Joyce Banda, le jour de sa prestation de serment
Le 5 avril 2012, le président malawite Bingu Wa Mutharika meurt d’une crise cardiaque. Une vacance momentanée du pouvoir, face à laquelle la constitution du pays est limpide : lorsque le chef d’Etat en exercice n’est plus en mesure de gouverner, la fonction est de facto dévolue à son vice-président. Une position occupée par Joyce Banda. Or, alors que le décès de Mutharika est confirmé et que les règles de sa succession sont théoriquement claires, la situation est des plus confuses. La garde rapprochée de feu Matharika veut passer en force et empêcher Banda d’accéder à la magistrature suprême. Elle qui n’a jamais fait partie du premier cercle et qui a commis le crime de lèse-majesté de s’opposer frontalement à Mutharika lorsque ce dernier songea à la court-circuiter pour mettre sur orbite son jeune frère Peter Mutharika comme successeur putatif.
Devant la gravité de la situation et l'éventualité d'une dévolution anticonstitutionnelle du pouvoir, Joyce Banda contacte le chef d’état-major des forces armées et lui demande s'il soutiendra envers et contre tout sa présidente. Ce dernier confirme. La partie est gagnée et le coup de force en préparation s’effondre. Joyce Banda prête officiellement serment le 7 avril 2012. La légalité a été préservée et le courage de cette femme déterminée, confirmé. Une fois de plus. Elle devient la seconde femme du continent (après Ellen-Johnson-Sirleaf au Liberia) à devenir président de la République. Tout un symbole. Mais d’abord et avant tout le symbole d’une longue vie émaillée de combats. Pour la cause des femmes en particulier, mais au-delà, pour la dignité humaine dans son acception la plus large.
S’imposer dans la vie
Née en 1950 dans ce qui était alors la colonie britannique du Nyassaland (actuel Malawi), Joyce Hilda Ntila est l’aînée d’une famille de cinq enfants. L’époque est à la décolonisation et aux premières indépendances. Mais la jeune fille, studieuse, poursuit imperturbable son parcours d’élève appliquée. Elle achève sa scolarité et se trouve un premier emploi de secrétaire. Puis le mariage survient. Une union arrangée et sans amour. Un époux abusif qui la néglige et la maltraite. Interrogée par la chaîne BBC, elle se remémorera bien plus tard ce douloureux apprentissage initial de sa condition de femme : « La plupart des femmes africaines ont été élevées pour devenir des épouses dociles, supportant vexations et humiliations sans mot dire ». Au milieu des années 70, celle qui est alors connue sous le nom de Madame Kachale décide de reprendre sa liberté et sa destinée en main. Vivant alors à Nairobi, la jeune femme voit poindre dans la capitale kenyane les prémices des revendications liées au mouvement féministe. Un moment décisif. Avec ses trois enfants, elle décide de quitter son mari et de voler de ses propres ailes. Le divorce sera finalement prononcé 6 ans plus tard. Une nouvelle vie commence.
Fondatrice de l’association nationale des femmes d’affaires du Malawi (fin des années 80)
La mère de famille, qui a commencé sa carrière comme simple employée avant de se consacrer à l’éducation de ses enfants, se lance alors dans les affaires. Textile, vêtements, boulangerie… Elle bâtit progressivement un business florissant qui lui permet d’accéder à l’indépendance tant recherchée.
De l’ombre à la lumière
Une fois le succès financier au rendez-vous, l’entrepreneuse décide de se consacrer à la cause qui lui tient le plus à cœur : la responsabilisation des femmes à prendre leur destin en main. Pour rompre de manière irréversible le cercle vicieux de la dépendance et de la pauvreté. Elle fonde à la fin des années 80, l’association nationale des femmes d’affaires du Malawi (National Association of Business Women) qui procure aux femmes de petits prêts pour leur permettre de démarrer une activité économique, et gagner ainsi leur propre autonomie. L’étincelle qui permettra de prendre un nouveau départ. Les résultats ne tardent pas et la popularité de Joyce, devenue entretemps Madame Banda après son remariage avec un célèbre magistrat, décolle. Elle élargira plus tard encore son champ d’action en créant la fondation Joyce Banda en faveur des enfants et des orphelins.
Elle est désormais une figure nationale de la société civile et c’est tout naturellement qu’elle obtient un siège de parlementaire à l’Assemblée nationale en 1999, sous les couleurs du front démocratique uni (United Democratic Front) de l’ancien président Bakili Muluzi. Sa carrière politique est lancée et ne va dès lors plus s’arrêter. Ministre de la Parité et des services communautaires sous Muluzi, puis des Affaires étrangères sous Bingu wa Mutharika, ce alors même qu’elle n’appartient pas à la famille politique du nouveau président malawite. Une reconnaissance évidente de la compétence de Joyce Banda, jugée intègre et efficace par l’ensemble des observateurs. Mais aussi une nomination qui fait couler beaucoup d’encre dans le cercle des fidèles du président Mutharika. Elle demeure un électron libre, détachée de tout dogme partisan. Déjouant tous les pronostics, elle parvient à se faire élire vice-présidente au moment de la réélection de Mutharika en 2009.
