Panorama des littératures francophones d’Afrique

panoramaL’Institut Français propose un livre numérique consacré aux littératures francophones d’Afrique. Du Maghreb à l’Afrique du Sud et du Sénégal à Djibouti, de Léopold Sédar Senghor aux contemporains – Ahmadou Kourouma, Yasmina Khadra, Emmanuel Dongala et bien d’autres – ce Panorama des littératures francophones d’Afrique signé Bernard Magnier* parcourt la littérature écrite en français sur le continent africain depuis les années 1930.

Bernard Magnier le reconnaît d’emblée : présenter la richesse et la diversité des littératures africaines écrites en français nécessite des choix. Le premier de ces choix, et pas des moindres, a été d’appréhender le continent dans sa globalité géographique en défiant les habituelles partitions établies entre le Nord (essentiellement le Maghreb auquel il convient d’adjoindre l’Egypte et la Libye souvent oubliées) et le Sud saharien. Autre choix : les auteurs et leurs écrits sont présentés selon un classement qui mêle l’approche thématique et la progression chronologique afin de suivre au plus près les préoccupations et les mutations de l’Histoire. Enfin, ce livre numérique envisage la création littéraire dans la diversité de sa production. Autrement dit, il mêle les genres : roman, théâtre, contes et légendes, bandes dessinées et essais.

Sept « entrées » sont proposées à qui consulte ce Panorama des littératures francophones d’Afrique : « Photographier… Ne plus être photographiés », « Histoires d’enfants, de femmes, de famille », « Les traces de l’Histoire », « De la révolte aux lendemains qui déchantent », « Au cœur des années 1990 : des guerres, un génocide, des enfants-soldats », « Afrique/Europe : aller-retour ? », « D’autres horizons littéraires ». Avec des auteurs très connus (que nous ne citons pas dans cet article mais bien présents dans ce Panorama). Mais avec d’autres beaucoup moins. Une belle occasion de les lire.

« Photographier… Ne plus être photographiés ». Si l’on excepte quelques rares pionniers, souligne l’auteur, c’est essentiellement dans les années 1930 que les écrivains ont fait leur apparition sur les rayons des bibliothèques. Ils ne voulaient plus être photographiés mais se saisir de l’appareil, prendre eux-mêmes la photo et dire : « Voilà comment nous sommes ! ». Parmi eux le sénéglais Birago Diop (1906-1989), le congolais Paul Lomani-Tshibamba (1914-1985), le guinéen Djibril Tamsir Niane (1932-2008), ou le poète marocain Abdellatif Laâbi (né en 1942).

« Histoires d’enfants, de femmes, de famille ». Où l’on voit bien que la famille impose ses lois et ses pesanteurs. Notamment chez l’algérien Mouloud Feraoun (1913-1962), le gabonais Laurent Owondo (né en 1948), le libyen Kamal Ben Hameda (né en 1954), la sénégalaise Amlinata Sow Fall (née en 1941), le camerounais Gaston-Paul Effa (né en 1965), le malien Ibrahima Ly (1936-1989), ou le tchadien Noël Nétonon Ndjékéry (né en 1956).

« Les traces de l’Histoire ». Avec des auteurs qui accompagnent l’immédiate actualité. Ainsi le béninois Félix Couchoro (1900-1968), le camerounais Ferdinand Oyono (1929-2010), le nigérien Abdoulaye Mamani (1932-1993), les algériens Salim Bachi (né en 1971) ou Zahia Rahmani (née en 1962).

« De la révolte aux lendemains qui déchantent ». Où l’on n’hésite pas à pénétrer dans les entrailles sordides du pouvoir. Ainsi chez le marocain Mohamed Khaïr-Eddine (1941-1995), le tunisien Mustapha Tlili (né en 1937), ou l’ivoirienne Tanella Boni (née en 1954).

« Au cœur des années 19990 : des guerres, un génocide, des enfants-soldats ». Citons la rwandaise Esther Mujawajo (née en 1958), le tchadien Koulsy Lamko (né en 1959), le béninois Florent Couao-Zotti (né en 1964), ou le congolais Dieudonné Niangouna (né en 1976).

