Le système financier malgache

Madagascar sort de cinq ans de crise politique. Dans ce contexte délicat, il est utile de faire le point sur la santé du système financier. Il croît à partir d'une petite base et des risques apparaissent mais restent contenus. Les réformes visant à soutenir le développement du secteur financier sont néanmoins essentielles dans la mesure où il ne peut actuellement soutenir la diversification et la croissance économiques du fait d'un accès restreint aux financements. Un système financier plus développé permettrait de renforcer l'effet des politiques publiques, tant budgétaires que monétaires, et de faire de l'accès au crédit un moteur de la croissance. Il est nécessaire de renforcer la surveillance, d’améliorer la mise en place de la réglementation et de définir un cadre de résolution des crises pour assurer la stabilité financière.

  1. Panorama

Evolution du taux de change

Ces dernières années, Madagascar a enregistré une volatilité considérable des  flux de la balance des paiements. Cette volatilité était imputable à des investissements de grande échelle dans des projets miniers  et à l’instabilité économique causée par la récente crise. Il est donc difficile de porter un jugement définitif sur la stabilité et la compétitivité extérieures de Madagascar. Si les modèles du taux de change ne donnent pas une évaluation claire de la valorisation, d’autres preuves plus larges mettent en exergue l’insuffisance de la compétitivité.

 

Répercussion du taux de change à Madagascar

On estime que la répercussion du taux de change sur les prix intérieurs se situe aux environs de -0.35 à son pic, chiffre similaire aux estimations pour les autres pays d’Afrique subsaharienne. Il est également prouvé que les chocs plus marqués sur le taux de change ont une répercussion plus prononcée sur les prix que les chocs de moindre envergure. Cela suggère que les autorités devraient laisser le taux de change réagir aux chocs au lieu de laisser les déséquilibres s’accumuler ce qui finira par déboucher sur des corrections plus perturbatrices.

 

La mobilisation des recettes fiscales à Madagascar

Le ratio des recettes fiscales de Madagascar est l’un des plus faibles d’Afrique subsaharienne, et est loin de répondre aux besoins de développement importants du pays. L’objectif du gouvernement est de porter le ratio des impôts au PIB à 14 % environ à moyen terme. Pour y parvenir, il faudra prendre des mesures visant à élargir l’assiette de l’impôt, notamment en limitant les incitations fiscales, en faisant mieux respecter les obligations fiscales et en réduisant les possibilités d’évasion fiscale. Pour encourager la morale fiscale, ces efforts devront aller de pair avec une amélioration des services publics. 

 

  1. Recommendations

 

Comme c'est le cas dans de nombreux pays à faible revenu, le secteur bancaire domine le système financier malgache.

Dans l'ensemble, les banques sont en bonne santé mais il existe des poches de vulnérabilité, notamment chez les acteurs les plus récemment arrivés. Les nombreuses IMF offrent des services financiers restreints aux foyers à faible revenu, contribuant ainsi au renforcement de l'accès au système financier. Le reste du secteur financier national se constitue principalement des compagnies d'assurance. Il n'y a pas de marché boursier et le marché obligataire ne finance que l'état. L'analyse comparative montre que le système financier malgache n'est pas particulièrement inhabituel, vu les caractéristiques structurelles du pays.

Le système bancaire est stable mais comporte des poches de vulnérabilité, les principaux risques étant la concentration des crédits et la qualité des actifs; le secteur de la microfinance mérite un suivi minutieux.

Les ISF semblent indiquer que les banques sont, dans l’ensemble, suffisamment capitalisées, rentables et liquides. La profondeur financière s'est renforcée ces dernières années et correspond globalement aux caractéristiques structurelles du pays. Il reste néanmoins une marge d'approfondissement, ce qui faciliterait la mise en œuvre de la politique budgétaire et permettrait de gérer plus facilement la volatilité et de soutenir les investissements et la croissance. Le secteur de la microfinance doit être suivi de près, en particulier la gouvernance des IMF, la fermeture récente d'une institution étant un signal d'alarme clair.

