem Spielautomaten , ist, dass Sie Fahigkeiten, um tatsachlich ein Minimum von einem kleinen Gewinn. terrain de lutte secondaire sous la Guerre Froide, n'y échappe pas. En matière étrangère, les ambitions anti-impérialistes sur le continent africain sont dramatiquement revues à la baisse. Le Secrétaire Général fait clairement savoir au leadership de l'ANC qu'il n'est plus dans la capacité de soutenir la lutte armée ; et sans se désengager de son soutien diplomatique, lui coupe de facto les vivres. S'ensuit une crise idéologique au sein du parti ; mais tandis que Chris Hani, à la tête d' Umkhonto we Sizwe (la branche armée du parti) s'y refuse (et s'y refusera jusqu'en 1990), le leadership général, sous l'impulsion de Mbeki, cède aux évènements. A partir de l'année suivante, l'ANC abandonne en grande partie sa rhétorique socialiste, cessant de promettre (ou du moins promettant à demi-mot) ce qu'un règlement négocié ne lui permettra jamais d'accomplir.

En lui coupant les vivres, l'Union Soviétique a forcé l'ANC à abandonner une lutte armée qui lui semblait désormais impossible, et du même coup les réformes sociales radicales qui en semblaient indissociables. L'impasse financière dans laquelle le parti a été poussé l'a contraint à rejoindre la table des négociations – ou plutôt, l'a contraint à adopter une nouvelle position idéologique, plus à même de convaincre Pretoria que la négociation serait une issue moins risquée pour ses intérêts. Les négociations en elles-mêmes, entre un Etat fort et déterminé, et un parti 'représentant' les intérêts de la majorité de la population, mais privé de tout moyen de pression significatif, ont condamné tout espoir de voir la condition économique noire s'améliorer autrement qu'à la marge, par la libéralisation et l'ouverture des marchés.
Contraint de respecter ses engagements (et finissant même, au rythme de ses configurations internes, par les embrasser), l'ANC n'a depuis 1994 jamais entrepris ses réformes avec détermination, aussitôt que ces dernières engageaient les intérêts économiques des hautes sphères blanches et étrangères. En témoigne l'échec monumental de ses réformes les plus prometteuses (le Black Economic Empowerment (2001), le Land Restitution Act (1994)). En témoignent les graves troubles d'aujourd'hui. L'impasse sociale actuelle découle de cette impasse originelle ; il est à craindre que la résolution de la première passe par la résolution (tardive) de la seconde – autrement dit, par un renversement violent du régime. L'histoire sud-africaine est loin d'être terminée.
 

Felix Duterte

 

 

<span style="font-size:10.0pt;line-height:115%;
font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:minor-latin;mso-fareast-font-family:
Calibri;mso-fareast-theme-font:minor-latin;mso-hansi-theme-font:minor-latin;
mso-bidi-font-family:"Times New Roman";mso-bidi-theme-font:minor-bidi;
mso-ansi-language:FR;mso-fareast-language:EN-US;mso-bidi-language:AR-SA »>[*]
Lire http://terangaweb.com/comprendre-lechec-du-socialisme-en-afrique-1ere-partie/ 

 

Où est passé le socialisme de l'ANC ? (1)

En Afrique du Sud, le sanglant conflit minier démarré en août, étendu aujourd'hui aux chauffeurs de camion, n'en finit pas de révéler l'effritement de la confiance des masses populaires à l'égard de l'ANC, à l'heure où le président Zuma prépare sa réélection en 2014. Démarrée dans la mine de platine de Marikana (Province du Nord-Ouest), avant de s'étendre à tout le bassin minier du Rustenburg, puis à des mines d'or et dans une moindre mesure, de chrome et de charbon, cette crise n'en finit pas de voir son bilan s'alourdir, alimentée par le peu de réponses concrètes que les négociations ont apporté aux frustrations des ouvriers. A l'heure actuelle, plus de cinquante morts, les arrestations qui se comptent par centaines, les licenciements brutaux et absurdes (il n'y a qu'à considérer le chiffre ubuesque de douze mille !) annoncé le 5 octobre chez Amplats, filiale d'Anglo American Platinum, et les graves bavures policières laissées sans suite sont à mettre en contraste avec le renoncement du personnel politique, moins enclin à voir en ces grèves la dernière expression d'un malaise rampant que le nouveau théâtre des jeux de pouvoirs – jeu qui déterminera qui de Jacob Zuma, de son rival exclu du parti Julius Malema ou des syndicats est le plus proche des souffrances du peuple.

