Le Mali : état des lieux du « changement » après la crise

JPG_IBKLes différentes crises, auxquelles le Mali a eu à faire face, ont soulevé une question essentielle : le désir de changement dans le fonctionnement de l’Etat, et dans le mode de gouvernance. Ce désir de changement se traduisait, dans l’esprit des Maliens, par un renouvellement du personnel politique, aux affaires depuis la révolution démocratique du 26 mars 1991. Plusieurs objectifs devaient en découler : la résolution définitive de la question touarègue, à l’origine de la crise de 2012 ; l’instauration d’une justice impartiale, face aux différentes exactions commises ; la restauration de l’autorité de l’Etat ; reformer l’État affaibli par la crise en proposant une nouvelle forme de gouvernance ; une redistribution plus équitable des richesses nationales…  Élu à la faveur d’un ballotage joué d’avance, les attentes des Maliens à l’égard du président Ibrahim Boubacar Kéita étaient alors immenses. Pourtant, presque deux ans après l’élection présidentielle post-crise, certains agissements démontrent la persistance des pratiques tant décriées du passé.

Les aspirations de changement après la crise 

La crise malienne est aussi apparue comme un moyen de changer les habitudes du passé. La légitimité accordée à Ibrahim Boubacar Kéita, suite à la présidentielle de 2013, représentait une réelle occasion de lancer le Mali dans une réforme en profondeur. L’engouement pour la présidentielle était sans précédent. Avec près de 49 % au premier tour, et 45,73 % au second tour, le taux de participation a été remarquable dans un pays où elle atteint d’habitude des taux particulièrement bas. [1]  Ces chiffres que nous qualifions de remarquables, eu égard aux élections précédentes, sont toutefois la marque d’une défiance vis-à-vis de la démocratie, et restent malgré tout faibles comparativement à d’autres pays.

Dans la situation d’un Mali en pleine crise territoriale, le candidat Ibrahim Boubacar Kéita a axé sa campagne sur la restauration de l’autorité de l’Etat. Ses meetings électoraux étaient rythmés par la volonté de refonder et de renforcer l’Etat très affaiblit. Des discours qui ont su galvaniser un électorat en mal d’Etat. IBK est alors apparu comme étant le mieux à même de formuler des propositions concrètes pour régler la crise du Nord-Mali.

Il nous semble que cet aspect de sa campagne ait séduit de nombreux électeurs. Il a obtenu vingt points d’avance sur son principal rival, Soumaïla Cissé, au premier tour. Au second tour, il a été crédité de 77 % des suffrages, une victoire nette exempte de toutes contestations, lui conférant une certaine légitimité. On pourrait expliquer ce plébiscite électoral par le passé politique d’Ibrahim Boubacar Kéita, un passé auréolé d’une réputation d’autorité, acquise durant sa période passée à la primature entre 1994 et 2000. Il apparait comme celui qui a su faire montre de toute son autorité à l’égard des nombreuses manifestations estudiantines avec, à la clé, une année blanche. Il est parvenu à remettre de l’ordre dans l’armée, en prononçant la dissolution de la coordination des sous-officiers et des hommes de rang. Il a également su gérer la période très délicate de tensions et d’affrontements communautaires qui a suivi la signature du Pacte national en 1992, à la suite de la rébellion touarègue.

Le président IBK ‘’entre rupture et continuité’’

Depuis le renversement de la dictature en 1991, le paysage politique malien souffre d’une absence de renouvellement de personnel politique, restée quasi intacte. Tout au long de la campagne électorale, l’actuel président IBK s’est attelé à incarner la rupture. Si son élection répondait à des besoins de changement exprimés par les Maliens, elle n’a pas favorisé l’alternance de la classe politique. Ce qui, en revanche, a pu être constaté, c’est une forme d’équilibre entre continuité et renouveau dans le mode de gouvernance. Une partie des femmes et hommes politiques qui ont composé le gouvernement d’IBK, sont ceux qui ont auparavant gouverné le Mali. Soumeylou Boubèye Maiga, Sada Samaké, Cheickné Diawara, Moustapha Dicko, Berthé Aissata Bengaly, Bouaré Fily Sissoko, Ousmane Sy, réapparus en tant que membres du gouvernement d’Ibrahim Boubacar Kéita, sont autant de noms anciens du paysage politique malien. 

Ancien Premier ministre du président Alpha Oumar Konaré (1994-2000) et ancien président de l’Assemblée nationale sous la présidence d’Amadou Toumani Touré (2002-2007), IBK, qui avait pourtant axé sa campagne sur le thème du ‘’changement’’ n’incarne pas vraiment la rupture avec l’ancien régime. Le slogan du changement avec l’ancien régime dont il s’est servi, est un vœu également exprimé par les Maliens, du fait que le président Amadou Toumani Touré est considéré, par de nombreux d’entre eux, et par une partie de la classe politique et religieuse, comme responsable de tout ce que le Mali a connu en termes de crise, à partir de 2012. Son mode de gouvernance, sa gestion du Nord-Mali (passivité vis-à-vis d’une insécurité grandissante), ses liens, supposés ou réels avec des personnes concernées par les prises d’otages occidentaux ont achevé de jeter le discrédit sur son régime. Or, la réapparition d’anciens membres de ce régime dans le gouvernement d’IBK, combinée à la politique menée par le président malien après deux années au pouvoir, pourraient être considérées comme la continuité de ce qui auparavant n’a pas fonctionné, à savoir la perpétuation de vieilles pratiques de clientélisme, de corruption, de carence de vision politique structurée, de querelles intestines. En dix-huit mois de présidence d’IBK, trois premiers ministres se sont succédés : Oumar Tatam Ly de septembre 2013 à avril 2014 ; Moussa Mara d’avril 2014 à janvier 2015, et Modibo Keita depuis le 9 janvier 2015.

