L’Afrique dans le monde : regard sur les accords de partenariat des pays africains

1186312_omc-les-ministres-du-commerce-accouchent-dune-souris-web-0215713872161. De la diversité des accords internationaux sur le continent 

Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges (AFE) : accord de Bali

La Conférence ministérielle de Bali de décembre 2013 a vu les membres de l’OMC adopter par consensus, le premier accord multilatéral conclu depuis la création de l’OMC. Il s’agit de l’accord sur la facilitation des échanges (AFE) qui n’entrera en vigueur qu’à sa ratification par les deux tiers des membres de l’OMC. Au 16 décembre 2015, 63 ratifications sur 162 avaient été obtenues. Sept pays africains ont ratifié l’accord : le Botswana, la Côte d’Ivoire, le Kenya, la Mauritanie, le Niger, le Togo et la Zambie.  L’accord est organisé en trois sections et aborde entre autres, la mainlevée et le dédouanement des marchandises, la coopération entre les organismes présents aux frontières et la coopération douanière en générale. Il prévoit en outre, des mesures relatives à un traitement spécial et différencié (TSD) qui permettrait aux pays en développement (PED) et aux pays les moins avancés (PMA) de déterminer leur rythme de mise en œuvre des dispositions et de notifier tout éventuel renfort extérieur dont ils auraient besoin. De plus, il prévoit des comités de la facilitation des échanges. Un mécanisme lancé le 22 juillet 2014 par le Directeur général de l'OMC Roberto Azevêdo, et devenu opérationnel le 27 novembre 2014, a pour objectif d’accompagner les PED et les PMA dans le processus de mise en application de cet accord.

Le rapport sur le commerce mondial 2015 entièrement consacré à l’analyse de l’AFE, estime que la mise en œuvre de l’accord aurait notamment pour effets, une hausse annuelle des exportations mondiales de l’ordre de 1000 milliards de dollar et une réduction des coûts du commerce entre 9,6% et 23,1%. Les PED et les PMA sont pressentis comme les plus bénéfiques de l’AFE. En effet, au-delà d’une réduction des coûts du commerce d’environ 16% (18 % pour les produits manufacturés et de 10,4 % pour les produits agricoles), ces pays pourront tirer un avantage significatif d’une diversification de leurs exportations en termes de produits et de partenaires, favorisée par l’accord.

Les accords commerciaux régionaux (ACR) africains

Les ACR sont des accords commerciaux réciproques entre deux partenaires ou plus. Selon les statistiques de l’OMC, les accords de libre-échange (ALE) et les accords de portée partielle représentent 90% de ces ACR, contre 10% pour les unions douanières. Les huit CER africains reconnus par l’OMC sont enregistrées et notifiées sous la forme d’ACR.

Certains Etats ou régions de l’Afrique ont conclu des accords inter régionaux avec d’autres Etats ou régions inscris à l’OMC. Ainsi, l’Union Européenne (UE) et l’Afrique du sud ont signé le 11 octobre 1999, un accord bilatéral de libre-échange portant sur les marchandises. Cet ACR reconnu par l’OMC qui est entré en vigueur le 1er janvier 2000, couvre entre autres les contingents tarifaires, les procédures douanières et les mesures relatives à la balance des paiements. La Côte d’Ivoire a également conclu avec l’UE, un ALE dont la portée et le champ sont similaires à ceux de l’accord UE-Afrique du Sud. Cet accord signé le 26 novembre 2008 est entré en vigueur le 1er janvier 2009. Il en de même pour l’accord UE – Etats de l'Afrique orientale et australe signé le 29 août 2009.

Les arrangements commerciaux préférentiels (ACPr) visant l’Afrique 

Les ACPr sont des préférences commerciales unilatérales. Les états africains bénéficient de plusieurs ACPr sous la forme d’arrangements au profit des PMA.  Entre 2002 et 2012, les PMA africains ont exporté au moins 72% de leurs produits vers des partenaires avec lesquels ils ont conclu un ACPr[1]. Ceux-ci étaient, par ordre décroissant, l’Union européenne (UE), les États-Unis, la Chine,  l’Inde et le Japon. L’UE accorde un accès de près de 100 % à son marché en franchise de droits et hors quota à tous les PMA depuis 2001. La Chine offre depuis 2010, l’accès en franchise de droits et hors quota à 60 % des lignes tarifaires à quarante PMA. L’Inde accorde un accès progressif en franchise de droits et hors quota pour arriver à 85 % des lignes tarifaires en 2012. Le Japon quant à lui, accorde depuis 2008, une admissibilité en franchise et hors quota à près de 98 % des lignes tarifaires.

Si les Etats-Unis n’ont pas conclu d’ACPr visant particulièrement les PMA, ils ont mis en place un régime unilatéral au profit des Etats de l’Afrique sub-saharienne à travers l’ « African Growth and Opportunity Act » (AGOA), loi sur la croissance et les et les possibilités économiques de l’Afrique. Cet acte promulgué le 18 mai 2000 et notifié au GATT/'OMC le 10 janvier 2001, accorde l'admission en franchise de droits aux produits relevant du code "D" dans la colonne "Spécial" du Tarif douanier harmonisé des États‑Unis, pour autant qu'ils respectent la règle d'origine applicable. 

Alors que l’AGOA venait à expiration le 30 septembre 2015, le Conseil général de l’OMC  en a autorisé la prorogation. Il s’agit de l’AGOA 2.0 dont les défis pour sa réussite, sont multiples[2].

2. Les conflits éventuels entres accords et les défis de l’Afrique face aux accords internationaux

Contradictions entre les ACR fondements des CER africains

Les accords régionaux donnent naissance à des règlements, notamment dans le domaine du commerce régional, censés s’appliquer à tous les pays les ayant signés, mais il est constaté dans la pratique que la multiplication de régimes commerciaux peut soulever des incohérences ou constituer un frein à leur efficacité. Ainsi, en 2011, la SADC, l’EAC et le COMESA avaient des Etats membres qui appartenaient aux trois organisations, mais ils appliquaient le régime commercial de l’une, aux dépens de ceux des autres. 14 membres du COMESA sur 19 obéissaient aux règles du traité de libre-échange, 4 membres sont restés au stade du droit précédent la zone de commerce préférentielle[3].  Au niveau de l’EAC, les 5 Etats membres évoluaient dans l’union douanière du CER dans le but de mettre en place un marché commun. Enfin, 12 des 15 membres de la SADC appliquaient les conditions de l'accord de libre-échange, lancé en 2008. La reconnaissance de ces chevauchements va pousser les trois CER à lancer des discussions en vue de créer une zone de libre-échange commune.

