S’engager pour l’Afrique : Entretien avec Khaled Igue, Président du Club 2030 Afrique

C2030Khaled IGUE est originaire du Bénin, président du think tank Club 2030 Afrique et Manager chez Eurogroup Consulting France. Ingénieur Civil de formation, diplômé en sciences économiques de l’université de Paris I, et titulaire d’un master en affaires publiques – potentiel Afrique – de Sciences Po Paris, Khaled IGUE est un spécialiste des questions énergétiques, industrielles et économiques. Il intervient auprès des institutions et des gouvernements africains pour l’élaboration de modèles structurants pour l’émergence économique et sociale sur le continent.

Dans cet entretien, il nous parle de son engagement en faveur de l'Afrique par le biais du think tank Club 2030 Afrique dont il est le fondateur. Plus particulièrement, il nous présente les thématiques phares sur lesquelles travaille son think tank dont  la crise énergétique en Afrique, la mise en place d’une monnaie unique en Afrique de l’Ouest, ainsi que la question de l’adéquation des institutions politiques africaines aux contextes locaux.

En tant que jeune, qu'est ce qui a motivé votre engagement pour l'Afrique ?

Tout est parti d'un questionnement, entre amis, sur l'avenir de l'Afrique. Nous nous demandions à quoi ressemblera le continent dans les trente, voire les cinquante prochaines années ? Quel modèle économique devrait convenir au développement de ses Etats ? Quel système de gouvernement garantirait la paix, la stabilité et le développement économique dans les nations africaines ? L’un des constats que nous avons fait en définitive est que la jeunesse africaine est pour l’instant absente du débat intellectuel sur le développement de l'Afrique.

Afro-optimiste convaincu je n’en demeure pas moins réaliste, l’Afrique est à un tournant de son histoire. Si tous les feux sont au vert, les défis à relever restent conséquents. Or c’est la mobilisation mais surtout la bonne coordination de toutes les forces, dynamisme, et compétences disponibles qui permettront à l’Afrique de se distinguer dans les trente prochaines années.

C’est en partant de ce constat qu’est née la volonté de créer le think tank Club 2030 Afrique pour offrir un cadre de réflexion et d'action qui permettra de mettre au service de tous et surtout de chacun les énergies et expertises de cette jeunesse africaine.

logoC2030Pourriez-vous nous présenter un peu plus le Club 2030 Afrique ?

Le Think Tank « Club 2030 Afrique» est une organisation à but non lucratif, créée en 2012 avec l’ambition d’accompagner les pays africains dans leur processus d’émergence. Il souhaite s’engager auprès des décideurs et du grand public en structurant son action autour de 3 piliers : Informer, Débattre et Agir.

Trois sujets prioritaires rythment l’agenda des travaux de Club 2030 Afrique. Tout d’abord, alors que le sujet de la transition énergétique est sur toutes les lèvres, la question de l’énergie et de ses enjeux sur le continent africain constitue une des préoccupations majeures du think tank. A cet effet nous avons organisé en février 2015 une conférence sur « Les différentes solutions à la problématique de l’Energie en Afrique : quels sont les défis géopolitiques, juridiques, économiques et humains ? ». Ensuite, nous réfléchissons également sur l'avenir du franc CFA et la mise en place d’une monnaie unique en Afrique de l’Ouest à horizon 2020. Enfin, le Club réfléchit par ailleurs sur la nature des institutions démocratiques adaptées aux Etats Africains.

Sur la question de l'accès à l'énergie, quels ont été les fruits de vos réflexions ?

D'abord, nos analyses nous ont permis d'identifier deux obstacles majeurs à l'accès à l'énergie en Afrique. D'une part, la taille des marchés nationaux est parfois trop petite pour permettre une rentabilité intéressante aux investissements dans des infrastructures énergétiques très coûteux. Par exemple le Bénin et le Togo ont constitué dans les années 1960 une communauté électrique commune (CEB) pour répondre plus efficacement à la demande en énergie de leur population. L’idée étant justement de créer un marché beaucoup plus attractif et d’optimiser les coûts de production..

Toutefois, cet exemple ne s'applique pas au Nigéria puisqu'il dispose de la matière première et d'un vaste marché pour rentabiliser sa production énergétique. Dès lors, c'est aussi la faiblesse, voire l'absence d'un cadre réglementaire incitatif aux investissements privés qui peut être un obstacle à l'accès à l'énergie. Le but d'un tel cadre réglementaire est de sécuriser les investissements privés, car les financements existent. Il faut donc des cadres réglementaires qui définissent clairement les conditions de rachat de l'énergie par l'Etat, les modalités de mise en place de partenariats public privé et réduire les délais de démarrage des nouveaux projets d'investissements privés.