Le caractère opportuniste da la vie politique malienne

Sous le président ATT, la politique du consensus – désignée par la « neutralisation des partis politiques, la distribution de prébendes, et les liens clientélistes tissés entre le pouvoir et les dirigeants des principales formations politiques » (Boudais & Chauzal, 2006) semble être toujours d’actualité, sous la présidence d’IBK. A l’issue des élections législatives de 2013, le parti du président IBK, le Rassemblement pour le Mali (RPM), a remporté seulement 66 sièges. Ne disposant pas, à lui seul, de la majorité des 147 sièges du parlement, et compte tenu du caractère opportuniste des alliances électorales, le parti présidentiel est toutefois parvenu à constituer une alliance qui a permis la formation d’une majorité présidentielle composée de 115 parlementaires. Les élections n’ont d’ailleurs permis qu’un renouvellement limité du personnel politique au sein du parlement malien.

L’anthropologue malien Birama Diakon (2013) impute le refus d’alternance de la classe politique malienne à un sentiment de crainte, et estime qu’il faudrait que ceux qui ont gouverné le Mali pendant deux décennies se disent : « 20 ans, ça suffit, on se retire. Mais ils savent que s’ils perdent leurs postes au gouvernement, ils risquent d’aller en prison. C’est pour cela que nous assistons aujourd’hui à la formation d’une coalition de tous ceux qui veulent sauver leur tête […] ».

Un des partis pris de cette note est de considérer qu’Ibrahim Boubacar Kéita n’avait pas de programme intégral pour le Mali. Celui présenté durant la campagne électorale était d’ailleurs assez flou, contrairement au programme du challenger Soumaïla Cissé. Le slogan de la restauration de l’autorité et de la souveraineté de l’Etat, qu’il avait fait sien, ne résultait d’aucune planification étayée. Depuis, la popularité recueillie par IBK, à l’issu de l’élection présidentielle de 2013, s’est très vite érodé sur le plan national, les attentes de changement tant exprimé par les Maliens, jusque-là, tardant à se concrétiser.

Les surfacturations dans l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires, une preuve de la persistance de  pratiques de corruption et de clientélisme

Dans le contexte de la crise sécuritaire, les impératifs de dotation des forces armées malienne, engagées dans les opérations de reconquête du territoire, ont servi de contexte au ministère malien de la Défense, pour instaurer une politique d’équipement. Ainsi, le gouvernement malien a effectué en 2014 des acquisitions d’un montant total de 88 milliards de francs CFA (134 millions d’euros), dont 19 milliards de francs CFA (29 millions d’euros) pour l’acquisition d’un avion destiné au président de la République, et 69 milliards de francs CFA (105 millions d’euros) pour des équipements et matériels destinés aux forces armées.

Les contrats d’acquisition d’un aéronef présidentiel et la fourniture aux Forces armées maliennes d’équipements militaires, signés par le ministre de la défense et des anciens combattants, nous ont démontrés que la corruption, difficile à enrayer, est un phénomène institutionnalisé au Mali. Si les élites politiques peuvent se succéder, le système de gouvernance, lui, reste inchangé. Pendant que le Mali, au lendemain de l’élection présidentielle, s’achemine lentement vers la sortie de crise, les Maliens, ‘’agacés’’ par l’inopportunité de l’achat d’un nouvel avion présidentiel, ont vu dans cet acte une dépense de prestige qui n’était guère indispensable dans une situation économique catastrophique. C’est dans ce cadre qu’une mission du Fonds monétaire international (FMI), s’est rendue au Mali en septembre 2014, dans le but de faire toute la lumière sur l’achat du nouvel avion présidentiel, et sur le contrat d’équipements militaires passé par le ministère malien de la Défense. Cette situation a poussé le Fonds monétaire international (FMI) à geler ses crédits pour le compte de l’Etat malien.

Le rapport du bureau du Vérificateur général, l’organisme principal de lutte contre la corruption, décrit des transactions illégales exécutées par l’Etat : « Le ministère de la Défense et des Anciens Combattants et le ministère de l’Économie et des Finances ont irrégulièrement passé, exécuté et réglé les deux contrats d’acquisition et de fourniture ». Il met en évidence une surfacturation de 29 milliards de francs CFA dans le cadre du contrat de fournitures militaires passé de gré à gré, en 2013, entre le gouvernement malien et l’entreprise Guo-Star. Dans cette affaire, une entreprise privée s’est ainsi vue attribuée, « sans avoir même demandé », un contrat de 69 milliards de francs CFA exonéré de tous droits d’enregistrement.  Elle a également reçu une garantie de l’acheteur – Etat – sans laquelle la banque n’aurait jamais financé une telle opération au profit de cette société. D’où l’interrogation du bureau du vérificateur : « Peut-on indiquer le moindre risque qu’a pris cette entreprise dans le cadre de ce contrat, pour bénéficier  in fine d’une marge bénéficiaire de plus de vingt-cinq milliards de francs CFA » ?

Par la suite, tout au long de la présidence d’IBK, le problème de la corruption s’est visiblement considérablement empiré, dans la mesure où il a atteint des proportions inédites. Le dernier rapport du Vérificateur général, portant sur les années 2013 – 2014, a été remis au président malien début mai 2015. En citant des exemples très précis, le rapport dénonce un manque pour les caisses de l’État s’élevant à 153 milliards de francs CFA (environ 234 millions d’euros), qu’il impute à la corruption et à la mauvaise gestion…

 


[1] Dans son Rapport final sur l’élection présidentielle de 2013, la Mission d’observation électorale de l’Union européenne au Mali relève qu’un tel taux de participation n’avait jamais été atteint sous la Troisième République.

 

La diplomatie islamique du Maroc vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne

JPG_Maroc ImamsAu Mali, une simple connaissance de la langue arabe, aussi superficielle soit-elle, suffit pour devenir imam ou prêcheur. Une partie des imams ne maitrise d’ailleurs pas la langue arabe, qui est la langue de l’islam, et n’est dépositaire que de connaissances théologiques effleurées. Bien que pouvant présenter des déficiences, ces leaders religieux sont toutefois acceptés comme tels, et leurs propos restent perceptibles auprès de leur auditoire, les fidèles.

Il n’y a pas de formation spécifique au Mali, on devient donc imam par la force des choses.  Les mosquées dans lesquelles officient ces imams, sont généralement privées. Les ‘’généreuses’’ personnes impliquées dans le religieux, qui les bâtissent, choisissent librement leurs imams.

