Attention, la bataille des airs africains a commencé!!

La croissance attendue du marché du transport africain aiguise l’appetit des grandes compagnies aériennes du Golfe, de l’Europe et des États-Unis. Une aubaine pour les africains, habitués à payer le prix fort en raison du manque de concurrence sur le secteur, et qui pourront désormais envisager un vrai tourisme local. Mais un défi majeur pour les Etats qui doivent mettre en place un cadre infrastructurel, réglementaire et commercial pour accompagner la densification du réseau aérien africain.

En annonçant que l’Afrique connaîtrait le deuxième taux de croissance le plus élevé en nombre de passagers d’ici 2014, suite à l’émergence d’une classe moyenne africaine, l’Association internationale du transport aérien (AITA) n’a fait qu’entériner ce que les acteurs majeurs de ce secteurs avaient anticipé. Comme dans les autres secteurs du tertiaire, l’Afrique est l’une des principales poches de croissance et pourrait constituer à moyen terme un relais de croissance pour pallier à la morosité des économies occidentales.

Jusqu’à présent, les rares acteurs traditionnels européens (Air France, Lufthansa) et africains (Royal Air Maroc, Kenya Airways) profitaient de la trop faible intensité concurrentielle pour faire payer aux consommateurs le prix fort. Les marges opérationnelles sont de l’ordre de 15% sur la zone Afrique alors qu’elle est de l’ordre de 3 à 5% sur les autres zones en raison de la concurrence. Chez Air France par exemple, les lignes vers l’Afrique sont les plus rentables. Il suffit de regarder les prix des billets d’avion vers l’Afrique pour s’en persuader. Celui-ci varie du simple au double quand il s’agit de partir de Paris pour Abidjan ou pour Pékin, pour une durée de vol quasiment double dans le dernier cas!!

 Mais les prédictions de l’IATA font souffler un vent nouveau sur la zone Afrique du secteur. De fait, l’arrivée des compagnies du Golfe et des Etats-Unis menace de bouleverser complètement le paysage aérien en Afrique. La géante Emirates Airlines envisage de desservir une vingtaine d’aéroports africains et entend profiter de la croissance attendue de 9% par an sur la prochaine décennie du trafic entre l’Asie-Pacifique et l’Afrique selon Financial Times. L’américaine Delta Airlines a fêté il y a quelques semaines le 5e anniversaire de son service sans escales vers l’Afrique en réaffirmant l’importance stratégique de ces lignes dans leur portefeuille international. Et que dire de l’annonce faite récemment par le fondateur du trublion du secteur, la controversée EasyJet, qui a dévoilé début décembre, son projet de lancer une nouvelle compagnie à bas coûts en Afrique, "dernière frontière" du transport aérien et marché très prometteur. De nombreuses compagnies locales (South African Airways, la libyenne Afriqiyah, Kenya Airways) tentent elles aussi de tirer leur épingle du jeu face aux grandes occidentales.

 L’arrivée de ces nouvelles compagnies est une manne financière pour les gouvernements africains. A condition que ceux-ci en contrepartie donnent aux compagnies étrangères les moyens de se développer. Cela passe par une taxation plus lisible et une réglementation plus fluide. En outre, la mise à niveau des différents aéroports est une condition nécessaire pour augmenter le trafic aérien. On pourrait imaginer que les compagnies aériennes désirant profiter du marché local participent aux coûts de mise à niveau des infrastructures, à l’image des partenariats public-privé dans d’autres secteurs.

 Le cas spécifique des compagnies africaines est à examiner avec attention. Tout d’abord, il est nécessaire pour les gouvernements de s’assurer du niveau de respect des règles de sécurité par les compagnies locales. En effet, plusieurs compagnies africaines qui opèrent en Afrique sont sur la liste noire de l’IATA, et représentent donc un danger pour les passagers africains qui les empruntent. L’ASECNA (Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et Madagascar) doit jouer un rôle majeur dans ce processus de normalisation. De plus, les Etats africains doivent se poser la question « tabou » du protectionnisme. Nos jeunes compagnies aériennes locales peuvent-elles réellement émerger face à des concurrents de la taille d’Air France ou d’Emirates Airlines ? On pourrait obliger les compagnies européennes voulant opérer sur le continent à s’allier avec une compagnie locale. Cela suppose évidemment de mettre à niveau les compagnies locales par un transfert de compétences, subventionné si nécessaire. Après avoir consolidé leurs positions intracontinentales, nos compagnies aériennes devront attaquer le marché mondial, opérer elles aussi sur des lignes totalement extérieures à l’Afrique.

 D’un autre côté, les passagers africains seront les plus grands gagnants de ces bouleversements dans ce secteur. Si les coûts de transport de l’Afrique vers l’Europe, l’Amérique ou l’Asie vont nécessairement diminuer du fait de ces nouveaux acteurs occidentaux et orientaux, l’émergence des compagnies africaines devraient permettre de faciliter les déplacements à l’intérieur de l’Afrique. On est aujourd’hui dans une situation proprement aberrante où il est plus cher pour un habitant de Yaoundé au Cameroun de se rendre à Dakar au Sénégal que de se rendre à Paris !!! A l’heure où les projets routiers transcontinentaux patinent du fait souvent de réticences politiques et autres lenteurs d’intégration sous-régionale, la densification du réseau aérien africain pourrait être le déclencheur d’une véritable économie régionale. Combien d’étudiants français à Paris ont effectué un échange universitaire à Polytecnico de Madrid et  combien d’étudiants ivoiriens ont effectué un échange à Polytechnique Yaoundé ? La vulgarisation du transport aérien qui semble dépendre beaucoup moins des infrastructures nationales, pourrait accentuer ce type d’échanges.

 Enfin, on pourrait aussi discuter de la place du tourisme dans les mentalités africaines… en se limitant au cas des populations urbaines pour qui le mot « vacances » a une réelle signification. Peu de familles, lors des vacances scolaires par exemple, font des voyages touristiques. Les seuls déplacements consistent soit à se rendre dans le village familial ou à rendre visite à de la famille dans d’autres villes du même pays. Pourquoi ne va-t-on pas visiter les montagnes du Kilimandjaro ou les chutes Victoria ? Est-ce uniquement en raison du prix du billet d’avion vers la Tanzanie ou la Zambie ? La question reste à creuser. Au pire les voyages intra-africains seront uniquement des voyages d’affaires et ce ne sera déjà pas si mal.

Ted B.

Source photo: republicoftogo.com