De manière générale, les traités régissant les organisations régionales montrent comment les différents régimes de droits pourraient entrer en contradiction, comme l’illustre le cas de l’UEMOA et de l’OHADA qui regroupe 17 Etats, dont 7 de l’UEMOA. Les traités de ces 2 organisations considèrent en effet que les actes arrêtés dans chaque organisation a primauté sur le droit national (article 6 du traité de l’UEMOA et art 10 du traité de l’OHADA), sans qu’il n’existe aucune mention de la primauté de l’un des deux traités sur l’autre[4]. Or, certains de leurs domaines de compétences se recoupent : l’OHADA est censé régir le droit des affaires, mais le traité de l’UEMOA autorise également celle-ci à adopter des règles lui permettant d’atteindre ses objectifs, dans le domaine des politiques économiques monétaires, sectorielles, ou le marché commun, domaines qui peuvent toucher le droit des affaires[5].

Des incompatibilités avec les systèmes internationaux

Si les organisations régionales sont encouragées par l’OMC car vues comme un moyen d’atteindre les objectifs de développement, elles doivent néanmoins respecter ses règles. En théorie, tous les Etats membres doivent appliquer le même traitement en matière commerciale aux autres Etats membres, même si en pratique les ACPr dérogent à ce principe.

La mise en place du Tarif Extérieur Commun (TEC) de la CEDEAO en 2015, a révélé comment il peut être difficile d’articuler engagements communautaires et internationaux. En effet, avant la mise en place du TEC, chaque pays membre de l’OMC s’était engagé à ne pas relever ses taux de droit de douane au-dessus d’un certain niveau, ce qu’on appelle le taux consolidé[6]. Les taux appliqués en réalité étaient souvent moindres, notamment en matière agricole. Ainsi le Nigeria avait un taux consolidé de 150% pour les produits agricoles, contre un taux appliqué de 33,6% ; le taux consolidé du Sénégal était de 29,8%, tandis que celui de la Côte d’Ivoire était à 14,9%. En appliquant le nouveau TEC de la CEDEAO fixé à 35% sur les produits agricoles, ces derniers pays se retrouvaient automatiquement au-dessus du taux qu’ils se sont engagés à ne pas dépasser[7]. Même s’ils existent des mécanismes comme le versement de compensation qui rendent possible la cohabitation des deux normes, l’on se rend compte aisément que les engagements régionaux  peuvent entrer en contradiction avec les engagements au sein d’autres systèmes.

Par ailleurs, dans la négociation des APE, l’Union Européenne semble à première vue, avoir fait preuve de plus de logique en négociant avec des groupes régionaux: Afrique centrale, Afrique de l’Est et australe, Afrique de l’Ouest, SADC et EAC. Cette multiplicité des interlocuteurs  soulève d'importantes limites : les membres du COMESA par exemple, sont répartis entre 3 groupes régionaux qui négocient séparément les termes de l’APE qui les concernent, alors que les pays du COMESA partagent un même objectif de marché commun. De plus, l’APE étant un accord réciproque (bien qu’asymétrique) entre l’UE et les pays africains, il vise à favoriser le commerce entre les deux zones en réduisant au maximum les barrières tarifaires. Même si les pays africains continuent de bénéficier de dérogations devant protéger leurs économies encore peu solides, d’une concurrence trop forte de l’Europe, l’on comprend qu’à termes, des droits de douane bas pourraient d’une part entrer en contradiction avec des règles telles que le TEC décidées par certaines régions, mais aussi être inférieurs aux tarifs pratiqués au sein d’une même organisation régionale, favorisant les échanges Afrique-Europe aux dépens des échanges intra régionaux.

Quel défi pour l'Afrique face à cette diversité d'accords ? 

Dans son rapport économique 2015 portant sur l’industrialisation par le commerce, la Commission Economique pour l’Afrique (Nations Unies), évoque l’importance voire l’urgence de la mise en œuvre des accords méga-régionaux propres à l’Afrique, pour booster son positionnement économique. En effet, les études de la Commission montrent qu’une application effective des accords commerciaux méga-régionaux non africains par nature, comme le Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI), le Partenariat Transpacifique (PTP) et Partenariat Economique Global Régional (RCEP), aurait pour conséquence une augmentation d’un millier de milliards de dollars d’ici à 2020, des exportations des pays membres. A contrario, cela entrainerait une chute des exportations africaines de l’ordre de 2,7 milliards de dollars en raison de l’intensité de la concurrence et d’un attrait pour les marchés couverts par ces accords méga-régionaux. Toutefois, cette tendance pourrait radicalement s’inverser si l’Afrique se dotait de sa zone de libre-échange continentale (ZLEC), car elle verrait alors accroître ses exportations d’environ 40 milliards de dollars, ce qui s’expliquerait par une accélération du commerce intra-africain. La mise en place de la ZLEC est un projet actuel, les chefs d’Etat et de gouvernement africains se sont engagés en janvier 2012 pour l’accélération de sa mise en place à l’horizon 2017. 

Le 10 juin 2015, les chefs d’Etat et de gouvernement de la COMESA, de l’EAC et de la SADC, réunis à Sharm El Sheikh en Egypte, ont lancé la zone de libre-échange tripartite (ZLET) instaurant ainsi un marché intégré de 26 pays, d’une population de 632 millions d’habitants qui représentent 57% de la population africaine. Cette ZLET qui constitue à coup sûr une étape déterminante du processus de mise en place de la ZLEC africaine, représente aussi un PIB de 1,3 billion de dollars (2014) soit 58 % du PIB de l'Afrique. 