Joyce Banda et Bingu wa Mutharika
Mais les nuages s’amoncèlent déjà à l’horizon. En porte-à faux avec le président qui pratique une politique d’autarcie et de défiance vis-à-vis de l’étranger, et s’opposant aux dérives autoritaires et népotistes de celui-ci, Joyce Banda est progressivement mise sur la touche. Expulsée du parti présidentiel (le Democratic Progressive Party) qu’elle venait d’intégrer, elle parvient en dépit des attaques de Mutharika à conserver in extremis sa position de vice-présidente sur décision de la Cour suprême. Une guerre larvée commence, où le parti au pouvoir fait tout pour la briser. Il y réussit presque. Survient alors la mort inopinée de Mutharika et la tentative de récupération forcée du pouvoir par le clan présidentiel. Joyce Banda devient la seconde femme du continent africain à devenir chef d’Etat. Un itinéraire exceptionnel qui fait d’elle une figure emblématique de la montée en puissance progressive des femmes africaines jusqu’au sommet, au côté de Ellen Johnson-Sirleaf, Nkosazana Dlamini-Zuma, Fatou Bensouda…
Au-delà du symbole, la permanence des challenges
Il ne saurait cependant y avoir d’état de grâce. Joyce Banda est une figure qui polarise, suscitant autant de critiques que d’éloges et qui a accédé à la présidence par un concours de circonstances extraordinaires. Sa légitimité au sommet de l’Etat reste à affermir. Et le temps presse. Elle poursuit le mandat de son prédécesseur qui court jusqu’en 2014. Deux courtes années pour faire ses preuves et corriger la trajectoire tangente prise par le Malawi au cours des dernières années. La politique d’autosuffisance alimentaire mise en place par Mutharika a porté dans l’ensemble ses fruits et la production agricole s’est sensiblement accrue. Mais au prix d’une terrible ponction sur les finances publiques. Et la défiance de Mutharika à l’égard des traditionnels partenaires occidentaux à partiellement ostraciser le pays. L’aide étrangère a fondu comme neige au soleil, alors même que les besoins n’ont jamais été aussi grands. Le Malawi demeure plus que jamais une nation pauvre, avec 85 % de sa population vivant chichement de son labeur agricole. Et en dehors des cultures d’exportation que sont le tabac, la canne à sucre et le thé, le pays n’a que peu de possibilités de se procurer des devises.
Une chose est sûre cependant ; les premières mesures de la présidente Banda tranchent résolument avec ce qui s’était fait jusqu’à maintenant. Il y a tout d’abord les décisions symboliques, qui font dans l’ensemble consensus, assoient la popularité et frappent les esprits : vente du jet présidentiel au profit de vols commerciaux (plus économiques), cession de la flotte des 60 limousines appartenant au gouvernement, rétablissement de l’ancien drapeau national qui avait été supprimé par Mutharika…Et puis, il y a les choix qu’il faut assumer, droit dans ses bottes, ce même (surtout) s’ils ne sont pas toujours acceptés et compris : dévaluation de la monnaie nationale (le kwacha), légalisation de l’homosexualité (en dépit du conservatisme majoritaire de la population à ce sujet), prise de position ferme contre le président soudanais Omar El Béchir (poursuivi par la Cour pénale internationale et soutenu par une majorité de chefs d’Etat du continent).
Surtout, il y a la nécessité d’être pragmatique et attentif aux rapports de force en présence. Joyce Banda sait que la priorité à très court terme est désormais de renouer avec la communauté internationale et retrouver les faveurs des bailleurs de fonds étrangers en leur donnant des gages de bonne volonté. Avant les premières sanctions contre le gouvernement Mutharika, l’apport financier extérieur représentait 40 % du budget de l’Etat. Un poids significatif dont la présence ou l’absence peut signifier la réussite ou l’échec d’une politique. Les premiers mois de la présidence Banda peuvent d’ores et déjà se targuer de premiers succès. La Grande Bretagne s’est engagée à renouveler sa coopération et a promis une aide de 40 millions de $, alors que le Fonds monétaire international confirmait dans le même temps un prêt de 125 millions de $ sur trois ans.
Enfin, tout(e) homme (femme) d’Etat sait que par-delà l’agenda politique à brève échéance, les défis structurels majeurs de la nation dont il a la charge demeurent. Dans le cas du Malawi : pauvreté, chômage, pandémie du sida, faible diversification de l’économie…Une permanence de challenges à relever et une tâche immense qui nécessitera une vraie concorde nationale : « Je veux que nous nous tournions tous vers l’avenir avec espoir et un esprit d’unité. J’espère sincèrement qu’il n’y a pas de place pour la revanche. J’espère sincèrement que nous allons rester unis », concluait ainsi Joyce Banda dans son discours de prestation de serment. Puisse l’avenir lui donner raison.
Jacques Leroueil