François Hollande, « rattrapé par la Realpolitik en Afrique »

CHRISTOPHE%20BOISBOUVIER_PRW_9871_0Qui pouvait penser que François Hollande ferait des dossiers africains l’une des priorités de sa politique étrangère et militaire ? Avant de devenir président, il se rend le moins possible sur un continent dont il se méfie. Il délaisse les enjeux africains pour cultiver son ancrage local corrézien, et se concentrer sur les questions économiques et sociales qu’il affectionne. C’est donc un homme plutôt neuf qui arrive à l’Elysée en mai 2012, après avoir promis comme d’autres de “rompre avec la Françafrique”. Très vite, face à la montée de la menace djihadiste au Mali, c’est pourtant sur ce terrain africain que François Hollande va prendre parmi les décisions les plus cruciales de son mandat en engageant les troupes françaises. Quelques semaines après l’intervention au Mali, il décrit même son accueil triomphal à Bamako, comme la journée “la plus importante” de sa vie politique. Dans Hollande l’Africain, paru en octobre aux éditions La Découverte, le journaliste de RFI Christophe Boisbouvier raconte avec minutie cette conversion à l’Afrique, et combien, au nom de ses intérêts économiques et sécuritaires, la France peine à échapper à ses traditionnelles alliances avec des régimes contestables. Pour l’Afrique des idées, il revient sur les atermoiements de la politique africaine de François Hollande.

Vous écrivez que François Hollande a longtemps joué à cache cache avec l'Afrique, pour quelles raisons ?

Parce ce qu’il estimait qu’en Afrique “il n’y a que des coups à prendre”. C’est ce qu’il dit en 1998 au “Monsieur Afrique” du Parti socialiste, Guy Labertit, un an après avoir pris les rênes du PS. François Hollande a été marqué par les scandales de la Françafrique, notamment celui des diamants de Bokassa, qui a contribué à la défaite de Valéry Giscard d’Estaing en 1981. Pendant longtemps, pour lui, aller en Afrique, c’était prendre le risque d’être accueilli par des potentats, de recevoir des cadeaux compromettants et de se salir les mains. En tant que premier secrétaire du PS, il ne met pratiquement jamais les pieds en Afrique. Il n’accompagne pas le premier ministre Lionel Jospin quand il se rend au Sénégal et au Mali en décembre 1997.

En quoi sa relation avec Laurent Gbagbo marque-t-elle un premier tournant ?

Malgré sa méfiance forte vis-à-vis du continent, François Hollande, en tant que patron du PS, va être obligé de prendre position sur les dossiers africains, où la France est très attendue. D’autant plus, qu’il devient en 1999, le vice-président de l’Internationale socialiste. Il va nouer des relations de camaraderie avec les chefs des partis socialistes africains comme Laurent Gbagbo, qui dirige le Front populaire ivoirien et est un grand ami du député PS Henri Emmanuelli. Il se laisse entraîner dans une relation assez étroite, avec des communiqués de soutien catégorique à Laurent Gbagbo, en 2000, au moment de la présidentielle.

Avant de rompre 4 ans plus tard…

En 2002, il y a une insurrection dans le nord de la Côte d’Ivoire et le pays est coupé en deux. Peu à peu on va découvrir que des assassinats ont lieu contre les rebelles présumés, perpétrés par ce qu’on appelle “les escadrons de la mort” du président Gbagbo. François Hollande est alerté par plusieurs socialistes, et par l’Ambassadeur de France, Renaud Vignal, rappelé à Paris, pour ses relations exécrables avec le régime ivoirien. A son retour, le diplomate fait un compte rendu incendiaire de la situation qui a beaucoup de poids sur François Hollande. C’est le début d’un grand froid. François Hollande décide de rompre définitivement fin 2004 et l’affaire ne fait que renforcer ses préjugés sur l’Afrique.

Vous décrivez avec précision l’entrée en guerre au Mali. Comment expliquez-vous que François Hollande ait revêtu avec une telle célérité le costume du chef de guerre une fois à l’Elysée ?