 

La réglementation micro-prudentielle et la surveillance des banques et institutions de micro financement pourrait être renforcée.

Ce processus est déjà en cours avec le renforcement de l'équipe à la Commission de la Supervision Bancaire et Financière (CSBF). De nombreuses lacunes identifiées dans le PESF de Madagascar (2005) et de nombreuses analyses et recommandations faites à l'époque restent pertinentes. Une mesure importante serait de renforcer la surveillance internationale et de signer des arrangements administratifs avec des autorités de surveillance étrangères.

De plus, il ne suffit pas, pour avoir une bonne surveillance d'avoir un cadre réglementaire solide, qui existe déjà à Madagascar, mais il faut vouloir agir et le pouvoir, ce qui semble actuellement moins évident. La capacité d'action doit exister en droit et en fait. Les autorités de surveillance doivent avoir des ressources adéquates, du personnel compétent et en nombre suffisant et doivent rendre des comptes pour contrebalancer leur indépendance opérationnelle.

 

Les autorités sont incitées à améliorer la qualité de leurs statistiques et à avoir une vision plus globale du système financier et des risques systémiques.

En janvier 2013, la banque centrale a constitué une division de la stabilité financière dont le rôle est d'assurer un suivi macro prudentiel du secteur financier et d'identifier les principaux risques systémiques en mettant sur pied un système d'alerte précoce. Il est essentiel de développer cette compétence  alors que le système financier se complexifie, avec des interconnexions de plus en plus nombreuses entre banques et non-banques. Comme la crise mondiale l'a montré, avoir une vision systémique des choses permet aux autorités de surveillance de compléter leur approche micro prudentielle en intégrant les externalités qui s'accumulent. Il faudrait renforcer encore cette fonction. Le prochain Rapport sur la stabilité financière, résultant d'une autoévaluation, est un moyen de faire avancer une analyse de ce type.

 

Un autre domaine d'analyse potentiel est le cadre de prévention et de résolution des crises.

Le fait que des banques théoriquement insolvables puissent poursuivre leurs opérations ou qu'il faille plusieurs années pour fermer de telles banques pourrait illustrer des faiblesses dans le cadre de résolution des défaillances bancaires. Il sera important de définir un système de prévention des crises financières et des régimes spéciaux de résolution pour fermer les établissements bancaires.

Les récents évènements qui se sont déroulés dans la Grande Ile, notamment l’accueil des sommets du COMESA et le plus récent sommet de la francophonie vont apporter une bouffée d’air à l’économie malgache, il reste maintenant au gouvernement de bien gérer les investissements et les dons octroyés par les partenaires mondiaux de Madagascar afin d’éviter de replonger dans la série de crise qu’a connu le pays depuis son indépendance jusqu’aujourd’hui.

 

Omar Ibn Abdillah

 

Un contrat social pour financer l’émergence en Côte d’Ivoire

civLes personnes fortunées empruntent pour financer leurs investissements car les banques leur font confiance. Ceux qui ont moins de moyen, et qui ont donc davantage besoin de prêts, n'y ont pourtant pas accès et font souvent appel à la solidarité familiale ou communautaire pour leurs investissements. La même logique peut être faite à l’échelle des pays. Ceux à revenu élevé empruntent, tandis que les pays africains à revenu faible n'ont qu'un accès limité aux marchés de capitaux.

Au cours de ces dernières années, seul un quart des pays subsahariens ont pu accéder aux émissions obligataires internationales, les autres n’ayant d’unique choix que de solliciter l'aide internationale. Si les flux d'investissements direct étrangers, qui comptent pour près de 3 % du PIB de l’Afrique subsaharienne, ne sont pas négligeables, ils sont majoritairement dirigés vers l'extraction de ressources naturelles où 80 % à 90 % de ces montants ressortent presque immédiatement pour financer les importations nécessaires aux projets. Comment un pays comme la Côte d'Ivoire peut-il sortir de cette impasse ?

