Comprendre le marché du travail africain : faiblesses et potentiels

àlaune_introLes remous qu’ont connus bon nombre d’économies au cours de cette dernière décennie ont épargné l’Afrique dans sa globalité, si l’on s’en tient aux performances réalisées en termes de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB). En effet, au moment où les pays du Nord enregistrent de faibles performances économiques, l’Afrique affiche une forte résilience face à la crise économique et financière mondiale, avec une croissance estimée à 4,8% en 2013 et des prévisions tournant autour de 5,3% pour 2014.[1]

Ces performances en matière de croissance n’ont apparemment pas permis d’apaiser les tensions sur le marché du travail africain qui reste tributaire, entre autres, d’un chômage endémique et d’une précarité de l’emploi. Pourtant si l’on s’en tient à certaines théories économiques[2], une croissance soutenue devrait, au-delà d’un seuil donné, contribuer à réduire le chômage.

Dès lors il convient de s’interroger sur les facteurs explicatifs de ce “décrochage apparent entre la croissance et l’emploi”. Ce questionnement se justifie d’autant plus que la création d’emploi est le plus souvent perçue comme un préalable à la réalisation d’une croissance inclusive, c’est-à-dire profitable à toutes les composantes de la société et en particulier aux pauvres. Deux questions peuvent dès lors se poser :

  • Peut-on considérer, comme le stipulent certains analystes, que cette croissance est encore insuffisante pour avoir des retombées significatives en termes d’emplois ?
  • Devrait-t-on plutôt chercher la réponse dans l’existence de facteurs structurels bloquants, propres au marché du travail des économies des pays d’Afrique ?

L’objectif de notre analyse n’est pas de théoriser sur ces deux questions. Nous soutenons toutefois qu’une croissance soutenue et durable demeure une condition nécessaire mais pas suffisante pour engendrer des changements conséquents au niveau social. Dans la suite, nous tenterons de faire ressortir, à travers une caractérisation du marché du travail africain, les facteurs structurels qui pourraient expliquer la persistance du chômage et la précarité de l’emploi dans nos économies. Il sera aussi question de mettre en avant les atouts dont disposent nos économies pour inverser cette tendance.

L’Afrique tire-il avantage de son dividende démographique ?

L’Afrique et plus particulièrement la région subsaharienne est la dernière à entamer une transition démographique dans le monde. Cette transition démographique[3] tardive et inachevée accroît les tensions sur le marché du travail, dans la mesure où chaque année une cohorte de près de 17,5 millions de potentiels demandeurs d’emploi (âgé de 15 à 64 ans, qualifiés ou pas) s’ajoute au nombre pléthorique des sans-emplois. D’après le rapport sur les «Tendances mondiales de l’emploi 2012» du Bureau International du Travail (BIT), le taux de croissance de la population en âge de travailler devra tourner autour de 2,8% entre 2010 et 2015. Conjointement à cette poussée démographique, on note une faible capacité de création d’emplois[4] dans nos économies, ce qui transforme le dividende démographique en un facteur contraignant qui vient aggraver la dépendance économique déjà existante. Dès lors, un des défis majeurs pour les pays africains sera d’identifier les secteurs moteurs de la croissance et d’envisager des mécanismes visant à accroitre leur capacité à générer d’emplois décents et productifs. 

Pourquoi les secteurs porteurs de la croissance en Afrique ne génèrent-ils pas suffisamment d’emplois ?

La croissance observée en Afrique reste volatile car reposant essentiellement sur les secteurs à forte intensité capitalistique.[5] En Afrique Subsaharienne par exemple, près de 15% de la production annuelle et 50% des exportations proviennent de ressources naturelles non renouvelables.[6] Or, l’activité dans ces secteurs tourne essentiellement autour de la production et de l’exportation de matières premières à l’état brut, ce qui est un facteur compromettant au regard de la faible valeur ajoutée générée et du faible nombre d’emplois décents créés. 

repartition_emploi_secteursMême si en Afrique du Nord le secteur des services reste le principal pourvoyeur d’emplois, dans une bonne partie de l’Afrique (Afrique Subsaharienne), le secteur primaire et notamment le secteur agricole traditionnel fournit la plus grande part des emplois (graphique ci-dessus). Les estimations préliminaires du BIT ont révélé qu’en 2011, 62% des personnes employées en Afrique Subsaharienne le sont dans le secteur agricole. Mais l’activité dans ce secteur reste toutefois similaire à celle du secteur informel, avec une bonne part des emplois exercés dans des conditions difficiles et généralement sans protection sociale. L’emploi y est parfois exercé de façon occasionnelle ou indépendante. Selon l’OIT, 76% de la population active en Afrique subsaharienne en 2012 exerce un “emploi vulnérable”.