La visite du roi du Maroc, Mohamed VI, à Bamako le 18 février 2014, a donné lieu à la conclusion d’un accord sur la formation d’imams maliens. Le royaume du Maroc s'est engagé à accueillir cinq cents imams maliens sur cinq ans. Le but est de former des imams authentiques sur la base de l’islam malékite, ouvert et tolérant. En sus de ses caractéristiques strictement religieuses, il nous parait que cette généreuse offre du royaume chérifien, vis-à-vis de l’État malien, s’inscrit aussi dans un cadre géopolitique qu’il nous semble important d’analyser. 

La formation des imams maliens par le royaume du Maroc

Cent six imams maliens, sélectionnés par le ministère malien du Culte et des Affaires religieuses, sont actuellement en formation dans un centre de formation des imams, de Rabat. Il s’agit pour la plupart, d’imams débutants, âgées de 25 à 45 ans, et venant de toutes les régions du Mali. Cette formation est structurée autour des enseignements sur la méthodologie du prêche, l’histoire de l’islam, la vie du prophète, les sciences coraniques, mais aussi en informatique et en communication. L’expérience malienne a inspiré d’autres pays africains, qui souhaitent également former leurs imams au Maroc. Le ministère marocain des Affaires islamiques a ainsi reçu les demandes de formation du Gabon, du Nigéria, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée Conakry. Face à ces demandes, le 12 mai 2014, le roi Mohamed VI a donné le coup d'envoi des travaux de « l’Institut Mohammed-VI de formation des imams, morchidines (prédicateurs) et morchidates (prédicatrices). Situé à Rabat, et couvrant trois hectares, le centre abritera des salles de cours et de conférence, des locaux administratifs, des logements et des services de restauration pour les étudiants étrangers. « Le coût des travaux est évalué à 140 millions de dirhams (environ 12 millions d’euros) »[1].

Le programme de formation des imams maliens semble opportun, compte tenu des récentes manifestations de l’islam au Mali. Par ailleurs, il laisse apparaitre ses limites. Le directeur de cabinet du ministre marocain des Affaires islamiques explique que son pays forme « des imams authentiques qui n’iront pas chercher d’autres idées que celles qui sont dans la population depuis des siècles »[2]. Il apparait ainsi que, d’une part, le projet de formation des imams par le Maroc vise à préserver les choix rituels et doctrinaux du pays, relevant de l’islam malékite. D’autre part, cette démarche aurait sans doute été bénéfique, seulement, dans le cas où les autorités maliennes octroieraient l’imâma (la fonction d’imam, par extension de prédication).

La sphère religieuse malienne n’étant soumise à aucune règle spécifique, la portée de cette démarche risque de produire que des impacts très limités. La construction de mosquées au Mali n’est soumise à aucune autorisation préalable. Une structure ou personne qui en érige une, est libre de choisir la personne qui lui semble qualifiée pour conduire les prières et les prêches. La segmentation de l’espace religieux malien étant très prononcée, il est systématique qu’on retrouve dans les mosquées wahhabites les imams de la doctrine et, dans les mosquées malékites, des imams imprégnés du malékisme. Nous considérons que le programme de formation n’ait réellement concerné les imams, et leaders religieux les plus aptes à y participer, c’est-à-dire ceux de la tendance salafiste. Nous avons ainsi pu constater que ceux des imams maliens qui ont fait le déplacement vers le Maroc, en vue d’être formés, sont déjà imprégnés de la culture malékite. Si le but essentiel de la formation consiste à promouvoir un islam tolérant, il devrait nécessairement concerner, en premier lieu, les leaders religieux les plus rigoristes, afin de les ramener à des positions plus modérées. Cet objectif nous semble pourtant difficilement réalisable, car l’islam malékite représente, pour les salafistes/wahhabites, une vision erronée de la religion musulmane. Le choix des personnes, pouvant participer au programme de formation, n’a pu être donc basé sur une procédure ciblée. N’ont répondu à l’appel à candidature, que les imams intéressés par l’offre. Il est donc clair que ceux-ci avaient un penchant pour le rite malékite.

L’islam comme un pont reliant le Maroc à l’Afrique subsaharienne

Compte tenu du rôle croissant du Maroc sur la scène africaine, qui s’exerce aussi fortement à travers la religion, nous nous sommes questionné sur les intérêts que le pays peut tirer de ce type de processus. Outre les mesures de « diplomatie économique », le Maroc a su exploiter d’autres pistes, notamment le biais idéologique (‘’diplomatie islamique’’), dans ses rapports avec l’Afrique subsaharienne. Les convergences idéologiques, en ce sens, pourraient ainsi avoir tendance à favoriser les convergences politiques. Comme l’écrit Alain Antil : « le roi du Maroc cumule les rôles de souverain théocratique et de chef d’État moderne avec des moyens de communication de masse qui permettent de relayer son image et ses discours dans toutes les régions du royaume […] Il est véritablement au-dessus des lois car il détient son autorité de Dieu […] La politique étrangère du royaume n’est que le reflet de la structure du pouvoir, et apparait d’abord comme le domaine réservé du roi » (Alain Antil, 2003). Le souverain du Maroc mène ainsi le jeu diplomatique, qu’il conçoit et conduit lui-même, assisté par quelques conseillers. Il nous semble alors naturel, de ce point de vue, que la religion soit placée au cœur de la diplomatie marocaine, vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne.

Tout comme le malékisme fut un important facteur de rapprochement entre les sultans marocains et les empereurs du Soudan Occidental[3], le Maroc semble instaurer, à nouveau aujourd’hui, un cheminement identique visant à conforter ses liens avec des États d’Afrique subsaharienne. Ainsi, à travers ce type d’initiatives, c’est la grandeur du Maroc dans le domaine de l’islam qui se réaffirme sur la scène africaine. En outre, en tant que commandeur des croyants au Maroc, le processus de formation d’imams africains pourrait étendre la portée de l’influence doctrinale du roi Mohamed VI, à d’autres régions subsahariennes, notamment imprégnées du malékisme.