La réussite des pays émergents montre la voie à suivre. Si l'aide internationale peut financer l'impulsion initiale, les pays en quête d'émergence doivent avant tout compter sur eux-mêmes. Cela signifie qu'ils doivent mobiliser leurs propres ressources pour financer leur développement. Et c'est peut-être aussi là une définition de l'émergence.

Pour la Côte d'Ivoire, une telle option devrait se traduire par une augmentation de l’épargne domestique pour que celle-ci puisse financer les besoins du pays. Située à environ 20 % du PIB en Côte d’Ivoire, elle est pourtant au-dessus de la moyenne africaine et de celle des pays à bas revenu, mais reste éloigné du niveau des pays émergents d'Asie, où elle dépasse 30 %.

Le véritable problème de la Côte d'Ivoire en matière de financement domestique se situe sur un autre plan,  à deux niveaux. D'abord, l'État ne démontre pas de capacité à générer une épargne publique suffisante. La pression fiscale du pays s’établit à 16 % du PIB, soit en deçà des objectifs des décideurs politiques ivoiriens et de la région UEMOA (20 %), pourtant inférieurs aux taux observés au Maroc ou en Afrique du Sud (25 %).  Les autorités ivoiriennes ne mobilisent en outre que 25 % des recettes potentielles de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui pourraient être perçues sur l’ensemble des transactions internes du pays. À titre de comparaison, un pays émergent comme l'Ile Maurice affiche un taux de recouvrement équivalent à 75 % de son potentiel de TVA.

Le deuxième problème est lié à l'épargne privée. Le défi n'est pas tant d'augmenter son montant mais d'améliorer son affectation. Aujourd'hui, seuls 15 % des épargnants ivoiriens placent leurs économies dans le système financier local, un taux deux fois inférieur à la moyenne africaine. Ce choix ne permet pas de profiter du formidable effet de levier que pourrait générer le multiplicateur de crédit sur l'ensemble de l'économie. Par voie de conséquence, les montants de crédits octroyés par le système financier ivoirien s’élèvent à 30 % du PIB, alors que ceux-ci atteignent plus de 100 % dans des pays comme le Maroc, l'Afrique du Sud et l'Ile Maurice. Ce taux est par ailleurs inférieur aux montants recensés au Ghana, Sénégal et au Togo.

Imaginons que la Côte d'Ivoire puisse agir à la fois sur la mobilisation de son épargne publique et la capacité de crédit de son système financier. Imaginons encore que le recouvrement des impôts atteigne 20 % du PIB et que le taux de crédits augmente jusqu'à 80 % du PIB. Au taux de change actuel et en utilisant le revenu du pays en 2015, ces sources de financement s’établiraient à 40 milliards de dollars ou une hausse de 21 milliards de dollars par rapport aux montants déclarés fin 2015.

Les montants ainsi générés par les sources domestiques permettraient de compléter les engagements financiers extérieurs d’environ 25 milliards de dollars. Compte-tenu des annonces sur la période 2016-20 tenues par le Groupe Consultatif en mai dernier à Paris l'ensemble des financements intérieurs et extérieurs serait amplement suffisant pour couvrir les investissements identifiés par le Plan national de développement sur la période 2016-20, et pour ouvrir la voie vers l'émergence.

La question qui demeure est la suivante : comment parvenir à accroître la mobilisation et l'utilisation de l'épargne domestique tant du côté du secteur public que privé ?  La réponse est éminemment complexe  mais une chose est sûre : elle devra inclure un contrat social à travers lequel les différents acteurs se feront mutuellement confiance et qui possèdera des règles claires et transparentes qui chercheront à optimiser le bien-être collectif du pays et non pas les intérêts pécuniaires de certains groupes particuliers. Les contribuables devront pouvoir compter sur la bonne utilisation de leurs paiements par les pouvoirs publics. De même, les épargnants devront avoir confiance en leurs banques, lesquelles devront en retour avoir suffisamment d’assurances quant à l’effectivité du remboursement de leurs prêts.

