Dépasser l’afro-pessimisme

L’afro-pessimisme est ce sentiment qui pousse à l'abandon de toute pensée qui pourrait mettre en exergue un possible développement du continent africain. Cette idéologie s’appuie sur les nombreuses questions toujours en suspens concernant l’avenir du continent : dans quelle mesure les populations africaines sortiront-elles de la pauvreté ? A partir de quoi envisager un possible décollage économique du continent noir ? Comment pourrait-on rendre l'économie africaine plus compétitive ? A toutes ces interrogations aussi cruciales qu'urgentes, cette  philosophie afro-pessimiste n'apporte aucune réponse positive. Un sentiment qui peut sembler normal et rationnel face à une Afrique connue pour ses famines, ses guerres fratricides et ses coups d'Etats perpétuels, ses autorités politiques corrompus et égoïstes. Difficile, voire utopique, d'être optimiste quand au moment où de l'autre coté de l'Atlantique, les Etats cherchent à s'unir pour avancer et où l'impunité n'est pas sujet de débat public, nous, Africains, semblons tourner le dos, de façon consciente et volontaire, à la course mondiale à la compétitivité. Pourtant, devrions-nous capituler sans combattre ?

Face à la conjoncture actuelle qui voit les anciens moteurs de l'économie mondiale devenir des moteurs très actifs de crises, passant ainsi du statut de créanciers à celui de débiteurs, l'heure semble venue de repenser l'afro-pessimisme dans ses raisons d'être et ses perspectives. Il est donc temps de prendre du recul par rapport à cette image d'une Afrique honnie et profanée, terre de tous les malheurs. La pauvreté et les conflits sont si présents en Afrique qu’ils masquent parfois le reste. En avril 2011, une étude publiée par la Columbia Journalism Review, intitulée "Hiding the Real Africa", expliquait, d'ailleurs, avec quelle facilité l’Afrique fait la une de la presse occidentale lorsqu’une famine, une pandémie ou encore une crise violente ou, plus récent encore, un coup d’Etat, se produit. Ce faisant on a tendance à prêter moins d'attention aux progrès et aux succès du continent africain.

Voulons-nous recevoir d’autres nouvelles de l'Afrique ? Par exemple prendre en compte l'accélération de la croissance économique africaine au cours de la dernière décennie, l'émergence d'une classe moyenne de consommateurs et d'un secteur privé plus dynamique sur le marché local qui attire des entrepreneurs. Il est donc temps de se rendre compte que l'afro-pessimisme devient synonyme de capitulation voire même de lâcheté lorsque l'on ne veut pas admettre que jusque-là les choses continuent de changer. La Banque mondiale a récemment publié un livre sur les succès africains, intitulé Yes Africa Can. La Banque africaine de développement, basée à Tunis, a marqué les 50 ans d’indépendance de bon nombre de pays africains en publiant une étude intitulée L’Afrique dans 50 ans — Vers la croissance inclusive. Selon cette étude, "au cours de la dernière décennie, en dépit de la récurrence des crises alimentaires et financières mondiales, l’Afrique a enregistré une croissance d’un taux sans précédent. Il faudra certes des décennies de croissance pour réaliser des avancées significatives dans la lutte contre la pauvreté en Afrique, mais il y a actuellement un optimisme croissant quant au potentiel du continent".

Calestous Juma, professeur à Harvard, notait que la montée de la classe moyenne modifie la vision de l’avenir de l’Afrique. La classe moyenne a peut être peu à dépenser par rapport aux normes occidentales ou asiatiques, mais elle impulse indéniablement une dynamique politique et économique positive. Certes, cela ne saurait régler la question de l’éradication de la pauvreté. Beaucoup reste encore à faire en ce qui concerne le développement des infrastructures, l'enseignement technique, l'entreprenariat et le commerce. Il reste que pour permettre des avancées remarquables et durables, l'afro-pessimisme dans toutes ses manifestations doit être dépassé. Cette forme "primitive" de penser l'Afrique moderne n'est-elle pas l'une des causess principales de notre immobilisme ?

Papa Modou DIOUF