Faut-il des chefs d’Etats plus instruits en Afrique ?

JPG_Education 011014

Les chefs d’Etats sont très souvent désignés comme responsables des performances économiques de leurs pays, car ce sont eux qui fixent les priorités en matière de politiques publiques et d’allocation des ressources financières publiques. Ce sont aussi eux qui signent les traités internationaux qui affectent la position relative de leurs pays par rapport au reste du monde. Une des raisons qui pourrait expliquer un lien entre le leadership politique d’un chef d’Etat et la performance économique de son pays pourrait être son niveau d’éducation. Si cela était vrai, alors l’Afrique serait le continent le mieux indiqué pour promouvoir l’accession au pouvoir de chefs d’Etats plus instruits. Cela tient du fait que jusqu’à une période très récente, c’est en Afrique qu’on trouve les chefs d’Etats les moins instruits, d’après le site internet Skyrill, qui recense le niveau d’éducation des leaders politiques à travers le monde. Mais comment sait-on si les performances économiques d’un pays dépendent de son chef d’État et plus particulièrement de son niveau d’éducation ?

C’est à cette question qu’ont répondu le chercheur Timothy Besley et ses coauteurs dans une étude publiée en 2011. De manière générale, les résultats de leurs travaux montrent qu’une partie de la croissance économique d’un pays est déterminé par le profil du chef d’État en exercice. Pour éviter que des chefs d’Etat spécifiques soient élus dans des conditions économiques particulières, ils étudient l’évolution de la croissance économique cinq années après le décès soudain d’un chef d’Etat dans plusieurs pays du monde. Ainsi, ils trouvent que la croissance économique est plus faible pendant les cinq années qui suivent la  mort inattendue d’un chef d’Etat.

Plus spécifiquement, cette baisse de la croissance économique diffère selon le profil du chef d’Etat, notamment son niveau d’éducation. En effet, Timothy Besley et ses coauteurs constatent que la baisse du taux de croissance suivant la mort d’un chef d’Etat est plus forte lorsque son niveau d’éducation est plus élevé, que ce soit un Master ou un Baccalauréat. Ainsi, le niveau d’éducation des chefs d’Etat est déterminant dans les performances économiques de leur pays. En particulier, l’étude montre que le passage d’un chef d’Etat ayant au moins un Master à un autre qui n’en possède pas fait baisser la croissance économique de 2.1 points en moyenne pendant les cinq années qui suivent cette transition.

Pour expliquer les mécanismes à la base d’un tel impact, d’autres chercheurs, notamment Luis Diaz-Serrano et Jessica Pérez ont examiné dans une étude publiée en 2013 le canal reliant le niveau d’éducation du chef de l’Etat à celui de la population. Comme on pouvait s’y attendre, l’exercice du pouvoir par un président plus instruit conduit à une nette augmentation du niveau d’éducation de la population. D’autres résultats indiquent que les dirigeants politiques ont tendance à mettre en place des politiques publiques qui correspondent à leurs propres préférences. C’est ainsi par exemple qu’en Inde, Chattopadhyay et Duflo trouvent que les élues féminines ont tendance à investir dans les infrastructures plus favorables aux femmes. De même, d’autres chercheurs trouvent que la mise en œuvre de réformes économiques favorables à la croissance et la maîtrise du taux d’inflation dépendent du niveau d’éducation des dirigeants politiques. Dès lors, l’impact du chef de l’Etat sur la croissance économique passe par l’alignement de ses choix de politiques publiques sur ses propres préférences qui dépendent en partie de son niveau d’éducation. Dans le cas de l’étude de Besley, c’est probablement la mise en œuvre de politiques efficaces qui est en jeu, car la période de cinq ans est assez courte pour que des investissements dans l’éducation puissent avoir un effet sur la croissance économique.

Dans le cas particulier de l’Afrique, les données ne permettent pas de vérifier si ces résultats s’appliquent effectivement au continent. D’un point de vue empirique, la situation est assez contrastée pour permettre de dégager des conclusions sans craindre que d’autres effets n’interagissent avec les observations. Dans certains pays par exemple, des docteurs en économie ou des professionnelles des questions de développement ont dirigés des Etats sans pour autant que les performances économiques n’aient été remarquables. Peut-être que la situation économique aurait été pire en leur absence ; nous en savons rien. Toutefois, les résultats de recherche présentés ci-dessous tiennent compte des différences entre les pays pour être applicables à l’Afrique.

Par conséquent, il faudra mettre en place des règles pour promouvoir l’exercice du pouvoir politique par des dirigeants bien instruits, idéalement ayant au moins un diplôme de Master ou équivalent. Une telle règle pourrait être par exemple que les candidats aux élections présidentielles, voire aux élections législatives, soient issus d’une primaire au sein de leurs partis politiques qui permettra d’abord de sélectionner le candidat le plus adapté aux attentes des populations avant même qu’il ne concoure à l’élection proprement dite. Si l’on considère le fait que l’Afrique a actuellement besoin d’augmenter sa croissance économique de 2 points pour doubler son PIB par tête en dix ans et réduire significativement la pauvreté, alors il importe surtout d’éviter le passage à des chefs d’Etats moins instruits que leurs prédécesseurs.

Georges Vivien Houngbonon