Pour la vente des terres agricoles : un partenariat public-privé classique !

agricultureAvant de développer notre argumentaire en faveur de la vente des terres agricoles africaines, il est important de s’accorder sur un axiome qui sera le fil conducteur de la démonstration : l’agriculture de subsistance n’a pas sa place dans des pays émergents/développés. Autrement dit, aucun habitant d’un pays développé ne doit avoir à dépendre des résultats de sa propre agriculture pour subvenir aux besoins de son alimentation. L’idée sous-jacente défendue est que chaque citoyen doit avoir une activité qui générera des revenus lui permettant d’accéder à un marché sur lequel il pourra trouver les produits agricoles. Fort de ce pré-requis, la seule agriculture qui doit subsister est une agriculture industrielle, à but non plus vivrier mais purement lucratif. Il ne reste plus alors qu’à répondre à un certain nombre de questions : comment répondre aux besoins de consommation de la population ? Qui dispose des meilleures capacités pour exploiter de la manière la plus efficiente les sols africains et pour quelles cultures ?

La première question est une fausse question. A une échelle individuelle, il n’est pas nécessaire de produire soi-même son alimentation, c’est une évidence. La seule question ici est une question de disponibilité des aliments à un coût final acceptable (coût de la denrée et coût d’accès à la denrée). A une échelle nationale, il n’est pas non plus nécessaire pour un pays d’être capable de produire la consommation nationale de produits alimentaires. La seule obligation de l’Etat est d’assurer comme dans le cas individuel un accès à un coût moindre aux denrées alimentaires de base. Pour cela, l’Etat peut inciter des acteurs privés à alimenter le marché tout en gardant une supervision nationale via des mécanismes de stabilisation de prix et de contrôle de l’inflation. 

Vient ensuite la question même de la vente des terres agricoles à des investisseurs étrangers. Ici l’équation est purement économique. Etant entendu que les terres ne devraient pas servir directement à la subsistance alimentaire, les principes économiques de base veulent qu’on alloue les ressources aux agents économiques qui en assureront la meilleure productivité. La question de l’inadéquation des productions réalisées par ces investisseurs et les besoins du marché local est peu pertinente. En effet, les agriculteurs industriels locaux aussi ont accès au marché mondial. Leur intérêt n’est pas de répondre aux besoins locaux mais de réaliser le maximum de profit via leurs exploitations agricoles. Dès lors s’il est plus rentable pour un agriculteur quelle que soit sa nationalité de produire et de vendre à une échelle mondiale un produit alimentaire dont la rentabilité est beaucoup plus forte via l’exposition au marche mondial, en raison notamment de la demande forte des pays émergents, l’Etat ne pourra contraindre cet agriculteur à investir dans des denrées locales de base moins rentables. La situation la plus dramatique est lorsque la production locale de denrées alimentaires de base est vendue à des pays voisins encore moins bien lotis en termes de production agricole, en raison des meilleurs prix liés à une simple équation d’offre-demande. 

Il convient dès lors de dissocier fortement la production agricole d’un pays et les besoins de sa population, tout comme de nos jours il est presque insensé de parler d’autosuffisance alimentaire. La Corée du Sud, présentée très souvent comme un exemple pour les pays africains à un taux d’autosuffisance alimentaire qui s’est établi à 22,6% en 2011. Et cela n’a pas empêché ce pays de réaliser des performances économiques qui font rêver les pays africains.  

Il convient pour un pays de définir dans une vision globale quelle est la meilleure utilisation possible de ses terres agricoles. Après avoir analysé l’évolution de la consommation mondiale et décrit précisément les qualités du sol et du climat nationaux, l’Etat doit déterminer les productions à réaliser sur ses terres. A l’heure actuelle, la plupart des pays africains concernés par la vente massive des terres n’ont pas les compétences techniques pour tirer le meilleur parti des sols. Vendre ces terres à des investisseurs qui ont les compétences pour en tirer le meilleur parti constitue un gain énorme par rapport à une exploitation quasi-nulle et peu productive. Comme dans tous les cas de partenariats public-privé, l’Etat doit s’assurer un transfert de compétences par la mise en place d’un quota de locaux dans le personnel des entreprises privées en charge de l’exploitation de ces terres. Par ailleurs, la durée de ces contrats d’exploitation doit être clairement définie, ainsi que des critères de qualité du sol en fin de contrat, pour s’assurer que les investisseurs ne raisonnent pas uniquement dans une échelle de court-terme.

Quant à la sécurité alimentaire, l’Etat a la responsabilité de permettre l’accès aux denrées de base. Si les opérateurs téléphoniques sont capables de proposer des services à des populations rurales très éloignées des centres urbains, alors l’Etat se doit par lui-même ou par des incitations au secteur privé d’apporter les produits vivriers au plus près des populations. L’approvisionnement se fera sur les marchés mondiaux tout en mettant en place des mécanismes permettant d’amortir le coût final pour le consommateur.