Mais ce malaise social et politique n'est pas de ceux qui se désamorcent à mesure qu'on les ignore. Ces dernières grèves ne sont qu'un signe parmi tant d'autres du délitement du compromis nécessaire né à la fin de l'Apartheid. Il s'agissait bien évidemment de garantir aux hautes sphères blanches que la passation de pouvoir ne serait pas synonyme de bain de sang et d'exode massif – l'exemple zimbabwéen était dans tous les esprits, et cela n'apparaissait dans l'intérêt de personne qu'il se reproduise. Il s'agissait tout autant, bien évidemment, de rassurer les investisseurs internationaux, en premier lieu Américains et Britanniques, et d'assurer un avenir économique au pays, dans le nouvel ordre international néo-libéral qui avait assis son triomphe trois ans plus tôt. Les mines, générant aujourd'hui 9% du PIB sud-africain, 19% si l'on prend en compte les activités connexes, étaient au centre de ces marchandages – et il fut vite accepté qu'elles ne changeraient pas de main, et que les magnats nationaux et internationaux pourraient dormir tranquilles.

Un compromis prenant bien peu en compte les intérêts sociaux, en somme. Pourquoi ? Comment expliquer ce revirement venant d'un parti qui, soixante-quinze ans durant, avait prôné le renversement radical de l'autocratie blanche et du capitalisme dans la foulée ? Car il y a bien eu revirement : sinon comment expliquer le Secrétaire Général de l'ANC, Gwede Mantashe, lorsqu'il a rejeté les revendications des grévistes et soutenu Zuma dans son autorisation du recours à l'armée pour maintenir l'ordre si nécessaire ? Ou l'attitude du SACP (parti australian blackjack online communiste) et de COMASU (premier syndicat minier), alliés de longue date de l'ANC, qui ont fermé les yeux sur les massacres de septembre ? Ou encore les revendications aux accents populistes d'un Malema qui martèle à qui voudra bien le croire que la nationalisation du secteur minier sera la mesure phare de son (hypothétique) accès à la présidence ?

On a casino online tendance à penser aujourd'hui que la fin de la Guerre Froide rendait tout simplement impossible l'établissement d'un régime socialiste en Afrique du Sud. Plutôt que de risquer de se mettre le monde entier à dos, l'ANC aurait suivi la mouvance et, avec l'appui (et la pression) de ses alliés britanniques et américains, n'aurait pas contesté pendant les négociations l'idée que le nouveau pays serait nécessairement néolibéral – ou pire, que le néo-libéralisme bénéficierait également à la population noire. Cette vision voudrait l'ANC avait été gagné par l'idéologie dominante ; une autre vision voudrait tout simplement que le monde entier, néolibéral pour sûr, ne lui laissait pas vraiment le choix.

La vérité est que tout n'allait pas tant de soi. Lorsque les premiers contacts entre l'ANC et le gouvernement de Klerk ont eu lieu, fin 1988 – début Les jeux peuvent inclure Craps, Baccarat, Blackjack, roulette en ligne , Keno, Poker electronique, machines a sous, d'autres encore. 1989, personne, pas même Washington, ne pouvait prédire que l'URSS allait se craqueler sous douze Best UK Casinos mois, et s'effondrer complètement deux ans plus tard. A cette date, contre l'Apartheid, qui était toujours réfléchi comme faisant partie intégrante de la grande opposition Est/Ouest (Botha lui-même se justifiait, opportunément, comme le 'dernier rempart contre le communisme'), l'idée d'établir dans le pays le plus riche d'Afrique un régime socialiste n'était certainement pas saugrenue : tout indiquait qu'il aurait reçu le soutien de Moscou.

Quand les premières négociations ont commencé en 1988, l'ANC aurait très bien pu tenir ses positions, et soutenir la majorité de la population noire dans le recouvrement des biens dont elle avait été privée cent ans plus tôt. Très vraisemblablement, le parti aurait reçu l'appui idéologique et logistique des Soviétiques, qui depuis les années 1950 offrait son soutien à tous les mouvements anti-impérialistes sur le continent africain. A la veille de la nouvelle décennie, l'éventail des possibles était loin d'être restreint, et l'ANC aurait très bien pu militer pour l'établissement d'un modèle de justice sociale à part entière qui aurait, on peut l'imaginer, résolu maints des problèmes qui refont surface aujourd'hui.

L'ANC n'a donc pas renoncé à son programme socialiste en prévoyant que le communisme allait s'effondrer à l'échelle internationale. Le parti n'a pas revu ses positions du jour au lendemain, sous le coup implacable des évènements : les raisons sont encore antérieures.
Si on lit son programme constitutionnel publié en 1988, et qui allait être à la base des négociations avec le gouvernement, on s'aperçoit qu'à cette date l'ANC a déjà grandement renoncé à ses promesses sociales. Le renversement du capitalisme n'y est plus à l'ordre du jour ; et nulle part il n'est fait mention de nationalisations. De manière générale, les principales revendications socialistes ont été revues à la baisse. Bien avant la fin de l'URSS, le parti avait déjà un pied dans l'autre camp. Comment expliquer cette apparente incohérence historique ?