L'engagement des pays africains dans ces différents accords témoignent avant tout de la volonté manifeste de ces derniers de s'intégrer davantage dans le commerce mondiale et d'en tirer partie pour accélérer leur développement. Cependant, ils ne suffisent pas pour produire les effets escomptés, se constituant parfois en contraintes pour le continent. Le défi de l’Afrique désireux de bénéficier pleinement de cette ouverture sur le monde consiste notamment dans le renforcement de ses capacités de production, qui passe par la modernisation les infrastructures du commerce et la mobilisation des ressources financières.

MC


[1] Commission Economique pour l’Afrique, 2015,  « L’Industrialisation par le commerce », Rapport économique sur l’Afrique

[2] Nations Unis., Union Africaine., 2014, « Ce qui va être différent avec ‘AGOA 2.0’ »

[3] TradeMark Southern Africa, 2011, « Aid For Trade Case Story : Negotiating the COMESA ‐ EAC ‐ SADC Tripartite FTA », Pretoria

[4] IBRIGA (LM), 2006, « La juridictionnalisation des processus d’intégration en Afrique de l’Ouest », Université de Ouagadougou

[5] KONATE (IM), 2010, « L’OHADA et les autres législations communautaires : UEMOA, CEMAC , CIMA, OAPI, CIPRES etc. ».

[6] DIOUF (EHA), 2012, « Nouveau tarif extérieur commun de la CEDEAO et engagements individuels de ses membres à l’OMC: des incompatibilités surmontables », Passerelles, Volume 13 – number 3.

[7] Ibid

Rencontr’Afrique avec Ndongo Samba Sylla : l’Afrique est-elle condamnée à la pauvreté ?

10403564_866589696695482_7237605275269175726_nLa Rencontr’Afrique organisée le 13 Décembre 2014 par le bureau ADI basé à Dakar, a connu la participation du Dr Ndongo Samba Sylla, Economiste de Développement et Chargé de programmes au bureau Afrique de l’Ouest de la Fondation Rosa Luxembourg. Cette rencontre s’inscrit dans le cadre des échanges offerts par L’Afrique des Idées pour permettre à des personnalités ayant un profil intéressant pour  l’Afrique de partager leur expertise, et d’échanger sur leurs visions du continent. C’est dans cet ordre d’idées que Dr Ndongo a entretenu son auditoire autour du thème « Pour une autre Afrique : Eléments de réflexion pour sortir de l’impasse ». A en croire le conférencier, l’Afrique est, une nouvelle fois encore, mal partie.

L’émergence économique de l’Afrique : Mythes ou Réalités ?

Il y a plusieurs arguments qui militent aujourd’hui en faveur de la croissance rapide et conséquente des économies africaines. L’Afrique disposerait en effet à l’heure actuelle du potentiel économique le plus important. Sa croissance démographique soutenue et le pouvoir d’achat croissant de sa population en sont des arguments notoires. De plus, dans les chiffres cités par Dr Ndongo, on peut noter que le continent africain concentrerait environ 60 % des terres arables non cultivées du monde. Le même continent aurait aussi une classe moyenne en termes démographiques proche de celle de la Chine et de l’Inde (elle est passée de 115 millions en 1980 à 313 millions en 2010). Sur la décennie 2000-2010, l’analyse révèle que le taux de croissance annuelle moyen du PIB a dépassé les 08 % pour 06 pays africains (dont Guinée Equatoriale 14.8 % ; Tchad 10.7 % ) et les 04 % pour 30 pays (dont Angola 11.3 %, Ethiopie 8.4 %, Rwanda 8 %, Ouganda 7.4 %, Burkina Faso (6%), etc).

Malgré cette bonne performance économique, il faut cependant noter que la dynamique de croissance en Afrique est loin d’être uniforme, ce qui rend justement la progression du PIB très volatile. De plus, les sorties illicites de capitaux ont augmenté durant la dernière décennie, notamment dans les pays exportateurs de pétrole. Sur la période 2005 – 2010, le conférencier souligne qu’au moins 205 milliards de dollars auraient été perdus par le continent. Ce qui représente le quart de la valeur estimée des flux financiers illicites entre 1970 et 2010. Dans la mesure où les secteurs porteurs de la croissance en Afrique sont de plus en plus la propriété d’étrangers ou sous gestion étrangère, le PIB va être beaucoup plus important que le Revenu National Brut (RNB). Ainsi, les nationaux des Pays les Moins Avancés (PMA) vont recevoir en réalité peu des bénéfices générés par le commerce international. Le commerce inter et intra-industriel qui est mis en œuvre peut ressembler à un commerce entre  des nations riches et des nations pauvres. Mais en réalité, Dr Ndongo Sylla fait remarquer que ce commerce est mené entre des nations riches et d’autres nationaux de pays riches qui opèrent en Afrique.

Par ailleurs, il apparait pour le conférencier que les revenus primaires de l’IDE ont représenté la composante la plus importante des paiements de revenus effectués par les économies africaines en direction du reste du monde. En prenant l’année 2010 par exemple, cette part s’est située entre 49% et 98% pour 26 pays sur un total de 37 pays pour lesquels des données existent. C’est le cas notamment des principales puissances économiques africaines telles que l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Égypte, l’Angola, l’Algérie, etc. Le taux de profit des IDE a doublé durant la décennie 2000-2010, passant de 6 % à 12 %. De façon désagrégée et considérant toujours la période 2000-2010, 24 pays africains sur 40 pour lesquels des données existent ont connu  des taux de profits moyens de l’IDE supérieurs à 7 %. Le même taux avoisinait 77 % au Botswana, 51 % au Lesotho comme en Algérie et 36 % au Mali comme en Angola. Autrement dit, un investissement direct étranger de 100$ au Botswana rapporte, toutes choses étant égales par ailleurs, 77$ à son propriétaire. 100$ rentrent donc dans l’économie botswanaise, et 77$ en sortent. C’est dire qu’une partie non négligeable de la richesse créée sort de l’économie botswanaise. Cet exemple montre comment la croissance économique peut être forte en Afrique sans pour autant que les populations ne le ressentent dans leur quotidien. La thèse de l’émergence doit donc être revisitée pour lui donner un contenu nouveau plus adapté aux réalités africaines. Dr Ndongo Sylla s’interroge notamment sur le coût de la croissance économique pour les Africains ainsi que sur ses véritables bénéficiaires.

Le commerce équitable : Véritable scandale ?

