RD Congo : une nouvelle dynamique dans la résolution du conflit

Résolution conflit RDCDepuis la signature de l’Accord-Cadre sur la Paix, la Sécurité et la Coopération à la fin du mois de février, la situation dans l’Est de la République Démocratique du Congo a connu plusieurs évolutions, qui semblent confirmer un changement d’approche pour la construction de la paix dans la région. Constatant l’impuissance du gouvernement congolais à impulser un règlement bilatéral du conflit en négociant avec les rebelles du M23, les 11 chefs d’Etats d’Afrique centrale réunis à Addis-Abeba sous l’égide de l’ONU avaient pris en main le dossier congolais avec une nouvelle formule (onze Etats parties et l’Union Africaine, la CIRGL, la SADC et l’ONU comme facilitateurs). Au cours des dernières semaines, deux évènements sont venus confirmer cette dynamique d’internationalisation.

La Brigade d’Intervention Spéciale de l’ONU

Tout d’abord, le 29 mars 2013, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la Résolution 2098, qui prévoit le déploiement d’une Brigade d’Intervention Spéciale dans l’est de la RDC. Depuis son déploiement en 2000, la mission de maintien de la paix onusienne (MONUC, puis MONUSCO), malgré des troupes conséquentes (17 000 soldats déployés) et un budget colossal (plus de 10 milliards d’euros dépensés en 13 ans), avait vu ses capacités d’action limitées par des règles d’engagement contraignantes. Bien qu’elle ait au cœur de son mandat la protection des civils, la MONUSCO n’avait le droit d’ouvrir le feu que si elle était directement attaquée par des groupes armés. De ce fait, les casques bleus avaient dû assister impuissants à la prise de Goma par le M23 en novembre dernier et aux multiples exactions qui avaient suivi. Cette passivité contrainte – puisque les troupes onusiennes n’avaient pas fait l’objet d’attaques – avait considérablement entaché l’image de l’ONU dans la région. Les casques bleus, accusés de « tourisme militaire », semblaient avoir perdu une partie de leur légitimité auprès des populations locales.

La mise sur pied d’une Brigade vient donc à point nommé : composée de trois bataillons d’infanterie (3 000 hommes au total), elle va répondre à des règles d’engagement beaucoup plus robustes, qui lui permettent de mener des opérations offensives contre les groupes armés dans les Kivus afin de les désarmer. Cette brigade devrait être composée de forces armées africaines en provenance d’Afrique du Sud, de Tanzanie et du Malawi, ce qui témoigne d’un engagement continental accru dans la résolution du conflit.

Toutefois, une opération militaire, aussi robuste et efficace qu’elle soit, ne pourra se substituer à un véritable processus politique, lui seul à même d’apaiser les antagonismes et de prendre à bras-le-corps les problèmes structurels des Kivus. La communauté internationale semble également avoir pris conscience de cette nécessité, et c’est dans cette optique qu’a été nommée mi-mars une Envoyée Spéciale de l’ONU pour la région des Grands Lacs, en la personne de Mary Robinson. Celle-ci aura pour mission de piloter l’implémentation de l’Accord-Cadre signé à Addis-Abeba.

Quelles perspectives pour une intervention militaire ?

La Brigade d’Intervention autorisée par la Résolution 2098 marque-t-elle la (re)naissance de la MONUSCO ? Déjà, des voix s’élèvent pour mettre en garde contre un excès d’optimisme. Le déploiement de cette Brigade pourrait connaître des remous : son principal contributeur, l’Afrique du Sud, fait face actuellement à un scandale national après que treize de ses soldats aient trouvé la mort en Centrafrique dans une opération de « sauvetage » très contestée de François Bozizé. Sa participation à de nouvelles opérations loin de ses frontières fait désormais débat. Par ailleurs, beaucoup redoutent que cette force armée ne vienne seulement jeter de l’huile sur le feu et ajouter une nouvelle source de violence dans une région déjà si militarisée.

