Les implications politiques des derniers évènements en Casamance

Située dans l’un des pays d’Afrique dont la stabilité politique fait figure de modèle, la région de la Casamance, est en proie depuis quelques semaines à des affaires de crimes qui ravivent des tensions que l’on pensait apaisées.
36 ans après le déclenchement d’un conflit mené par le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) pour l’autonomie de la région, ce territoire qui représente un cinquième de Sénégal, aspire à présent au calme. Si la guérilla est divisée et affaiblie et que le Président Macky Sall a annoncé vouloir faire de la paix dans la région l’une de ses priorités, le risque d’une détérioration de la situation plane et avec elle, l’accroissement du sentiment d’abandon des Casamançais.

Contexte historique de la crise

Comme toujours, comprendre les origines du contexte actuel, souvent qualifié de  » ni guerre ni paix « , nécessite d’en revenir à ses racines. Celles de la Casamance sont anciennes et complexes.
Ancienne colonie portugaise rattachée en 1888 à la colonie française du Sénégal, ce territoire aujourd’hui subdivisée en 3 régions administratives (Ziguinchor, Kolda, Tambacounda), composée de forêts, de fleuves et de rivières est coincée entre la Gambie et la Guinée-Bissau. Si l’enclavement contribua naturellement à entretenir un sentiment d’éloignement vis-à-vis des  » nordistes  » de la capitale, c’est la nomination de fonctionnaires originaires du nord du pays, ressentie comme une seconde colonisation, qui met le feu aux poudres, dès le début de la période post-indépendance. En 1982, 22 ans seulement après la naissance de la République du Sénégal, une manifestation à Ziguinchor se termine tragiquement par plusieurs morts et des arrestations. C’est le début de la répression, mais aussi le passage des indépendantistes à la lutte armée qui ouvre une longue période de défiance et d’affrontement entre forces de l’ordre et séparatistes.

Fer de lance des revendications autonomistes, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) est née en 1947. D’abord parti politique, il devient mouvement indépendantiste en 1982, date à laquelle l’abbé Augustin Diamacoune Senghor devient son principal chef historique jusqu’à son décès en 2007.
Après 25 ans de lutte, deux emprisonnements pour atteinte à l’intégrité de l’Etat entre 1982 et 1987 et entre 1990 et 1991,il signe en décembre de cette même année au nom du MFDC des accords de paix avec le Gouvernement de Dakar.
La Casamance connaît alors des années d’accalmie, troublées par quelques attaques sporadiques. La disparition de l’abbé Diamacoune en 2007 fera apparaitre des luttes de pouvoir au sein du mouvement , ouvrant ainsi une période d’incertitude pour le processus de paix.

Le MFDC est aujourd’hui affaibli, divisé en au moins quatre factions parfois rivales, principalement présentes à la frontière avec la Gambie au Nord et la Guinée-Bissau au Sud. La cause indépendantiste n’étant plus fédératrice, aucun incident majeur n’a eu lieu ces dernières années jusqu’aux évènements du 06 janvier.

Les tragiques évènements du 6 janvier et les regains de violence dans la zone

C’est dans ce cadre de relative accalmie, que le 6 janvier 2018, quatorze bûcherons sont assassinés dans la forêt de Bourofaye, au sud de Ziguinchor.

Le MDCF rapidement soupçonné d’être à l’origine du tragique évènement, a fermement condamné cet acte.

Si, très vite, l’enquête s’oriente vers une affaire liée à l’exploitation illicite et au trafic de bois de teck, les autorités n’excluent par l’implication d’éléments de la rébellion indépendantiste.

Une délégation menée par le Ministre de l’intérieur fût dépêchée sur place, suivie d’une compagnie de 150 parachutistes envoyée depuis Ziguinchor pour retrouver les responsables de la tuerie.

Ce déploiement militaire et la fouille qui s’ensuivie a été immédiatement interprétée comme un ratissage par le MFDC qui accuse l’armée de s’être servie de la tuerie comme un prétexte pour déclencher des opérations militaires et une  » militarisation  » dans la région.

Alors que les indépendantistes accusent des bandes armées rivales de coupeurs de bois, certains médias soulèvent l’hypothèse de l’affrontement entre deux chefs du MFDC, César Atoute Badiate, chef rebelle du front sud et Salif Sadio, commandant du front nord.
Quelques semaines après le drame, les premières arrestations semblent mettre en cause un proche de ce dernier. Cette affaire loin d’être close, laisse déjà craindre des conséquences néfastes sur le tourisme en Casamance , et des implications politiques importantes en relation avec les prochaines échéances électorales du Sénégal.