Cette Rencontr’Afrique a connu également un partage d’idées sur le concept du commerce équitable. Celui-ci est définit comme étant un système d'échanges dont l'objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Sa démarche consiste à assurer une juste rémunération à des producteurs des pays pauvres afin qu’ils puissent développer leur activité à long terme et améliorer ainsi leur niveau de vie. Ayant eu l’opportunité de travailler en 2010 au sein du mouvement du commerce équitable/Max Havelaar dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest, Dr Ndongo Sylla s’est tout particulièrement intéressé à ce commerce en se demandant principalement dans quelle mesure le commerce équitable est une réponse satisfaisante à la question de l’échange inégal. Son livre intitulé « Scandale du Commerce Equitable » fait autorité dans ce débat. En étudiant le modèle économique du commerce équitable Max Havelaar, le conférencier a montré, in fine, que ce commerce ne cible pas en réalité les producteurs les plus pauvres, ni les plus dépendants de l’exportation des produits primaires tels que le cacao ou le café. De plus, selon lui, la logique marketing a été poussée un peu trop loin.

Regard sur les Accords de Partenariat Economique (APE)

En juillet 2014, après une décennie de négociations, les chefs de l’Etat des quinze pays membres de la CEDEAO ont 

accepté de « parapher » les APE avec l’Union Européenne (UE). La « signature » aura lieu après leur ratification dans chaque pays membre. Ces accords prévoient une libéralisation progressive sur vingt ans (2015-2035) des importations des pays de la région à hauteur de 75%. Pour compenser les pertes de recettes fiscales qui vont s’ensuivre, l’Union Européenne a prévu pour la période 2015-2020 la mise en place d’un PAPED – programme des APE pour le développement – d’un montant de 6,5 milliards d’euros.

10374434_866589563362162_5231695328429590160_nPour Dr Ndongo Samba SYLLA, les APE sont une perte de temps et d’énergie. En effet, La plupart des études d’impact souligne des conséquences négatives du point de vue des recettes fiscales, de la balance des paiements, de la création d’emplois et de la croissance économique. Dans son argumentaire, le conférencier considère que les APE constituent une forme de confiscation de souveraineté dans la mesure où ils privent les pays africains de recourir aux politiques qui ont permis l’industrialisation des pays occidentaux. En outre, il fait remarquer que négocier des APE avec l’UE, première puissance commerciale mondiale, n’est pas pertinent pour les pays de l’Afrique de l’Ouest. La raison en est que sur les 16 pays qui composent cette région, 12 sont classés parmi les PMA. Et Comme les PMA ne sont pas obligés de signer les APE, il paraît ainsi disproportionné de la part de l’UE de vouloir traiter ces PMA sur le même registre que les quatre autres pays classés parmi les « pays en développement ». D’un autre coté, la libéralisation des importations de la région risque d’anéantir les efforts déployés jusqu’ici pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, pour transformer localement les matières premières locales, et pour amorcer le développement d’un tissu industriel.

Par ailleurs, en demandant l’application de la clause de la Nation la plus favorisée, l’UE pourrait aller à l’encontre de la stratégie des pays africains de diversifier leurs partenaires commerciaux. Pour le conférencier, les APE sont perçus comme d’autant plus asymétriques et inéquitables qu’ils occultent la question de la libre circulation des personnes.

Carmen Thiburs Agbahoungbata

L’Afrique à la quête d’un APE porteur de développement : Mythes et réalités d’un projet improbable

78329210L’Accord de partenariat économique (APE) est le dernier des nombreux processus de négociations commerciales dans lesquels les pays africains se sont simultanément engagés. De nombreuses réflexions ont déjà fort pertinemment documenté les implications et enjeux de ces processus, qui se chevauchent ou se juxtaposent, sur les faibles ressources humaines, matérielles et institutionnelles des Etats africains, pour qu’il soit utile d’y revenir.
« A bien des égards, il en va du développement comme de la colonisation et de l’esclavage. Ces trois mots ne désignent pas seulement des réalités inégalement oppressives, contraignantes et dominatrices. Ils correspondent aussi à des concepts dominants »
De fait, ces processus, même s’ils opèrent à des niveaux différents, exercent aujourd’hui une forte pression sur les Etats comme sur les institutions d’intégration régionale, qui sont obligés de prendre des engagements dans chacun d’eux, sans avoir les moyens de mettre en cohérences les buts, les obligations et les attentes qu’ils ont sur les eux et les autres.
On peut cependant postuler que si les Etats africains se sont engagés dans ces nombreux processus commerciaux, c’est partiellement parce qu’ils y sont plus ou moins contraints, mais c’est aussi, partiellement, parce qu’ils y trouvent ou espère y trouver leur compte. Le commerce est devenu partout un puissant moteur de croissance et de développement. Il a un potentiel positif que de nombreux pays, en particulier en Asie, ont réussi actualiser pour se hisser au rang des nations émergentes qui comptent sur le marché mondial. Si donc les Etats africains qui comptent pour quantité négligeable dans les échanges mondiaux ont fait de choix de s’engager dans les négociations multilatérales, bilatérales et régionales visant à libéraliser ce commerce, en sachant ou non à priori les coûts d’une telle option, c’est semble-t-il en vertu du fait qu’ils cherchent par ce biais à promouvoir la croissance, le développement durable et la lutte contre la pauvreté. Cette ambition est noble et peut justifier bien des tentatives. Mais l’Histoire économique nous enseigne que si la trajectoire du développement est toujours différente d’un pays à un autre, celui-ci requiert, partout, un certain nombre de conditions nécessaires et de préalables quasi incontournables. Sans rentrer dans un débat philosophico-idéologique sur le bien-fondé ou non de la libéralisation par opposition au protectionnisme, ce débat pour nous est sans intérêt, on peut toutefois avancer que la libéralisation n’est pas une fin mais une étape ultime d’un long processus qui dans ses phases initiales, ne peut pas ne pas créer un environnement économique qui protège, encadre, appui et oriente les structures de production qu’elles soient industrielles, agricoles ou de services. De manière plus ou moins imagée, on peut comparer dans ce contexte, une économie à un corps vivant : aucun parent ne mettrait son nouveau-né dans la rue, lui demandant de supporter la compétition avec les autres et les rigueur de la vie en société sous prétexte qu’il est un être humain comme les autres. Un parent bien conscient de ses obligations garde son nouveau-né dans son foyer, le couve, l’éduque, lui apprend petit à petit les règles, processus et astuces de la vie en société pour lui donner toutes les chances de supporter plus tard, lorsqu’il atteindra la majorité, la compétition avec les autres humains.
Ce qui est valable chez l’être humain, l’est tout autant pour une économie. Le concept de « l’industrie naissante », certainement empruntée de cette symbolique humaine, et loin d’être galvaudée. Il a été pendant longtemps au centre de nombreuses constructions théoriques et a marqué de nombreuses de stratégies de développement dans les pays du Nord comme dans les pays émergents. La question centrale à laquelle l’Afrique devrait répondre avant de s’engager dans un accord commercial de libre-échange avec la première puissance commerciale du monde, quel que soit le niveau d’asymétrie, de réciprocité, les programmes d’accompagnement ou l’assistance financière promis, est de savoir si ses structures de production industrielles sont suffisamment matures pour s’ouvrir définitivement à la compétition avec l’Europe ; si son agriculture est prête pour ce niveau de libéralisation ; si son secteur des services peut se payer le luxe d’être ouvert à l’Europe dans un contexte où les régions du continent n’ont même pas encore de réglementations communes dans de nombreux domaines ? Beaucoup d’experts du continent et de l’Europe, engagés tête baissée, dans les négociations en vue de conclure un APE, soi-disant porteur de développement, n’ont pas de réponse à ces questionnements, si tant est qu’ils se sont mêmes posés la question. Pourtant, un dirigeant du continent y a déjà apporté une réponse satisfaisante à laquelle nous devrions prêter attention : « les nouveaux accords de partenariat économique prétendent démanteler les protections tarifaires et instaurer une parfaite égalité de compétition entre des économies européennes et africaines totalement asymétriques. En clair, cela revient à consacrer et accentuer un déséquilibre de fait et à livrer totalement les marchés africains aux produits européens subventionnés. Non seulement l'industrie africaine n'a pas la capacité et les structures qui lui permettraient de répondre même à une forte demande européenne, mais ce nouveau dispositif de désarmement tarifaire imposé par le libre-échange entraînerait immédiatement d'énormes pertes de recettes douanières pour nos pays : or les recettes douanières constituent entre 35 % et 70 % des budgets des Etats africains. Selon une simulation du Centre d'étude et de recherche sur le développement, entre 2008 et 2015, les pertes de recettes fiscales du Sénégal, si notre pays adopte ce système, passeraient de 38 à 115 milliards de francs CFA. Récemment, le président du Nigeria, opposé aux APE, m'indiquait que son pays perdrait près de 800 millions d'euros par an. »