Suite à l’admission de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) au sein de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), lors du sommet de Tripoli de 1982, le royaume du Maroc, en guise de protestation, s’est retiré de l’instance africaine en 1984. Parmi les quatre-vingt pays qui ont reconnu la RASD, dont une majorité d’Etats africains, une trentaine est revenue sur sa décision de reconnaissance. Bien qu’il ait pris part au 22ème sommet de l’Union Africaine (UA), tenu les 30 et 31 janvier 2014 à Addis Abéba, le royaume exclut toute idée d’un retour au sein de l’instance africaine, tant que la RASD y siégera. Cette divergence de visions politiques, qui oppose le Maroc à l’assemblée des États africains, n’empêche toutefois pas le royaume d’exploiter d’autres approches de coopération.

Le partenariat  religieux est désormais inscrit au cœur de la diplomatie marocaine, vis-à-vis de plusieurs États d’Afrique subsaharienne. Face à la conjoncture régionale et internationale, avec l’islam qui apparait, dans des régions, très hostile et sous une forme violente, le Maroc tend progressivement à apparaitre comme un pays clé, pouvant contribuer à radoucir cette religion. Abdelslam Lazaar, directeur de l’école de formation des imams de Rabat, explique ainsi : « Aux étudiants, nous apprenons à lutter contre le terrorisme par le savoir. Par les armes, même pendant vingt ans, vous n’y parviendrez pas. Utilisez le savoir et la pensée, en trois ou quatre années, vous pouvez éradiquer le terrorisme »[4].


[1] Information révélée par Le Matin du 12 mai 2014.

[2] Propos évoqués dans La croix du 23 juin 2014.

[3] L’espace du Soudan Occidental représente une bande de territoires soudano-sahéliens qui traverse en écharpe le continent africain, entre le Sénégal et la Corne de l'Afrique, avec un prolongement le long de la côte de l'Océan Indien. Cette partie de l’Afrique a connu, dans le moyen âge, un essor simultané sur le plan économique, politique, culturel et religieux, à travers l’édification de grands empires (Ghana, Mali, Songhaï).

[4]Propos évoqués dans Libération du 4 janvier 2015.

Mali : Pourparlers d’Alger, l’éternel recommencement ?

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Eu égard aux nombreux accords de paix peu fructueux, précédemment conclus entre les mouvements armés touaregs et l'État malien, on est en droit de se demander si les négociations qui se déroulent actuellement à Alger ne sont pas rien d’autre que la suite d’une longue série de désillusions.

Les discussions ont été planifiées en trois phases : après l’adoption en juillet d’une feuille de route sur le déroulement des négociations, les deux parties discutent actuellement sur les questions de fond en vue d’un  pré-accord, supposé déboucher sur la signature d’un accord final. Entamées dès la mi-juillet, à ce jour, les négociations n’ont produit aucun accord définitif. On pourrait cependant estimer qu’elles semblent être parties pour durer, dans la mesure où il existe une profonde dissension entre  les groupes touaregs présents à Alger.

Le 4 juillet 2006, des accords de paix avaient déjà été conclus entre l’État malien, et l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement (ADC, un groupe armé touareg). Ces accords faisaient suite au soulèvement armé du 23 mai 2006 à Kidal et à Ménaka. L'histoire nous enseigne que sceller des accords sur des bases fragiles n’est guère la garantie d’une paix durable.

Les circonstances des pourparlers de 2014 diffèrent largement de celles de 2006 sur plusieurs points. Dans la démarche, on s’aperçoit que les représentants des populations de l’ensemble du Nord-Mali, et pas seulement touarègues sont associés aux discussions en cours. La question est de savoir si elles seront entendues. Pendant ce temps, des populations de Gao et Tombouctou continuent de manifester pour exiger leur attachement à la République du Mali.  Le Collectif des ressortissants du Nord (COREN), présent à Bamako, enchaine également les manifestations pour s’opposer à ce que les groupes armés négocient au nom de toutes les composantes du Nord-Mali. 

En 2006, l'État malien était en position de force face aux interlocuteurs touareg. Pendant les discussions, il continuait d’assoir son autorité sur la zone disputée. En 2014, la région de Kidal (principal fief touareg) est dépourvue de toute présence de l’Etat du Mali. L’autorité des groupes armés touaregs s’affirme d’autant plus que l’armée malienne a essuyé une défaite cuisante lors de sa tentative d’accaparement de Kidal. Cela peut laisser croire que Kidal, quelle que soit l’issue des pourparlers d’Alger, restera aux mains des rebelles  touareg. En mai, le Premier ministre malien Moussa Mara avait été sommé par les rebelles touaregs de renoncer à sa visite à Kidal. N’ayant pas été dissuadé par cette mise en garde, sa visite forcée a donné lieu à un violent affrontement qui a causé la mort de plusieurs personnes dans le camp gouvernemental.

Dans le processus du dialogue, le président malien Ibrahim Boubacar Kéita se trouve dans une situation très inconfortable. On se souvient qu’il a dû recourir à la Cour constitutionnelle du Mali pour s’opposer aux accords d’Alger de 2006. En effet, son parti, le Rassemblement pour le Mali (RPM), les avait simplement rejetés, estimant qu’ils étaient trop onéreux au profit des groupes touaregs et dommageables pour l’Etat malien. Au vu de ses propos antérieurs et aux agissements qui en ont découlé,  il est contraint de faire montre d’une attitude de fermeté à l’égard des revendications touareg. Les négociations pourraient donc en pâtir.

La première défaite du président malien porte sur le lieu des discussions. Il avait exigé qu’elles se tiennent au Mali et nulle part ailleurs, du fait de leur caractère inter-malien. Les protagonistes touaregs, s’y étant opposés, ont fini par obtenir qu’elles aient lieu à Alger.