Il a une phrase forte quand il se rend au Mali trois semaines après le début de l’intervention française: “Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie politique”. Elle trahit d’abord la blessure d’un homme qui jusqu’à son élection a longtemps été considéré comme un mou, et un “flanby”, un dessert gélatineux… Il veut montrer qu’il n’est pas celui qu’on croit, qu’il est capable de prendre des décisions fortes. Il estime aussi profondément que la France a une responsabilité historique. C’est un gaullo-mitterrandiste qui veut maintenir la France dans le club des grandes puissances qui ont le droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU. Il veut prouver qu’elle est une grande nation qui prend ses responsabilités quand l’Afrique l’appelle.

La France a-t-elle exagéré la menace djihadiste au Mali pour justifier sa guerre ?

Je ne dirais pas qu’elle l’a exagérée, mais elle a dramatisé l’enjeu. François Hollande sait qu’il faut gagner la bataille de la communication et de l’opinion publique à la fois en France et en Afrique. Il insiste donc sur la menace sur Bamako, ses deux millions d’habitants et 6000 ressortissants français. En fait, quand François Hollande prend la décision d’intervenir, personne ne sait ce que les djihadistes veulent vraiment faire. Une seule certitude, ils ont bougé. Mais on ignore si leur objectif est le centre du pays dans la région de Sévaré ou si ils veulent pousser jusqu’à Bamako. C’est dans une situation de doute et d’interrogation tactique que François Hollande décide d’intervenir.

Est-ce parce qu'elle était opposée à l'intervention française au Mali qu'une ancienne ministre malienne de la culture Aminata Traoré s'est vu refuser un visa pour la France ?

Sans doute.

Outre François Hollande, parmi les personnages centraux de votre livre, il y a le président tchadien Idriss Déby. En quoi leur relation est-elle emblématique de l'évolution de la politique africaine du président français ?

Car Idriss Déby est un des chefs d’Etat africains dont François Hollande se méfie le plus, à cause de “l’affaire Ibni”. Du nom de Ibni Mahamat Saleh, un des leaders de l’opposition tchadienne, proche de l’internationale socialiste qui disparaît en février 2008 dans les geôles tchadiennes. A l’époque, le PS français a des positions très dures contre le régime dont il met en cause la légitimité. Deux députés Jean-Pierre Sueur et Gaëtan Gorce organisent un débat à l’Assemblée nationale en mars 2010.

Jusqu’à son arrivée au pouvoir, François Hollande considère que le régime tchadien n’est pas fréquentable. Pendant les six premiers mois, les relations sont très mauvaises. Idriss Déby ne vient pas à Kinshasa au sommet de la francophonie, où se rend le président français. En décembre 2012, il est reçu pour la première fois à l’Elysée mais les relations restent glaciales. Tout change en janvier, Déby propose les services de son armée pour la bataille des Ifoghas au Nord-Mali. Désormais, les deux pays ont une alliance militaire et stratégique contre un ennemi commun…les djihadistes.

La communication des autorités françaises en deux temps sur le référendum au Congo, qui pourrait permettre au président Sassou Nguesso de s’accrocher au pouvoir, est-elle une autre illustration des atermoiements français ?

Un pas en avant, deux pas en arrière. Dans sa politique africaine, François Hollande zigzague comme il l’a fait pendant onze ans à la tête du parti socialiste sur d’autres dossiers. Un coup, il se prononce contre le principe du 3e mandat de Denis Sassou Nguesso et un autre coup il semble donner son feu vert au président congolais quand il prépare son référendum pour en briguer un. Autre exemple, ses tournées en Afrique. Quand il rend visite à un autocrate, il prend le soin d’aller d’abord chez un chef d’Etat élu démocratiquement. Avant d’aller à Kinshasa chez Joseph Kabila, il va voir le Sénégalais Macky Sall, avant de se rendre au Tchad chez Idriss Déby, il va chez Mahamadou Issoufou au Niger. C’est un équilibriste permanent.

François Hollande a-t-il rompu avec la Françafrique comme il le promettait dans un de ses engagements de campagne ?