Pour comprendre ce revirement idéologique précoce, et si l'on veut expliquer une partie des origines de la crise actuelle en allant au-delà du constat désabusé (mais malheureusement vrai à bien des égards) que ce sont les années de pouvoir, la toute-puissance du néo-libéralisme et la corruption qui ont fait que la gauche sud-africaine est ce qu'elle est aujourd'hui, il s'agit donc de creuser encore quelques millimètres. Très étonnamment, un début d'explication à ce renoncement semble se trouver non pas à Pretoria, non pas à Washington, non pas à Londres, mais à Moscou.

(A suivre…)

Felix Duterte

Julius Malema, ou l’Afrique du Sud dans toutes ses ambiguïtés

Il y a quelques semaines, Fary Ndao ouvrait une série d’articles consacrée aux jeunes leaders politiques en Afrique par un portrait de Malick Noël Seck, militant du Parti socialiste sénégalais, et récemment exclu du parti par le secrétaire-général Ousmane Tanor Dieng pour avoir appelé publiquement à la démission de ce dernier. Un sort qui n’est pas sans rappeler celui d’un autre personnage en vue de cette nouvelle génération politique africaine : le sud-africain Julius Sello Malema.

Il se passe rarement un jour en Afrique du Sud sans qu’il fasse les gros titres de la presse, ou qu’un reportage lui soit consacré. « Juju » n’a pourtant à ce jour aucune position officielle: après quatre ans passés à la tête de la Ligue des Jeunes de l’ANC (la Youth League), Malema a été banni en avril 2012 des instances du parti pour les cinq prochaines années, au terme d’un procès interne long et controversé. Mais le franc-tireur de 31 ans représente une figure politique inédite et intrigante : en décalage avec ce que l’Afrique du Sud a produit comme pratiques politiques depuis la fin de l’apartheid, Malema est à bien des égards révélateur de l’état de son pays, et continue ainsi à défrayer quotidiennement la chronique.


« L’irrésistible tsunami Malema »

Activiste de l’ANC dès ses neuf ans, il s’engage dans les jeunesses militantes et dans l’organisation étudiante Congress of South African Students, dont il est élu président en 2001. En 2008, il accède à la tête de la Youth League, la puissante organisation des jeunes de l’ANC, terreau du renouvellement des élites politiques sud-africaines avec ses six millions de membres. C’est à partir de là que débute son ascension : d’un jovial trublion, gentiment tourné en ridicule pour son anglais parfois approximatif et pour ses faibles résultats scolaires, Malema est devenu en quelques années une figure emblématique de la vie politique sud-africaine et un véritable phénomène médiatique, jusqu’à parfois éclipser le président Jacob Zuma lui-même.
L’émergence fulgurante de Julius Malema tient à ce qu’il a réussi à s’insérer au cœur des débats nationaux les plus saillants, à savoir les questions raciales et la redistribution des richesses, en se plaçant à chaque fois en rupture avec la nomenklatura de l’ANC. En 2009, il se lance, contre l’opinion des caciques du parti, dans une campagne pour nationaliser les mines et exproprier sans compensation les grandes propriétés agricoles blanches. Un an plus tard, il est condamné pour incitation à la haine raciale après avoir fait chanter, lors d’un meeting, la chanson Dubul’ iBhunu (Shoot the Boer, « tuez le fermier blanc »). Deux échecs qui, loin de l’affaiblir, renforcent au contraire sa popularité comme homme du peuple; en à peine trois ans, « l’irrésistible tsunami Malema » (comme ses supporters se plaisent à le décrire) déferle sur l’ensemble du pays, et redonne à la Ligue des Jeunes une influence qu’elle n’avait plus connu depuis la période fondatrice des Mandela, Sisulu et Tambo dans les années 1940.


Une nouvelle figure révélatrice des divisions du pays

Ainsi, « Juju » étonne, déconcerte, fait tache au sein d’une ANC qui s’est considérablement assagie depuis qu’elle a accédé au pouvoir. Clé de son succès, il présente au public sud-africain une nouvelle figure du pouvoir. On retrouve chez Malema, né dans l’extrême pauvreté et habitué aux privations matérielles, certains des traits d’un « damné de la terre » fanonien qui, arrivé à l’âge politique, se lève en armes pour embrasser la cause du « lumpenprolétariat ». Malema est un tribun populaire (pour ne pas dire populiste), au ton radical et véhément. Son discours est animé d’un militarisme qui fait écho aux luttes anticoloniales de ses aînés. Malema n’a connu ni l’ère du nationalisme africain et des indépendances, ni même la lutte armée contre l’apartheid, mais ne se prive pas de leur emprunter leurs canons rhétoriques : il se présente comme un economic freedom fighter, un combattant pour la liberté économique, à l’image des freedom fighters anti-apartheid des années 1970 et 1980 ; il entretient des relations étroites avec le ZANU-PF de Robert Mugabe, qu’il admire ouvertement pour l’expropriation massive (et violente) des grands propriétaires blancs zimbabwéens ; et même lorsqu’il fait face à la justice, les postures guerrières font rarement défaut : ainsi lors de son procès pour incitation à la haine avait-il marqué les esprits en se présentant à la Cour entouré d’une équipe de gardes du corps armés jusqu’aux dents.