La situation demeure plus que jamais complexe car d’une part, les mouvements touaregs sont scindés en plusieurs groupes (le MNLA, le MAA et le HCUA), avec des revendications parfois divergentes. D’autre part, les décisions communes approuvées par certains représentants politiques présents à Alger sont rejetées par leurs bases militaires à Kidal. C’est le cas du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) dont le coordinateur militaire présent à Targuent (près de Gao) disait que « ceux qui ont signé le pré-accord avec le gouvernement malien, ne représentent pas le MAA, et ne sont que des imposteurs qui ont quitté le mouvement pour rejoindre le MNLA ».

A ce sujet, lors de sa rencontre du 6 octobre 2014 avec les diplomates accrédités au Mali, le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop, de retour d’Alger, confiait ainsi que certains groupes armés touareg ont refusé de s’asseoir à la même table de négociations que d’autres groupes, accusés d’être proches des autorités maliennes.

Les différences sont marquantes et les positions semblent figées. L’État  malien estime non-négociable le projet de fédéralisme exprimé par les groupes touareg. Étant donné la position de force des groupes armés touareg, l’attachement d’une grande partie de la population septentrionale à la République du Mali et  la marge de manœuvre relativement étroite du gouvernement du Mali, on peut estimer qu’à défaut d’une indépendance ou d’un fédéralisme, on s’achemine timidement vers l’attribution d’un statut particulier au nord du Mali, qui accorderait plus d’autonomie à cette partie du pays. Cela devrait nécessairement donner lieu à une réorganisation administrative du Mali.

L’avantage à tirer des échecs antérieurs est de situer clairement les dysfonctionnements qui ont causé les résurgences incessantes des rebellions touarègues, et d’y remédier afin de bâtir une paix réellement durable.

Parallèlement à l’aspect politique, il est important que justice soit rendue aux victimes d’exactions, car il serait contre-productif d’envisager une réconciliation en ignorant l’étape de la justice.

Il est extrêmement important pour l’État malien que les groupes touareg parlent d’une seule voix. Lors des précédentes rebellions, les accords conclus n’ont jamais été acceptés à l’unanimité par les différents mouvements. Il n’est donc guère étonnant de voir les réfractaires aux accords de paix reprendre les armes. Si leur efficacité est prouvée sur le terrain militaire, les groupes touareg sont caractérisés par le flou et l’incohérence politique. Concernant leurs rapports, ils sont fragmentés et n’ont su présenter aucunes revendications communes. Quant à leurs exigences, on ignore jusque-là ce que recouvrent véritablement les notions d’indépendance, de fédéralisme ou encore d’autodétermination parfois revendiquées.

Dans la formulation des propositions, l’Etat malien devrait d’une part s’abstenir de toute concession au-delà du raisonnable. Dans le cadre de l’exécution des accords d'Alger  pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal, signés en 2006, des combattants touareg intègrent l’armée nationale malienne, et sont autorisés à rester dans leur zone. Leur défection de l’armée, et leur ralliement au MNLA, pendant les dernières hostilités en 2012, a été un important facteur dans la chute du Nord-Mali.

D’autre part le gouvernement malien ne devrait formuler aucun engagement qui serait difficilement applicable. Antérieurement, la non-exécution des accords de paix a aussi servi d’alibi aux groupes touareg dans l’enclenchement des hostilités les opposant à l’État du Mali.

Serval: prémisse d’une présence militaire française définitive au Mali (2)

Soldats Français en partance pour Bamako - Opération ServalInstituées comme étant un outil de sécurité et de stabilité pour une Afrique nouvellement décolonisée, un demi-siècle après, des bases militaires françaises continuent d’exister dans nombreux pays africains (les Comores, le Cameroun, le Gabon, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, Djibouti…), ce qui peut paraitre incompréhensible, d’autant plus que ces pays ne sont pas les plus stables d’Afrique.

Lors de sa visite en Afrique du Sud le 28 février 2008, Nicolas Sarkozy annonçait devant les parlementaires sud-africains, que la France étudierait les modalités de son retrait militaire d’Afrique. Six ans plus tard (2014), il n’en est rien. Et le nouveau livre blanc du ministère français de la défense, sur la défense et la sécurité nationale, conçu à la demande du Président  François Hollande en 2013, ne l’évoque pas non plus. Dans le même livre, il apparaît toutefois clairement que : "les nombreux partenariats stratégiques de la France, ainsi que les partenariats de défense conclus avec plusieurs pays, confortent sa position d’influence au niveau mondial", ce qui expliquerait le consensus affiché en la matière, sous toutes les présidences de la cinquième République, quelle que soit la mouvance au pouvoir. Ce constat pousse également à se demander si la France se retirera un jour des pays africains où ses forces sont stationnées.

Sous le gouvernement de Lionel Jospin, le processus de désengagement de l’armée française d’Afrique était amorcé à la fin des années 1990, sous la formule « Ni ingérence, ni indifférence », puis élargi sous Sarkozy (révision des accords de défense, fermeture de certaines bases en Afrique). A cette époque déjà, " la France ne souhaitait plus intervenir en Afrique subsaharienne qu’en appui d’efforts africains et dans un cadre multinational ". Par ailleurs, elle devait participer au renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, c’est-à-dire, œuvrer à la conception de bataillons africains équipés et entrainés par la France.

Aujourd’hui (sous la présidence Hollande), ce processus est simplement suspendu, au nom des nouvelles menaces, notamment « terroristes ». Au point de se demander si la recrudescence de l’insécurité, et le décuplement de groupes armés dans la bande sahélo-saharienne d’Afrique, n’était en réalité pas stratégiquement opportune pour la France. Car cette conjoncture lui confère une légitimé irrécusable d’être militairement présente au Sahel, d’autant plus que dans le cas malien, l’assistance française fut implorée par l’Etat et l’ensemble de la population malienne. Les troubles sécuritaires dans certaines contrées africaines paraitraient ainsi propices à la stratégie militaire française à l’égard de l’Afrique.

Par ailleurs, la France a une importante part de responsabilité dans la promotion de l’islamisme dans le Sahel, et ce n’est sans doute pas en ignorant les conséquences. Le 22 Février 2003, 32 touristes européens sont pris en otage par le Groupe Salafiste pour le Prédication et le Combat (GSPC) dans le sud Algérien. Après de longues négociations pilotées par l’Etat malien, 17 d’entre eux seront relâchés en Algérie, 14 au Mali, contre le versement d’une rançon, et le dernier mourra en captivité. A partir de ce précédent, l'ensemble des otages européens enlevés en Algérie, en Mauritanie, et au Niger sont immédiatement transférés au Mali dans le but d’entamer des négociations.

