Pour un avion africain dans le ciel africain

aire-afriqueLe 28 mars 1961, onze États africains qui venaient à peine d’accéder à la souveraineté internationale signaient à Yaoundé un traité portant création de la compagnie multinationale Air Afrique. Un acte d’une haute portée, à la fois historique, politique et économique, qui marque le début d’une fabuleuse envolée. Le mythique Air Afrique qui allait survoler les cieux des cinq continents durant plusieurs années véhiculait la volonté de tout un continent à occuper une place importante sur le marché mondial de l’aviation civile commerciale. Il symbolisait aussi le début d’une intégration sous-régionale en reliant quelques-unes des métropoles ou capitales du continent.

Malgré sa chute, due à des difficultés diverses et variées, liées notamment à sa gestion, cette compagnie dite « continentale » a joué un rôle primordial dans la vie économique du continent africain de 1961 au 27 avril 2002, date de sa mise en liquidation.

Et depuis l’atterrissage forcé d’Air Afrique, on voit s’envoler, depuis les tarmacs africains, différentes compagnies aériennes tantôt nationales tantôt régionales, qui, peinant à émerger, à accroitre leurs activités, finissent par disparaître – à l’instar d’Air Sénégal et Sénégal Airlines, très probablement – avant d’être remplacées par d’autres. Cette situation induit plusieurs interrogations, notamment sur la possibilité de voir émerger du continent une compagnie à l’image de l’ancienne air Afrique.

1. Qu’est-ce qui explique la défaillance des compagnies africaines ?

Les compagnies aériennes africaines sont confrontées à des difficultés de plusieurs natures, principalement, le prix du carburant et des services, l'insuffisance des infrastructures, le manque de ressources humaines et la concurrence venant des compagnies aériennes non-africaines. En effet, face aux devises du marché international, notamment le dollar et l’euro, la faiblesse des monnaies locales permet difficilement d’investir dans la flotte et de procéder à l’achat de carburants, voire à l’entretien des machines, notamment quand ces achats sont effectués dans un pays du « nord », ainsi que de parer au coût de la dette si celle-ci n’est pas contractée localement. De plus, ces compagnies nationales ont difficilement accès au leasing – opération de crédit-bail – et voient leurs possibilités d’investissement brimées par le FMI et la Banque mondiale. Les avions volent peu (alors que les coûts variables liés au vol sont moins élevés que les coûts fixes liés à la possession des avions), ce qui empêche les économies d’échelle pourtant nécessaires pour limiter les coûts d’exploitation unitaires. En outre, les flottes sont trop souvent composées de vieux avions surdimensionnés par rapport aux besoins locaux. De plus, la politique fiscale de certains pays (visant quelque fois à favoriser le décollage de la compagnie nationale locale au détriment de celles des pays voisins) contribuent à renchérir les coûts de transport, ce qui n’incite pas particulièrement la demande et obère la dynamique de ce marché.

Pour faire face à ces problèmes, les Etats Africains doivent créer un marché unique de transport aérien permettant une meilleure connexion des pays et des régions d’Afrique à travers une industrie viable du transport aérien. En d’autres termes, les marchés nationaux sont trop étroits pour permettre à une compagnie nationale d’émerger et de croître face à la concurrence des compagnies étrangères. Ces dessertes nationales (voire même certaines dessertes intra-africaines) souffrent toutes à la fois d’une demande limitée par le faible niveau de développement, de la faible intégration économique et politique des pays et de certaines contraintes de la régulation étatique. Ces facteurs sont renforcés par les difficultés économiques que traversent certains États ainsi que par la limitation des dépenses publiques sous le poids des institutions internationales et du délabrement socio-économique, sans parler des guerres et crises politiques.

Certaines de ces compagnies nationales disparaissent donc peu de temps après leur création, faute de rentabilité et de soutien étatique, tandis que d’autres vivotent ou n’ont pu se maintenir qu’au prix d’une ouverture de capital aux investisseurs étrangers ou privés.

2. Faut-il faire appel aux fonds privés ?

Contrairement au fonds public, le recours des opérateurs du transport aérien aux sources de financement privé permet l’acquisition d’aéronefs plus modernes, plus économiques, plus fiables et respectueux de l’environnement. De surcroit, il permet de résoudre les problèmes d’interdiction de vols en dehors de l’Afrique dont sont sujettes la plupart des compagnies africaines, tout comme les problèmes liés au blocage au sol pour des raisons de surendettement, à l’instar de l’Airbus de Congo Airways : celui-ci a en effet été bloqué au sol par la justice Irlandaise le 21 Août 2015 en raison d’un conflit entre l’Etat Congolais et la société américaine Miminco LLC.

Le projet de mise en place dans la zone CEMAC (Communauté Économique et Monétaire des Etats de l'Afrique Centrale) d’une compagnie régionale, initié en 2002, a finalement été abandonné du fait que les Etats impliqués dans ce projet n’arrivaient pas à mobiliser les financements nécessaires pour la concrétisation de celui-ci.

L’exemple de la compagnie ASKY illustre bien la nécessité d’ouvrir le secteur à des opérateurs privés. ASKY est une compagnie aérienne panafricaine basée à Lomé (Togo) et détenue à majorité par des privés. Créée en 2007, cette dernière couvre actuellement 23 destinations réparties dans 20 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Ceci facilite la promotion des affaires, du commerce et du tourisme, ainsi que les échanges culturels intra-africains ou du moins entre les différents pays desservis.

3. De la nécessité d’un secteur aérien africain compétitif

Le transport aérien étant un catalyseur de la croissance économique, la perspective d’un ciel ouvert en Afrique offrirait d’énormes avantages, en permettant la création de nombreux emplois, notamment pour les jeunes générations. Le réseau relierait les États africains aux marchés régionaux et mondiaux, favorisant le tourisme ainsi que la circulation des personnes, des marchandises et d'autres activités commerciales essentielles.

En ce qui concerne la libre circulation des personnes, la réduction de moitié de taxes passagères et sûreté, la suppression du droit de timbre et du visa sont des décisions importantes visant à rendre la destination plus compétitive. Ces mesures permettent de baisser le prix des billets et d’attirer, en plus des tours opérateurs, un public étranger issu de la diaspora africaine. Qui plus est, la suppression de visa entre les pays africains ne peut que favoriser l’intégration des peuples, les échanges culturels et l’épanouissement d’une jeunesse africaine avide de liberté et de partage. En somme, développer l’industrie de l’aviation en Afrique pourrait être l’une des forces motrices de l’intégration régionale sur le continent.

Enfin, rappelons que l’Afrique a adopté la Déclaration de Yamoussoukro relative à une nouvelle politique aéronautique africaine en octobre 1988, ainsi que la Décision relative à la libéralisation de l'accès des marchés du transport aérien en Afrique en novembre 1999. Cependant, la mise en œuvre de cette politique de libéralisation reste timide. En dépit de l’existence de cette décision, le secteur du transport aérien en Afrique demeure encore confronté à de nombreux défis. L’avenir et la survie du transport aérien africain restent liés à la coopération dans tous les domaines, à savoir : technique, commercial, administratif, ainsi qu’à un environnement législatif et réglementaire harmonisé.

Hamidou Cissé

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