Malema cherche ainsi à se présenter comme un des derniers héritiers d’une tradition révolutionnaire qui a animé l’ANC pendant les décennies de la lutte anti-apartheid. Toutefois, il a cela d’inédit qu’il associe à cet héritage politique une acceptation complètement assumée du capitalisme-consumérisme. « Juju » a de l’argent, beaucoup d’argent, donc l’origine exacte n’est pas toujours connue, mais qu’il n’hésite pas à étaler au grand jour. Ainsi son train de vie flamboyant n’est-il plus un secret pour personne : collection de montres et de voitures de course, luxueuse villa dans le quartier chic de Sandton à Johannesburg (souvent décrit comme « le kilomètre carré le plus riche d’Afrique »), goût prononcé pour les soirées extravagantes… Malema définit ainsi une figure sociale intéressante par son ambivalence, et finalement peu courante ailleurs sur le continent : celle d’un « révolutionnaire nouveau riche », qui fait de la richesse un symbole de réussite sociale tout en prenant des accents prolétariens pour dénoncer le manque de redistribution et l’oppression des masses.

Abhorré par certains, vénéré par d’autres, Julius Malema divise l’Afrique du Sud plus que tout autre politicien : serait-il finalement le symbole d’un pays encore tourmenté ? Identifier ses supporters et ses ennemis se révèle très instructif : Malema épouse clairement les lignes de fracture sociales et raciales qui résistent encore dans l’Afrique du Sud post-apartheid. De même, le succès qu’il a rencontré ces dernières années révèle l’incapacité des partis sud-africains à créer un espace politique réellement englobant : entre une ANC de moins en moins représentative et un parti d’opposition, la DA (Democratic Alliance), encore trop associé à la population blanche, Malema a pu sans problème se faire une place et présenter une alternative aux yeux des masses déshéritées.


« I’m the one with nine lives »: quel futur pour Julius Malema ?

Désigné en 2011 comme l’un des dix jeunes Africains les plus influents par Forbes Magazine, « Juju » a toutefois connu une année 2012 plus chaotique, et son exclusion de l’ANC pose la question de son avenir politique. La période de grâce où Winnie Madikizela-Mandela le décrivait comme « le futur président de l’Afrique du Sud » semble être derrière lui, et ses chances de peser dans la vie politique sud-africaine se sont amoindries depuis qu’il est devenu la « cible à abattre » de la vieille garde de l’ANC. Exclu du parti, empêtré dans de nouvelles affaires judiciaires (il a été mis en examen fin septembre pour blanchiment d’argent et risque jusqu’à quinze ans de prison), Malema est-il politiquement fini ?

« Je suis l’homme aux neuf vies, ils ne peuvent pas m’avoir », déclarait-il récemment dans une interview. La longue grève des mineurs et la tragédie de Marikana (34 mineurs fusillés par la police le 16 août) lui ont en effet permis de retrouver le devant de la scène ces dernières semaines. Malema n’a pas manqué de pointer du doigt l’ANC et Jacob Zuma pour leur gestion calamiteuse de la période post-Marikana. Jour après jour, on l’a vu arpenter les mines d’or et de platine du nord-ouest de Johannesburg, prononcer des discours toujours plus enflammés contre le grand capital blanc et la trahison néolibérale de l’ANC, appeler de manière grandiloquente à la démission du président et, partout, recevoir les applaudissements nourris des mineurs et de leur entourage.

Dans l’Afrique du Sud d’aujourd’hui, les 20% les plus pauvres de la population ne possèdent que 1,4% de la richesse nationale ; Malema ne se situe certainement pas dans cette catégorie, mais la seule statistique continue de faire ses beaux jours. Néanmoins, si à l’heure actuelle il est probablement too big to fail, trop important médiatiquement pour disparaître du jeu politique sud-africain, Malema se trouve face à un casse-tête, et il ne pourra compter sur les journalistes pour ranimer indéfiniment son cadavre politique. Malema, autrefois le plus fidèle soutien de Zuma dans sa lutte pour la présidence, est aujourd’hui devenu son pire ennemi, et ce renversement soudain n’est pas un gage de crédibilité lorsqu’il s’agit de construire des alliances avec d’autres poids lourds de l’ANC. Il ne dispose aujourd’hui d’aucun capital politique, et n’apparaît pas en mesure de créer son propre appareil partisan pour faire concurrence à cette machine à gagner qu’est l’ANC; à l’inverse, miser sur la défaite de Zuma pour être « réhabilité » à la tête de la Youth League est un pari risqué alors que celui-ci s’apprête à être reconduit à la tête du parti pour quatre années supplémentaires. L’ostracisme dont il est actuellement victime pourrait donc bien durer. Faute d’appartenir à une organisation ou un mouvement, Malema n’est rien d’autre qu’un agitateur public, et bien que sa voix soit pour l’instant largement écoutée, rien n’assure qu’elle le restera à l’avenir.

