Côte d’Ivoire aux enchères

Le temps de la crise postélectorale est terminé. Place désormais à la « renaissance ». Et c’est à une vitesse phénoménale que la Côte d’Ivoire se structure à nouveau économiquement,  mais non sans aides. Banque Mondiale, FMI, Etats, entreprises privées, tous se bousculent aux portes de la capitale économique, Abidjan, pour prendre part au changement. La Côte d’Ivoire se reconstruit, mais à quel prix ?

Dans la première moitié du mois de février 2012, une délégation de la Banque Mondiale était en visite à Abidjan pour contrôler les avancées des projets d’infrastructures mis en place et financés par ses soins. Réfection des systèmes de canalisation, création de nouveaux axes routiers, constructions de ponts et de châteaux d’eau. Autant d’entreprises qui sont un prélude au projet de grande envergure de la Banque mondiale : « Programme de Renaissance des infrastructures », soit une enveloppe de plus de 50 milliards de francs CFA (environ 76,3 millions d’euros) pour organiser la réhabilitation des installations électriques, des ouvrages d’assainissement et des gares routières.

 En contrepartie, le gouvernement ivoirien a procédé à la privatisation de banques publiques, dont l’intérêt et l’efficacité étaient discutables. Il s’est également engagé à la réouverture des universités pour la rentrée 2012.

Si les pouvoirs publics ivoiriens sont si prompts à répondre favorablement aux injonctions de la Banque Mondiale, c’est parce qu’ils sont en quête du « Point d’achèvement ».

Le point d’achèvement correspond à la « phase terminale » du processus devant mener un pays au statut de PPTE (Pays Pauvre Très Endetté). Engagé dans ce processus depuis plusieurs mois maintenant, la Côte d’Ivoire sera fixée sur son sort le 30 juin prochain. Ce nouveau statut permettra au pays de bénéficier, entre autre, d’une aide de 6 milliards de dollars ainsi que de l’annulation de sa réserve de dette. Or, pour être éligible, le pays doit montrer sa bonne volonté. Si la Banque Mondiale semble être conquise par les efforts de la Côte d’Ivoire, le FMI, qui prend également part à la décision, ne paraît pas totalement satisfait. Alors ,le gouvernement redouble d’efforts : nouvelle réforme agricole pour un meilleur traitement des producteurs, réforme de la filière « Café-Cacao », investissements dans les zones où la crise a fait le plus de dégâts.

Le hic ? Toutes ces initiatives dépendent, en grande partie, de la « charité » des Etats amis de la Côte d’Ivoire. On a déjà pu remarquer dans « Côte d’Ivoire : Investir pour reconstruire », que l’Union Européenne avait consenti à décaisser 260 millions d’euros pour aider le pays dans ses projets de santé, d’éducation et d’infrastructures. Aujourd’hui c’est au Japon, de débourser près de 4 millions d’euros pour lutter contre l’insécurité. Et pendant ce temps, la Grande-Bretagne vient d’annuler 60 millions d’euros de dettes tout en envisageant une annulation totale si son débiteur obtenait le statut PPTE.

La Côte d’Ivoire a-t-elle le choix ?

 Aux vues de tous ces éléments on peut légitimement se demander  quel sera le prix à payer pour la Côte d’Ivoire. Signature de contrats désavantageux? Perpétuation de la Françafrique ? Nombreux sont ceux qui, en Côte d’Ivoire ou ailleurs, fustigent la politique de développement entreprise par le président et le gouvernement. D’aucuns voient en A. Ouattara un « préfet » du président Sarkozy en Côte d’Ivoire pendant que d’autres  dénoncent l’idée selon laquelle la croissance ne peut être qu’exogène.

Le débat est-il bien orienté ? Avant de se demander quel prix aura à payer la Côte d’Ivoire, à l’avenir, la question la plus cruciale sera de savoir, si elle peut s’en sortir autrement ? La Côte d’Ivoire a-t-elle le choix ? Un Etat qui n’a pas les moyens financiers nécessaires pour assurer son propre développement. Un pays dont la maigre classe moyenne se paupérise et où les forces vives n’ont ni les moyens financiers, ni les moyens techniques, ni les moyens humains de leurs ambitions. Un pays où l’instruction, premier garant du développement, est un problème. Un tel pays peut-il retrouver croissance et développement sans aides extérieures ?

La question qui se pose ici est d’autant plus cruciale qu’elle ne concerne pas la seule  Côte d’Ivoire mais pourrait s’appliquer à bien des pays de la sous- région.

Quel avenir pour les pays en développement du continent africain. Surtout, quelle(s) stratégie(s) de développement ? Privilégier l’indépendance au temps – si tant est que cela soit possible- ou inversement ?

La Côte d’Ivoire, elle, a fait son choix. Selon Madani Tall, Chef des opérations de la Banque Mondiale en Côte d’Ivoire : « La Côte d’Ivoire est un pays spécial. Sa capacité de rebond est nettement supérieure à n’importe quel autre pays du continent. Voilà pourquoi il ne faut pas attendre pour la reconstruction. Nous allons aider massivement ce pays et bientôt, la Côte d’Ivoire n’aura plus besoin de la BIRD. »1

Giovanni DJOSSOU

 1 : allocution lors de la conférence au siège de la Banque Mondiale à Abidjan le 16 février 2012