Ted Boulou

 

Sur le même sujet, l'article de Georges-Vivien Houngbonon défendant les arguments du "contre" la vente des terres africaines à des groupes étrangers : 

L’agriculture biologique permettra-t-elle de nourrir l’Afrique à sa faim ?

A l’heure où nourrir les populations représente encore un défi dans certains pays africains, il peut sembler utopique de s’intéresser à l’agriculture biologique, et aux bénéfices dont pourraient en tirer les économies africaines. Pourtant ce type d’agriculture permettrait de lutter contre la désertification progressive qui sévit sur le continent, et de garantir une meilleure autosuffisance alimentaire.

L’agriculture biologique en Afrique se résume pour certains à un doux rêve de bobo idéaliste. Pour d’autres, il est souhaitable que les pays africains se tournent vers ce type d’agriculture dans une perspective de durabilité des ressources.  L’on conçoit souvent l’autosuffisance alimentaire comme le résultat d’une agriculture intensive, dont les hauts rendements exigent l’utilisation d’engrais industriels et de pesticides. En bref, faut-il vraiment produire plus pour manger plus ?

Une étude publiée par l’Institut de Développement durable basé à Addis Abbeba, en partenariat avec la FAO et la Société suisse pour la conservation de la nature retrace l’une des premières expériences scientifiques d’agriculture biologique menée sur la période 2000-2006. Les recherches ont porté sur la région de Tigray, située au nord de l’Ethiopie, où les terres agricoles ont subi une forte dégradation dans un contexte de sécheresse persistante. La conversion des terres en terrains biologique, qui nécessite trois à quatre ans, a permis de doubler les rendements dans la région, notamment grâce à l’utilisation de fertilisants naturels, à une meilleure gestion des eaux de pluies, et à la réintroduction de végétaux permettant de lutter contre l’érosion des sols.

Cette expérience a le mérite de démontrer que la désertification progressive du continent n’est pas une fatalité. L’agriculture biologique, en optimisant et modernisant les méthodes de l’agriculture traditionnelle constitue une solution efficace face à la dégradation des terres cultivables et l’érosion des sols. L’intensification agricole de ces dernières années a eu de lourdes conséquences sur  la qualité des sols africains : les monocultures, le sûrpaturage, l’agriculture sur brûlis et l’irrigation mal maîtrisée ont considérablement appauvri les terres cultivables, et la transition agricole tant attendue ne s’est pas accompagnée d’une hausse réelle des rendements. La lutte contre le processus de désertification à travers la généralisation de l’agriculture durable permettrait ainsi d’accroître la production et de réduire la dépendance alimentaire du continent.

 L’agriculture biologique est pourtant loin de faire l’unananimité chez les experts africains. Lors d’une conférence au Rwanda en octobre dernier, le CIALCA (Consortium for Improving Agriculture-based Livelihoods in Central Africa) a écarté l’idée d’un débat idéologique opposant agriculture intensive et biologique, les deux approches étant selon eux complémentaires et pertinentes à des stades de développement différents. Cette approche pragmatique part du constat que l’agriculture africaine est par nature biologique, avec la faible utilisation d’engrais et de pesticides, qui conduit à de faibles rendements. La « troisième voie » proposée, celle de « l’intensification durable », combine ainsi les deux approches, dans l’objectif d’éradiquer la faim dans les régions sous forte pression démographique, à travers l’introduction de variétés de fruits et légumes améliorées, et de cultures intercalaires (juxtaposition de plusieurs cultures, pour bénéficier de synergies de production).

Au-delà de la préservation des terres, le développement de l’agriculture biologique permettrait à terme aux populations locales d’obtenir une meilleure rémunération de leur travail, les produits issus de ce type d’agriculture offrant de meilleures marges que les produits standards. La demande de produits biologiques est en forte croissance dans les pays européens, et les producteurs africains tournés vers les marchés export pourraient sensiblement améliorer la rentabilité de leurs exploitations après la conversion de leurs surfaces en terres biologiques. L’agriculture biologique convient d’ailleurs particulièrement aux petites exploitations, qui cultivent souvant les terres selon les méthodes traditionnelles. Certains pays ont bien compris la manne que pourrait représenter une production agricole biologique de qualité, et encouragent les producteurs dans leurs démarches de certification grâce à des programmes financés par la FAO, la certification étant indispensable pour exporter sur les marchés européens. Les pays bénéficiant aujourd’hui des plus grandes surfaces agricoles biologiques sont l’Ouganda, la Tunisie, l’Ethiopie et la Tanzanie, avec des cultures dites de rente comme le café, le coton, le cacao et l’huile de palme.

