Un nouvel âge démocratique au Nigeria ?

Le professeur Attahiru Jega

Le Nigeria s’engage dans un processus électoral en trois temps, et c’est toute l’Afrique de l’Ouest qui retient son souffle. Après la guerre civile post-scrutin présidentiel en Côte d’Ivoire et la contestation des résultats par l’opposant Adrien Houngbédji au Bénin, un mauvais déroulement des élections au Nigeria aurait des conséquences funestes et imprévisibles pour l’ensemble de la sous-région. Les élections législatives du 9 avril, présidentielle du 16 et locales du 26 avril revêtent à ce titre une importance particulière. Le dénouement positif ou négatif de ce raout politique repose en grande partie sur les épaules d’un homme, le professeur Attahiru Jega, président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) du Nigeria.

Nommé en juin 2010 par le président en exercice et candidat à sa réélection Goodluck Jonathan, le professeur Jega est une figure respectée de la société civile et de l’opposition, qui occupait au moment de sa nomination le poste de vice-recteur de l’université Bayero, à Kano. Né en 1953, docteur en sciences politiques de la Northwestern University (Illinois, Etats-Unis), il a entamé sa carrière universitaire à l’université Bayero à partir de 1984. Mais c’est surtout par ses activités syndicales et politiques qu’il s’est rendu célèbre, notamment avec l’Academic Staff Union of Nigerian Universities. A la tête de ce syndicat d’universitaires, il est devenu un opposant déterminé au pouvoir de la junte dirigée par le général Babangida à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Il s’est taillé durant cette période une réputation d’homme attaché aux principes de justice, inflexible sur la morale publique, « pour qui la politique ethnique et les urnes truquées, tactique favorite des politiciens nigérians, sont anathèmes », selon la description de l'universitaire nigérian Ike Okonta (1).

Or, ce scrutin suscite d’autant plus d’inquiétudes que le retour à la démocratie du Nigeria, en 1999, est entaché de détournements systématiques de ses principes fondamentaux : clientélisme généralisé, violences électorales, exacerbations des différences religieuses, ethniques et régionalistes, bourrages d’urnes, etc. Les élections ont longtemps paru être avant tout d’ordre cosmétique, pour améliorer l’image du Peoples Democratic Party, solidement accroché au pouvoir et nullement décidé à l’abandonner.
La nomination d’Attahiru Jega à la tête de la CENI ainsi que les prérogatives financières et juridiques qui lui ont été dévolues, laissent cependant espérer que ces scrutins électoraux pourraient être différents. Pourtant, les premiers nuages ont déjà commencé à s’amonceler. La violence est au rendez-vous de ces campagnes électorales, notamment à Abuja, Bornou ou Jos. A une semaine du scrutin initial, le gouvernement a été contraint de fermer les frontières du pays et à y limiter les déplacements, pour éviter tout risque de déstabilisation. Des dysfonctionnements dans l’organisation et de sérieux soupçons de fraudes ont conduit le professeur Jega a repoussé d’une semaine le calendrier électoral par rapport à ce qui était initialement prévu.

Malgré cela, l’espoir est grand que ce scrutin permette de tourner une nouvelle page de l’histoire démocratique du Nigeria. Le président Goodluck Jonathan, qui semble le favoris des sondages, notamment parce que l’opposition peine à se réunir face à lui, affiche la volonté de s’émanciper des pratiques douteuses de son parti, le Peoples Democratic Party, largement décrédibilisé par son exercice du pouvoir.

Selon un rapport de l’International Crisis Group (2), au-delà des résultats électoraux, l’un des véritables enjeux de ces élections résidera dans la capacité du professeur Jega à imposer l’Etat de droit, surtout vis-à-vis des prochaines personnalités politiques élues ou réélues de manière condamnable. « Personne n’a été inculpé de crime électoral depuis l’indépendance du pays », rappelle l’ONG, qui formule un certain nombre de propositions : que la Commission poursuive tout auteur de crime électoral, y compris parmi les hauts responsables de la sécurité et les politiciens ; que la Commission suspende les résultats annoncés là où il y a de forts soupçons d’irrégularités, qu’elle mène des enquêtes puis reprenne tout le vote si nécessaire ; que des comités consultatifs sécuritaires associant des groupes de la société civile soient en état d’alerte pour juguler de potentielles vagues de violence.

Un cadre judiciaire plus contraignant et plus répressif devrait conduire les acteurs de la sphère politique nigériane à engager la révolution des mentalités qu’ils auraient dû mener il y a déjà plusieurs décennies. Le scénario du pire de la Côte d’Ivoire devrait participer à leur faire prendre conscience de la nécessité de donner à la sous-région et à l’ensemble de l’Afrique un exemple de maturité démocratique. Tel est le prix à payer si le Nigeria veut pleinement jouer le rôle politique de leader que lui confère naturellement son poids économique et démographique.

Emmanuel Leroueil

 

(1):  http://www.pambazuka.org/fr/category/features/72058

(2) : http://www.crisisgroup.org/en/regions/africa/west-africa/nigeria/B79-nigerias-elections-reversing-the-degeneration.aspx