Pour en savoir plus, consultez le dernier rapport sur la situation économique en Côte d'Ivoire.

Cet article est issu des Blogs publiés par la Banque Mondiale et soumis par JACQUES MORISSET.

Le devoir de résilience des banques transfrontalières africaines

VISUAL_ECOLa décennie en cours a vu le continent africain émettre des sons retentissant avec une aberrante insistance, dans les oreilles averties, intéressées ou juste égarées. Les tonalités qu’ont pu distinguer les uns, ne font guère penser au murmure du bébé sapiens sapiens dans un imaginaire berceau. Ce ne sont pas non plus des gargouillements de ventres affamés qu’ont pu reconnaitre les autres, mais bien des échos d’une explosion de chiffres connus des économistes. Le constat est sans appel : l’Afrique a répondu au rendez-vous de la croissance. Les indicateurs ont explosé et empruntent une tendance remarquablement haussière dans l’horizon visible. Le défi actuel est de renforcer cette croissance sur le long terme. Pour cela, s’impose un intérêt songeur pour l’environnement bancaire du continent.

S’il demeure un secret pour certains que le secteur privé est au cœur de la croissance africaine ; il s’agit sans doute d’un secret de polichinelle. Pour soutenir leurs croissances interne et externe, les entreprises africaines comme toute autre organisation à but lucratif, ont besoin de sérieuses ressources. Apparaissent au sommet de la pyramide de leurs besoins en ressources, les capitaux financiers. Au-delà des capitaux propres actionnariaux, les dettes financières viennent en support considérable. C’est alors que les organismes bancaires sont appelés à financer le secteur privé.

La santé économique de ces organismes bancaires devient donc cruciale pour les économies africaines. En effet, un déclin du secteur bancaire affecterait l’équilibre financier du secteur privé et poserait ainsi les bases d’une chute aussi rapide que brutale de la croissance.

Cet article vise à mettre en exergue la criticité du risque bancaire et à souligner l’importance voir l’urgence pour le secteur bancaire africain en forte expansion, de déployer les outils nécessaires à la relève de ses nombreux défis pour maîtriser ces risques.

1. La petite histoire du secteur bancaire africain

La sphère bancaire en Afrique a connu plusieurs phases. Ses prémices remontent aux années coloniales qui ont vu s’implanter des banques occidentales principalement commerciales qui, soutenaient les entreprises étrangères implantées sur le continent. Sur le fond d’accords de non-concurrence entre les anciennes métropoles, il existait une domination des banques françaises dans les colonies françaises, celle des banques portugaises dans les colonies portugaises et une importante présence des banques britanniques dans les colonies anglaises. Mais les Etats nouvellement indépendants au début des années 1960, vont très vite dénoncer les pratiques de ces banques étrangères dont les stratégies furent jugées inopportunes pour répondre aux besoins des nations avides de développement et aux aspirations des populations locales. C’est alors qu’une vague de banques africaines virent le jour, dans une tendance plutôt keynésienne où l’Etat pesait aussi lourd dans l’environnement économique que dans le capital des banques.

Seulement, en 1980 le continent n’échappa pas aux effets de la crise économique. Lesquels effets furent renforcés par l’échec des politiques interventionnistes. Les organismes bancaires, majoritairement nationaux, connurent alors de grandes secousses qui mirent sérieusement en cause leur stabilité. Seules les banques éthiopiennes, kenyanes et zimbabwéennes, qui avaient ouvert leur capital aux investisseurs privés ou bénéficiaient de meilleures gestions, avaient pu maintenir un certain équilibre.

Le processus de libéralisation du marché qui s’est timidement enclenché dans la deuxième moitié des années 1980, pour davantage s’affirmer dans les années 2000, a déclenché le renouveau du secteur bancaire africain. Alors que les banques étrangères, vieilles, voyaient leurs parts de marché décliner progressivement ; les banques africaines n’ont cessé de croître en capital et en surface. L’industrie bancaire africaine connaît désormais une expansion pour le moins rapide. Les dernières années ont été le témoin du développement spectaculaire des banques transfrontalières. Ecobank qui a été créé en 1985 au Togo, pour pallier l’absence de banques africaines non étatique dans la région ouest-africaine, est aujourd’hui présent dans 36 pays du continent. Le graphique ci-après donne un aperçu de l’évolution de la position géographique des principales banques transfrontalières.