Le développement à côté de l’APE et l’Afrique à côté du développement…

Les négociateurs des régions africaines soutiennent inlassablement qu’ils sont en train de travailler à obtenir un APE porteur de développement. Nombre d’entre eux se perdent cependant dans d’inextricables explications lorsqu’on leur demande en quoi consiste le développement attendu de l’APE.
En réalité le concept du développement désormais toujours attaché à l’APE n’est que le vernis destiné à masquer le douloureux rapport que nous avons avec cet accord angoissant. Le développement est le lubrifiant qui fait passer la pilule. A part les négociateurs de la Commission européenne, les lobbies et milieux d’affaires derrière eux et quelques hommes politiques européens et africains qui se gardent jusqu’ici d’afficher clairement leurs positions, fort peu de personnes disent du bien de cet accord qui a des ambitions plus commerciales et stratégiques que de recherche d’une simple compatibilité avec l’OMC et de promotion de l’intégration et du développement.
En Afrique de l’Ouest par exemple on estime qu’il suffirait d’élaborer un programme de développement de l’APE, tiré du programme communautaire de développement (PCD) dont la région s’est dotée, et annexé ce programme au texte APE comme une partie intégrante, pour en faire un APE de développement. Le problème du développement lié à l’APE risque fort d’être plus complexe que cela et la région semble se tromper de démarche et de séquence. C’est malheureusement l’erreur que de nombreuses régions sont en train de commettre.
Les programmes de développement que les experts du continent s’évertuent à élaborer pour les annexer à l’accord sont ce que les communautés régionales doivent de toute manière réaliser, avec ou sans APE. Le développement des régions et du continent sera un processus nécessairement endogène et auto-entretenu. Du Plan d’actions de Lagos au NEPAD, de nombreuses initiatives ont été prises à l’échelle du continent pour jeter les bases de l’intégration, de la croissance et du développement. L’Europe y a contribué bon an mal an, à la mesure de ses ambitions, de ses stratégies et de ses intérêts pour le continent. Le résultat est aujourd’hui ce qu’il est. Il serait illusoire cependant de penser que ce que l’Europe n’a pu réussir à réaliser, dans un contexte autrement plus favorable, elle pourrait le faire maintenant. Sa contribution, comme par le passé, viendra seulement compléter les efforts autonomes du continent pour financer son propre développement. En Afrique de l’Ouest, elle a annoncé que sa contribution au financement du Programme indicatif régional ne peut dépasser 600 millions d’euros, en dépit de l’insistance de la région pour des fonds complémentaires destinés à supporter les coûts d’ajustement auxquels les entreprises de la région feraient inéluctablement face du fait de la libéralisation.
L’APE porteur de développement est un mythe. Dans le contexte d’une région marquée par une faible intégration, des structures de production encore fragiles, une économie vulnérable, extravertie, peu diversifiée et fortement dépendante de l’Europe, cet accord de libre-échange tel qu’il se dessine, n’aura pas le potentiel de développement attendu. Une analyse simple permet en effet de comprendre qu’une liste de projets, de programmes et d’infrastructures à financer, que l’on annexe à l’accord, mais pour le financement desquels l’Europe n’a pris aucun engagement, aura peu de chance de conduire à la croissance et au développement de l’Afrique de l’Ouest, si au même moment la région s’enferme dans une portée de libéralisation large , des délais de mise en œuvre et des périodes de transition courts, ainsi qu’une faible asymétrie. Cette réalité commande que les efforts et les stratégies soient en priorité concentrés sur la réalisation préalable de l’intégration régionale qui seule peut permettre d’atténuer les effets potentiellement néfastes d’une libéralisation prématurée, ambitieuse et non maitrisée. Qu’on ne s’y trompe pas. Le problème qui se pose avec les APE est un problème d’équité. De nombreux défenseurs du projet européen estiment que la prise en compte de cette notion d’équité n’a pas vraiment sa place dans les discussions car tous les pays et toutes régions d’Afrique sont volontaires et ont fait le choix de négocier l’APE. L’argument mis en avant consiste à dire qu’aucun pays n’est obligé de signer s’il estime qu’il n’en tire pas un bénéfice net. Si aucun pays n’a quitté la table de négociation et tous continuent d’affirmer leur engagement à rechercher un accord complet et bénéfique, c’est qu’ils estiment en tirer profit. Mais soutenir ces idées, c’est méconnaitre la réalité des rapports de pouvoir entre pays développés et en développement dans ce genre de processus. Dans le contexte actuel de ces relations, l’Europe est à peu près capable d’obtenir ce qu’elle veut des pays africains, d’une part parce individuellement aucun pays n’est capable de lui résister, et d’autre part ils n’ont pas le niveau d’intégration suffisant pour lui faire face. Nous avons bien vu les moyens qui ont été utilisés pour contraindre la Côte d’Ivoire et le Ghana à signer un APE Intérimaire .
Un APE porteur de développement est donc d’abord et avant tout un accord assujetti à l’intégration régionale effective. Celle-ci doit-être mesurable à travers des indicateurs spécifiques et se poser comme un préalable incontournable à la signature de l’APE. La mise en œuvre des instruments, des institutions et des politiques régionales nécessaires pour rendre l’intégration effective doit être achevée ou au moins suffisamment avancée avant la signature de l’accord de libre-échange. Ces politiques portent entre autres sur les secteurs agricole, industriel, des services, de l’investissement, des les marchés publics et de la concurrence entre autres. Elles doivent être appliquées, évaluées et corrigées. Et c’est de leur niveau de réalisation et de succès que doit dépendre le niveau d’ouverture graduelle auquel les régions d’Afrique devraient s’engager. Cela passe par la mise en place des indicateurs de l’intégration et du développement qui doivent permettre de suivre l’évolution des régions pour qu’à chaque étape, les niveaux d’engagement appropriés soient pris, les réformes pertinentes soient appliquées et les politiques efficientes mises en œuvre avec pour seule ligne d’horizon la promotion de la croissance et du développement. En s’appuyant sur l’expérience et les leçons tirées d’accords conclus ailleurs dans le monde, les régions africaines pourraient, en plus de leurs efforts pour la réalisation de l’intégration, travailler à élaborer, le moment venu, un texte d’accord qui prend en compte dans le fond comme dans la forme les préoccupations de développement du continent. Les Chefs d’Etat et de gouvernement des pays de la CEDEAO qui se sont réunis en janvier dernier à Ouagadougou ont donné un mandat explicite pour que l’accord en gestation soit ancré dans la vision de l’intégration et du développement de l’Afrique de l’ouest. Le dernier Comité ministériel de suivi de l’APE tenu à Nouakchott en février a aussi réaffirmé une telle volonté politique.