Une fois que ces obstacles sont levés, il faudra promouvoir le mix énergétique en se reposant sur les potentiels de chaque localité. Pour reprendre l'exemple du Bénin, les régions du Nord sont assez propices au déploiement de la biomasse en utilisant les résidus de l’égrenage du coton (tiges de coton) ; alors que le Sud est propice au déploiement d'éoliennes compte tenu de la proximité avec la mer. L'avantage du mix énergétique est qu'il permet de limiter les coûts de transport de l'énergie.

Enfin, la question de l'interconnexion physique des réseaux nationaux est centrale pour équilibrer la production de l'énergie dans des espaces communautaires comme la CEDEAO. A chaque période de l'année, certains pays bénéficient d'un ensoleillement alors que d'autres ont un potentiel hydraulique élevé. Il en est de même pour le gaz et le vent. La mise en place d'un marché régional de l'énergie soutenu par l'interconnexion physique des réseaux nationaux permettra d'échanger des flux d'énergie en temps réel et ainsi optimiser les coûts de production de l'énergie. Cependant, l'opérationnalisation de cette approche nécessite la mise en place de régulateurs nationaux et d'un régulateur régional. Actuellement, nous en sommes encore loin, mais c'est bien le chemin à emprunter.

Qu'en est-il de la monnaie unique de la CEDEAO, quelle est l'état de vos réflexions sur le sujet ?

Nous partons du principe que la maîtrise de la monnaie est essentielle à la gestion de l'économie d'un pays. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle le Ghana et le Nigéria tiennent à leurs monnaies nationales. Aujourd'hui, les Etats de l'UEMOA partagent le franc CFA comme monnaie unique.  Cependant, ils ont peu de pouvoir sur leur politique monétaire puisque la parité fixe de la monnaie unique est garantie par la Banque de France en contrepartie d'un solde qui lui est versé chaque année sur les exportations. Ce transfert de devises à la Banque de France laisse peu de marge de manœuvre aux Etats de l'UEMOA pour utiliser les fonds disponibles à des fins de développement.

Dans ce contexte, la création d'une monnaie unique de la CEDEAO serait une opportunité de rapatrier les devises pour qu’elles soient utilisées pour financer des infrastructures de développement. Toutefois, la création de cette monnaie a déjà été reportée à maintes reprises ; la prochaine échéance étant fixée en 2020. La question que nous nous posons est de savoir si cette nouvelle échéance sera enfin respectée. Tout semble indiquer qu'il sera difficile de la tenir car une monnaie unique requiert une convergence économique des économies qui y participent. Pour l'instant il est difficile de croire qu'un pays comme le Nigéria, première exportatrice de pétrole puisse intégrer cette union monétaire sans avoir des répercussions sur les économies des autres pays. Les chocs externes qui affecteront le cours du pétrole par exemple, risqueront de détériorer les exportations des autres pays, notamment ceux qui dépendent de matière première agricole, comme le coton, le café et le cacao. Notre objectif est de faire de la transparence sur les défis inhérents à la création de cette monnaie unique et nous comptons organiser une conférence sur le sujet cette année.

Enfin, quelles sont vos positions sur les institutions démocratiques en Afrique ?

Sur ce sujet aussi, nous partons de l'observation que les systèmes politiques appropriés dépendent des contextes économiques, démographiques et géographiques. Dès lors, chaque pays africain a besoin d'inventer ou de réinventer un modèle de gouvernement adapté à sa société. Notre travail consiste à identifier les modèles les plus adaptés en allant recueillir des informations auprès des populations sur leurs préférences. Ensuite, nous confions à un groupe d'analystes la tâche de produire un document qui servira de base à notre plaidoyer auprès des gouvernements en vue de nouvelles républiques en Afrique. Une idée qui revient souvent est celle d’un mandat unique à sept ans.

Quel sera votre mot de fin ?

Je remercie L'Afrique des Idées pour avoir donné la possibilité à Club 2030 Afrique d’exprimer sa vision et son engagement pour le développement du continent africain. A l'endroit de tous les acteurs impliqués dans la mise en œuvre des politiques de développement en Afrique, je formule le vœu qu'ils soient davantage à l'écoute des think tanks africains. Enfin, mon souhait est que nous intégrons davantage l'action au processus de réflexion afin de concrétiser nos propositions.

Propos recueillis par Georges Vivien Houngbonon