Il a essayé de rompre avec la Françafrique de l’argent et du clientélisme, et de mettre fin à l’influence des visiteurs du soir sur la politique africaine, des gens comme Robert Bourgi ou Patrick Balkany qui intervenaient encore pendant les présidences de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Jusqu’à preuve du contraire, François Hollande a plutôt réussi sur ce plan là. En revanche il n’a pas rompu avec la Françafrique institutionnelle, celle des bases militaires et du franc CFA. La France est encore le gendarme de l’Afrique, notamment au Sahel. Enfin, malgré les promesses de Dakar en octobre 2012, il reste des réseaux, peut être plus de réseaux clientélistes mais des réseaux personnels. Ceux qui datent de l’Internationale socialiste. François Hollande et Alpha Condé par exemple échangent régulièrement des SMS sur leurs anciens téléphones personnels. Le président guinéen en profite probablement. Il peut obtenir un rendez-vous à l’Elysée en trois jours et contourner le protocole. Dans une tribune au journal Le Monde, un proche de Hollande, l’avocat de gauche Jean-Paul Benoit avait tiré la sonnette d’alarme et réclamé une politique plus équilibrée en Guinée.

Pourquoi ces hésitations entre realpolitik et droits de l’homme vous surprennent-elles ? N’est-ce pas un classique de la politique étrangère ?

On peut être cynique et penser que les responsables politiques sont tous les mêmes, que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Mais François Hollande a vraiment manifesté un désir de renouveau au départ comme l’illustrent les choix d’Hélène Le Gal et Thomas Melonio pour la petite cellule africaine de l’Elysee, et de Pascal Canfin comme ministre du développement. Hélène Le Gal est une diplomate jeune qui n’a pratiquement pas de passé africain ni de relations personnelles avec les chefs d’Etat, c’est d’ailleurs sans doute pour cela qu’elle a été choisie. Thomas Melonio, c’est encore mieux, c’est un idéologue, qui a un écrit un petit fascicule quand il travaillait sur les questions africaines pour le PS. Il y posait clairement la question du maintien des bases militaires françaises et du franc CFA. Aujourd’hui un officier d’état-major français relirait ce texte avec effroi. Quant à Pascal Canfin, c’est un écologiste spécialiste de la lutte contre les trafics financiers, notamment entre le Nord et le Sud, et il a obtenu un ministère du développement important. Donc François Hollande n’a pas voulu faire comme tout le monde au début, il avait une vraie volonté de changement. Mais à l’épreuve des faits, la Realpolitik l’a rattrapé.

Helène Le Gal et Thomas Melonio avalent-ils des couleuvres aujourd’hui ?

Il faudra leur demander… Je pense qu’ils vous diront que le présence militaire française n’est plus une présence politique mais relève d’opérations extérieures, des OPEX contre les djihadistes. Que les troupes ne sont plus des forces de présence comme dans les bases de Libreville ou de Djibouti qui voient leurs effectifs diminuer. Ils souligneront aussi sans doute que même si il n’y a pas eu de rupture fondamentale, il y a une forme de normalisation des relations françafricaines.

Votre livre est dédié à Ghislaine Dupont et Claude Verlon, journaliste et technicien à RFI, assassinés au Nord-Mali en novembre 2013. Où en est l’enquête ?

Elle est au point mort. D’abord parce que l’entraide judiciaire entre Paris et Bamako ne fonctionne pas bien. Il y a eu des commissions rogatoires internationales mais les retours sont décevants. Le président malien nous a expliqué que les recherches demandent une expertise que n’ont pas les juges et les policiers maliens, et qu’il faudrait une entraide technique avec Interpol, l’Union européenne… C’est un argument que nous pouvons entendre. Mais il y a aussi un blocage en France. Le juge Marc Trévidic qui était en charge du dossier a fait une demande de déclassification de documents “secret défense”. Le Ministère de la Défense n’a rien fait et n’a même pas saisi la commission consultative du secret de la défense nationale, qui doit simplement donner son avis. C’est d’autant plus choquant que le 24 juillet, François Hollande a reçu les familles et promis que tous les documents demandés seraient déclassifiés. Nous attendons toujours… Et on se demande si l’armée française n’a pas quelque chose à cacher.

Propos recueillis par Adrien de Calan