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Source : – International Monetary Fund (2015). Pan-African Banks :Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight.

Le secteur bancaire africain connaît une forte expansion, visible dans la prolifération et le développement géographique des banques transfrontalières. Cette situation constitue une opportunité réelle pour les économies africaines. Elle porte en elle le soupçon de l’intégration africaine. Cependant, à la lumière de la crise financière de 2008 et dont la diffusion à l’économie réelle a été assurée par les banques ; l’importance des banques transfrontalières est aussi porteuse de risques qu’il conviendrait de contenir afin de ne pas fragiliser les perspectives socio-économiques du continent.

2. L’histoire bancaire contemporaine : entre expansions, crises et régulation

L’environnement bancaire et financier international a été récemment remis en cause, avec la crise de 2008. Cette crise a d’abord été immobilière, ensuite bancaire puis, rapidement économique, en raison de l’importance systémique des banques transfrontalières.

a. Focus  sur la crise de 2008

Des courtiers américains, non soumis à la règlementation bancaire, ont accordé des prêts immobiliers à des particuliers insolvables appelés « ninja : no income, no job, no assets ». Ces courtiers considéraient la prise spéculative de valeur des biens ou leur revente comme une garantie suffisante. Les emprunteurs sans ressources suffisantes, étant hors de tout registre normal de marché ; ces crédits étaient frappés de fortes marges d’où l’appellation « subprimes ». Seulement, en 2006 un effondrement confirmé du marché immobilier conduit à une vague de défauts de paiement et à des retards d’échéances pour des crédits hypothécaires « subprimes ». Or les banques dans leur majorité avaient eu recours aux services de ces courtiers, pour contourner la règlementation et alléger leurs actifs des éléments consommateurs de fonds propres. Des banques d’investissement de taille avaient investi dans des « subprimes ».  Par voie de conséquence, la crise immobilière intoxique l’environnement bancaire. En juin 2007, la banque d’investissement Bear Stearns annonce la chute de la valeur de deux de ses fonds qui ont investi dans des « subprimes ». Dans la même période, la banque allemande IKB se déclare en grandes difficultés. Quelques mois plus tard, la banque française BNP Paribas et la société de gestion Oddo annoncent le gel des souscriptions et rachats sur des fonds exposés aux « subprimes ». D’autres banques internationales comme Citigroup et UBS passent des provisions sur leurs engagements « subprimes ». Les produits « toxiques » n’étaient pas qu’à Wall Street. Ils étaient éparpillés dans le monde entier.

Le 15 septembre 2008, La banque d’investissement Merrill Lynch a été reprise de justesse par Bank of America et la 4ème banque d’investissement américaine Lehman Brothers, alors vieille de 158 ans et comptant 26000 collaborateurs dans le monde, se déclara en faillite. Cette banque pourtant considérée comme « Too big to fail » c’est- à- dire, trop critique de par sa taille et son poids, pour ne pas être sauvée, n’a pas été secourue par la réserve fédérale américaine. Celle-ci donnait un signal : aucune banque n’est à l’abri de la faillite.

Bear Stearns dont la valorisation boursière frôlait la dérision a été rachetée, pour un prix pour le moins symbolique, par JP Morgan. Cette dernière et Morgan Stanley prendront le statut de banque commerciale, sonnant ainsi la fin des banques d’investissement aux Etats-Unis.