Un enjeu politique important dans la perspective des présidentielles de 2019

Sur 125 députés élus sous ses couleurs Benno Bokk Yaakaar (BBY), le Président Sall en compte 15 (sur un total de 16) en Casamance. Une région qui lui avait donc fait massivement confiance lors des dernières législatives de 2017. Pour les scrutins à venir, notamment la Présidentielle de 2019, la gestion de la question sécuritaire en Casamance sera donc forcément un sujet important au-delà de la région elle-même.

@C’est aussi, justement parce qu’il est en position de force, que le Président Sall peut avoir beaucoup à perdre.

Au cœur de sa stratégie, il lui faudra confirmer son implantation au risque de se faire reprendre le terrain par l’homme fort de la région, le Président de l’Union Centriste du Sénégal (UCS), Abdoulaye Baldé.

Le Maire de Ziguinchor, ex-Député, ex-Secrétaire général de la Présidence de la République de 2001 à 2009, ex-Ministre des Forces armées de 2009 à 2010, longtemps proche d’Abdoulaye Wade et de son fils Karim, a opéré récemment un repositionnement en refusant de rejoindre la coalition Mankoo Wattu Senegaal de l’ancien Président et en optant pour la stratégie du  » ni-ni  » lors des élections législatives « ni Mankoo ni Bennoo.  » Il s’agit là d’évènements politiques à observer de près car ils pourraient constituer les germes de potentiel rapprochement.

Bien que son parti l’UCS ait connu un important revers électoral lors des dernières législatives, Abdoulaye Baldé est loin d’avoir disparu de l’échiquier politique. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien, que plusieurs observateurs de la scène politique lui prêtent des ambitions présidentielles.

Il est en effet très courtisé par la majorité présidentielle. La Ministre de l’Economie solidaire et de la Microfinance n’a point caché le désir de son camp de voir l’homme fort de l’Union centriste rejoindre leur rang lorsqu’elle dit lors d’un meeting du parti en mars 2018,je cite :  » Monsieur Abdoulaye Baldé, considérez qu’à travers ma modeste personne, cette main que je vous tends n’est que le prolongement de la main du président de la République pour que nous transcendions les clivages politiques pour l’intérêt et le développement de la Casamance. »
Une preuve de plus que la Casamance semble donc bien être dans une période charnière et suscite un grand intérêt à Dakar.

Enfin, symbole de cette volonté de la capitale de resserrer les liens avec la région, l’annonce par Macky Sall le 13 mars, lors d’une conférence de presse avec son homologue gambien Adama Barrow de l’inauguration du pont Farafenni qui enjambera le fleuve Gambie et permettra de réduire les douze heures de route nécessaires pour rejoindre Ziguinchor depuis Dakar par la route.

Johann LUCAS

Un conflit clandestin en Casamance

SIGE_casamance_apx_470_Depuis le début des années 1980, une guerre permanente et atypique sévit au sud du Sénégal. Elle a ainsi la particularité d’être l’une des guerres les moins médiatisées au monde. Depuis son éclatement, des centaines de morts, plusieurs familles déplacées et des aires effroyablement minées se meuvent dans l’ignorance extrême de la communauté internationale. Plus désolant encore, l’essentiel de la population sénégalaise ignore ce qui se passe réellement en Casamance. 

La MFDC (Mouvement des forces démocratiques de la Casamance) a été créé en 1947 par des intellectuels casamançais. Au début il s’agissait de créer un parti politique afin de donner une voix au sud ! Mais vers les années 1979 et 1980, l’organisation a mué pour devenir le mouvement indépendantiste de la Casamance. 

Les causes de la naissance de ce mouvement de séparation sont nombreuses. D’abord, la région casamançaise est la plus riche contrée sénégalaise de par sa végétation luxuriante et ses ressources naturelles immenses. Cette situation lui procure le titre de grenier national du pays. L’exploitation de ces richesses parfois en faisant fi de la population locale a fait naitre chez une partie des habitants du Sud un sentiment de victimes d’un pillage systématique de la région au profit d’autres zones, comme Dakar. 

