Durant la dernière décennie, les entreprises chinoises ont remporté en Algérie des contrats dont le montant total s’élève à 20 milliards de dollars. Dans un pays où 30% de la jeunesse est au chômage, les investissements chinois ont-il un impact sur l’emploi local ?
On a souvent parlé de la Chinafrique sur Terangaweb : l’impact environnemental de la politique économique étrangère chinoise sur le continent, et plus généralement l’intérêt croissant du gouvernement chinois pour les ressources exceptionnelles dont dispose l’Afrique font régulièrement l’actualité. A l’occasion des 50 ans de l’indépendance algérienne, nous avons souhaité nous pencher sur le phénomène que certains n’hésitent pas à qualifier de « chinalgérie », autrement dit la présence croissante de la Chine en Algérie et son étonnante capacité à rafler presque tous les grands contrats publics. A l’heure où le pays vit une situation économique explosive, la présence chinoise en Algérie peut-elle faire émerger de nouvelles opportunités d’emplois que les entreprises locales peinent à créer ?
A Alger, difficile d’ignorer la présence chinoise. Les ouvriers chinois se relaient pour construire à vitesse grand V des logements sociaux dont la population a besoin. Le chantier de la troisième plus grande mosquée du monde située dans le grand Alger, d’une valeur d’un milliard de dollars, a été remporté par une entreprise chinoise et a démarré en mai dernier. Cette main-d’œuvre immigrée est pourtant mal acceptée par une partie de la population qui ne comprend pas pourquoi le gouvernement algérien accepte et encourage la présence de milliers d’ouvriers chinois alors qu’une grande partie de la jeunesse algérienne est au chômage.
La Chine s’est d’abord intéressée à l’Algérie en raison de ses ressources naturelles exceptionnelles. Progressivement, le gouvernement chinois prenant conscience des réserves de dollars confortables dont disposait le pays, ses investissements en Algérie se sont diversifiés, avec la signature de grands contrats dans le domaine des infrastructures, puis le développement des investissements dans le secteur secondaire : électronique, automobile et textile principalement. L’Algérie a ainsi accordé aux entreprises chinoises des contrats de construction d’une valeur totale de 20 milliards de dollars, qui concernent la construction de logements sociaux, de chemins de fer et de plusieurs tronçons de l’autoroute est-ouest. Ces méga-projets, pourtant fortement consommateurs de main-d’œuvre, n’ont pas puisé dans le réservoir de demandeurs d’emploi algériens. Au contraire, les promoteurs ont décidé de recourir à de la main-d’œuvre chinoise immigrée. Regroupée dans des logements près des chantiers de construction, cette main-d’œuvre est corvéable à merci, faiblement rémunérée et surtout.. très efficace. Il n’est en effet pas rare qu’un projet soit livré bien avant la date prévue de son achèvement. Les 30 000 immigrés chinois représentent aujourd’hui la première communauté étrangère d’Algérie.
Malgré l’indéniable productivité de ces travailleurs étrangers, on peut s’interroger sur l’efficacité de la politique actuelle de l’emploi menée par le gouvernement algérien, qui maintient à l’écart toute une partie de la population, au chômage malgré des études à l’université, et souvent surqualifiée compte tenu des emplois disponibles. Malgré la volonté affichée par le gouvernement de favoriser l’emploi local grâce à une fiscalité favorable, et d’encourager le transfert de connaissances et la formation professionnelle, les entreprises chinoises n’ont pas vraiment joué le jeu.
Une étude publiée par la Banque africaine de développement et intitulée Investissements chinois et création d’emploi en Algérie et en Egypte analyse l’impact des investissements chinois sur l’emploi local et montre que ce dernier est faible. En effet, les énormes contrats remportés par les entreprises chinoises publics ont rarement créé des emplois locaux, les investisseurs chinois préférant faire appel à de la main-d’œuvre chinoise immigrée. Les travailleurs algériens recrutés sont eux peu qualifiés, et les perspectives de promotion sont quasiment inexistantes. La presse algérienne se fait souvent l’écho de faits divers liés au non-versement des salaires par les entreprises chinoises aux ouvriers algériens, ce qui contribue à alimenter le ressentiment d’une partie de la population. Quant aux Algériens les plus diplômés, ils se heurtent souvent au plafond de verre les empêchant de rejoindre les équipes de direction, uniquement composées de cadres chinois.
Face à cette situation déséquilibrée, le gouvernement algérien a modifié la législation du travail, afin de favoriser l’embauche de travailleurs algériens au sein des entreprises chinoises, en contraignant ces dernières à s’associer à des partenaires locaux. Ces mesures ont une efficacité limitée, car elles n’impactent pas le niveau de qualification auquel les demandeurs d’emploi sont recrutés.
Les réticences chinoises à embaucher localement sont donc réelles, mais les investisseurs chinois ne peuvent être tenus responsables de la situation de l’emploi en Algérie : ce chômage est structurel, et touche davantage les travailleurs les plus qualifiés, 50 000 diplomés de l’université se retrouvant chaque année sans emploi. Les investissements chinois pourraient dorénavant être redirigés vers le secteur tertiaire, afin de favoriser l’embauche massive d’ une main-d’œuvre qualifiée locale, et d’encourager le transfert de connaissances entre investisseurs étrangers et équipes algériennes. Reste à savoir si ce type de projets sera aussi attractif que les méga-projets payés comptant en dollars par le gouvernement algérien.