Le 18 Février 2010, en échange de l’otage français Pierre Camatte qui était détenu par AQMI, le Mali aurait, sous la pression française, accordé la liberté à quatre terroristes – Mohamed Ben Ali, 31 ans et Tayed Nail, 29 ans (Algériens), Houti Karito, 26 ans (Burkinabé) et Beib Ould Nafa, 25 ans (Mauritanien) – qui avaient été appréhendés neuf mois plus tôt à Tessalit. Cette libération s’est faite au mépris de l’Algérie et de la Mauritanie qui réclamaient l’extradition de leurs ressortissants parmi les terroristes libérés. En guise de protestation, l’Algérie et la Mauritanie ont rappelé leurs ambassadeurs à Bamako. Selon Nicolas Sarkozy, Président français au moment des faits, le Président malien Amadou Toumani Touré a pris la « bonne décision ». Quelques mois après leur libération, ces mêmes personnes auraient été impliquées à nouveau, dans un enlèvement de touristes occidentaux.

Le 29 octobre 2013, quatre otages français qui avaient été enlevés le 16 septembre 2010 à Arlit au Niger sont libérés. Si le gouvernement français nie le versement d’une rançon, plusieurs sources font état du versement d’une vingtaine de millions d’euros aux ravisseurs.

La situation paraît d’autant plus confuse qu’Ahmada Ag BIBI[1] serait celui qui, par ses rapports parentaux avec le chef d’Ansar Ed Dine, a permis la libération des quatre otages. Selon Soumeylou Boubeye Maiga, Ministre malien de la défense, « Ce qui est important c’est la libération des otages qu’il y ait eu versement de rançon ou pas ». Selon lui, « cela ne change rien au fond du problème qui reste la lutte contre les groupes terroristes ».

Si le ministre malien de la défense semble banaliser la question, ce sont là des actes, qui, pendant plusieurs années, ont encouragé et rétribué les forfaits de groupes terroristes dont le but est clairement de déstabiliser la région sahélo-saharienne.

Le versement traditionnel de rançon par la France aux groupes terroristes ne fait que renforcer ces derniers, et accroît l’insécurité des ressortissants français dans certaines parties du monde, car ils sont bankables, c’est-à-dire des valeurs sûres pour les preneurs d’otages. L’idée qui est soutenue n’est pas d’abandonner les otages français aux mains de leurs geôliers, mais la question qui se pose est : si la France n’avait pas participé à inscrire les enlèvements au rang des activités mafieuses les plus rentables dans le Sahel, ses ressortissants ne seraient-ils pas moins en danger ?

Nous sommes là face à une situation où la France déploie d’importants moyens financiers pour libérer ces otages, et finit par déployer d’importants moyens militaires pour combattre des groupes qu’elle a elle-même  armés. Lors de l’assaut des groupes djihadistes sur Konna, le 9 janvier 2013, (assaut qui a suscité l’intervention militaire française), située à 70 kilomètres de Mopti, limite que l’armée malienne souhaitait rendre infranchissable, le dispositif militaire et logistique déployé par ces groupes était impressionnant. Il leur a fallu mobiliser des centaines d’hommes lourdement armés, des centaines de véhicule 4X4 tout terrain spécialement équipés pour les combats, des milliers de litres de carburant. D’où la nécessité de se poser la question suivante : d’où puisent-ils tous ces moyens ?

                                                                              Boubacar Haidara

 

 

[1] Ancien député malien, leader du Haut conseil unifié de l’Azawad (HCUA), et candidat du parti présidentiel (RPR) aux législatives de 2013 dans la localité d’Abeibara.

Serval: prémisse d’une présence militaire française définitive au Mali (1)

Soldats Français en partance pour Bamako - Opération ServalLes chuchotements, concernant la conclusion d’un accord militaire franco-malien, semblent timidement augurer une longue présence militaire française au Mali, voire définitive. Lorsque la France intervenait militairement au Mali, les autorités françaises ont dévoilé le calendrier de la force Serval qui, à terme, devait laisser place aux forces maliennes et africaines. La force Serval avait été engagée dans le pays pour une mission bien déterminée et avait vocation à se retirer. En aucun cas sa présence sur le territoire malien ne s’inscrivait dans le long terme. « La France n’a pas vocation à rester au Mali », disait d’ailleurs le président François Hollande. Mais quand nous entendons le ministre de la Défense M. Le Drian, à propos de l’accord en passe d’être signé avec le Mali, dire : « les relations militaires entre le Mali et la France sont appelées à se pérenniser et l’objectif commun de lutte contre le terrorisme sera inscrit dans cet accord qui ira au-delà d’une simple coopération de défense classique. Et Serval servira de force de réaction rapide à l’armée malienne », on peut alors se demander si elle se retirera un jour..

Pourtant, un an plus tôt, il n’était point question de perpétuer une force militaire française au Mali. Jean Yves Le Drian lui-même déclarait : « On n'a pas vocation à rester, on a vocation à progressivement transférer nos responsabilités militaires aux forces africaines et aux forces maliennes qui sont en ce moment en voie de reconstitution ».

Quelques jours avant la célébration de la fête de l'armée malienne (20 janvier 2014), avec invité d'honneur Jean-Yves Le Drian ministre français de la défense, la signature imminente d'un accord de coopération militaire franco-malien était annoncée et relayée par l'ensemble de la presse malienne. Dans le but de l'instauration pérenne de la sécurité dans le Nord- Mali, et pour éviter que le pays soit à nouveau sujet aux attaques djihadistes et terroristes, les nouvelles autorités maliennes issues de la période post-crise, envisageraient ainsi de sceller avec la France un accord de défense. Soumeylou Boubèye Maiga, ministre malien de la Défense disait qu’il : « s’agit d’envisager la présence des unités françaises sur la base d’un support politique et juridique qui puisse prendre la forme d’un accord militaire ».