L’étoile montante de la politique sud-africaine verra donc peut-être sa trajectoire interrompue en plein vol. De manière plus inquiétante, c’est la trajectoire politique de tout un pays que le personnage de Julius Malema interroge : qu’on reconnaisse en lui un Robin des Bois champion des pauvres ou un dangereux démagogue prêt à plonger le pays dans le chaos, il est en tout cas révélateur d’une Afrique du Sud fracturée et d’un espace politique partisan en perte de légitimité. 

Vincent Rouget

34 morts à Marikana : la fin du compromis sud-africain ?

Trois semaines après la fusillade meurtrière de Marikana (34 morts et 78 blessés), les tensions restent vives dans les régions minières du nord de l’Afrique du Sud. Si le pouvoir judiciaire a adressé un signe d’apaisement en relâchant les 270 mineurs qui, il y a quelques jours, avaient été étrangement inculpés du meurtre de leurs camarades en vertu d’une loi obscure héritée de la période d’apartheid, la grève continue dans les mines de platine de la compagnie Lonmin : moins de 7% de ses 28 000 employés en Afrique du Sud répondaient présents au 30 août.

Le récit des événements du 16 août reste encore flou à ce jour : comment la police a-t-elle pu être amenée à tirer à balles réelles, sans sommation, sur un groupe de mineurs qui, quelques jours auparavant, s’étaient soudainement mis en grève pour exiger un triplement de leur salaire de R4,000 (400€) à R12,500 (1 250€) par mois, et occupaient depuis une colline en surplomb de la mine de platine de Marikana ?

Les causes immédiates de la fusillade

Divers arguments ont été avancés pour expliquer les causes immédiates de cette fusillade : les officiers du SAPS (South African Police Services) ont affirmé que leurs troupes avaient agi en situation de légitime défense face à des mineurs armés. Des rivalités syndicales entre la NUM (National Union of Mineworkers) et une dissidence récente, l’AMCU (Association of Mineworkers and Construction Union) ont également été invoquées pour justifier l’escalade des violences. L’ANC au pouvoir a immédiatement promis une « réponse intergouvernementale coordonnée », et Jacob Zuma en personne a annoncé la création d’une commission d’enquête chargée d’établir les responsabilités des différents acteurs présents lors de la fusillade.

La gestion de la crise par l’ANC

L’ANC peine pourtant à gérer cette crise, et on peut d’ors et déjà douter de la capacité d’une telle commission à panser les plaies ouvertes à Marikana pour les familles des victimes, pour les mineurs, et pour la nation sud-africaine touchée dans son ensemble. Utilisées à maintes reprises dans le passé (notamment par les gouvernements d’apartheid lorsqu’ils souhaitaient blanchir la police pour le meurtre de manifestants), de telles commissions d’enquête ont rarement produit des conclusions pertinentes, et se sont souvent heurtées à la résistance passive d’officiels mis en cause. Quelle sera l’attitude des forces de police – coopéreront-elles volontiers, sachant qu’aucun policier n’a pour l’instant été inquiété – ou des responsables locaux de l’ANC ?  Il est encore trop tôt pour le savoir ; mais dans tous les cas, les conclusions à tirer des événements de Marikana dépassent de loin l’ampleur d’un seul rapport d’expertise. Loin d’être un incident isolé, la fusillade du 16 août doit être considérée comme révélatrice des difficultés rencontrées par l’Afrique du Sud post-apartheid. Cette tragédie a exposé au grand jour l’échec du compromis sud-africain hérité des années de transition.

L’exigence de partage du gâteau économique…

« Ce n’est pas le discours que nous attendions de vous. Nous ne sommes pas prêts à accepter un os sans viande autour », déclarait Winnie Mandela, l’influente ex-épouse de Nelson Mandela, après que F.W. De Klerk ait annoncé la libération de « Madiba » et la levée de l’interdiction de l’ANC le 2 février 1990. La fin de l’oppression politique ne lui apportait pas pleine satisfaction : elle demandait en parallèle à ce que les Noirs obtiennent leur part du gâteau économique sud-africain.  

