Pêche illégale : pourquoi ne pas s’inspirer de la lutte contre l’exploitation forestière illégale ?

Le chiffre d'affaires annuel du secteur des pêches maritimes et de l'aquaculture dépasse les 190 milliards de dollars dans le monde, et on estime à 240 millions le nombre de personnes dont le travail en dépend. Il ne fait aucun doute que les océans génèrent une activité abondante et lucrative. Or qui dit profit dit profiteur : on estime que 18 % des activités de pêche à l'échelle mondiale sont illégales.

pecheMais en quoi le problème concerne-t-il ceux qui s'intéressent au développement ? D’abord parce que la pêche illégale fragilise les moyens de subsistance des populations pauvres qui dépendent de l'océan. Ensuite parce que le non-paiement des taxes et redevances prive les pays en développement de centaines de millions de dollars de recettes annuelles dont ils ont le plus grand besoin. Enfin, dans certaines régions, la pêche illicite a pris de telles proportions qu'elle met en péril la gestion durable d'une ressource déjà mise à mal par la surpêche.

La lutte contre la pêche illégale est un combat que les États devraient prendre plus au sérieux. Dans un rapport récent, nous expliquons comment les décideurs politiques pourraient s’inspirer des méthodes de lutte contre l'exploitation forestière illégale pour combattre la pêche illégale. Nous proposons une approche pour la protection de l'environnement et des ressources naturelles intégrant une vision structurée de la prévention, de la détection, de la répression et du recouvrement des avoirs (ou approche « ENRLE » pour Environmental and Natural Resources Law Enforcement). Les actions menées dans le domaine de la lutte contre l'exploitation forestière illégale ont montré que cette approche est bien plus efficace qu'une combinaison plus ou moins anarchique d'interventions en amont et en aval pour faire appliquer les législations.

Voyons comment cela pourrait se traduire concrètement.

La prévention repose sur la réduction des opportunités et des moyens de commettre un délit. Cela signifie réduire l'accès — ouvert par nature — aux domaines de pêche, protéger les ressources et réguler la flotte de pêche en augmentant le coût et les efforts que représente la pratique de la pêche illégale.

La détection vise à saper les motivations des éventuels délinquants, et nécessite des investissements dans la surveillance et le renseignement. Lorsqu'elle produit les résultats escomptés, la détection peut conduire les délinquants potentiels à réévaluer le rapport coût-bénéfice de ces activités.

Généralement considérée comme une stratégie de dernier recours, la répression implique de poursuivre les criminels et de les condamner à des sanctions par le biais du système judiciaire. En augmentant le risque et le coût de la pêche illégale, une répression efficace peut jouer un rôle dissuasif.

Cette approche permet aux individus qui dépendent des ressources environnementales et naturelles de conserver leurs moyens de subsistance, tout en concentrant les interventions sur les individus qui pratiquent ces activités par simple appât du gain. Elle peut également aider à recenser les institutions et les acteurs susceptibles de déterminer les investissement et réformes nécessaires, et à identifier les goulets d'étranglement en matière de lutte contre la pêche illégale, ainsi que les tactiques et stratégies qui peuvent être mises en place pour éliminer ces derniers. Enfin, elle peut contribuer à professionnaliser l'action menée contre la pêche illégale, car elle permet d'établir un dialogue structuré impliquant les autorités et les différentes parties prenantes sur un large éventail de spécialités et de juridictions.

À l'échelle mondiale, les efforts de lutte contre la pêche illégale restent bien trop limités. Toutefois, les promesses que porte la stratégie ENRLE sont déjà bien visibles. Par exemple, le Programme régional des pêches en Afrique de l’Ouest, qui opère en étroite coordination avec les activités financées par les États-Unis, l'Île de Man, le Royaume-Uni et la Fondation pour la justice environnementale, a fait la preuve de l'efficacité de cette approche : des rapports indiquent que la quantité de poissons disponible pour les petits pêcheurs s'est accrue à la suite des actions menées systématiquement pour faire appliquer les législations à l'encontre de la pêche illégale dans la région.

Au-delà de ces efforts, les responsables des pêcheries ont besoin que de nombreuses réformes politiques soient entreprises pour parvenir à rééquilibrer les stocks halieutiques mondiaux. Mais si nous voulons que cela réussisse, il est impératif que la lutte contre la pêche illégale figure en bonne place au programme. L'approche ENRLE peut aider les pays à sécuriser leurs ressources pour les populations qui en dépendent le plus.

Article de Julian Lee paru initialement sur le blog de la banque mondiale

 

Aperçu sur le braconnage industriel

Il y a de cela quelques jours, les autorités chinoises ont détruit 6 tonnes d’ivoires issus du trafic illégal provenant essentiellement d’Afrique pour montrer leur volonté de lutter contre ce fléau : double gâchis ! Quelques semaines auparavant, les autorités sud africaines avaient rapatrié depuis Hong Kong un stock de saisies d’ivoires et de cornes de rhinocéros d’une valeur de 1,5 millions d’euros: ‘demi-gâchis’ tout de même puisque le braconnage a déjà eu lieu mais une première dans la coopération internationale en matière de lutte contre le trafic des espèces menacées. Aperçu sur un trafic à l’échelle mondiale.