Malgré ces réserves, la Brigade d’intervention, si elle est effectivement mise en place, aura sans doute des répercussions intéressantes sur l’évolution du conflit congolais. Jusqu’ici, la balance des forces dans l’Est du Congo entre le gouvernement congolais et les rebelles du M23 était déséquilibrée à l’avantage de ces derniers : du fait de l’état pitoyable des forces armées congolaises (FARDC), les rebelles étaient fréquemment dominateurs sur le plan militaire, ce qui leur permettait d’aborder les processus de négociation en position de force. Avec une MONUSCO plus robuste, cette asymétrie est diminuée, voire renversée : le M23 sera maintenant pris pour cible par une force armée mieux équipée, et probablement plus nombreuse que lui.

Cela est d’autant plus vrai que le M23 a connu au mois de mars une grave crise interne : deux factions, rattachés aux deux hommes forts du mouvement Sultani Makenga et Bosco Ntaganda, se sont violemment affrontées. Les combats ont tourné à l’avantage de Makenga, qui a mis les troupes de Ntaganda en déroute. Celui-ci a décidé, à la surprise de tous les observateurs, de déposer les armes et de se rendre à l’ambassade américaine du Rwanda ; il a depuis été transféré à la Cour pénale internationale, qui avait émis un mandat d’arrêt contre lui depuis de nombreuses années. Certains des combattants pro-Ntaganda ont depuis réintégré le M23 ; mais celui-ci a sans nul doute souffert de ces luttes intestines, et apparaît moins puissant qu’il ne l’était il y a quelques mois.

Deux initiatives concurrentes

Dans ce contexte, il sera intéressant de suivre l’évolution du processus de paix de Kampala, engagé entre le gouvernement congolais et le M23 en décembre, avant que le dossier ne soit pris en main par la communauté internationale. Kampala reproduit la recette des précédentes négociations entre le gouvernement et l’ancien groupe rebelle du CNDP, et qui avait seulement servi à renforcer les capacités militaires et les réseaux politico-économiques de ce dernier. Comme son prédécesseur, le M23 avait engagé ce processus à la suite de sa prise de Goma en novembre, à un moment où il était clairement en position de force vis-à-vis de Kinshasa. Ainsi, si le nouveau déploiement de la MONUSCO produit une asymétrie en faveur du gouvernement, les négociations de Kampala reposent sur une asymétrie inverse, à l’avantage des rebelles.

Le  timing des deux initiatives sera donc crucial pour déterminer laquelle de ces deux dynamiques l’emportera en définitive. Le M23 ne s’y est d’ailleurs pas trompé, et a présenté cette semaine à Kampala un projet d’accord de paix pour essayer de prendre de vitesse le processus international qui, on l’a vu, lui est beaucoup plus défavorable. Création de brigades intégrées entre les forces congolaises et le M23, amnistie pour tous les actes commis depuis 2009, reconnaissance de tous les grades militaires du M23… On retrouve ici les grands principes tant de fois privilégiés ces dernières années. Reste à savoir si le gouvernement congolais, désormais dans une position plus avantageuse, choisira de jouer la carte de Kampala.

Les efforts de résolution de conflit au Congo, après plusieurs années d’enlisement, semblent être désormais à un tournant, et les prochains mois seront donc riches d’enseignement. Quoiqu’il en soit, ce premier pas ne doit pas cacher d’autres problèmes pressants : d’une part, la réforme de l’Etat congolais (et notamment de son armée) est indispensable pour rétablir une présence légitime dans les Kivus ; d’autre part, les acteurs nationaux et internationaux ne doivent pas  porter leur attention exclusivement sur le M23 : de nombreux autres groupes armés, ancrés localement, prennent aussi part dans la continuation de la violence dans l’est de la RDC. La démilitarisation ne pourra s’effectuer sans s’attaquer aux causes de cette violence à la plus basse échelle, à travers des processus de paix localisés.

 Vincent Rouget