La faillite de Lehman Brothers a accentué la crise bancaire. En effet, le manque de transparence et la difficulté de localisation de la contrepartie des 85 milliards de titres toxiques du géant disparu, a créé une défiance au sein du secteur et un assèchement de liquidité. Au plus fort de la crise, les Etats essentiellement par le biais des banques centrales, venaient au secours aux banques, en acceptant de racheter leurs produits toxiques et en injectant de la liquidité. Certaines banques au bord de la faillite sont nationalisées. Les conséquences sur l’économie réelle furent immédiates en raison notamment de la diminution des lignes de crédit et du refuge des agents économiques dans des matières premières jugées moins risquées comme le pétrole et les produits agricoles. Le prix du baril de pétrole grimpa, la confiance des ménages prit un coup et la consommation ralentit. Le secteur automobile est atteint : trois mois après l’effondrement de Chrisler, General Motors faisait faillite en 2009. L’Etat français vola à la rescousse de PSA et Renault pour éviter le pire. Les entreprises devaient revoir leurs stratégies financière et sociale pour survivre.

Nul doute que cette crise en est pour beaucoup dans la crise de la dette souveraine européenne.

b. Les réactions : renforcement des dispositifs de contrôle des banques

En matière de régulation du système bancaire mondiale, c’est le comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire (CBCB) qui a la légitimité internationale. Sa charte donne un aperçu de son organisation et de ses activités.  Elle a considéré que la gravité de la récente crise est due au développement d’un effet de levier excessif, à la dégradation du niveau et de la qualité des fonds propres et à l’insuffisance des volants de liquidité. L’effet de massue (inversion de l’effet de levier) et l’interdépendance des établissements financiers d’importance systémique dans le cadre d’un grand nombre de transactions complexes, ont amplifié la situation. Pour la CBCB, il devenait aussi impératif qu’urgent de renforcer les dispositifs de contrôle et de supervision des activités bancaires afin d’assurer la résilience à court et à long terme des banques en générale et de celles transfrontalières en particulier. Le comité prend alors des mesures qui visent la solidité des systèmes de gouvernance et de gestion des risques puis, la transparence et la communication financière. L’ensemble de ces mesures a été publié en décembre 2010 sous le dispositif Bâle 3. Celle- ci complète le cadre règlementaire posé par les précédents dispositifs. Le premier, Bâle 1 instaurait le ratio dit « Cooke » de 8% du poids des fonds propres. L’essentiel des dispositifs suivants, Bâle 2 et Bâle 2,5 peut se résumer comme suit :

  • Bâle 2 diffusé en 2004, pour une mise en application dès la fin 2006 apportait des améliorations à la mesure du risque de crédit et intégrait le risque opérationnel. Il repose sur trois piliers : les exigences minimales de fonds propres (1er pilier), un processus de surveillance prudentielle (2e pilier) et la discipline de marché (3e pilier).
  • Bâle 2,5 approuvé en juillet 2009, pour une mise en application au 31 décembre 2011, a renforcé la mesure des risques liés aux titrisations et aux expositions du portefeuille de négociation.

Le dispositif Bâle 3 a été mis en application à compter du 1er janvier 2013 et ses exigences prendront pleinement effet au 1er janvier 2019 (Cf. Calendrier de mise en œuvre de Bâle 3). Il a pour principaux objectifs (Cf. Tableau synthétique des mesures de Bâle 3) :

  • le renforcement du dispositif mondial des fonds propres par l’amélioration de la qualité, de l’homogénéité et de la transparence des fonds propres ; l’extension de la couverture des risques ; la mise en place d’un ratio de levier; la réduction de la pro-cyclicité et ; la gestion du risque systémique et de l’interdépendance des établissements.
  • l’instauration de normes mondiales de liquidité par la mise en place d’un ratio de liquidité à court terme (LCR : Liquidity Corverage Ratio) ; d’un ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR : Net Stable Funding Ratio) et d’outils de suivi.

La crise économique de 2008 a montré que les banques transfrontalières, peu importe leur taille, ne sont pas à l’abri de la faillite, sous les effets de crises qu’elles peuvent déclencher, favoriser ou faire propager. Le Comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire a pleinement conscience de cela et réagit sans délai, en renforçant le contrôle et la supervision bancaire. En témoigne la mise en application récente du dispositif Bâle 3.

