C’était du vin chaud un soir de décembre. Des notes abordées comme les élisions d’une faena, avec souplesse et vivacité. Un bout de pied calleux et obstiné. Un petit pays mélancolique et bravache. Des galets immuables, polis et insolents. Une mer inachevée. Une espèce de ciel d’orage. C’était la voix de Cesária Évora. Elle ne s’élèvera plus.
Jalouse, l’Afrique noire n’a laissé s’échapper que deux lignées de chanteuses : les grandes voix, fortes, superbes et virevoltantes à la Angélique Kidjo, Dobet Gnahoré, Busi Mhlongo ou Nayanka Bell et les élans contenus de mezzo-sopranes dilettantes et distinguées, la race des Aïcha Koné, Khadia Nin et Cesária Évora qui disent l’amour qui s’est tu, les plaisir interrompus, l’aube qu’on a attendue en vain.
On ne sait à peu près rien de la vie de cette femme. Orpheline de père. Six frères et sœurs. Placée en orphelinat. Gosse de Mindelo, la Claire, deuxième ville du Cap-Vert, archipel d’îles au vent, éparpillées au large de Dakar, délaissées, asséchées. Mère de deux enfants. Jamais mariée. Elle avait débutée comme chanteuse pour marins qu’on payait au verre de Cognac. Elle fumait. Beaucoup. Mais ne buvait plus depuis 18 ans maintenant – l’âge de la majorité. Elle popularisa la Morna – que des imbéciles ont pris pour du blues, alors qu’il n’est qu’un fado à peine plus tiède (morno en portugais) aux légers accents de rumba lasse. On sait seulement qu’elle chantait la nostalgie, la perte et l’amour déçu avec des douceurs de vieille maîtresse. Pieds nus : comme on pénètre une chambre nuptiale.
Il faut suivre la cadence satanique de « Ponta de Fi », « Angola » ou « Sangue de Beirona ». Il faut la voir guider Ismaël Lô dans « Africa Nossa ». Il faut se laisser envoûter par la maîtrise, la grâce qu’elle atteint dans le superbe « Yamore » avec Salif Kéïta ! Il faut l’écouter chanter « Negue » de Maria Bethânia et l’entendre murmurer “Diga que já não me quer/ Negue que me pertenceu/ Que eu mostro a boca molhada/Ainda marcada pelo beijo seu” (Dis que tu ne m’aimes plus/ Nie encore m’avoir appartenu/ Et je montrerai mes lèvres mouillées/ Encore marquées par ton baiser.)
Le désespoir amoureux est rarement aussi épuré, sensible, d’une si splendide économie de moyens que dans les chansons de Cesária Évora. Elle avait quelque chose de Piaf et de Billie Holiday. Avec en surplus la modestie qui manquait à la seconde et la sérénité que Piaf ne trouva qu’à la toute fin.
Cesária Évora est morte, hier soir. Son cœur s’est arrêté. Le mien aussi.
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