Madagascar : État des lieux du système financier post-crise et pistes de réforme

En 2017, Madagascar se trouve à la croisée des chemins. Après une période de transition politique prolongée (2009-2013) ayant ralenti la dynamique économique, le pays cherche à asseoir une croissance plus inclusive et résiliente. Le redressement observé ces dernières années — avec une croissance du PIB réel estimée à 4,1 % — masque toutefois la persistance de fragilités structurelles, notamment au sein de son système financier, encore peu profond, faiblement diversifié et peu accessible à la majorité de la population.

Une reprise économique entravée par une faible mobilisation des ressources et une pression budgétaire persistante

Actuellement, Madagascar affiche une croissance économique soutenue autour de 4 % du PIB, après une décennie de stagnation alimentée par l’instabilité politique. Ce redressement, encore fragile, repose sur quelques moteurs limités : les industries extractives, l’agriculture vivrière, les investissements publics — notamment via l’aide internationale — et une reprise timide du tourisme. Toutefois, cette dynamique reste insuffisante pour absorber la croissance démographique annuelle de 2,8 %, ni pour réduire significativement la pauvreté, qui touche plus de 70 % de la population.

La faible mobilisation des ressources domestiques demeure un obstacle majeur : avec un ratio impôts/PIB de 10,5 %, Madagascar se situe bien en dessous de la moyenne de l’Afrique subsaharienne (environ 18 % en 2017). Cette contrainte fiscale limite drastiquement la capacité de l’État à financer des politiques de développement, à investir dans l’infrastructure et à soutenir la transition vers une économie verte.

Un environnement institutionnel sous tension

Le retour progressif à la stabilité institutionnelle ne suffit pas à compenser les faiblesses structurelles de l’administration publique et du système de gouvernance économique.  Cette année la Banque centrale (Banque centrale de Madagascar – BCM) continue de jouer un rôle prudentiel limité, malgré la mise en place récente d’une division de stabilité financière. La coordination entre politiques monétaires et budgétaires reste lacunaire, et la régulation financière manque de moyens humains et techniques.

En matière de politique de développement durable, Madagascar s’est engagé sur la voie des ODD, mais les instruments de planification et de suivi restent embryonnaires. Aucun mécanisme intégré ne permet, à ce stade, d’évaluer l’impact budgétaire et financier des priorités liées à l’environnement, à la santé ou à l’éducation — freinant l’alignement du système financier avec les objectifs globaux de durabilité.

Vulnérabilités externes

Le pays reste vulnérable aux chocs externes. La volatilité des investissements miniers, combinée à une dépendance forte aux importations de produits pétroliers et alimentaires, expose Madagascar aux fluctuations des marchés mondiaux. Le taux de change du franc malgache (MGA) subit de fortes pressions : bien que flottant officiellement, il est sujet à des interventions de la Banque centrale, avec un effet répercuté sur l’inflation importée, estimé à -0,35 sur les prix intérieurs à son pic.

Un secteur bancaire stable mais peu inclusif face aux besoins de diversification économique

Un secteur bancaire stable mais peu profond

Le système bancaire malgache, dominé par onze établissements, présente en 2017 une stabilité globale. Les quatre principales banques détiennent à elles seules plus de 85 % des actifs du secteur, témoignant d’une concentration élevée. Les indicateurs prudentiels sont conformes aux exigences de Bâle II : le ratio de solvabilité moyen s’élève à 14 %, largement supérieur au minimum réglementaire de 8 %, et la liquidité globale reste satisfaisante.

Cependant, cette stabilité masque une profondeur financière très limitée. Le crédit au secteur privé représente environ 14 % du PIB, un niveau inférieur à la moyenne de l’Afrique subsaharienne (25 %). La majorité des crédits est orientée vers les secteurs tertiaires (commerce et services), tandis que les secteurs productifs — agriculture, énergie, industries manufacturières — peinent à accéder à des financements adaptés.

Des vulnérabilités structurelles persistantes

Concentration des risques :
La forte exposition au secteur informel, aux grandes entreprises commerciales, et aux obligations d’État introduit un biais systémique. En 2017, 22 % des crédits sont destinés au commerce, et 15 % des actifs bancaires sont constitués de titres de dette publique. Une réallocation sectorielle serait nécessaire pour réduire les risques de concentration et soutenir la diversification économique.

Cadre réglementaire incomplet :
Malgré des efforts de modernisation, le cadre réglementaire reste partiellement appliqué. La Commission de Supervision Bancaire et Financière (CSBF) manque de ressources humaines et technologiques pour mener une supervision efficace et proactive. La supervision basée sur les risques est encore embryonnaire, et les stress tests systémiques peu utilisés.

Asymétrie d’information :
L’absence d’un bureau de crédit pleinement opérationnel limite les capacités d’analyse des risques des établissements financiers. Cela entraîne un rationnement du crédit, notamment pour les PME et les porteurs de projets agricoles ou innovants, qui ne disposent pas d’un historique bancaire structuré.

Le secteur de la microfinance : inclusion et fragilité

Le secteur des institutions de microfinance (IMF), bien que dynamique, montre des signes de vulnérabilité croissante. En 2016, environ 750 000 personnes étaient clientes des IMF. Toutefois, la fermeture brutale d’une institution majeure en 2017 a révélé les failles de gouvernance et le manque de mécanismes de contrôle interne. La gouvernance, la qualité des portefeuilles et la formation des gestionnaires restent des défis majeurs.

Le rôle de ces institutions est crucial pour la bancarisation des populations rurales, encore majoritairement exclues du système financier formel. Or, l’impact réel sur le développement reste à mesurer, tant les prêts restent limités en taille et en durée, avec peu de mécanismes d’évaluation d’impact.

Absence de marchés de capitaux

Madagascar ne dispose pas encore, en 2017, d’un marché boursier local. Le financement par émission d’obligations est essentiellement réservé à l’État via le Trésor public. Cette situation limite les capacités de mobilisation de ressources à long terme pour les entreprises privées, en particulier les PME.

Le développement de marchés de capitaux, même rudimentaires (fonds d’investissement, obligations vertes locales, véhicules de financement mixte), pourrait représenter un levier stratégique pour financer la transition énergétique ou des projets d’infrastructure durable.

Faiblesses structurelles et vulnérabilités du système financier

Malgré une relative stabilité des grands agrégats bancaires, le système financier malgache reste caractérisé par de nombreuses fragilités qui freinent sa capacité à jouer pleinement son rôle de levier pour le développement économique.

Concentration excessive des actifs et crédits non productifs

La structure oligopolistique du secteur bancaire — avec quatre institutions contrôlant plus de 85 % des actifs — pose un risque systémique en cas de défaillance. À cela s’ajoute une allocation inefficiente des crédits : en 2017, environ 22 % des prêts bancaires étaient orientés vers le commerce et la consommation, tandis que des secteurs stratégiques comme l’énergie ou l’agro-industrie recevaient moins de 5 %. Ce déséquilibre limite l’impact des financements sur la transformation structurelle de l’économie.

Une microfinance sous tension

Le secteur des institutions de microfinance (IMF), bien que central pour l’inclusion financière, reste fragile. En 2016, la Banque centrale recensait plus de 30 IMF, mais une part importante opérait en dehors de toute supervision rigoureuse. La fermeture d’une IMF d’envergure nationale en 2017 a révélé d’importantes lacunes en matière de gouvernance, de transparence financière et de protection des clients. Le taux de pénétration des services financiers dans les zones rurales demeure faible, en particulier pour les femmes et les agriculteurs.

Absence de marchés financiers dynamiques

Madagascar ne disposait, en 2017, ni d’une bourse locale active, ni d’un marché secondaire développé. Les émissions obligataires étaient quasi exclusivement utilisées par l’État pour refinancer sa dette intérieure. Cette situation limite l’émergence d’un financement de long terme pour les entreprises, en particulier les PME, freinant ainsi leur croissance et leur formalisation.

Déficit de données et asymétrie d’information

L’absence de registre de crédit opérationnel, combinée à une couverture limitée du système d’information centralisé, accroît les coûts de financement pour les emprunteurs et limite la concurrence entre établissements. Cette carence accentue également les risques de surendettement et d’exclusion pour les acteurs les plus vulnérables.

Sous-développement de la finance durable

À ce jour, les politiques publiques ne prévoyaient aucun cadre spécifique à la finance verte ou à l’investissement socialement responsable. Pourtant, dans un contexte de vulnérabilité climatique aiguë, intégrer des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans le système bancaire aurait permis de mobiliser des financements innovants et de répondre aux enjeux posés par les Objectifs de Développement Durable (ODD), notamment l’ODD 8 (travail décent et croissance économique) et l’ODD 17 (partenariats pour le développement).

Recommandations et leviers de réforme

Pour permettre au système financier malgache de jouer un rôle catalyseur dans le développement économique, il est impératif d’engager des réformes structurelles ambitieuses, articulées autour de cinq axes principaux.

Renforcement de la supervision et de la régulation

L’efficience de la supervision repose non seulement sur la qualité du cadre légal, mais également sur les capacités institutionnelles à le faire respecter. Il est essentiel de :

  • Renforcer les ressources humaines et techniques de la Commission de Supervision Bancaire et Financière (CSBF).
  • Mettre en œuvre une supervision fondée sur le risque, axée sur la prévention des défaillances systémiques.
  • Mettre à jour les accords de coopération avec les régulateurs régionaux et internationaux pour renforcer la surveillance transfrontalière.
  • Instaurer un véritable cadre de résolution bancaire, avec des mécanismes d’intervention rapide en cas d’insolvabilité.

Développement de la finance inclusive

Le succès de la Stratégie Nationale d’Inclusion Financière (2018-2022) dépendra de :

  • L’extension de la finance numérique (notamment le mobile money), dont le taux d’utilisation a doublé entre 2012 et 2016.
  • La promotion de produits financiers adaptés aux petits exploitants, femmes et jeunes entrepreneurs.
  • L’encadrement rigoureux des institutions de microfinance, à travers un système de notation et un dispositif de protection des clients.
  • Le développement de l’éducation financière à l’échelle nationale, en ciblant les zones rurales et les groupes vulnérables.

Stimulation des marchés de capitaux

Créer un marché boursier régional ou national offrirait aux entreprises un accès à des capitaux à long terme et réduirait leur dépendance aux prêts bancaires. Des initiatives peuvent inclure :

  • L’instauration d’un cadre juridique incitatif pour les émissions d’obligations d’entreprises.
  • La création d’un guichet unique pour la notation des PME à fort potentiel.
  • L’introduction progressive de produits verts ou éthiques (obligations durables, sukuks verts) alignés sur les principes de la finance durable.

Modernisation des infrastructures financières

La réussite des politiques monétaires et budgétaires dépend de la modernisation du système de paiement. Cela nécessite :

  • La numérisation complète des opérations de la banque centrale et des ministères financiers.
  • L’interopérabilité entre les différents opérateurs de mobile banking.
  • L’élargissement des systèmes de compensation pour intégrer les paiements électroniques des zones rurales.
  • Intégration de la finance durable dans les politiques publiques

Alors que Madagascar reste vulnérable aux chocs climatiques, il est urgent de :

  • Élaborer un cadre national pour la finance verte, en lien avec les ODD et l’Accord de Paris.
  • Mobiliser les partenaires techniques et financiers pour créer des instruments de financement adaptés (fonds de garantie climat, mécanismes de blended finance).
  • Intégrer des critères ESG dans les politiques d’investissement public, notamment dans les secteurs des infrastructures, de l’agriculture et de l’énergie.

Madagascar sort progressivement d’une période de turbulence politique, et amorce aujourd’hui une trajectoire de redressement économique. Pourtant, son système financier reste encore embryonnaire, sous-dimensionné face aux besoins d’un pays en quête de transformation structurelle. Le crédit au secteur productif demeure trop limité, les marchés de capitaux inexistants, et les dispositifs d’inclusion financière peinent à répondre aux enjeux sociaux.

Les autorités mettent en œuvre des réformes ambitieuses — modernisation de la réglementation bancaire, stratégie nationale d’inclusion financière, promotion des paiements électroniques — mais leur impact reste conditionné par leur coordination et leur appropriation effective. Le renforcement des capacités de la supervision bancaire, l’amélioration de la gouvernance des institutions financières et la mise en place d’outils d’analyse des risques systémiques sont aujourd’hui essentiels.

Par ailleurs, les discussions mondiales sur la finance durable et la mobilisation des ressources pour les Objectifs de Développement Durable (ODD) interpellent aussi Madagascar. Le pays ne peut rester en marge de ces dynamiques : l’intégration progressive des critères ESG, même dans un cadre encore informel, représente une opportunité pour orienter l’investissement vers des secteurs porteurs, inclusifs et résilients.

En 2017, les bases sont posées. L’enjeu est désormais d’accélérer les réformes, tout en assurant leur ancrage local, pour faire du système financier un véritable levier de souveraineté économique et de prospérité partagée.

Par Omar Ibn Abdillah

Un contrat social pour financer l’émergence en Côte d’Ivoire

civLes personnes fortunées empruntent pour financer leurs investissements car les banques leur font confiance. Ceux qui ont moins de moyen, et qui ont donc davantage besoin de prêts, n'y ont pourtant pas accès et font souvent appel à la solidarité familiale ou communautaire pour leurs investissements. La même logique peut être faite à l’échelle des pays. Ceux à revenu élevé empruntent, tandis que les pays africains à revenu faible n'ont qu'un accès limité aux marchés de capitaux.

Au cours de ces dernières années, seul un quart des pays subsahariens ont pu accéder aux émissions obligataires internationales, les autres n’ayant d’unique choix que de solliciter l'aide internationale. Si les flux d'investissements direct étrangers, qui comptent pour près de 3 % du PIB de l’Afrique subsaharienne, ne sont pas négligeables, ils sont majoritairement dirigés vers l'extraction de ressources naturelles où 80 % à 90 % de ces montants ressortent presque immédiatement pour financer les importations nécessaires aux projets. Comment un pays comme la Côte d'Ivoire peut-il sortir de cette impasse ?

La réussite des pays émergents montre la voie à suivre. Si l'aide internationale peut financer l'impulsion initiale, les pays en quête d'émergence doivent avant tout compter sur eux-mêmes. Cela signifie qu'ils doivent mobiliser leurs propres ressources pour financer leur développement. Et c'est peut-être aussi là une définition de l'émergence.

Pour la Côte d'Ivoire, une telle option devrait se traduire par une augmentation de l’épargne domestique pour que celle-ci puisse financer les besoins du pays. Située à environ 20 % du PIB en Côte d’Ivoire, elle est pourtant au-dessus de la moyenne africaine et de celle des pays à bas revenu, mais reste éloigné du niveau des pays émergents d'Asie, où elle dépasse 30 %.

Le véritable problème de la Côte d'Ivoire en matière de financement domestique se situe sur un autre plan,  à deux niveaux. D'abord, l'État ne démontre pas de capacité à générer une épargne publique suffisante. La pression fiscale du pays s’établit à 16 % du PIB, soit en deçà des objectifs des décideurs politiques ivoiriens et de la région UEMOA (20 %), pourtant inférieurs aux taux observés au Maroc ou en Afrique du Sud (25 %).  Les autorités ivoiriennes ne mobilisent en outre que 25 % des recettes potentielles de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui pourraient être perçues sur l’ensemble des transactions internes du pays. À titre de comparaison, un pays émergent comme l'Ile Maurice affiche un taux de recouvrement équivalent à 75 % de son potentiel de TVA.

Le deuxième problème est lié à l'épargne privée. Le défi n'est pas tant d'augmenter son montant mais d'améliorer son affectation. Aujourd'hui, seuls 15 % des épargnants ivoiriens placent leurs économies dans le système financier local, un taux deux fois inférieur à la moyenne africaine. Ce choix ne permet pas de profiter du formidable effet de levier que pourrait générer le multiplicateur de crédit sur l'ensemble de l'économie. Par voie de conséquence, les montants de crédits octroyés par le système financier ivoirien s’élèvent à 30 % du PIB, alors que ceux-ci atteignent plus de 100 % dans des pays comme le Maroc, l'Afrique du Sud et l'Ile Maurice. Ce taux est par ailleurs inférieur aux montants recensés au Ghana, Sénégal et au Togo.

Imaginons que la Côte d'Ivoire puisse agir à la fois sur la mobilisation de son épargne publique et la capacité de crédit de son système financier. Imaginons encore que le recouvrement des impôts atteigne 20 % du PIB et que le taux de crédits augmente jusqu'à 80 % du PIB. Au taux de change actuel et en utilisant le revenu du pays en 2015, ces sources de financement s’établiraient à 40 milliards de dollars ou une hausse de 21 milliards de dollars par rapport aux montants déclarés fin 2015.

Les montants ainsi générés par les sources domestiques permettraient de compléter les engagements financiers extérieurs d’environ 25 milliards de dollars. Compte-tenu des annonces sur la période 2016-20 tenues par le Groupe Consultatif en mai dernier à Paris l'ensemble des financements intérieurs et extérieurs serait amplement suffisant pour couvrir les investissements identifiés par le Plan national de développement sur la période 2016-20, et pour ouvrir la voie vers l'émergence.

La question qui demeure est la suivante : comment parvenir à accroître la mobilisation et l'utilisation de l'épargne domestique tant du côté du secteur public que privé ?  La réponse est éminemment complexe  mais une chose est sûre : elle devra inclure un contrat social à travers lequel les différents acteurs se feront mutuellement confiance et qui possèdera des règles claires et transparentes qui chercheront à optimiser le bien-être collectif du pays et non pas les intérêts pécuniaires de certains groupes particuliers. Les contribuables devront pouvoir compter sur la bonne utilisation de leurs paiements par les pouvoirs publics. De même, les épargnants devront avoir confiance en leurs banques, lesquelles devront en retour avoir suffisamment d’assurances quant à l’effectivité du remboursement de leurs prêts.

Pour en savoir plus, consultez le dernier rapport sur la situation économique en Côte d'Ivoire.

Cet article est issu des Blogs publiés par la Banque Mondiale et soumis par JACQUES MORISSET.

Le devoir de résilience des banques transfrontalières africaines

VISUAL_ECOLa décennie en cours a vu le continent africain émettre des sons retentissant avec une aberrante insistance, dans les oreilles averties, intéressées ou juste égarées. Les tonalités qu’ont pu distinguer les uns, ne font guère penser au murmure du bébé sapiens sapiens dans un imaginaire berceau. Ce ne sont pas non plus des gargouillements de ventres affamés qu’ont pu reconnaitre les autres, mais bien des échos d’une explosion de chiffres connus des économistes. Le constat est sans appel : l’Afrique a répondu au rendez-vous de la croissance. Les indicateurs ont explosé et empruntent une tendance remarquablement haussière dans l’horizon visible. Le défi actuel est de renforcer cette croissance sur le long terme. Pour cela, s’impose un intérêt songeur pour l’environnement bancaire du continent.

S’il demeure un secret pour certains que le secteur privé est au cœur de la croissance africaine ; il s’agit sans doute d’un secret de polichinelle. Pour soutenir leurs croissances interne et externe, les entreprises africaines comme toute autre organisation à but lucratif, ont besoin de sérieuses ressources. Apparaissent au sommet de la pyramide de leurs besoins en ressources, les capitaux financiers. Au-delà des capitaux propres actionnariaux, les dettes financières viennent en support considérable. C’est alors que les organismes bancaires sont appelés à financer le secteur privé.

La santé économique de ces organismes bancaires devient donc cruciale pour les économies africaines. En effet, un déclin du secteur bancaire affecterait l’équilibre financier du secteur privé et poserait ainsi les bases d’une chute aussi rapide que brutale de la croissance.

Cet article vise à mettre en exergue la criticité du risque bancaire et à souligner l’importance voir l’urgence pour le secteur bancaire africain en forte expansion, de déployer les outils nécessaires à la relève de ses nombreux défis pour maîtriser ces risques.

1. La petite histoire du secteur bancaire africain

La sphère bancaire en Afrique a connu plusieurs phases. Ses prémices remontent aux années coloniales qui ont vu s’implanter des banques occidentales principalement commerciales qui, soutenaient les entreprises étrangères implantées sur le continent. Sur le fond d’accords de non-concurrence entre les anciennes métropoles, il existait une domination des banques françaises dans les colonies françaises, celle des banques portugaises dans les colonies portugaises et une importante présence des banques britanniques dans les colonies anglaises. Mais les Etats nouvellement indépendants au début des années 1960, vont très vite dénoncer les pratiques de ces banques étrangères dont les stratégies furent jugées inopportunes pour répondre aux besoins des nations avides de développement et aux aspirations des populations locales. C’est alors qu’une vague de banques africaines virent le jour, dans une tendance plutôt keynésienne où l’Etat pesait aussi lourd dans l’environnement économique que dans le capital des banques.

Seulement, en 1980 le continent n’échappa pas aux effets de la crise économique. Lesquels effets furent renforcés par l’échec des politiques interventionnistes. Les organismes bancaires, majoritairement nationaux, connurent alors de grandes secousses qui mirent sérieusement en cause leur stabilité. Seules les banques éthiopiennes, kenyanes et zimbabwéennes, qui avaient ouvert leur capital aux investisseurs privés ou bénéficiaient de meilleures gestions, avaient pu maintenir un certain équilibre.

Le processus de libéralisation du marché qui s’est timidement enclenché dans la deuxième moitié des années 1980, pour davantage s’affirmer dans les années 2000, a déclenché le renouveau du secteur bancaire africain. Alors que les banques étrangères, vieilles, voyaient leurs parts de marché décliner progressivement ; les banques africaines n’ont cessé de croître en capital et en surface. L’industrie bancaire africaine connaît désormais une expansion pour le moins rapide. Les dernières années ont été le témoin du développement spectaculaire des banques transfrontalières. Ecobank qui a été créé en 1985 au Togo, pour pallier l’absence de banques africaines non étatique dans la région ouest-africaine, est aujourd’hui présent dans 36 pays du continent. Le graphique ci-après donne un aperçu de l’évolution de la position géographique des principales banques transfrontalières.

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Source : – International Monetary Fund (2015). Pan-African Banks :Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight.

Le secteur bancaire africain connaît une forte expansion, visible dans la prolifération et le développement géographique des banques transfrontalières. Cette situation constitue une opportunité réelle pour les économies africaines. Elle porte en elle le soupçon de l’intégration africaine. Cependant, à la lumière de la crise financière de 2008 et dont la diffusion à l’économie réelle a été assurée par les banques ; l’importance des banques transfrontalières est aussi porteuse de risques qu’il conviendrait de contenir afin de ne pas fragiliser les perspectives socio-économiques du continent.

2. L’histoire bancaire contemporaine : entre expansions, crises et régulation

L’environnement bancaire et financier international a été récemment remis en cause, avec la crise de 2008. Cette crise a d’abord été immobilière, ensuite bancaire puis, rapidement économique, en raison de l’importance systémique des banques transfrontalières.

a. Focus  sur la crise de 2008

Des courtiers américains, non soumis à la règlementation bancaire, ont accordé des prêts immobiliers à des particuliers insolvables appelés « ninja : no income, no job, no assets ». Ces courtiers considéraient la prise spéculative de valeur des biens ou leur revente comme une garantie suffisante. Les emprunteurs sans ressources suffisantes, étant hors de tout registre normal de marché ; ces crédits étaient frappés de fortes marges d’où l’appellation « subprimes ». Seulement, en 2006 un effondrement confirmé du marché immobilier conduit à une vague de défauts de paiement et à des retards d’échéances pour des crédits hypothécaires « subprimes ». Or les banques dans leur majorité avaient eu recours aux services de ces courtiers, pour contourner la règlementation et alléger leurs actifs des éléments consommateurs de fonds propres. Des banques d’investissement de taille avaient investi dans des « subprimes ».  Par voie de conséquence, la crise immobilière intoxique l’environnement bancaire. En juin 2007, la banque d’investissement Bear Stearns annonce la chute de la valeur de deux de ses fonds qui ont investi dans des « subprimes ». Dans la même période, la banque allemande IKB se déclare en grandes difficultés. Quelques mois plus tard, la banque française BNP Paribas et la société de gestion Oddo annoncent le gel des souscriptions et rachats sur des fonds exposés aux « subprimes ». D’autres banques internationales comme Citigroup et UBS passent des provisions sur leurs engagements « subprimes ». Les produits « toxiques » n’étaient pas qu’à Wall Street. Ils étaient éparpillés dans le monde entier.

Le 15 septembre 2008, La banque d’investissement Merrill Lynch a été reprise de justesse par Bank of America et la 4ème banque d’investissement américaine Lehman Brothers, alors vieille de 158 ans et comptant 26000 collaborateurs dans le monde, se déclara en faillite. Cette banque pourtant considérée comme « Too big to fail » c’est- à- dire, trop critique de par sa taille et son poids, pour ne pas être sauvée, n’a pas été secourue par la réserve fédérale américaine. Celle-ci donnait un signal : aucune banque n’est à l’abri de la faillite.

Bear Stearns dont la valorisation boursière frôlait la dérision a été rachetée, pour un prix pour le moins symbolique, par JP Morgan. Cette dernière et Morgan Stanley prendront le statut de banque commerciale, sonnant ainsi la fin des banques d’investissement aux Etats-Unis.

La faillite de Lehman Brothers a accentué la crise bancaire. En effet, le manque de transparence et la difficulté de localisation de la contrepartie des 85 milliards de titres toxiques du géant disparu, a créé une défiance au sein du secteur et un assèchement de liquidité. Au plus fort de la crise, les Etats essentiellement par le biais des banques centrales, venaient au secours aux banques, en acceptant de racheter leurs produits toxiques et en injectant de la liquidité. Certaines banques au bord de la faillite sont nationalisées. Les conséquences sur l’économie réelle furent immédiates en raison notamment de la diminution des lignes de crédit et du refuge des agents économiques dans des matières premières jugées moins risquées comme le pétrole et les produits agricoles. Le prix du baril de pétrole grimpa, la confiance des ménages prit un coup et la consommation ralentit. Le secteur automobile est atteint : trois mois après l’effondrement de Chrisler, General Motors faisait faillite en 2009. L’Etat français vola à la rescousse de PSA et Renault pour éviter le pire. Les entreprises devaient revoir leurs stratégies financière et sociale pour survivre.

Nul doute que cette crise en est pour beaucoup dans la crise de la dette souveraine européenne.

b. Les réactions : renforcement des dispositifs de contrôle des banques

En matière de régulation du système bancaire mondiale, c’est le comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire (CBCB) qui a la légitimité internationale. Sa charte donne un aperçu de son organisation et de ses activités.  Elle a considéré que la gravité de la récente crise est due au développement d’un effet de levier excessif, à la dégradation du niveau et de la qualité des fonds propres et à l’insuffisance des volants de liquidité. L’effet de massue (inversion de l’effet de levier) et l’interdépendance des établissements financiers d’importance systémique dans le cadre d’un grand nombre de transactions complexes, ont amplifié la situation. Pour la CBCB, il devenait aussi impératif qu’urgent de renforcer les dispositifs de contrôle et de supervision des activités bancaires afin d’assurer la résilience à court et à long terme des banques en générale et de celles transfrontalières en particulier. Le comité prend alors des mesures qui visent la solidité des systèmes de gouvernance et de gestion des risques puis, la transparence et la communication financière. L’ensemble de ces mesures a été publié en décembre 2010 sous le dispositif Bâle 3. Celle- ci complète le cadre règlementaire posé par les précédents dispositifs. Le premier, Bâle 1 instaurait le ratio dit « Cooke » de 8% du poids des fonds propres. L’essentiel des dispositifs suivants, Bâle 2 et Bâle 2,5 peut se résumer comme suit :

  • Bâle 2 diffusé en 2004, pour une mise en application dès la fin 2006 apportait des améliorations à la mesure du risque de crédit et intégrait le risque opérationnel. Il repose sur trois piliers : les exigences minimales de fonds propres (1er pilier), un processus de surveillance prudentielle (2e pilier) et la discipline de marché (3e pilier).
  • Bâle 2,5 approuvé en juillet 2009, pour une mise en application au 31 décembre 2011, a renforcé la mesure des risques liés aux titrisations et aux expositions du portefeuille de négociation.

Le dispositif Bâle 3 a été mis en application à compter du 1er janvier 2013 et ses exigences prendront pleinement effet au 1er janvier 2019 (Cf. Calendrier de mise en œuvre de Bâle 3). Il a pour principaux objectifs (Cf. Tableau synthétique des mesures de Bâle 3) :

  • le renforcement du dispositif mondial des fonds propres par l’amélioration de la qualité, de l’homogénéité et de la transparence des fonds propres ; l’extension de la couverture des risques ; la mise en place d’un ratio de levier; la réduction de la pro-cyclicité et ; la gestion du risque systémique et de l’interdépendance des établissements.
  • l’instauration de normes mondiales de liquidité par la mise en place d’un ratio de liquidité à court terme (LCR : Liquidity Corverage Ratio) ; d’un ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR : Net Stable Funding Ratio) et d’outils de suivi.

La crise économique de 2008 a montré que les banques transfrontalières, peu importe leur taille, ne sont pas à l’abri de la faillite, sous les effets de crises qu’elles peuvent déclencher, favoriser ou faire propager. Le Comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire a pleinement conscience de cela et réagit sans délai, en renforçant le contrôle et la supervision bancaire. En témoigne la mise en application récente du dispositif Bâle 3.

3. Les défis du secteur bancaire africain

Si le continent africain n’a pas trainé des séquelles de la crise de 2008, elle ne peut l’ignorer et devrait s’en approprier les enseignements. Le manque d’expérience ou la relative jeunesse du secteur bancaire africain ne seraient point des excuses. Le bon sens voudrait d’une Afrique qui prenne le train de la tendance bancaire mondiale en marche.

Le secteur bancaire africain qui se veut aussi prospère que résilient doit œuvrer pour :

  • une gouvernance transparente et responsable ;
  • de robustes systèmes de contrôle interne et de gestion des risques ;
  • un système d’information et de communication transparent et uniforme.

La supervision bancaire transfrontalière apparaît alors plus comme une exigence, qu’une option.

a. L’Afrique s’inscrit- elle dans la dynamique mondiale de la normalisation financière et de la régulation bancaire ? Ou en est- elle dans l’application des normes IFRS et des dispositifs Bâle ?

Le tableau suivant donne des éléments de réponse.

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Source : International Monetary Fund (2015), Pan-African Banks—Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight. CBCB (2015), Eighth progress report on adoption of the Basel regulatory framework. http://www.ifrs.org/Use-around-the-world/Pages/Jurisdiction-profiles.aspx

On peut noter que la majorité des Etats ont adopté ou prévoit d’adopter les normes IFRS. Toutefois, on ne saurait en dire autant des dispositifs du CBCB. Seule l’Afrique du Sud, unique pays africain dont la juridiction est présente au CBCB, est très avancée dans l’application des dispositifs Bâlois. A jour du calendrier d’adoption des mesures de Bâle 3, la South African Reserve Bank apparaît comme un bon élève de la classe des 28 membres du comité, comme le montre le rapport sur la mise en œuvre du cadre règlementaire de Bâle publié en Avril 2015.

b. Quelle posture s’impose aux banques transfrontalières africaines ?

La présente analyse n’est pas une plaidoirie pour un alignement systématique des banques transfrontalières africaines, sur le cadre international, par l’adoption automatique des dispositifs du CBCB en général et de Bâle 3 en particulier. Les mesures bâloises sont des exigences minimum d’application facultative pour ses membres et tout autre organisme bancaire. Il revient à l’Afrique bancaire d’en faire une source d’inspiration ou un usage réfléchi. Une théorie de la solution « prêt-à-transposer » ou du remède unique sans considération de l’environnement et du projet africain, ne serait qu’utopie. Le but premier est d’attirer l’attention sur les défis de cette Afrique bancaire qui n’a pas droit à la complaisance car sa résistance au choc est essentielle pour sa propre pérennité et vitale pour l’Afrique « émergente ».

Il urge que place soit faite à la réflexion pour imager le secteur bancaire africain qui allie expansion, prise de risques mesurés et stabilité. L’Afrique doit définir le plus rapidement, des outils de résilience bancaire adéquats, au regard du son environnement juridique, comptable, financier, du niveau actuel et visé d’intégration et des objectifs stratégiques bancaires.

Delphine Anglo

Références :

  • International Monetary Fund, (2015), Pan-African Banks—Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight
  • The World Bank, (2014), Making Cross-Border Banking Work for Africa
  • CBCB, (2015), Eighth progress report on adoption of the Basel regulatory framework
  • CBCB, (2014), Bâle III : Ratio structurel de liquidité à long terme
  • CBCB, (2013), Bâle III : Ratio de liquidité à court terme et outils de suivi du risque de liquidité
  • CBCB, (2010), Bâle III : dispositif réglementaire mondial visant à renforcer la résilience des établissements et systèmes bancaires
  • Banques transfrontalières africaines, Rapports annuels 2014
  • Sites internet des Banques transfrontalières africaines
  • http://www.ifrs.org/Use-around-the-world/Pages/Jurisdiction-profiles.aspx
  • https://www.bis.org/bcbs/index.htm?m=3%7C14

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