Comme annoncée dans la presse malienne, l’accord en question devrait se concrétiser par l’installation d’une base militaire française à Tessalit, dans la région de Kidal, qui a la réputation d'être une zone stratégique, longtemps convoitée par les puissances étrangères. Même si elles étaient très minoritaires et peu relayées, des voix s’étaient pourtant élevées au moment de l’intervention de la France au Mali, pour dénoncer derrière la mission humanitaire, une stratégie française de se maintenir militairement au Mali. Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre malienne s’était opposée à l’intervention militaire française au Mali. Selon elle, « Derrière l’humanitaire, c’est une guerre de positionnement pour défendre des intérêts géopolitiques – contre le terrorisme- mais aussi pétroliers et miniers – le Mali a des ressources naturelles convoitées ». La situation actuelle, telle qu’elle tend à se dessiner, convergerait ainsi avec les idées de ceux qui ont interprété la déstabilisation du Nord-Mali comme étant un prétexte ayant également pour objectif, l’installation d’une base militaire française dans cette région du Mali.

N y a t-il pas d'autres moyens pour aider le Mali à sécuriser ses régions en proie au terrorisme, que par l'installation d'une base militaire étrangère notamment française? Prévu pour être paraphé le 20 janvier, jour de la fête de l’armée malienne, la signature dudit accord, sous la pression de certaines forces politiques maliennes, a finalement été repoussée à une date ultérieure. Lors d’une conférence de presse organisée le 17 janvier 2014, les leaders du Mouvement populaire du 22 mars (MP22) se sont opposés à la signature de cet accord qui se profilait, et ont alerté la population sur les conséquences d’un tel accord pour le Mali. Soumaila Cissé, chef de l’opposition malienne, souhaite, quant à lui, qu’un accord de défense franco-malien passe d’abord par l’approbation du Parlement.

Au moment où la France, par la voix de ses autorités, n'entend elle-même plus être le gendarme de l'Afrique, dans une logique de crédibilité, un accord militaire avec le Mali devrait plutôt se matérialiser par des assistances matérielles, techniques et par des formations à l’endroit des militaires maliens, plutôt que par l’installation d’une base militaire française. Si la France veut réellement aider le Mali en particulier, et les pays d’Afrique en général, elle devrait plutôt œuvrer au renforcement de leurs capacités militaires. L'idée développée par François Hollande lors du sommet de l'Elysée (les 6 et 7 décembre 2013), de former et d'équiper 20 000 soldats africains chaque année pour constituer une force d'intervention rapide sous l'égide de l'Union africaine, semble être une option préférable à l’installation de bases militaires françaises au Mali, ou n’importe où ailleurs en Afrique. La présence militaire française en Afrique constitue en réalité un gage de domination politique, économique et reste une forme d’ingérence de la France dans les affaires internes de ses anciennes colonies.

Boubacar Haidara

Algérie: le statu quo plutôt que l’alternance

bouteflikaMalgré un état de santé chancelant, le Président algérien, très affaibli, n’a pas hésité à se porter candidat à sa propre succession. L’élection présidentielle du 17 avril 2014, dépourvue de  tout suspense, paraissait comme une simple formalité car le candidat Abdelaziz Bouteflika était assuré de l’emporter.

Après la vague de printemps arabe dans le Maghreb, les législatives du 10 mai 2012 donnaient déjà un aperçu de la présidentielle d’avril 2014. Elles ont été remportées par le front de libération national (FLN), le parti présidentiel, qui garda le contrôle de l’assemblée nationale. Ce dernier, allié au rassemblement national démocratique (RND), a remporté 288 sièges sur 462, dont 220 pour le FLN.

Une importante part de la population algérienne, bien qu’indignée, est pourtant restée indifférente face à un mandat de plus pour M. Bouteflika. Les rassemblements et collectifs formés exclusivement pour dénoncer ce quatrième mandat ne mobilisèrent point le peuple algérien.

Il est important de signaler que ce qui était exigé par les opposants à la candidature du Président sortant, c’est l’alternance. Pourtant, le principal adversaire de M. Bouteflika, parmi les cinq autres, Ali Benflis, n’incarne pas la rupture avec le système, lui-même ayant été Premier Ministre du Président Bouteflika. Elire M. Benflis aurait été un changement de personne à la tête du pouvoir, mais certainement pas un changement de système.

La situation ayant poussé les populations tunisiennes et égyptiennes à se soulever contre leurs régimes est assez semblable à celle que vivent les Algériens : absence d’importantes réformes de la part de l’Etat, la montée du chômage des jeunes, l’accentuation de la pauvreté…Mais eu égard à ce qu’a connu le pays durant les années 1990, « les années de braise » selon Hamit Bozarslan, les algériens tiennent à la stabilité, d’où leur adhésion au régime de M. Bouteflika.

Nombreux parmi eux, bien qu’aspirant à une transition démocratique,  préfèrent Bouteflika au pouvoir, plutôt que de risquer voir leur pays s’embraser sous des manifestations qui pourraient se muer en émeutes. Face aux troubles sévissant dans les pays voisins en quête d’une transition politique,  les Algériens ont donc  préféré l’idée d’une stabilité à l’alternance.

Comme le dit Jacques Hubert-Rodier, « Une révolution est une émeute réussie. Une émeute est une révolution qui a échoué ». La frontière entre ces deux notions est facilement franchissable. L’Algérie estime avoir déjà eu son printemps arabe avec l’éviction du président Chadli Benjedid, par les généraux « janviéristes », à la suite des émeutes d’octobre 1988.

La passiveté des Algériens face à la vague de contestations dans le Maghreb (Egypte, Lybie, Tunisie), entamée en décembre 2010, les aurait ainsi contraints de se plier à la décision du président Bouteflika de se porter candidat pour un quatrième mandat.

