OHADA : défis et perspectives

UntitledDans un précédent article, nous avons abordé le bilan de l’OHADA : bilan plutôt positif, suscitant assez de convoitise aussi bien sur le continent, qu’au delà. Un corpus de neuf actes uniformes est aujourd’hui en place avec plus de deux milles articles d’application immédiate, couvrant des pans essentiels du droit des affaires (droit commercial général, droit des sociétés, sûretés, procédures collectives) et de la procédure civile (voies d’exécution et arbitrage) ; plusieurs institutions qui fonctionnent et une école qui forme d’éminents juristes. Bien que son objectif de fiabilisation soit largement rempli, pour pérenniser ce succès et continuer d’être le garant du droit des affaires tout en accompagnant le dynamisme économique actuel à peine entamé de l’Afrique, il reste à l’OHADA quelques défis à surmonter. Ils sont de plusieurs ordres : le défi d’expansion juridique, la problématique du fonctionnement des organes et institutions, le défi d’expansion linguistique, géographique, la réactivité face aux conjonctures et le défi d’une bonne cohabitation avec les autres institutions de la zone : CEDAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale), etc..

1. Problématique du fonctionnement des organes et institutions : le défi ici est au renforcement des organes existants et à la création de nouveaux organes. Récemment, beaucoup d’efforts ont été faits dans ce sens. La « Conférence des chefs d’états » a été instituée, le secrétariat permanant à vu son rôle renforcé, l’ERSUMA (École régionale supérieure de la magistrature) s’est vu assigné de nouvelles missions d’information, de formation et de recherche, la CCJA(Cour commune de justice et d'arbitrage) a vu ses effectifs portés de sept juges à neuf avec la possibilité d’en nommer d’autres en fonction des besoins et des possibilités financières de l'organisation. Si l’effort est à saluer, il est nécessaire de revoir les procédures de traitement des dossiers eu égard au délai actuel, jugé trop long devant la Cour. Il faudrait aussi renforcer les commissions nationales pour la promotion du droit OHADA et faciliter l’intermédiation entre l’organisation et les autorités nationales. Une réflexion sérieuse doit donc être menée quant au fonctionnement des organes et institutions.

2. Défi d’expansion juridique et modernisation des actes uniformes existants : Aujourd’hui, il faut de nouveaux actes uniformes. Par exemple, l’acte uniforme portant harmonisation et organisation des comptabilités exclut de son champ d’application, les banques, les établissements financiers, les compagnies d’assurances, ainsi que les entreprises soumises aux règles de la comptabilité publique. Pendant que les économies se spécialisent de plus en plus (mine, agro-alimentaire etc..), l’absence de normes sectorielles comptables propres à chacun ne facilite pas la tâche aux professionnels qui sont obligés de jongler avec les normes (généralistes) existantes. Malgré les efforts, le constat est celui de l’obsolescence des normes. Le projet de modernisation des actes en cours piloté par le secrétariat permanent et financé par la Banque Mondiale doit donc être poursuivi. Le droit OHADA a, par ailleurs, besoin d’être approfondi car il doit fréquemment être appliqué conjointement avec le droit national de l’un ou de l’autre des Etats membres. Ainsi, un contrat de vente est, pour ce qui est de ces effets, régi par l’acte uniforme du droit commercial général, alors que pour sa formation, il est plutôt régi par le droit national. La résolution d’un litige portant à la fois sur la formation et sur les effets d’une vente est donc problématique, ne serait-ce que pour déterminer la cour suprême compétente : la CCJA ou bien la cour suprême nationale du pays concerné. L’adoption d’un acte uniforme sur le droit des contrats, dont il existe aujourd’hui un avant-projet mais qui est malheureusement en sommeil permettrait de résoudre cette difficulté.

Par ailleurs, des travaux d'harmonisation spécifiques du droit du travail, eu égard à la sensibilité de la matière, ont été engagés et le droit de la vente aux consommateurs est également un chantier en cours dans le cadre de l'OHADA. Autant il peut être affirmé que l’OHADA remplit son objectif de contribuer à fiabiliser le droit des affaires de la région en fournissant des normes modernes et accessibles, autant, l’objectif de la fiabilisation du judiciaire reste lointain.

Les deux difficultés majeures sont respectivement le mauvais état général de la justice dans la plupart des Etats membres et l’encombrement de la CCJA, dont les délais de traitement sont actuellement décourageants.

3. Expansion géographique et linguistique : Le défi ici sera de préparer le terrain pour faciliter l’adhésion des pays anglophones de tradition juridique issu du Common law. Ceci permettrait d’éviter un alourdissement de son fonctionnement et une fracture du droit uniforme en cas d’adhésion massive d’autres pays. Les pays anglophones ont de nombreux concepts juridiques qui sont loin d’être communs avec ceux du droit OHADA ou leur font défaut, sans parler de ceux qui peuvent être antinomiques. Cette distorsion amènerait l’OHADA à revoir complètement les actes uniformes déjà adoptés, déstabilisant totalement les professionnels du droit et les justiciables de la zone. L’adhésion des Etats dont le système est inspiré du Common law doit être sérieusement et longuement préparée par une réduction ou une suppression de toutes les différences qui peuvent empêcher leur adhésion. Il devra aussi prendre en compte les aspects linguistiques. Officiellement selon l’article 42 du traité révisé de l’OHADA, le français n’est plus la seule langue de travail de l’OHADA : l’anglais, l’espagnol et le portugais ont désormais ce rang. L’OHADA compte parmi ces rangs des pays comme le Cameroun, partiellement anglophone,  la Guinée Bissau et  la Guinée Equatoriale qui sont respectivement lusophone et hispanophone. Néanmoins, la traduction officielle du traité, des actes et des règlements reste à faire. Le défi pour l’organisation est d’assumer ce choix, que les actes soient traduits et que le fonctionnement soit quadrilingue sans que cela ne constitue un important facteur de ralentissement des travaux, d’augmentation des coûts de fonctionnement et de conflits juridiques complexes.

4. Défi de la cohabitation avec les autres institutions de la zone : l’OHADA doit constamment chercher à éviter les chocs juridiques de sorte que ses normes n’entrent pas en conflit avec celles des autres institutions de la région telles que l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), la CEMAC (Règlements), les annexes au Traité de l’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle)(), le Code CIMA annexé au Traité CIMA (Conférence interafricaine des marchés d'assurance) .

Elle devra par ailleurs prendre en compte les paramètres liés à la complexité de la conjoncture économique mondiale et autres bouleversements pouvant affectés durablement les économies de la zone mais aussi les défis socio-économiques qui s’imposent à ses pays membres, notamment sur le plan des infrastructures et au regard des efforts des pays pour s’insérer sur le marché mondial.

Au final, s’il faut reconnaitre qu’en vingt ans, l’OHADA a fait de beaux progrès en garantissant une sécurité  judiciaire et juridico-économique de la région, elle ne pourra continuer à « faire société[1] »  qu’à travers une profonde réflexion visant à sa restructuration et au renforcement des organes de gouvernance.

                                                                                                                                  Arnold  ANGLO

Sources:

L’OHADA, 20 ans après. Bilan et perspectives

OHADA, une actualité chargée. Barthelemy COUSIN, Norton Rose LLP

L’OHADA, Défis problèmes et tentative de solutions. Joseph ISSA, Paul GERAD


[1] « Faire société, c’est, de manière plus exigeante, vouloir se dépasser pour s’engager ensemble, dans un projet commun, et agir ensemble », pour reprendre la belle formule du président de l’OIF, Abdou Diouf