Pour les régions africaines et ACP en négociation, le texte de l’APE ne doit être acceptable que s’il contient des dispositions claires et des engagements de l’Europe sur des questions de développement identifiés par les régions elles-mêmes. Chaque Chapitre de l’accord doit contenir des dispositions (article) précises renvoyant au développement et à des engagements de l’Europe conformément à l’accord de Cotonou. L’accord lui-même doit avoir un Chapitre spécifique sur les engagements en matière de développement, qui soit aussi contraignant que les autres chapitres et adossé au programme de développement et à la prise en charge des coûts d’ajustement qui seront induits.
Arrêtons-nous un peu sur la question des coûts d’ajustement, l’une des plus importantes contraintes que pose l’APE. En transférant les ressources d’un secteur à un autre au cours de la réforme, fiscale ou non, la libéralisation induite par l’APE va engendrer inévitablement des coûts. Par exemple, premièrement, en cas de réduction des droits de douane, les entreprises locales en compétition avec les importations pourraient être amenées à réduire leur production face à une concurrence nouvelle, ce qui laisse une partie de leurs capitaux et de leur personnel inemployés pendant un certain temps. Les efforts des travailleurs licenciés pour se reconvertir dans d’autres domaines et pour trouver un nouvel emploi vont ainsi engendrer des coûts généralement supportés par eux-mêmes et par l’Etat.
Deuxièmement, pour tirer profit de l’accès au marché européen, en principe plus favorable, à cause entre autres des règles d’origine plus flexibles, les Etats devront faire des investissements importants dans les infrastructures et les entreprises dans les nouvelles installations ou technologies.
Troisièmement, en réduisant les droits de douane, la libéralisation réduit aussi les recettes de l’Etat. Cette réalité est d’ailleurs la conséquence de l’APE la plus médiatisée. Comme les sources de revenus de remplacement sont limitées, les coûts de cette perte de recettes sont très élevés pour les Etats. L’alternative qui s’offre dans ce contexte est donc soit de réduire les dépenses publiques soit d’augmenter d’autres impôts, ce qui dans les deux cas, peut impacter négativement sur la croissance.
Beaucoup estiment que ces coûts d’ajustement sont le prix à payer pour profiter des bienfaits du libre-échange que promet l’APE. La question est cependant de savoir si le prix n’est trop élevé par rapport à la marchandise. Aujourd’hui la quasi-totalité des pays africains s’est engagée dans les négociations multilatérales, bilatérales et régionales. Dans un tel contexte, la recherche de la cohérence devrait être le maitre-mot de la stratégie des régions pour qu’aucun engagement dans l’APE ne soit en contradiction avec un engagement à l’OMC ou dans le cadre de l’intégration. Aucune disposition de l’APE ne devrait en outre être de nature à entraver, empêcher ou retarder la réalisation d’un projet ou objectif régional dans le cadre des différents traités sur l’intégration.
L’une des faiblesses de la stratégie de négociation des régions, en particulier l’Afrique de l’Ouest, c’est de ne pas avoir clairement identifié les domaines où ses positions sont non négociables (lignes rouges), les domaines où elle serait prête à faire des concessions (ainsi que les conditions qu’elle pourrait poser) et enfin les plans et stratégies de replis au cas où l’Europe ferait preuve d’une intransigeance inattendue, ce qui plus que vraisemblable, au vue de ses dernières stratégies et manœuvres. L’une des manifestations les plus tangibles de ce manque de vision prospective apparait tout particulièrement à travers l’indécision des régions africaines devant l’opportunité ou non d’inclure la clause de la Nation la Plus Favorisée (NPF) dans l’APE. L’inclusion d’une telle clause, qui postule un engagement de la région à étendre à l’Europe tout avantage commercial plus favorable qu’elle accorderait à un partenaire commercial majeur, est non seulement en contradiction avec la Clause d’habilitation de l’OMC qui a pour objectif de renforcer le commerce Sud-Sud, mais elle rame à contrecourant d’une tendance actuelle qui voit le commerce entre l’Afrique et les pays comme l’Inde, le Brésil et la Chine se renforcer tandis que les échanges avec l’Europe déclinent même si cette dernière reste encore le premier partenaire et client de l’Afrique. L’entêtement de l’Europe à l’inclure dans l’APE cache mal sa volonté de barrer la route à la Chine, à l’Inde au Brésil et aux pays en développement émergents pour consolider ses parts de marché en Afrique. Un partenaire commercial majeur, tel que le conçoit l’Europe, s’entend de tout pays développé qui compte pour plus de 1% des exportations mondiales de marchandises, ou de tout groupe de pays comptant collectivement pour plus de 1,5%. Selon les données de l’OMC, le Brésil comptait pour 1,5% en 2006, contre 16,4% pour l’UE et 11,5% pour les États-Unis. D’autres pays en développement affectés comprendraient la Chine, qui comptait pour 10,7% des exportations cette année-là, ainsi que le Mexique, la Malaisie, l’Inde et l’Indonésie (qui dépassent le seuil, avec entre 2,8% et 1,1%). On comprend bien, sous cet angle, que ces pays en développement sont particulièrement visés.
Le Vice-ministre Sud-africain au commerce et à l’industrie a indiqué récemment la voie à suivre : « Selon cette clause, les droits tarifaires sur les produits de l’UE ne peuvent être supérieurs aux prélèvements imposés sur les produits en provenance de pays en développement. Les APE empêchent donc d’autres pays en développement de tirer profit de l’introduction de leurs marchandises sur les marchés des pays en développement (…) Cela nous placerait définitivement dans une relation basique avec l’Europe…une limitation inacceptable de notre souveraineté »
L’Europe sait bien pourquoi elle veut les éjecter du marché africain. Mais l’Afrique sait-elle seulement pourquoi elle devrait les y garder ? Sa position sur cette clause donnera une idée claire de sa compréhension des enjeux économiques et commerciaux.