La première raison de cette relative retenue tient évidemment au traumatisme de la guerre civile dans les années 1990, qui coûta la vie à plus de 100 000 personnes. Cette résignation pourrait s’expliquer par d’autres causes, plus profondes. Selon Abdallah Djaballah, ancien candidat à la présidentielle (1999 et 2004) et président du Front pour la justice et le développement (FJD), l’Algérie n’a pas connu le printemps arabe car elle « n’a pas fini de panser les blessures de son passé ». Les révolutions dans les pays voisins ont certes donné lieu à une transition politique, mais ont entrainé le désordre, une explosion de l’insécurité et des situations parfois moins meilleures que sous les régimes " autoritaires ".

 

Boubacar Haidara

L’impunité au Mali : Vers une récidive des erreurs précédemment commises ?

dv1915456Depuis que le Mali a rompu avec le régime dictatorial du général Moussa Traoré (1968-1991), suite à la révolution du 21 mars 1991, la démocratie malienne instaurée par Alpha Oumar Konaré et perpétuée par Amadou Toumani Touré, était un exemple, et citée parmi les plus prometteuses d’Afrique. La crise que vit le pays depuis mars 2012, sans doute la plus importante de son histoire, a sérieusement fracturé la société malienne dans son ensemble, bouleversé le dispositif politique, et permis de dévoiler ce mirage démocratique longtemps vanté, qui était pourtant bâti sur des bases fragiles.

L’issue de cette crise devrait donner lieu à une réorganisation en profondeur de la société malienne, à une redéfinition de la politique et un véritable dialogue entre différents antagonistes afin d’aboutir, enfin, à un consensus et une paix réellement durable. Pour cela, il est indispensable d’éviter les solutions expéditives pour ne pas à nouveau commettre les mêmes erreurs que lors des précédentes crises.

L’impunité : solution de la crise malienne ?

Le Mali semble de plus en plus dans une impasse. Les décisions politiques "désespérées" du président Ibrahim Boubacar Kéita (élu en août 2013) pour amener le pays vers la paix paraissent inopportunes, et l’inextricabilité de la situation malienne est de plus en plus prononcée. Des décisions politiques inopportunes, car, dans l’intégralité du processus de résolution (entamé par l’élection présidentielle) de la crise malienne, les principales victimes (en particulier les populations du nord) semblent être totalement ignorées.

L’impunité qui a prévalu dans de précédentes crises au Mali, est l’une des principales causes de celle que traverse le pays aujourd’hui. Pourtant, le 2 octobre 2013, le gouvernement malien a procédé à la libération de 23 membres du MNLA et du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA). Les mêmes actes avaient été posés sous la présidence d’Amadou Toumani Touré, qui mettait en liberté, sans aucune décision de justice, des terroristes arrêtés. Les mêmes éléments relâchés se trouvaient ensuite impliqués dans de nouvelles activités terroristes.

Toute la complication de la crise malienne réside dans les tensions existant entre les différentes communautés. Et c’est pourtant ce qui semble être ignoré par les dirigeants maliens. La réalité est qu’il existe aujourd’hui dans l’ensemble du Mali, et en particulier au nord, une indéniable dichotomie entre populations touarègues et non touarègues. De graves crimes ont sans doute été commis de part et d’autre. L’impunité sous prétexte d’une quelconque réconciliation, ne saurait être une base solide pour la paix, seule la justice permettrait d’y accéder. Le nouveau gouvernement malien aurait certainement dû mettre tout en œuvre, pour poursuivre et juger les auteurs des principales violations des droits humains commises, sans distinction de parties.

« Pour faciliter les négociations et dans le but d’accéder rapidement à la paix » dit-il, le ministre de la Justice malien a annoncé le 21 octobre 2013 la levée des mandats d’arrêt émis début février par le Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako contre des membres du MNLA. Cette décision pourrait davantage aggraver la fracture entre les communautés, en exacerbant la frustration des victimes et le sentiment d’impunité en faveur des présumés auteurs.

La levée des mandats d’arrêt en question ne découle d’aucune décision judiciaire, ce qui fait qu’elle engendre ce sentiment d’impunité. En réponse à la gronde sociale contre la levée desdits mandats d’arrêts et la libération des membres de groupes armés, le président malien a fait clairement savoir lors de l’ouverture des Assises nationales sur le nord le 2 novembre 2013 à Bamako que « c’est le prix à payer pour la réconciliation », car, a-t-il dit : « j’ai été élu pour gérer le réel et non pas pour satisfaire le fantasme des uns et des autres ».

Toujours dans la logique d’une réconciliation nationale, le parti présidentiel (RPM) est allé jusqu’à inscrire sur sa liste aux élections législatives de 2013, un présumé criminel qui aurait une responsabilité dans le meurtre de dizaines de soldats maliens à Aguel Hoc.  Il s’agit du leader du HCUA et candidat du parti présidentiel dans le cercle d’Abeïbara (région de Kidal). La candidature de celui qui, autrefois, était président du groupe parlementaire d'amitié Mali-Algérie, aux élections législatives ne peut qu’attirer l’attention. Lors de la dernière rébellion touarègue, il avait rapidement déserté l’Hémicycle pour rejoindre la contestation touarègue, puis le groupe djihadiste Ansar Ed Dine.

Réconciliation nationale et lutte contre l’impunité

Le prélude d’une situation de stabilité absolue au Mali  est la réconciliation nationale. Pour la grande majorité de la population malienne, le nom « Touareg » est indissociable de la notion de rebelle, d’ennemi de l’État. Il faudrait donc amener l’ensemble des populations maliennes, à comprendre, à travers une véritable campagne de sensibilisation, qu’un Touareg n’est pas forcément un rebelle. Cela passe obligatoirement par une décision de justice, sanctionnant ceux d’entre eux ayant été impliqués dans des crimes contre l’Etat et contre des populations civiles. Les populations victimes de la crise, particulièrement dans les villes auparavant occupées par les groupes armées, ne peuvent qu’être exaspérées de voir libérés des responsables présumés de graves crimes commis : crimes contre l’humanité, crime de guerre, crimes à caractères racial, régionaliste et religieux, assassinats, rébellion, terrorisme…

Pour accéder à une paix durable, aucune solution politique ne devrait être adoptée au détriment des victimes et d’une justice indépendante.

 

Boubacar Haidara