Ensuite, la Casamance se trouve être coupée géographiquement du Sénégal par la Gambie. En effet, la région n’est reliée que par la région de Tambacounda du reste du pays, et ceci par le biais d’une route longue et impraticable. Il existe toutefois d’autres voies d’accès, notamment par la mer et le territoire gambien. Avec cet enclavement, les casamançais ont parfois le sentiment d’être coupé du pays ; et ce sentiment de frustration a nourri une envie farouche chez certains de s’émanciper de la tutelle de Dakar. 

Ainsi de 1980 à nos jours, des combats sanglants ont eu lieu entre l’armée sénégalaise et les forces indépendantistes. Ces combats ont déjà fait de nombreuses victimes et continuent à alterer le développement d’une région au potentiel énorme. Des centaines de personnes y ont trouvé la mort et des familles ont été contraintes de quitter la région. Les aires agricoles continuent d’être transformées en palette de mines et l’état de l’économie régionale se dégrade de jour en jour.

Si tous les observateurs partagent l’avis selon lequel cette guerre a trop duré, différents facteurs plaident eux en sa poursuite. Il s’agit d’abord d’un rendez-vous d’intérêts. En effet, les responsables du mouvement indépendantiste trouvent leur compte dans la poursuite du maintien de la tension, en amassant des fonds énormes provenant de quelques organisations et pays qui les financent secrètement.

A cela s’ajoute le caractere propice de la guerre dans la mise en œuvre d’une vraie économie de la drogue dans la region. Les trafiquants profitent de l’instabilité de cette partie du territoire sénégalais pour faire fleurir leur commerce, notamment eu égard à la frontière que la Casamance partage avec la Guinée Bissau, depuis plusieurs décennies plaque tournante de ce commerce illicite. De ce fait, les dirigeants rebelles ont en main un business très prolifique. 

Ensuite, ils convient de noter un manque notoire de volonté de la part de l’Etat sénégalais. En effet, ce dernier présente une incapacité inquiétante quant au règlement de ce conflit. Pendant que des centaines de soldats sénégalais sont présents sur tous les théâtres d’opérations du moment, le sud du Sénégal continue de se mouvoir dans un conflit aux effets dévastateurs au plan humain et handicapants pour toute stratégie de developpement économique. De plus, des négociations concrètes avec les séparatistes n’ont pas eu lieu depuis belle lurette. Il semble même tout à fait clair qu’aucune des deux parties ne cherche à tirer l’autre autour de la table des négociations. Cependant, l’irresponsabilité principale revient à l’Etat sénégalais dont l’une des missions premières est de garantir l’intégrité territoriale du pays. 

Cela dit, l’Etat ne fraint-il pas de regarder ce conflit en face ? En effet, on note un refus total de la médiatisation du conflit. Depuis l’éclatement de ce dernier, il n’y a jamais eu de chiffres concrets et vérifiés sur le nombre de victimes. Il y a une absence totale de bilan officiel ! 

Dans la même logique, il y a une abstraction sournoise de la guerre casamançaise de la part des média nationaux. Aucune télévision ne diffuse d’images en rapport avec une guerre qui provoque quasi quotidiennement des victimes civiles et militaires. 

Une chose est sûre : le Sénégal est entrain de perdre gros à cause de ce conflit qui n’épargne aucun secteur économique dans le sud-ouest du pays. L’agriculture exploite à peine le dixième de son potentiel, le tourisme est en passe de disparaître et le secteur minier est handicapé faute d’exploration. Tout cela est dû en grande partie à l’instabilité qui règne dans cette contrée.

Si le Sénégal veut donner rendez-vous à l’émergence économique dans un futur moyen, alors autant liguer tous les atouts qui sont en sa possession. Et ceci ne se fera pas sans doute avec l’absence de sa région la plus riche en potentiel. Il ne peut exister une priorité aussi urgente que la question de la Casamance, et l’Etat du Sénégal a l’obligation de la résoudre au plus vite. Des opportunités économiques sont en attentes d’exploitation, le cancer du trafic de la drogue s’empire et des innocents continuent de mourir. 


