Aylan, une énième « misère » du monde

syrian-refugee-boy-turkey-2L’image est terrible. Insoutenable, elle émeut le monde. Le petit Aylan Kurdi, face contre terre, git sur le sable. En fuyant avec sa famille l’horreur en Syrie, il a échoué tragiquement aux portes d’un Continent qui se barricade, en mettant en œuvre une scandaleuse politique migratoire.

La famille Kurdi décimée et la photo du petit Aylan, renvoient à la terrible réalité du monde dans lequel on vit. Des gens meurent tous les jours dans l’indifférence totale. Une photo vient figer un exemple de cette ruée vers l’Europe de personnes qui n’ont en face d’elles plus d’autres choix.

La lecture qu’on est en train d’en faire en Afrique est intéressante. Une horreur qui se répète continuellement. On est en face d’un sentiment de déjà vu. L’opinion internationale s'émeut de façon concrète sur une réalité qui est devenue somme toute banale pour nous Africains. Elle est caractéristique du drame actuel qui se déroule quotidiennement en Méditerranée. Sauf qu’il ne peut y avoir à tous les coups de photographe pour figer un instant et sensibiliser le monde sur l’horreur de notre époque.

Ici, la misère est banale. Ici, partir, est banal. Ici, perdre un voisin, un frère, un ami dans les méandres de l’océan ou les profondeurs du désert, est banal. On en est arrivé dans certaines familles à apprivoiser la mort issue de l’émigration économique. On vit avec, on en fait son livre de chevet. Regardez Yayi Bayam Diouf, présidente de l’association des femmes sénégalaises contre l’immigration clandestine. Elle a perdu son fils unique de 26 ans, Alioune Mar, disparu en Méditerranée en 2007. Pas de sépulture. Même pas une photo. Il a rejoint ce grand livre du néant, laissant à ses proches un souvenir. Pas plus.

Personne n’a donc immortalisé le corps d’Alioune recraché peut être par la mer. Les expéditions vers l’Eldorado génèrent très souvent de fatales fins. Si seulement un jour la Méditerranée pouvait témoigner et restituer à la face du monde l’horreur dont elle est le théâtre quotidien. Ces Erythréens, Sénégalais, Maliens, Libyens, etc. qui partent pour chercher à jouir d’un droit vital et simple : celui de vivre.

Le sentiment d’effervescence générale soulevé par LA photo montre heureusement qu’un instinct de solidarité humaine demeure dans un monde dont chaque parcelle est une cible des assauts du capitalisme sauvage et triomphant.

C’est un moment hélas idéal pour dire aux hommes politiques friands de phrases grandiloquentes sur l’humanisme et la solidarité internationale « Regardez » ! « Ne détournez pas les yeux » ! Cette image, comme le suggère fort justement Alain Mingam, « ne peut qu’interpeller notre lâcheté».

Après l’avoir observée et mis un nom sur cet enfant victime collatérale de Bachar Al Assad, de Daech, de l’Armée syrienne libre, de l’Europe et de passeurs véreux, revenons pérorer à nouveau que tel pays « ne peut accueillir la misère du monde. » Car effectivement c’est dans ces moments que l’on mesure à son juste poids le caractère outrancier et bête de la formule de Michel Rocard, reprise encore récemment par Alain Juppé.

Aylan, comme des milliers d’enfants d’Afrique fuyait la guerre et la misère. Considérez-le comme une misère. Voire mieux, dites qu’il venait piquer le pain des Européens. Vu son estomac de gamin de trois ans, sûr qu’il devait avoir un appétit démentiel…

N'oublions jamais, face à la tragédie d'Aylan, que ce garçon fait partie de ces milliers d'ébranlés du monde que Nicolas Sarkozy traita lâchement et cruellement de "fuite d'eau".

La mobilisation internationale suscitée par l’émotion est importante même si elle ne durera que jusqu’au prochain tweet. Néanmoins, elle est utile car elle nous renvoie à notre responsabilité de refuser la banalisation de l’horreur. Le drame silencieux devenu quotidien aux côtes de l’Europe est à dénoncer. Ce qui s’y passe doit retenir notre attention et être la cible de nos actions.

Hélas, ici en Afrique, sa faible prise en compte par les leaders politiques montre une nouvelle fois que nous ne pouvons encore compter que sur nous-mêmes.

Le sentiment de détachement des populations est lui représentatif d’une cohabitation permanente avec l’horreur. Car ce soir, des pirogues partiront à nouveau. Des âmes disparaitront. Des mères resteront seule blotties dans la solitude, cette place laissée vacante par un fils perdu. Et demain, la vie continuera. Tragique quotidien…

Hamidou Anne