Face à l’échec de l’intensification agricole de ces dernières années, l’agriculture biologique présente de réels avantages pour les producteurs africains : proche de l’agriculture traditionnelle, elle contribue à limiter l’érosion des sols, et permet aux populations de bénéficier de ressources durables dans un contexte de forte pression démographique. La structuration progressive des filières export, notamment  grâce à la certification, constitue une assurance pour les exploitants africains de vendre leurs produits à bon prix, se protégeant ainsi contre les fluctuations des marchés agricoles mondiaux.

Leïla Morghad 

Un nouveau riz pour l’Afrique : Nerica

Le riz constitue la principale nourriture en Afrique et plus particulièrement au sud du Sahara. Actuellement, un Africain consomme environ 21 kilos de riz par an et cette quantité est en constante progression. En Afrique sub-saharienne plus particulièrement, la consommation annuelle de riz par habitant est de 42 kilos. Cette forte consommation du riz induit une demande de plus en plus importante sur le marché locale qui ne suffit plus. Dès lors, l’Afrique importe 40% de sa consommation en riz, ce qui représente 30% des importations mondiales de riz. Face à ce constat, des chercheurs agronomes ont mis en place une nouvelle espèce de riz dénommé « NERICA » (new rice for africa). Le succès de cette nouvelle espèce est décrit dans un récent rapport de la Banque Mondiale intitulé : Améliorer l’efficacité et la production agricole à travers des interventions ciblées.

La mise en place du NERICA répond aux insuffisances inhérentes aux deux plus importantes espèces de riz habituellement cultivées en Afrique ; notamment le glaberrima et le sativa. Le glaberrima est une espèce originaire d’Afrique ayant une productivité très faible mais possède une capacité de résistance plus forte aux conditions climatiques africaines et aux attaques d’insectes. Au contraire, le sativa, originaire d’Asie, a une plus forte productivité mais reste plus vulnérable que le glaberrima. Le NERICA a été mis sur pied pour combiner les avantages des deux premières espèces ; notamment une forte productivité et une meilleure résistance aux conditions climatiques. Eu égard à cette combinaison d’avantages, le NERICA a pu être cultivé à la fois sur les plaines et sur les collines avec une très grande productivité. Néanmoins, son adoption n’est pas encore complète.

En dépit de ses atouts, cette nouvelle espèce de riz n’est pas encore adoptée partout en Afrique. La plupart des pays ont seulement atteint moins du quart de leur potentiel d’adoption. Ce faible taux d’adoption est lié au développement récent de l’espèce et aux procédures de sélection des variétés. Ces procédures peuvent prendre plusieurs années à cause du temps de la moisson et la comparaison des résultats entre l’ancienne espèce et les nouvelles variétés. Actuellement, une nouvelle approche plus rapide dénommée « Méthodologie participative de sélection des variétés » a été mise en place pour accélérer la sélection des variétés et l’adoption de NERICA par les agriculteurs. Avec cette nouvelle approche, la durée de sélection est passée de 10 ans à 3 ans. Avec toutes ces innovations, l’adoption de NERICA est en constante progression et les premières cultures montrent déjà une plus forte productivité et une capacité de résistance accrue. Dès lors, sa culture est susceptible d’augmenter le revenu des planteurs ; voire réduire la pauvreté et les inégalités de revenu.

En termes d’impact économique, l’augmentation du taux d’adoption va réduire significativement les importations de riz à destination de l’Afrique et assurer une plus grande autosuffisance alimentaire des populations. Par ailleurs, les premiers résultats d’évaluation suggèrent que l’introduction de l’espèce NERICA a permis d’augmenter le revenu des producteurs en moyenne de 30$ US. Cette augmentation de revenu vient principalement de l’accroissement des rendements. De plus, l’impact se révèlent être plus important chez les femmes que chez les hommes car les ménages agricoles dirigés par les femmes sont en général plus pauvres et son plus enclins à adopter la culture du NERICA. Toutefois, l’impact global est hétérogène et diffère selon les pays.

En outre, deux principaux défis restent à relever dans le secteur du riz. D’une part, il s’agit d’augmenter le nombre de chercheurs travaillant sur les innovations dans la culture du riz. D’autre part, l’accélération de l’adoption de cette nouvelle espèce est primordiale pour assurer l’autosuffisance alimentaire en riz de l’Afrique. Une fois le potentiel d’adoption atteint, le continent n’aura quasiment plus besoin d’importer le riz. Dès lors, les milliards de dollars dépensés dans cette importation peuvent servir à la mise en œuvre de politiques sociales, gage de développement.

 

Georges-Vivien Houngbonon