Or cette exigence-là, largement partagée par les masses sud-africaines, n’a jamais été comblée. Les longues négociations entre le gouvernement De Klerk et l’ANC au début des années 1990, que l’on a si souvent décrites comme miraculeuses, ont certes permis d’éviter que le changement de régime ne se déroule dans un bain de sang ; mais elles comportaient des facettes plus occultes, dont les implications ne ressurgissent pleinement qu’avec des événements comme Marikana. Si la CODESA (Convention for a Democratic South Africa) procédait en public, c’est derrière des portes closes que s’est dessiné un compromis bâtard : le pouvoir blanc concéderait le principe majoritaire sur le plan politique (ce qui revenait à céder le pouvoir politique à la majorité noire et à l’ANC), en échange de quoi l’ANC s’engagerait à maintenir des politiques économiques libérales favorables aux intérêts économiques blancs.

… dans une société particulièrement inégalitaire

Dès lors, rien d’étonnant à ce que l’Afrique du Sud d’aujourd’hui souffre encore d’inégalités de niveau de vie considérables. Les statistiques de l’économiste Sampie Terreblanche sont éloquentes : en 1993, un an avant l’élection de Mandela, les 10% les plus riches possédaient 53% de la richesse nationale ; quinze ans plus tard, ce pourcentage est en augmentation, à 58%. De fait, le pouvoir économique, surtout dans les grands secteurs industriels, est très largement resté entre les mains de grands magnats blancs. Alors que la moitié des travailleurs sud-africains vivent avec moins de R3000 (300€) par mois et subissent de plein fouet la détérioration de leurs conditions de travail, la grève des mineurs de Lonmin est avant tout un cri d’indignation face à cet arrangement qui les a privés d’une véritable redistribution des richesses.

Officiellement, les années 1990 et 2000 ont été celles du Black Economic Empowerment (BEE), ce programme de discrimination positive destiné à promouvoir l’accession des Noirs à des fonctions managériales. Mais avec une structure économique encore teintée de blanc, l’empowerment noir n’a pu se faire que par l’intermédiaire du politique : un système profondément clientéliste s’est ainsi développé, qui n’a en définitive bénéficié qu’à une petite élite noire étroitement liée à l’ANC. S’il fallait un témoin symbolique de cette nouvelle dispensation, on pourrait citer Cyril Ramaphosa, négociateur-en-chef de l’ANC entre 1991 et 1994, devenu depuis actionnaire de Lonmin et multimillionnaire…

La faillite de la représentation politique

Dans le même temps, les masses sud-africaines se sont trouvées confrontées à la faillite de leur représentation politique. Aucune force politique n’a aujourd’hui assez de poids pour tirer la sonnette d’alarme quant à la collusion de l’ANC avec le haut capital et promouvoir un vrai programme anti-pauvreté sur le plan économique et social. La Democratic Alliance (DA), principal parti d’opposition, est encore trop associée à l’électorat blanc et à la province du Western Cape; et à la gauche de l’ANC, la puissante centrale syndicale COSATU et le Parti communiste sud-africain (SACP) sont historiquement liés à l’ANC par une alliance « tripartite », et n’ont donc aucun intérêt à démanteler un système qu’ils ont eux-mêmes contribué à édifier. D’où un sentiment partagé par un nombre croissant de Sud-Africains d’être totalement laissés pour compte par leurs responsables politiques.

Combler ce déficit de représentation est plus que jamais nécessaire après Marikana, avant que la situation ne fasse le lit de revendications populistes, voire extrémistes. Le controversé Julius Malema, chassé de l’ANC Youth League en début d’année, a d’ailleurs rapidement sauté dans la brèche en se rendant sur les lieux de la fusillade pour dénoncer l’échec personnel de Jacob Zuma et de sa « brigade de rapaces ».  A défaut d’incarner une alternative solide au pouvoir en place, Malema parvient à trouver écho auprès des classes populaires, en attaquant le problème des inégalités avec beaucoup plus de mordant. C’est d’un tel volontarisme que manquent aujourd’hui la classe politique et une partie de la société civile sud-africaine. Les travaux de la commission d’enquête ne doivent en aucun cas servir de prétexte pour geler l’action politique : le massacre du 16 août symbolise l’échec du compromis sud-africain, et ce diagnostic doit être assumé sans plus attendre.

Les Sud-Africains, fiers de leur Constitution (réputée comme la plus libérale du monde) et du succès apparent de la transition, se sont peut-être laissé aller à un faux sentiment de sécurité. Ruth First, militante anti-apartheid assassinée en 1982, écrivait : « L’Afrique a besoin se regarder dans un miroir, sans se voiler la face. Elle doit se scruter longuement, de façon approfondie, sans cette sentimentalité qui n’est que l’autre facette du patronage colonial ». Marikana ne peut rester une tragédie sans lendemain ; la grève des mineurs doit être un moment fondateur dans la construction d’une nation véritablement inclusive, celui d’une prise de conscience, d’une rupture avec l’angélisme de la Rainbow Nation. Dix-huit ans après la fin de l’apartheid, la démocratie en Afrique du Sud reste un combat de tous les instants.