Selon l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), le trafic illégal  d’espèces sauvages fait partie de la criminalité environnementale, au niveau mondial. C’est un marché très lucratif  favorisé par la corruption et la pauvreté généralisée et stimulé par une forte demande mondiale. L’ivoire et la corne de rhinocéros sont les cas les plus emblématiques. Les principales régions touchées par ce type braconnage sont l’Afrique centrale pour l’ivoire et l’Afrique australe pour les cornes de rhinocéros. L’Asie du Sud-Est en est la première destination.

En  2012, environ 22 000 éléphants ont été abattus, principalement en Afrique Centrale. 450 l’ont été en une seule fois dans le nord du Cameroun début 2012. L’ivoire est essentiellement destiné aux sculptures prisées par la bourgeoisie chinoise. S’agissant des rhinocéros les proportions sont tout aussi inquiétantes : en Afrique du Sud, de 13 cas signalés en 2007, le nombre de rhinocéros victimes de braconnage essentiellement pour leurs cornes est passé à 919 fin 2013. Les efforts entrepris par les autorités dans les années 90 pour permettre de sauver les espèces menacées sont entrain d’être anéantis. A plus €20 000 le kilo au marché noir, il y a de quoi attiser les appétits. Prescrit depuis des lustres dans la pharmacopée asiatique, la poudre de la corne de rhinocéros posséderait selon les croyances populaires, des vertus thérapeutiques et surtout aphrodisiaques. Elle serait un puissant stimulant sexuel aux effets inégalés. Pour les scientifiques toutefois, elle reste une simple corne.

La rareté de cette ressource au niveau local – avec le tout dernier rhinocéros du Vietnam abattu en 2010 – et l’explosion de la demande expliqueraient la pression qui s’est accrue sur les réserves africaines. Si ces vertus sont avérées, il faudrait bien se demander pourquoi l’engouement n’est pas pareil au sein du continent africain. En dehors des considérations totémiques qui plutôt vont dans le sens de leur préservation mais qui sont progressivement abandonnées, les animaux sauvages sont vus comme des gibiers potentiels destinés à la consommation. Evoquer leur protection serait-il simplement l’affaire des hommes rassasiés ? Toujours est-il qu’au braconnage local qui menaçait déjà ces espèces s’associe un autre type plus sophistiqué, industriel.

Face à l’ampleur du phénomène, différentes stratégies sont adoptées. Au niveau international la CITES (convention sur le commerce international des espèces de faune et flore menacées d’extinction) est l’instrument principal de régulation du commerce de la faune et œuvre dans le sens d’une plus grande coopération internationale. L’ONUDC en criminalisant ces trafics renforce également l’arsenal juridique. Des ONG comme TRAFFIC participent également à cette lutte. Les Etats intègrent la protection de la faune dans leurs plans stratégiques de préservation de la nature. En plus des exemples cités au premier paragraphe diverses mesures sont évoquées ou testées telles que : tailler les cornes de rhinocéros dans les parcs et réserves ou les remplacer par des pacotilles comme c’est le cas dans les musées européens, victimes eux aussi de l’engouement lié aux cornes de rhinocéros. Injecter dans les cornes des animaux des produits plus ou moins détectables par les douaniers pour dissuader les braconniers, des produits plus ou moins toxiques pour décourager les consommateurs. Des actions de maitrise en amont telles qu’un meilleur recensement  de la faune sont également entreprises. Des mesures répressives de plus en plus sévères sont adoptées notamment l’ordre donné dans certains cas aux gardes forestiers de tirer à vue sur les braconniers. Ces derniers sont mieux équipés, mieux entrainés aussi.

En dehors des espèces menacées elles mêmes, les populations locales font également les frais de ce trafic. Des villageois sont souvent recrutés pour pister les animaux et assister les braconniers. Tiraillés qu’ils sont entre l’appât du gain et la compromission par cette complicité qui peut coûter beaucoup plus chère. Que doit-on leur offrir pour les associer pleinement à cette lutte? Pour les impliquer quotidiennement, il faudrait les associer beaucoup plus à la gestion leur patrimoine naturel.

Les spécialistes parlent de « services écosystémiques » pour évoquer l’utilité économique de la biodiversité. Le tourisme qui a une forte valeur ajoutée économique et un potentiel de croissance phénoménal est une bonne raison de faire intéresser les communautés à la préservation de leur environnement. Il pourrait engendrer jusqu’à $1 milliard de recettes annuelles dans certaines régions. Face à des organisations mafieuses décidées à exploiter la pauvreté et la misère des uns et la crédulité et l’ignorance des autres, il faudrait autant de volonté et d’action. L’information et l’éducation sont primordiales dans cette lutte.

 

Djamal HALAWA