3. Les défis du secteur bancaire africain

Si le continent africain n’a pas trainé des séquelles de la crise de 2008, elle ne peut l’ignorer et devrait s’en approprier les enseignements. Le manque d’expérience ou la relative jeunesse du secteur bancaire africain ne seraient point des excuses. Le bon sens voudrait d’une Afrique qui prenne le train de la tendance bancaire mondiale en marche.

Le secteur bancaire africain qui se veut aussi prospère que résilient doit œuvrer pour :

  • une gouvernance transparente et responsable ;
  • de robustes systèmes de contrôle interne et de gestion des risques ;
  • un système d’information et de communication transparent et uniforme.

La supervision bancaire transfrontalière apparaît alors plus comme une exigence, qu’une option.

a. L’Afrique s’inscrit- elle dans la dynamique mondiale de la normalisation financière et de la régulation bancaire ? Ou en est- elle dans l’application des normes IFRS et des dispositifs Bâle ?

Le tableau suivant donne des éléments de réponse.

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Source : International Monetary Fund (2015), Pan-African Banks—Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight. CBCB (2015), Eighth progress report on adoption of the Basel regulatory framework. http://www.ifrs.org/Use-around-the-world/Pages/Jurisdiction-profiles.aspx

On peut noter que la majorité des Etats ont adopté ou prévoit d’adopter les normes IFRS. Toutefois, on ne saurait en dire autant des dispositifs du CBCB. Seule l’Afrique du Sud, unique pays africain dont la juridiction est présente au CBCB, est très avancée dans l’application des dispositifs Bâlois. A jour du calendrier d’adoption des mesures de Bâle 3, la South African Reserve Bank apparaît comme un bon élève de la classe des 28 membres du comité, comme le montre le rapport sur la mise en œuvre du cadre règlementaire de Bâle publié en Avril 2015.

b. Quelle posture s’impose aux banques transfrontalières africaines ?

La présente analyse n’est pas une plaidoirie pour un alignement systématique des banques transfrontalières africaines, sur le cadre international, par l’adoption automatique des dispositifs du CBCB en général et de Bâle 3 en particulier. Les mesures bâloises sont des exigences minimum d’application facultative pour ses membres et tout autre organisme bancaire. Il revient à l’Afrique bancaire d’en faire une source d’inspiration ou un usage réfléchi. Une théorie de la solution « prêt-à-transposer » ou du remède unique sans considération de l’environnement et du projet africain, ne serait qu’utopie. Le but premier est d’attirer l’attention sur les défis de cette Afrique bancaire qui n’a pas droit à la complaisance car sa résistance au choc est essentielle pour sa propre pérennité et vitale pour l’Afrique « émergente ».

Il urge que place soit faite à la réflexion pour imager le secteur bancaire africain qui allie expansion, prise de risques mesurés et stabilité. L’Afrique doit définir le plus rapidement, des outils de résilience bancaire adéquats, au regard du son environnement juridique, comptable, financier, du niveau actuel et visé d’intégration et des objectifs stratégiques bancaires.

Delphine Anglo

Références :

  • International Monetary Fund, (2015), Pan-African Banks—Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight
  • The World Bank, (2014), Making Cross-Border Banking Work for Africa
  • CBCB, (2015), Eighth progress report on adoption of the Basel regulatory framework
  • CBCB, (2014), Bâle III : Ratio structurel de liquidité à long terme
  • CBCB, (2013), Bâle III : Ratio de liquidité à court terme et outils de suivi du risque de liquidité
  • CBCB, (2010), Bâle III : dispositif réglementaire mondial visant à renforcer la résilience des établissements et systèmes bancaires
  • Banques transfrontalières africaines, Rapports annuels 2014
  • Sites internet des Banques transfrontalières africaines
  • http://www.ifrs.org/Use-around-the-world/Pages/Jurisdiction-profiles.aspx
  • https://www.bis.org/bcbs/index.htm?m=3%7C14

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