Vincent ROUGET

Centenaire de l’ANC : l’Afrique du Sud éduquée dans la violence

L’Afrique du Sud a célébré en grandes pompes, le 08 Janvier dernier, le centenaire de l’African National Congress (ANC). Si le budget consacré à l’évènement(10 millions d’euros) a surpris plus d’un, les principales critiques adressées au mouvement de Nelson Mandela, parti solidement majoritaire (65% aux élections législatives de 2009), concernent les accusations de corruptionet d’enrichissement personnel et la lenteur, sinon l’échec, de sa politique de lutte contre la pauvreté (40% de chômeurs).

Identifiant les principaux challenges que son pays devait affronter, Jacob Zuma, Président de l’Afrique du Sud indiquait « le chômage, la pauvreté et les inégalités »… : la violence endémique et les errements des politiques sanitaires mises en œuvre dans ce pays, par une ANC au pouvoir maintenant depuis dix-sept ans, ont été passées sous silence – comme s‘il s‘agissait d‘un « fait accompli » dont la responsabilité directe ne pouvait être imputée à un mouvement politique particulier.

Or la situation sécuritaire en Afrique du Sud est grave. Pire : elle s’est aggravée depuis l’arrivée au pouvoir de l’ANC#! Et plus qu’ailleurs, ce sont les plus vulnérables qui en paient les frais : les pauvres, les femmes et les enfants. En ce qui concerne ces derniers, les chiffres sont accablants.

Une enquête nationale sur la violence scolaire en Afrique du Sud (National Schools Violence Study) menée en 2008 par le Centre for Justice and Crime Prevention (CJCP) portant sur les élèves du primaire et du secondaire indique que près de 2.000.000 d’entre eux (15,3%) ont subi des actes de violence à l’école ou dans le voisinage immédiate de l’école. Cette violence est tantôt physique, tantôt verbale, qu’il s’agisse d’agressions, d’intimidations, de rackets, de harcèlements, de vols ou de viols.

Ce climat de violence n’est pas le seul fait d’élèves agressant d’autres élèves. La réalité est plus dure encore.

Ainsi, sur les 20.000 établissements primaires et secondaires étudiés par le CJCP en 2008, dans trois sur cinq des agressions verbales de professeurs par des élèves avaient été signalées au cours de l’année précédente, des agressions physiques sur les éducateurs avaient été reportées dans un quart d’entre elles. Le Centre recensait même, dans 2,8% d’écoles, des agressions sexuelles commises par les élèves sur les professeurs.

La réciproque est vraie. Dans un quart de ces écoles les élèves avaient été victimes d’agressions physiques de la part de leurs professeurs, dans 2/5 d’entre elles, les directeurs avaient reçu au moins une plainte pour agression verbale. Plus inquiétant encore, une étude menée par la revue Lancet en 2002 établissait qu’un tiers des viols subis par les filles de moins de 15 ans en Afrique du Sud étaient perpétrés par les éducateurs. Une commission des droits de l’homme établissait quelques années plus tard qu’un enfant avait plus de risque d’être violés à l’école que nulle part ailleurs.

Pourtant, les instruments juridiques existent et sont légion, censés assurer la protection des élèves : d’abord la « Constitution » sud-africaine en son chapitre 2 liste les droits fondamentaux des élèves et des éducateurs, parmi lesquels le droit d’être protégé de toute forme de violence et de tout traitement dégradant ou inhumain; le South African Schools Act de 1996 interdit les châtiments corporels, un amendement introduit en 2007 autorise même les fouilles corporels et les tests aléatoires de consommation de stupéfiants dans les écoles; le Children’s Act de 2005 étendait le droit des enfants à leur intégrité physique à la protection contre toute forme de châtiment physique (qu’il soit sanctionné ou non par des normes coutumières ou traditionnelles); enfin le Domestic Violence Act de 1998 introduit l’obligation légale de dénoncer tout acte de violence, de négligence, d’abus ou de mauvais traitement commis contre un enfant aux autorités. En vain.
 