Weyssou Sokhna

Crise casamançaise au Sénégal: comment gagner définitivement la paix

Le 26 décembre 1982 l’Etat sénégalais commettait l’irréparable en réprimant sévèrement la première manifestation indépendantiste à l’appel du MFDC (Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance). Depuis, une partie de la population issue de la Casamance est entrée en rébellion, faisant ainsi du conflit casamançais un des plus longs d’Afrique contemporaine. Dans la mesure où toute autorité est contestable, il va sans dire que l’idée d’une rébellion casamançaise reste à priori envisageable puisqu’un rebelle n’est en rien un scélérat mais celui qui s’oppose et qui remet en cause une autorité. Dès lors, il convient de s’intéresser aux causes du conflit avant de dresser le bilan des 28 années de cette drôle de guerre pour enfin esquisser les solutions susceptibles d’aboutir à une paix des braves.

Le conflit casamançais, à l’image de tous les irrédentismes africains, n’échappe pas à l’approche déterministe qui fait la part belle à l’économie et à l’ethnicité. En effet, les grilles de lecture dominantes privilégient trois hypothèses. La première est celle ethnico-religieuse qui tente d’opposer des musulmans du nord à des chrétiens Joola du sud. Cette hypothèse semble de plus en plus invalidée puisque 86% des casamançais sont musulmans et que la principale zone pourvoyeuse de rebelles (le Blouf) est musulmane. Par ailleurs, bien que le noyau dur de la rébellion soit joola la rébellion a aussi ses Peulhs, ses Malinkés, ses Manding, ses Manjak…La seconde hypothèse socio-économique souligne l’inégal développement de la Casamance par rapport aux régions du nord du pays. Cette théorie de l’inégal développement entre un centre et sa périphérie reflète une réalité indéniable : la concentration des investissements dans le secteur Dakar-Thiès. Cependant, cela n’explique pas pourquoi la rébellion a éclaté dans la partie la plus riche et la plus développée de la Casamance et non pas en Haute Casamance bien plus pauvre et bien plus déshéritée. La troisième hypothèse purement politique met en évidence des « entrepreneurs politiques » qui instrumentalisent un discours nationaliste et populiste.

Par ailleurs, beaucoup d’eau a coulé sous le pont Emile Badiane de Ziguinchor depuis la marche réprimée de 1982. Sol d’opposition du conflit, la Casamance paie au prix fort cette drôle de guerre avec environ 5000 morts, d’innombrables déplacés, le tout dans une région économiquement exsangue. De plus, la présence d’acteurs protéiformes – ONG, MFDC, Etats (Sénégal, Gambie, Guinée Bissau) et narcotrafiquants – confère à la crise casamançaise une dimension sous-régionale, voire internationale. Cette complexification croissante du conflit a manifestement abouti à son enlisement mais surtout à son singulier paradoxe. En effet, s’il est quasiment certain que le MFDC a perdu la guerre, l’Etat sénégalais n’a pas pour autant gagné la paix. Guérilla acéphale, matériellement affaiblie et populairement désavouée, le MFDC n’a atteint aucun de ses objectifs. Quant au blocage du processus de paix, il est imputable au seul Etat sénégalais qui fait preuve, par son refus d’entamer de véritables négociations avec le mouvement indépendantiste, d’un indéniable autisme politique. Il semble que les autorités compétentes en charge du dossier aient privilégié la « stratégie du pourrissement de l’intérieur ». Cependant, ce choix s’avère irresponsable en témoigne la reprise des combats en 2009 ; combats durant lesquelles quelques centaines de maquisards ont pu tenir tête aux forces gouvernementales.

Par conséquent, les acteurs directs ou indirects de la crise s’accordent sur quelques points afin de conclure une paix des braves :

1- Renforcer les moyens militaires de l’armée régulière

2- Permettre aux cadres casamançais de mettre sur pied les Assises du MFDC afin que ce dernier ne puisse parler que d’une seule et même voix

3- Associer les autochtones (jeunes surtout) et les pays limitrophes (Gambie et Guinée Bissau) au processus de paix

4- Combattre les « fossoyeurs de la paix » qui se nourrissent du sang des sénégalais

5- Investir massivement dans la région pour redynamiser son économie et pour combattre le chômage

Les armes ont parlé. Nous avons tous écouté et tous entendu ce qu’elles avaient à dire. Dorénavant, elles doivent se taire pour laisser place au dialogue car c’est faute d’un véritable espace de débat que le conflit n’a pu être résolu.

Ndiengoudy Sall

Article initiallement paru chez Le courrier du Visionnaire