« Afrique/Europe : aller-retour ? ». Où les auteurs explorent cette relation privilégiée, heurtée, inégale à bien des titres. Ainsi le guinéen Saïdou Bokoum (né en 1945), la sénagalaise Ken Bugul (née en 1947), le congolais (RDC) Pius Ngandu Nkashama (né en 1946), ou la gabonaise Bessora (née en 1968), l’algérien Hacène Zehar (1939-2002), le togolais Kossi Efoui (né en 1962), le sénagalais Insa Sané (né en 1974), sans oublier le burkinabais Sayouba Traoré (né en 1955 et bien connu des auditeurs de RFI).

« D’autres horizons littéraires ». Où l’on explore de nouveaux espaces urbains avec la volonté de se défaire d’épithètes – « africain », « francophone » – devenus encombrants ou trop lourds à porter. Par exemple chez le sénagalais Felwine Sarr (né en 1972), le guinéen Sunjata (né en 1971), le gabonais Janis Otsiémi (né en 1976), le marocain Kebir M.Ammi (né en 1952).

Outil de connaissance bienvenu, ce Panorama des littératures francophones d’Afrique propose 250 œuvres de près de 150 écrivains. C’est un formidable instrument de découverte. Et une superbe invitation au plaisir de la lecture. A consulter sans la moindre hésitation.

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* Journaliste, grand spécialiste de la littérature africaine, Bernard Magnier collabore à diverses revues et radios (notamment Radio France Internationale) et dirige la collection « Lettres africaines » aux Editions Actes Sud. Conseiller littéraire pour le théâtre Le Tarmac-La scène internationale francophone à Paris et programmateur du festival « Littératures métisses » à Angoulême, il est l’auteur de Rêves d’hiver au petit matin (Editions Elyzad, 2012) sur les « printemps arabes » vus par 50 écrivains et dessinateurs de 25 pays, et de Renaissances africaines (Bozar books/Bruxelles, 2010), rassemblant 30 textes inédits d’écrivains africains sur le thème des indépendances. Il a également publié une anthologie illustrée pour jeunes lecteurs, La Poésie africaine (Mango, 2005).

Benoît Ruelle

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Dossier téléchargeable en format PDF sur le site de l’Institut Français www.institutfrancais.com Pour profiter au mieux de toutes les richesses offertes par cet ouvrage numérique, il est conseillé de l’ouvrir avec le logiciel Adobe Reader (get.adobe.com/fr/reader/).

Présentation de l’ouvrage par l’auteur, Bernard Magnier, au micro d’Yvan Amar (« La danse des mots », RFI, 18 octobre 2012) : « Mon travail, c’est un travail de passeur… Essayer de transmettre un enthousiasme pour un libre. » (Bernard Magnier)
 

Les Africaines

africainesLa situation des femmes en Afrique, leur place dans la société et leur rôle dans la subsistance – et plus généralement, dans la vie économique, politique et culturelle – sont, depuis une ou deux générations au moins, en pleine mutation. Catherine Coquery-Vidrovitch signe aux Editions La Découverte une nouvelle édition, avec avant-propos et postface inédits, de sa remarquable histoire des femmes d’Afrique subsaharienne du XIXe au XXe siècle, histoire parue en 1994. Titre de cette vaste fresque historique et sociale qui nous invite à faire à nouveau le point : « Les Africaines ».

Les femmes d’Afrique noire, constate l’auteure, ont eu, et continuent d’avoir, la vie dure. Certes, en un siècle à peine, leur condition a connu d’extraordinaires mutations. Reste que l’image qu’elles ont d’elles-mêmes est encore floue. Et l’image qu’en ont les Africains, qui, comme tous les hommes du monde, aiment regarder les femmes, est d’autant plus déformante qu’elle a été de longue date pervertie par d’autres regards, l’occidental en premier. La question fondamentale à laquelle tente de répondre Catherine Coquery-Vidrovitch est celle-ci : Pourquoi les Africaines n’ont pas eu le loisir, ni parfois le droit de se regarder elles-mêmes ? Ce temps qui leur est si chichement compté, qu’en ont-elles fait, qu’en font-elles encore aujourd’hui, et quelle envie ont-elles d’en faire ? A vouloir saisir l’ensemble du sous-continent, l’auteur l’admet, on s’expose aux risques d’une généralisation abusive. Mais l’étude comparative de Catherine Coquery-Vidrovitch est si riche et si subtile que les nuances de la réalité historique et sociale sont largement respectées.