Des solutions? une approche globale et soutenue dans le temps

Dans deux études publiées en 2008 puis en 2011, des chercheurs sud-africains identifient les causes de l’échec des pouvoirs publics à lutter contre ce phénomène qui perpétue le cycle de violence dans la société, freine toute politique d’éducation et in fine, entretient le cercle de pauvreté. Patrick Burton du CJCP, dans Dealing with School Violence in South Africa met en cause le manque de continuité dans les politiques mises en place par l’Etat, malgré la permanence au pouvoir de la même majorité politique depuis près de deux décennies. Les professeurs Leroux et Mokhele dans « the persistence of School Violence in South Africa’s schools : in search of solutions » questionnent l’approche parcellaire qui a été jusqu’ici privilégiée. Les acteurs publiques ont préféré s’attaquer à différents symptômes de la violence scolaire, pris un à un : la consommation d’alcool ou de stupéfiants, la probité professionnel des éducateurs, la présence de gangs au sein des écoles etc. Ils recommandent une approche plus holiste et intégrée, qui s’intéresseraient autant à l’environnement scolaire que familial, qui permettrait d’identifier les signes premiers de violence scolaire et empêcherait la perpétuation des cycles de violence, qui impliquerait également professeurs et élèves.

Un programme a été mis en place depuis 2008 dans la région du Cap, par le CJCP et le ministère de l‘éducation : l’initiative « Hlayiseka » qui signifie en Tsonga « sois prudent ». Il s’agit d’ateliers de travail étalés sur quatre jours, regroupant élèves, directeurs et éducateurs, au cours desquels tous les acteurs de la vie scolaire identifient les problèmes spécifiques de l’école et réfléchissent ensemble aux solutions à mettre en place. Pour la première fois, il ne s’agit plus simplement d’instaurer des détecteurs de métaux aux porte des écoles ou de recruter des agents de sécurité. Des services d’écoute et d’alerte sont mis en place qui garantissent l’anonymat des élèves et qui sont intégrés aux autres organismes juridiques ou policiers de protection de l’enfance. C’est un premier pas dans la bonne direction.
 

 

Joël Té-Léssia

L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2)

Comment juger du succès d’une politique économique ? Longtemps, la réponse a été simple : la forte croissance du PNB, à savoir l’augmentation du volume total de la production économique nationale. Si l’on s’en tient à ce seul critère, il nous faut nous rendre à l’évidence : la politique économique de l’Afrique du Sud, sur les dix dernières années, a été couronnée d’un relatif succès. En effet, depuis 1999, le taux de croissance moyen du PNB a été de 3%, avec un pic ces derniers temps (moyenne de 5% depuis 2006). Il faut aussi rappeler que l’Afrique du Sud était en récession économique (de 1988 à 1993) quand l’ANC a pris le pouvoir, ce qui porte la comparaison à son avantage. Succès relatif toutefois, parce que l’Afrique du Sud pouvait, structurellement, mieux faire. Comme toute économie émergente en phase de rattrapage économique, ce pays sort d’un état de sous-exploitation de ses ressources économiques (main d’œuvre, ressources naturelles, marché intérieur, opportunités d’investissements, etc.), ce qui lui permet normalement de connaître de forts taux de croissance, comparés aux économies développées matures. Or, des taux de croissance à 3% ou 5% sont dans la fourchette basse des résultats des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), groupe auquel l’Afrique du Sud aspire à faire partie.

Il n’en demeure pas moins que la plupart des analystes salue le « miracle économique sud-africain », sorte de locomotive d’une Afrique à la traîne. Deux hommes sont crédités du mérite de ce succès : l’ancien président Thabo Mbeki et son ministre des finances Trévor Manuel. Continue reading « L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2) »

L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (1)

Son nom est Zuma, Jacob Zuma. Il est zoulou, il a 67 ans et vient d’être nommé président de l’Afrique du Sud le 6 mai 2009, conclusion logique de la victoire de l’ANC aux dernières élections législatives, avec 65,9% des voix. Par la grâce de ce scrutin, il est devenu le troisième leader post-apartheid de ce géant d’Afrique sub-saharienne : une population de 48,5 millions d’habitants, une économie qui pèse à elle-seule 45% du PNB de l’Afrique sub-saharienne et un Etat qui siège dans le tout nouveau club des puissants de ce monde, le G20. Un géant aux pieds d’argile toutefois, classé au 125ème rang (sur 179) de l’Indice de Développement Humain du PNUD en 2008, et qui partage avec le Brésil le triste record de pays aux plus fortes inégalités sociales dans le monde.

Comme ses prédécesseurs Nelson Mandela et Thabo Mbeki, Jacob Zuma est issu des rangs de l’African National Congress (ANC) qui, depuis 1991, fait face à l’immense défi du développement socio-économique. L’élection d’un nouveau président est donc une bonne occasion de juger le bilan gouvernemental de ce parti qui porta les espoirs de tout un peuple, et même de tout un continent. Car de par son poids réel et symbolique, l’Afrique du Sud est à l’avant-garde du mouvement développementaliste africain. Ses succès, et peut-être encore plus ses échecs, se doivent d’être médités. Continue reading « L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (1) »