Article écrit par Dr Cheikh Tidiane DIEYE – Coordonnateur du CICAD.


 I. P. Laléyê, in « la natte des autres », sous le Dire De J. Ki_Zerbo, 1992.
Président Abdoulaye Wade, in Passerelles, Vol. VIII n° 5, Nov-Dec 2007.
Stiglitz, J. (2007) « Pour un commerce mondial juste…. » p. 217.
 

Quels sont les enjeux des APE pour l’agriculture et l’industrialisation?

En février dernier, la CEDEAO et l’UE[1] ont annoncé un compromis dans les négociations portant sur les accords de partenariat économique (APE). Un accord dont l’impact sur le potentiel de développement agricole et l’industrialisation ne fait pas encore l'unanimité.

Les raisons d’un nouvel accord économique

L78329210es échanges commerciaux entre l’UE et les pays ACP sont régis par les conventions de Cotonou et celles antérieures, qui octroyaient une liberté d’accès au marché européen sans réciprocité. Ces accords ont permis aux pays africains entre autres d’introduire leurs produits dans l’espace UE sans droit de douane. Les produits européens en revanche sont taxés aux frontières africaines.

Les Etats africains exportent principalement vers l'UE des matières premières : pétrole, bois, métaux et pierres précieuses constituent plus du ¾ des exportations de la CEMAC en 2003. L’agriculture représentait 16% pour la CEMAC et 31% pour la CEDEAO qui importe de l'UE plus de 75% de produits manufacturés. 

Malgré les dispositions plutôt favorables des précédents accords, les africains n'avaient pas réussis à augmenter leur part dans le marché européen. La part de l’Afrique de l'Ouest par exemple dans le commerce avec l’UE est passée de 5% en 1980 à 1% en 2004. C’est d’ailleurs un argument que n’hésite pas à invoquer l’UE pour justifier la nécessité de repenser le partenariat économique rappelant que l’accès préférentiel n’a pas encouragé la diversification des exportations, ni la compétitivité des secteurs productifs, ni l’intégration des marchés intérieurs trop petits. Il n’a pas permis non plus d’accroître la capacité de production et d’exportation vers l’Europe. Hormis les considérations liées aux réalités locales, ce diagnostic occulte les distorsions que l’UE avait introduites dans les échanges telles que les barrières non tarifaires érigées sans concertation, la subvention de son agriculture ou les impacts des ajustements structurels qui ont contribué à cet échec.

Arguant la nécessité de respecter les dispositions de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), l’UE négocie depuis 2000 avec les différents blocs sous régionaux (CEMAC, CEDEAO, SADC) en vue de parvenir à un APE qui consacrera une liberté d’accès réciproque aux marchés.  Cette réciprocité se traduira pour l’accord avec la CEDEAO, par une ouverture à 75% du marché Ouest africain pour les produits de l’UE dans les 20 prochaines années contre 100% pour les exportations de la CEDEAO. La signature de ces APE devrait intervenir d’ici octobre sous peine, pour certains pays de la communauté, de se voir abolir les traitements préférentiels dont ils bénéficiaients dans l'accès au marché européen.