Thèmes significatifs, selon Catherine Coquery-Vidrovitch, pour saisir les mutations de la condition féminine, à la campagne, à la ville, de la veille de la colonisation à nos jours : les tâches quotidiennes, l’école, les migrations du travail, les activités économiques, le mariage, le divorce et la sexualité, l’action politique, l’éveil créatif. On le comprendra aisément : il n’est pas question de résumer ici une étude de près de 400 pages. Mais il faut mentionner une particularité du livre de Catherine Coquery-Vidrovitch car elle n’est pas pour rien dans le fait que ce livre se lit avec une grande facilité. Si l’auteure articule son étude autour de thèmes majeurs, elle n’oublie jamais – contrairement à nombre de nos contemporains – que l’Afrique est grande, trop grande pour se permettre une généralisation qui ferait sens. Aussi, c’est un voyage qui nous est proposé. Avec, çà et là, des éclairages particuliers. Exemples : le combat des agricultrices Hausa ou du Transkeï ; le combat des femmes Ibo, des femmes de Lagos, ou des sud-africaines ; les marchandes ghanéennes, les Nago de Lagos, ou les Nana-Benz de Lomé ; les femmes libres des villes d’Afrique centrale ; les chanteuses maliennes qui ont marginalisé la musique des griots, ou les femmes écrivaines en Afrique tropicale, particulièrement en pays Ibo au Nigéria et dans le Sénégal côtier. Des écrivaines qui s’intéressent peu à la maternité ; elles ont abandonné l’archétype de la « mère », sinon pour en montrer le vide, à tout le moins pour refuser de le sanctifier.

En 1994, lorsque son étude est parue, Catherine Coquery-Vidrovitch envisageait l’avenir des femmes en Afrique en posant deux questions : les femmes sont-elles sur la voie de l’émancipation ? Que dire de l’émancipation économique ? Après les suffragettes qui ont lutté pour les droits politique et les marxistes qui ont revendiqué l’égalité économique, les féministes surtout anglo-saxonnes ont donné à ce terme, dans le droit fil de la tradition occidentale des « droits de l’homme », une signification surtout individuelle. Et il y a eu incompréhension entre les femmes occidentales et celles des pays sous-développés, les Africaines en tête. En particulier parce qu’il est difficile d’exprimer la lutte en termes de revendication individuelle dans des sociétés dont beaucoup de traits culturels consistent précisément à nier l’individu au profit de la collectivité, à préférer la recherche du consensus à la liberté de choix personnel. 

Un fait est certain, notait Catherine Coquery-Vidrovitch en 1994, la femme demeure inférieure à l’homme, même si elle a acquis à peu près partout le droit de vote. Que dire de l’émancipation économique ? Le degré d’autonomie des femmes demeure variable à travers le continent. Sauf peut-être chez les Hausa et les Swahili islamisées où la notion de « femme au foyer » n’existait pas. On cite comme encore exceptionnelle la réussite d’une remarquable « entrepreneuse » malienne, sociologue et ancienne responsable politique, Aminata Traoré ; ou Mme Fatou Sylla qui a fait la « une » d’Ivoire-Dimanche en tant que chef d’entreprise de fabrication de cahiers. Mais ce n’est qu’un début… Alors, émancipation ? Oui. Mais la nécessité du développement par les femmes se posent d’abord pour les femmes. Avec une seule voie possible : l’éducation. Bonne nouvelle : la parité du droit à l’école est en voie d’être acquise à peu près partout aussi bien pour les filles que pour les garçons.

Près de vingt ans après ce constat en demi-teinte, avec cette réédition Catherine Coquery-Vidrovitch se demande dans quel sens la situation des femmes africaines a évolué ? Scrutant de près les études publiées sur ce sujet depuis les années 1990, Catherine Coquery-Vidrovitch relèvent de nettes évolutions. Par exemple, de nouveaux aspects de l’histoire des femmes sont apparus : histoire de la sexualité, de l’amour, voire de l’homosexualité. Des sujets restés jusqu’alors tabous en Afrique. Autre évolution majeure : l’intérêt porté au rôle économique désormais tenu par des femmes chefs d’entreprise. Certes, reconnaît l’auteure, le courant « afro-pessimiste » demeure (voir notamment le livre de Teresa Barnes, We Women Worked so Hard, 1999), mais la tendance est devenue plutôt « afro-optimiste » en ce qui concerne la place des femmes.

Benoît RUELLE
benoit.ruelle@yahoo.fr

 

LES AFRICAINES, Catherine Coquery-Vidrovitch, Editions La Découverte, Paris, 2013.