Ainsi, peut-on dire que la prédominance du secteur primaire, et en particulier celui des produits de base agricoles dans nos économies, est un frein à la création d’emplois ? Bien au contraire, d’après le rapport 2013 sur les perspectives économiques en Afrique, un secteur primaire solide peut servir d’appui pour permettre une transformation structurelle, c'est-à-dire « une diversification économique  qui créera des emplois productifs ». En effet, selon le même rapport, « l’analyse de l’avantage comparatif relatif fait apparaître qu’un secteur des ressources naturelles solide va souvent de pair avec un secteur manufacturier solide » [7].

Il apparait ainsi que, pour accroître aussi ses emplois ruraux agricoles que non agricoles, l’Afrique doit exploiter au mieux  ses matières premières en modernisant le secteur agricole traditionnel pour accroitre la quantité et la qualité de la production. De plus des chaines de transformation locale des produits de base devront être mises en place pour permettre l’industrialisation progressive du monde rural.

L’économie informelle ne peut-elle pas être une alternative à la résorption du chômage ?

La faiblesse des emplois salariés, notamment  dans les économies d’Afrique subsaharienne[8], ainsi que les lourdeurs administratives et le niveau d’imposition contraignent une bonne partie des travailleurs non agricoles à œuvrer dans l’informel. Ce secteur mobilise près de trois quart de la population active en Afrique Subsaharienne dans des emplois non agricoles de subsistance, instables, à temps partiel, sans protection sociale et généralement à faible rémunération. Mais il demeure malgré tout un secteur régulateur de l’économie car étant le principal pourvoyeur des revenus des activités non agricoles des ménages. D’où la nécessité de mettre en place des politiques visant à tirer au mieux profit de ce secteur, en le dynamisant davantage et en mettant en place les conditions pouvant  faciliter sa transformation en un secteur privé productif.

Les demandeurs d’emplois ont-ils les qualifications requises pour intégrer le marché de l’emploi ?

Un problème majeur et inhérent aux économies de la plupart des pays africains est celle de la qualification des personnes en âge de travailler (main d’œuvre potentielle). La question de la qualification basée sur l’investissement en capital humain demeure essentielle dans la mise en cohérence et la réussite des politiques d’aide à la création d’emplois productifs. Pour qu’il y ait effectivement une création d’emploi, il faut que l’offre d’emplois des entreprises coïncide avec l’offre de travail, ou mieux avec l’offre de compétences, des actifs demandeurs d’emploi. De plus l’investissement en capital humain constitue un élément essentiel dans le processus de création et de pérennisation des emplois. Une entreprise dotée d’une main d’œuvre hautement qualifiée gagne en productivité et réalise plus de plus-value qu’elle peut réinvestir en capital (humain et physique). Offrir aux demandeurs d’emploi, notamment aux jeunes, une éducation et une formation adéquate leur permettant de saisir les opportunités d’emplois apparaît dès lors comme une exigence dans la lutte contre le chômage.

Cette revue non exhaustive des problèmes propres au marché de l’emploi Africain permet d’alerter sur la nécessité de mener des actions coordonnées, précises et surtout basées sur les réalités existantes en vue de réduire le chômage et d’améliorer les conditions des travailleurs. Pour ce faire, les visions politiques et les promesses électorales en matière d’emploi, ainsi que toute autre politique de promotion de l’emploi doivent être basées sur des systèmes d’information fiables sur le marché du travail et surtout être traduites en actes concrets.

Jean Rodrigue Malou

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] «Perspective économique en Afrique 2013 », CEA, BAD.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[2] Notamment à la loi d’Okun (1962) établissant une relation empirique forte entre la croissance du PIB et le chômage

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[3] De manière simplifiée la transition démographique désigne le « Passage d'un régime démographique traditionnel, où la fécondité et la mortalité sont élevées, à un régime moderne de fécondité et mortalité beaucoup plus faibles »  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[4] 17 millions et 78 millions emplois créés  respectivement  en Afrique du Nord et en Afrique Subsaharienne entre 1999 et 2009

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[5] Produits de base agricoles et énergétiques et sur le secteur des produits de base non renouvelables

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[6] «Perspectives économiques régionales, Afrique Subsaharienne», FMI, Avril 2012,P.74

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[7] AfricanEconomicOutlook.org

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[8] Le choix de focaliser nos analyses sur l’Afrique Subsaharienne tient du fait que la situation y est plus alarmante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelle politique de l’emploi au Sénégal dans un contexte d’accroissement démographique ?

Le Sénégal compte douze millions d’habitants dont la moitié a moins de 17 ans. Près de deux Sénégalais sur trois sont âgés de moins de 25 ans et l’espérance de vie à la naissance est de 59 ans. A ce rythme, l’effectif total double à chaque quart de siècle. L’accroissement naturel rapide et la jeunesse de la population sont caractéristiques d’un phénomène majeur : le processus de la transition démographique. A cause d’une natalité élevée et d’une mortalité en baisse, le Sénégal se situe dans la première phase de cette transition. Au cours de cette étape, les besoins en termes d’éducation, de santé, d’emploi et de consommation en biens et services croissent de manière vertigineuse. Pour un gouvernement, un faisceau de difficultés variées peut s’en suivre. C’est la raison principale pour laquelle certains qualifient de « bombe démographique » cette augmentation de la population. A l’opposé de cette position, d’autres perçoivent l’accroissement comme un « bonus démographique ».

Demande sociale, démographie et politique de développement : un jeu de mirage

Quand la population augmente, assurer les services sociaux de base devient plus compliqué. En effet, lorsque la prestation est gratuite ou fortement subventionnée, les habitants du territoire sont des usagers publics. Dans un contexte privé, ces usagers se transforment en clients. Si une clientèle en pleine croissance est une opportunité d’affaires, l’augmentation des usagers publics constitue par contre une lourde charge financière pour l’Etat, surtout quand ces derniers ont des revenus faibles. Sous l’éclairage de cette dichotomie, il apparaît que la démographie représente à la fois un goulot d’étranglement et un levier puissant, en fonction de la vision des hommes et des femmes devant animer le moteur du développement socio-économique. Avec une fécondité évaluée à cinq enfants par femme, le moment du choix a sonné pour le Sénégal. Subirons-nous les conséquences désastreuses de la « bombe démographique » ? Capitaliserons-nous les avantages avérés du « bonus démographique » ?

Les perspectives de l’évolution de la demande dans les secteurs de la vie économique et sociale du Sénégal apportent une clarification sur l’envergure des enjeux. En réalité, l’augmentation de la population engendre une hausse continue de la demande dans plusieurs domaines : eau potable, électricité, soins de santé, services éducatifs, emploi, logements, etc. Tant que la progression de la satisfaction adéquate de ces besoins fondamentaux n’est pas capable de supporter, voire absorber, le taux d’accroissement moyen annuel de la population, le gap risque de se creuser. Autrement dit, si un effort W est fourni pour réaliser un résultat R en une année t, il faudra pour l’année t+1 multiplier W par un facteur (au moins supérieur à 1) pour obtenir un résultat supérieur ou égal à R. A l’image d’un jeu de mirage, cette réalité joue souvent des tours aux décideurs politiques des pays en pleine transition démographique. En effet, pendant qu’ils se vantent du bilan positif d’une année et négligent la complexité des impératifs futurs, la situation se détériore l’année suivante parce que tout simplement il aurait fallu consentir beaucoup plus d’efforts que l’année précédente pour, au moins, maintenir le score vanté! Sous ce rapport, entre 2000 et 2011, la hausse significative des investissements dans les domaines de l’éducation, la santé, l’électricité et l’assainissement fut salutaire en ce sens que ces niveaux n’ont jamais été atteints auparavant. Cependant, la comparaison temporelle basée uniquement sur les enveloppes budgétaires ne peut être gage de satisfaction car l’ampleur de la demande est significativement différente : la population sénégalaise est passée de 6,8 millions d’habitants en 1988 à 9,8 millions d’habitants en 2002, avant d’atteindre 12,5 millions en 2010. Qui plus est, les coûts unitaires spécifiques des projets ont varié, pour plusieurs raisons.

Pression démographique et marché local de l’emploi

En 2010, la population sénégalaise potentiellement active était évaluée à 7,3 millions d’individus. En moyenne, il y a eu, chaque année, 202.000 demandeurs potentiels d’emploi entre 2002 et 2010. A ces effectifs, il faut ajouter les émigrants sénégalais diplômés, travaillant à l’étranger et qui désirent regagner leur pays. Les ressources financières de l’Etat et le nombre de postes à pourvoir étant limités, la fonction publique ne peut absorber tout ce capital humain. De plus, les entreprises en activité sur le territoire national ne sont pas non plus en mesure de satisfaire les demandes d’emplois qui ne cessent de croître, sous l’effet de la croissance démographique. On pourrait citer beaucoup de chiffres – parfois contestables – sur l’emploi et le chômage. En fonction des sources, le taux combiné de chômage et de sous-emploi variait entre 30 et 49% en 2010. Mais, au-delà de l’aridité des multiples indicateurs, la finalité porte sur la survie et le bien-être d’êtres humains vivant en famille.

Actuellement, lancer de « grands chantiers d'infrastructures à haute intensité de main d’oeuvre » semble constituer, en termes d’orientations budgétaires, la tendance majeure et la solution préconisée par l’Etat pour poser les jalons de l’émergence économique et, parallèlement, résoudre l’équation du chômage. Il est fréquent d’entendre les politiques promettre la création de milliers d’emplois générés par des grands travaux publics. Toutefois, ce discours porteur de promesses alléchantes ne parvient pas à soulager les populations, compte tenu des effets d’entraînement trop faibles. En réalité, avec le recours systématique aux importations, l’économie sénégalaise fait tourner des PME et PMI étrangères qui fabriquent la quasi-totalité des intrants de construction des infrastructures importés par les attributaires des marchés publics, ramollissant ainsi les potentialités industrielles nationales. Il en découle une nette altération de l’effet multiplicateur keynésien qui est pourtant une logique de base pour le lancement des grands travaux publics en période de morosité économique. Ainsi, dans ces conditions défavorables, l’apport intrinsèque des grands chantiers est fortement discutable car les emplois supplémentaires créés sont largement insuffisants par rapport au potentiel, en plus d’être le plus souvent temporaires, peu qualifiés ou précaires. Tout au plus, cette pratique peut, dans le court terme, augmenter les recettes douanières, sous réserve que les exonérations négociées ne soient pas trop importantes. Dans le long terme, la livraison des infrastructures, reconnaissons-le, peut avoir des effets positifs sur l’économie nationale.

Jusqu’à présent, l’Etat multiplie les initiatives de lutte contre le chômage. Le nombre d’institutions publiques créées et mandatées pour la promotion de l’emploi a dépassé la dizaine. Avant de se prononcer sur la volonté de bien faire, il est impératif de décrier leur foisonnement institutionnel parce que l’offre nationale d’emploi est largement inférieure à la demande annuelle estimée à plus de 200.000. Une question fondamentale mérite d’être posée. Peut-on aider un individu à trouver un emploi qui n’existe pas dans le système dans lequel il vit, sans paraître comme un vendeur d’illusions ? Libre à chacun de se faire sa philosophie !

Par ailleurs, en 2011, le taux d’émigration des diplômés de l’enseignement supérieur sénégalais est évalué à 17,7% par la Banque Mondiale. En 2006, 51,4% des Sénégalais titulaires de Doctorat ont émigré. La diaspora sénégalaise a envoyé, rien qu’à travers les circuits formels (banques, sociétés de transfert d’argent et poste), 594,9 milliards de francs CFA en 2010. Ce montant est supérieur aux droits de douane encaissés (422,2 milliards de francs CFA en 2010), aux impôts directs (339 milliards de francs CFA en 2010) et aux dons reçus par l’Etat (161,9 milliards de francs CFA en 2010). En d’autres termes, même loin du territoire national, la diaspora paie un lourd tribut aux conditions de vie des Sénégalais. Toutefois, l’émigration de quelques membres de la famille ne suffit pas pour préserver la dignité humaine soutenue par l’occupation d’un travail décent. De plus, dans le moyen terme, la situation économique des pays d’accueil laisse présager une forte variabilité des transferts des émigrés. La viabilité de l’émigration, comme facteur de développement, paraît donc compromise.

En définitive, les acteurs du processus de développement doivent fédérer leurs énergies afin de faire bénéficier au Sénégal un bonus démographique. Il est temps d’inviter les Sénégalais à entreprendre massivement dans des domaines à forte valeur ajoutée, en dehors de la commande publique (marchés ou contrats de l’Etat). C’est le prix à payer pour créer une masse critique de PME et de PMI, capable d’embaucher et de conquérir des marchés locaux, régionaux et internationaux. Dès lors, le changement de mentalités est devenu une nécessité au même titre que l’application stricte des principes de bonne gouvernance.

Khadim Bamba

bh-sn2012@hotmail.fr

NDLR : Les statistiques citées proviennent de la publication officielle : Situation économique et sociale du Sénégal en 2010, Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie – ANSD, décembre 2011. Cette version est la plus récente.

Le chômage des jeunes : un défi de plus pour l’Afrique d’aujourd’hui ?

A l’heure où le gouvernement français a choisi de durcir les conditions d’accès à l’emploi pour les étudiants étrangers, on peut se demander quelles seront les conséquences à long terme pour ces milliers d’étudiants africains qui choisissent chaque année d’aller étudier en France, et de s’y installer par la suite, faute d’opportunités professionnelles satisfaisantes dans leur pays d’origine.

En effet, si les statistiques sur l’emploi des jeunes (individus âgés de 15 à 24 ans) fournies par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) dans son dernier rapport annuel Global Trends for Youth Employment  2010 soulignent une tendance à la baisse pour le chômage des jeunes en Afrique sur la dernière décennie, on ne peut pas vraiment se réjouir des chiffres mentionnés. Alors que le taux de chômage est de 13% dans le monde en 2009 , il atteint la même année 23.7% en Afrique du Nord, et 11.9% en Afrique subsaharienne (source OIT). Cette dernière donnée est à interpréter prudemment : le taux de chômage indiqué pour l’Afrique subsaharienne est en réalité bien plus important, car les statistiques différencient population active au chômage, et population inactive, à savoir les jeunes qui ne recherchent pas d’emploi. La part des jeunes au chômage en Afrique subsaharienne est donc très élevée si l’on additionne jeunes actifs au chômage et jeunes inactifs, car elle atteint près de 50% des jeunes de 15 à 24 ans. De plus, certains jeunes considérés comme actifs sont en réalité sous-employés, c’est-à-dire qu’ils travaillent quelques heures par semaine, souvent dans la sphère informelle. Parmi cette population, les jeunes femmes sont encore plus touchées par l’impossibilité d’accéder à un emploi stable, et ce pour des raisons diverses : taux de scolarisation et niveau d’instruction plus faibles, schémas familiaux traditionnels et difficultés plus grandes à rechercher un emploi en raison d’une méconnaissance du marché du travail et de son fonctionnement.

En Afrique comme dans le monde, le chômage des jeunes semble être un phénomène véritablement structurel, l’élasticité de l’emploi des jeunes rapportée à la croissance du PIB étant limitée, comme le détaille le rapport de la Banque mondiale intitulé Les jeunes et l’emploi en Afrique, le potentiel, le problème, la promesse. Par ailleurs, les jeunes Africains sont trois fois plus touchés par le chômage que les adultes, ce qui montre que cette population rencontre des difficultés toutes particulières pour accéder à un emploi pérenne. Paradoxalement, le chômage des jeunes est plus élevé parmi ceux qui ont fait des études secondaires ou supérieures, le ratio du taux de chômage des  jeunes ayant  fait des études secondaires par rapport aux jeunes n’ayant pas fait d’ études est ainsi de 1 à 3. Les jeunes actifs ne sont pour autant pas privilégiés : l’emploi auquel ils accèdent est souvent précaire, sous-payé et du ressort de l’économie informelle, sans protection sociale ni contrat de travail. 

Les causes du chômage des jeunes en Afrique sont multiples : un facteur démographique défavorable, une croissance économique qui ne crée pas d’emploi, un système d’éducation mal adapté, et des politiques publiques qui découragent les investisseurs privés et favorisent la montée du secteur informel. L’incapacité des Etats africains à s’attaquer au chômage des jeunes risque de fragiliser des populations et les maintenir dans la pauvreté sur plusieurs générations, et d’exacerber les tensions sociales comme on a pu le voir au Maghreb ces derniers mois. Sur un continent où près de 60% de la population a moins de 25 ans, le chômage des jeunes risque fort de se transformer en « bombe à retardement » comme le prédisent certains depuis plusieurs années.

Leila Morghad   

Chômage et entreprenariat des jeunes en Côte d’Ivoire

L’instabilité politique que connait la Côte d’Ivoire depuis la fin des années 1990, qui a atteint son paroxysme avec la récente crise postélectorale, continue de laisser des séquelles, au nombre desquelles le chômage des jeunes. Celui-ci a atteint des proportions déconcertantes dans un contexte de pauvreté généralisée. Les licenciements massifs, les délocalisations et fermeture d’entreprises, les pillages et destructions des moyens de production de milliers de petits opérateurs économiques, conduisent à faire le constat de la perte de nombreux emplois, dont 120 000 directement liés à la crise postélectorale selon la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire. A ce titre, l’Agence d’Etudes et de Promotion de l’Emploi (AGEPE) révèle que les jeunes de moins de 35 ans, qui constituent plus de 64% de la population, sont frappés d’un taux de chômage estimé à environ 25 %. C’est-à-dire le ¼ des forces vives du pays.

Les causes de ce chômage sont connues :  la détérioration du climat sociopolitique principalement, mais aussi l’accroissement démographique, l’incapacité du marché de l’emploi à absorber les vagues successives de diplômés qui sortent chaque année du système éducatif, et l’inadéquation de la formation aux nouvelles exigences de ce marché de l’emploi, sont quelques raisons qui ont décuplé le taux de chômage des jeunes en Côte d’Ivoire.

Dans les années 1980, les différents Plans d’Ajustement Structurels (PAS) en Côte d’Ivoire ont eu pour conséquence une réduction significative de la part de l’Etat dans le jeu économique du pays. Cela a mis un terme à la situation qui a prévalu à partir de l'indépendance, avec l’incorporation de toutes les forces vives dans les structures et entreprises d’Etat. Aujourd’hui c’est le secteur privé qui dynamise l’économie. Alors que l’Etat n’est plus le premier pourvoyeur d’emploi, il devient difficile pour le secteur privé de jouer son rôle quand le contexte macroéconomique ne le permet pas. Les crises politiques et socioéconomiques qui se sont succédées ont contribué à accroitre le risque ambiant, ce qui désincite les opérateurs économiques à faire des investissements, et donc à se projeter dans l’avenir, faute de visibilité. Dans ces conditions, il est devenu difficile pour les entreprises de recruter.

Mais alors, que faire? Que faire lorsqu’après avoir fait des études, un jeune n’a pas pu se faire embaucher en raison du contexte qui prévaut ? La solution entrepreneuriale reste l’option qui s’offre à cette jeunesse lorsqu’elle rencontre le chômage à la sortie du système éducatif. Mais la Côte d'Ivoire fait face au problème d’un cadre politique, économique, juridique et fiscal inadéquat à l'entrepenariat.

Les témoignages de jeunes entrepreneurs ivoiriens ne sont pas du tout élogieux sur l'environnement entrepreneurial en Côte d’Ivoire. Le contexte de crise sociopolitique est désincitant pour tout investisseur et le risque pays qui en découle contribue à accroitre les taux d’intérêts pour tout emprunt. Situation encore plus dramatique, la multiplication des défaillances d’entreprises qui pour la plupart meurent à un stade embryonnaire, n’encourage pas les investissements. Il faut vraiment s’armer de courage pour risquer son capital dans un tel contexte. Pire, il revient de façon persistante que le poids de la fiscalité décourage la création d’emploi en Côte d’Ivoire. Le cadre financier quant à lui dévoile des conditions d’emprunts bancaires inefficaces pour impulser une dynamique entrepreneuriale. Enfin, l’insécurité ambiante et la corruption dans les administrations constituent un surcoût important pour quiconque choisit de se lancer dans la création d’entreprise en Côte d’Ivoire. En énumérant ces problèmes, les solutions se dégagent d’elles-mêmes.

Quel soutien à l’entreprenariat jeune ?

Il faut remarquer que le gouvernement ivoirien essaie de mettre en place depuis 1953 des structures chargées de promouvoir l’emploi dans toutes ses dimensions. L’Office de la Main d’œuvre de Côte d’Ivoire (OMOCI) crée en 1953 fera place à l’AGEPE en 1993. De 1978 à 1991, un projet pilote de formation par apprentissage conduit par l’ex Office Nationale de la Formation Professionnelle (ONFP) va déboucher, en 1996, sur le programme interministériel dénommé Programme d’Absorption des Jeunes Déscolarisés (PAJD). C’est dans la même veine que naîtra le Projet de Redéploiement de la Formation par Apprentissage (PRFA) en 1996, dont la tutelle fut confiée à l’AGEFOP. Plus récemment, en 2003, l’Etat de Côte d’Ivoire a mis en place le Fonds National de Solidarité (FNS)  qui a pour but le soutien à l’entreprenariat des jeunes en finançant des projets viables. Il y a donc eu des initiatives gouvernementales en faveur de l’emploi jeune. Mais que peut-on faire lorsque le contexte politique et socioéconomique est marqué par des tumultes profonds ?

Si la stabilité politique qui est une condition sinequanone au déploiement de politiques de développement se fait encore attendre, les décisions des gouvernants du moment peuvent impacter positivement le cadre des affaires et conduire à plus de sérénité pour impulser une dynamique entrepreneuriale. Au niveau juridique, le droit fiscal doit pouvoir permettre un accompagnement dynamique de la sphère économique et non pas asphyxier les PME comme il revient des observations faites sur le terrain. Toute initiative doit pouvoir être encouragée par un allègement fiscal et un accompagnement technique et financier.

Au niveau éducatif, s’il s’avère que les politiques de promotion de l’emploi jeune peine à relever les défis qui s’imposent, il serait déjà porteur de travailler à inculquer des valeurs propres à préparer les esprits à s’engager dans la voie de l’entreprenariat, et à acquérir les éléments de base qui pourraient aider au pilotage d’entreprise. Il peut s’agir de renforcer les politiques d’alphabétisation; de renforcer les valeurs morales des individus; de financer des cessions de formation au management de projet. La formation doit pouvoir être adaptée au monde entrepreneurial.
Au niveau administratif, faire en sorte de juguler la corruption dans les administrations, définir une politique fiscale favorable au décollage d’entreprise, et inciter à opérer dans la légalité et dans la sphère formelle.
Au niveau socio-économique, il y a lieu de développer un cadre favorable aux investissements. Un effort d’apurement de la dette intérieure serait de nature à apporter un bol d’air aux entreprises prestataires de services de l’Etat. En effet, de nombreuses PME ont du mettre la clé sous le paillasson pour insuffisance de fond de roulement, en raison de créances impayées par l’Etat de Côte d’Ivoire. Il serait dommage que l’Etat investisse des milliards dans la formation pour aider à la création d’une nouvelle classe d’entrepreneurs, et dans le même temps, pénalise les entreprises prestataires en ne payant pas les factures, au point de les contraindre à fermer.

Au niveau financier, l’entreprenariat des jeunes peut être soutenu et encourager par des structures de capital risque qui ont pour métier d’investir dans des activités sans grande visibilité, et parfois dans des contextes risqués du point de vue de l’investisseur classique. Aussi, l’Etat ivoirien pourrait, par exemple, engager sa signature (à condition qu’elle vaille encore quelque chose, vu le niveau et le traitement qui est fait de la dette intérieure) pour soutenir des jeunes entrepreneurs auprès de leurs partenaires. Les activités avec un potentiel d’emploi plus important pourront alors être privilégiées. Une logique de double dividende intégrant des principes d’un “développement durable africain” est à envisager. A cet effet, il faut noter que des activités telles que la gestion des déchets, la gestion des espaces verts et les métiers d’assainissement, ont le mérite de créer à la fois des bénéfices économiques et environnementaux. Elles ont également un potentiel social non négligeable par la réinsertion de jeunes sans qualification qui, demeurant sans emploi, constituent un risque social par leur potentiel de déviance.

Les activités avec un potentiel d’emploi plus important pourront alors être privilégiées. Une logique de double dividende intégrant des principes d’un “développement durable africain” est à envisager. A cet effet, il faut noter que des activités telles que la gestion des déchets, la gestion des espaces verts et les métiers d’assainissement, ont le mérite de créer à la fois des bénéfices économiques et environnementaux. Elles ont également un potentiel social non négligeable par la réinsertion de jeunes sans qualification qui, demeurant sans emploi, constituent un risque social par leur potentiel de déviance.

 

Maurice Koffi, Jeanne Faulet-Ekpitini, Mireille Hanty,  article initialement paru sur Pensées Noires

 

Chômage et pauvreté : un cercle vicieux?

«Nous faisons semblant d’avoir des politiques et elles ne sont pas crédibles, nous faisons semblant d’agir et on se rend compte qu’on ne touche pas le problème de fond et aujourd’hui nous avons fabriqué une société de chômeur, une société de personnes qui ont du mal à vivre». Ibrahima Sall.

Invité à la Rfm*, M. Sall, économiste sénégalais, a révélé que le Sénégal n’avait jamais eu de politique de chômage. Une remarque qui, je dois l’avouer, éveillât ma curiosité.

L’intérêt réside surtout dans le fait qu’elle pousse au questionnement et interpelle sur de nombreux aspects concernant la problématique du chômage : quelle est l’étendue du fléau ? Quelles en sont les causes? Il est entendu que le sujet dont il est question est très vaste et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, il sera traité en deux parties. Le premier volet qui sera abordé dans ce présent article permettra de faire une description assez globale du problème, à savoir la situation actuelle du chômage au Sénégal et ses principales causes.

Commençons par quelques chiffres…

Selon le CIA World Factbook publié en janvier 2009, 54% de la population sénégalaise vivait avec moins de 1$ par jour.

Qu’en est-il des autres indicateurs de développement? Le bilan n’est guère reluisant : une croissance du PIB qui passe de 5.5% en 2005 à 2.2% en 2009, un taux de chômage de la population totale 11.1% en 2006 et un taux d’alphabétisation de 42%, pour ne citer que ceux là. On ne peut évidemment être choqué lorsque l’on connaît le contexte économique du Sénégal même s’il est dur de s’imaginer que ces données sont quasiment restées inchangées depuis 2005. Un cercle vicieux : tel serait la description que l’on pourrait donner à la relation existant entre chômage et pauvreté d’une part et développement économique de l’autre.

Dans un rapport publiée par le Bureau sous-régional pour l’Afrique de l’Ouest de la Commission des Nations Unies pour l’Afrique en 2010, le Sénégal s’est vu attribuer l’une des meilleures performances économiques d’Afrique subsaharienne des cinq dernières années avec un taux de croissance moyen de près de 7%. Toutefois, le bureau conclue en soulignant «le taux de chômage élevé et endémique» du pays qui représenterait une entrave à l’éclosion du potentiel des jeunes. Plus généralement, le fort taux de chômage constituerait une menace à la stabilité mais également aux perspectives de développement socio-économique.

Près de 48% de la population active (entre 15 et 24 ans) est sans emploi; il est donc légitime de se poser la question à savoir : quels sont les facteurs à l’origine du chômage au Sénégal?

 

 

Les principaux déterminants du chômage au Sénégal

Nous pouvons, tout d’abord, citer le taux élevé d’analphabétisation. Il y a de cela quelques années (2006), seulement 42% de la population était alphabétisée. Dans un document intitulé  «Les Déterminants du chômage au Sénégal : le rôle de l’éducation» et publié en 2005 par Mamadou Cissé, il est fait état de la relation entre niveau d’éducation et chômage.

La littérature empirique a montré que sur le plan national, l'éducation permet d'améliorer la croissance économique par le dynamisme du capital humain. Elle permet donc de lutter contre le chômage par la création d'opportunités d'emploi. L’éducation augmente les chances d’obtenir un emploi réduisant ainsi la probabilité de chômage. Paradoxalement, il se trouve que 57% des demandeurs d’emploi n’ont pas de diplômes.

Ce qui nous amène à un second facteur déterminant du chômage : l’inadéquation entre le système éducatif et les besoins du marché du travail. En effet, 28.8% des travailleurs vivent avec moins de 1 dollar par jour et plus de 50% avec moins de 2$ par jour. Il est donc important de s'intéresser au niveau et à la structure des emplois selon les qualifications requises. En outre, le chômage important des jeunes diplômés ajouté à une baisse de la probabilité d’insertion dans les secteurs modernes, pousse bien évidemment à s’interroger sur la qualité de l’éducation et sa pertinence par rapport aux besoins des employeurs. On se rend également compte que le secteur formel n’offre que peu d’emplois contrairement à celui informel qui en fournirait plus de 50%.

La situation du secteur de l’éducation s’est fortement améliorée ces dernières années et ceci grâce au fait que l’État lui consacre une importante partie de son budget. Malgré les améliorations notées dans ce domaine, les structures de planification ne sont toujours pas en accord avec les réalités du marché du travail et passer par l’enseignement supérieur reste, pour les demandeurs d’emploi, la seule porte de sortie. En effet, les politiques publiques sont si peu incitatives que seule une faible proportion d’entre eux détient un diplôme universitaire (environ 1,6%).

Comme nous l’avons vu tout au long, le chômage est actuellement un facteur important lorsqu’on en vient à parler de développement économique. Son impact est plus sérieux d’un point de vue macroéconomique et il est le plus souvent lié à l’éducation au même titre qu’aux politiques publiques. En effet, la conséquence majeure du chômage est la pauvreté; et bien entendu, qui dit pauvreté, dit forcément faible productivité économique.  Nous y reviendrons dans la seconde partie de l’article qui sera ainsi consacrée à un diagnostic global de la pauvreté de même qu’à une étude plus approfondie du problème. Nous parlerons également des méthodes de lutte contre ce phénomène et discuterons plus amplement des toutes nouvelles stratégies en matière de réduction de pauvreté, telles que l’inclusion des personnes vivant avec un handicap.

Mame Diarra Sourang