Les Etats africains n'ont pas réussi à faire converger réellement leurs intérêts pour négocier un accord qui leur soit tous favorable. La CEDEOA a accepté un compromis sur un texte conçu dans le sens des européens dont elle n’a pu obtenir que quelques amendements. C'est parce que la non conclusion d’un APE menace l’intégration régionale, la Cote d’Ivoire et le Ghana ayant déjà signé des APE dits intermédiaires et leur ratification sans l’engagement des autres pays de la sous-région détruirait le marché commun ouest africain. De même, au sein de la CEMAC, le Cameroun a déjà signé un ACP intermédiaire. Ces pays signataires ont en commun le fait qu’un pan essentiel de leur économie hors hydrocarbures comme le cacao et la banane repose sur l'exportation vers l’UE. Ils n’avaient le choix de faire autrement qu'en prenant le risque de repenser complètement leurs modèles économiques.

Des réticences et non les moindres

Une grande partie de la société civile africaine, d’éminents spécialistes et même la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) dénoncent cependant un accord jugé désavantageux pour les africains, déstabilisant les recettes des Etats et compromettant sérieusement l’industrialisation, l’émergence d’un grand marché intrafricain et le développement agricole.

Les taxes sur les importations constituent en effet une part importante de recettes des Etats africains. Selon la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), l’ouverture annoncée aggravera la pression sur les systèmes budgétaires africains. Le Cameroun par exemple perdrait entre 20 et 30% de ses revenus et le Ghana près de 37% de ses recettes à l’exportation. L’UE promet des compensations financières pour le manque à gagner. Elle mise surtout sur le renforcement des capacités fiscales des Etats pour compenser leurs pertes. Elle promet 6.5 Milliards € pour la CEDEAO sur la période 2015-2019 à travers le programme de l’APE pour le développement (PAPED). En zone CEMAC, le cameroun a évalué à 2500 milliards de FCFA le cout de l'adaptation de son économie aux APE. L’UE le soutient dans un premier temps à hauteur de 6,5 milliards de CFA pour la ratification de son APE intermédiaire. Mais les conditions d’éligibilité des entreprises pouvant bénéficier d'une aide à cette adaptation exclues déjà tout un ensemble d’acteurs économiques.

Les APE accordent aux africains une protection sur un ensemble de produits qu’ils jugeront sensibles. Il appartient aux Etats de chaque sous-région de s’accorder dans leur choix. Cela doit les obliger quelque part à plus de coopération régionale et la nécessité de reformer leur système économique. Il s'agit surtout des produits de l'agriculture qui a fait  par exemple l’objet d’une divergence de longue date entre la CEDEAO et l’UE qui ne souhaitait pas l’aborder dans le cadre des APE. Le compromis a été trouvé autour de la formulation suivante : « Chaque partie assure la transparence dans ses politiques et mesures de soutien interne. A cette fin l’UE communique régulièrement, par tout moyen approprié, un rapport à l’Afrique de l’Ouest sur lesdites mesures, comprenant notamment la base juridique, les formes de mesures et les montants y afférents (…)   La partie UE s’abstient de recourir aux subventions à l’exportation pour les produits agricoles exportés vers les marchés de l’Afrique de l’Ouest (…)  ». L’UE promet également de mettre à niveau l’industrie africaine afin qu’elle puisse mieux s’insérer dans le tissu commercial mondial.

Si les études d’impacts des APE dans les zones CEMAC aussi bien que CEDEAO montrent que ces accords permettraient éventuellement aux blocs africains de conserver leurs positions dans le marché européen, elles interpellent surtout sur la fragilité des structures économiques de ces Etats. L’impact est négatif sur leur potentiel de développement et de diversification économique. Pour Carlos Lopes, le secrétaire exécutif de la CEA, les APE tels que définit actuellement vont empêcher l’industrialisation de l’Afrique. Ils empêchent le positionnement des africains dans le marché européen avec leur production industrielle tout en ouvrant la porte à des exportations européennes. Il exhorte les africains d'exiger de participer à la valeur ajoutée de leurs propres ressources en concluant des accords tournés vers un transfert de technologie et la transformation au moins partielle au niveau local. C’est aussi l’ensemble du continent et non de blocs régionaux qui négocie car des APE régionaux poseraient un problème d’alignement sur le continent et ne permettraient pas au marché intrafricain de se développer. Ce n’est pas le principe d’une libéralisation qui est dénoncé mais l’équilibre de ces libres échanges et leurs retombées sur le développement économique des africains. Ces derniers doivent se sortir d’une relation de dépendance historique des puissances européennes s’ils veulent devenir des acteurs de leur avenir.

L’échéance d’octobre approche et les Chefs d’Etats qui vont se prononcer sur la signature de ces accords connaissent pertinnement les risques politiques qu’ils encourent et doivent prendre leur responsabilité.

Djamal Halawa

Sources

-L’APE en 9 questions : Commission Européenne : 

http://ec.europa.eu/europeaid/what/development-policies/intervention-areas/epas/epas_fr.htm

-Jacques Gallezot, Le choix régional des produits sensibles à l’APE soumis au jugement majoritaire des pays de l’Afrique de l’Ouest,  INRA-Agro Paris Tech, Octobre 2007, 45p.

-Benoît Faucheux, Bénédicte Hermelin, Julieta Medina, Impacts de l’Accord de partenariat économique UE – Afrique de l’Ouest ; Synthèse bibliographique, Gret, octobre 2005, 73p.

-DOUYA Emmanuel, HERMELIN Bénédicte, RIBIER Vincent, Impact sur l’agriculture de la CEMAC et de Sao Tomé et Principe d’un Accord de Partenariat Economique avec l’Union européenne, Paris, Gret, mars 2006, 116 p.

-Eclairage Volume 7  Numéro 6 , Juillet 2008 : http://ictsd.org/i/news/14950/

-http://endacacid.org/french/index.php/rapport-provisoire-concertation-regionale-entre-la-societe-civile-les-organisations-socioprofessionnelles-et-la-commission-de-la-cedeao-sur-les-ape-et-le-tec-17-18-janvier-2014-a-dakar

-http://endacacid.org/french/index.php/conference-ministerielle-de-l-omc-un-paquet-encore-incertain-pour-bali/declaration-de-la-poscao-sur-l-ape-10-02-2014

http://economie.jeuneafrique.com/managers/decideurs/21773-carlos-lopes-l-europe-ne-tient-pas-compte-de-l-avenir-de-l-afrique.html

-rfi.fr


[1] CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ; UE : Union Européenne ; CEMAC : Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale