L’évolution du commerce d’armes conventionnelle dans le monde et plus particulièrement en Afrique suscite de nombreuses questions. Une étude faite par Pieter D. Wezeman, chercheur à l’Institut International de Recherche sur la Paix de Stockholm (SIPRI) publiée en 2009 fournie une analyse chiffrée des achats et transferts d’armes conventionnelles en Afrique Centrale, du Nord et de l’Ouest. Si l’on compare les sommes allouées à l’armement militaire par les Etats africains aux budgets militaires des autres Etats dans le monde, elles sont relativement faibles. Elles ne représentent environ que 3% des importations mondiales d’armes entre 2004 et 2008. Placées dans une perspective globale, les dépenses militaires des Etats d’Afrique Centrale, de l’Ouest et du Nord ne représentaient que 0,7% des dépenses mondiales en armement en 2007, soit un montant de 9,5 milliards de dollars pour un niveau global de 1339 milliards de dollars. Ces dépenses en armement sont concentrées entre les mains de quelques pays, principalement du Maghreb : l’Algérie représente à elle seule 41 % des dépenses, le Maroc 25%, le Nigéria 10% et la Lybie 7%.
L’étude souligne toutefois que les dépenses militaires sont en constante évolution dans les trois zones sous-régionales africaines étudiées. Les achats d’armes conventionnelles auprès des grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine, la France ou encore la Russie ont été très fréquents ces dernières décennies. L'Algérie est met actuellement en œuvre un important programme de modernisation militaire qui comprend l'achat de 180 chars T-90, 28 avions de combat Su-30MK, 2 sous-marins, doublé d’une mise en place d’un nombre important de systèmes de défense aérienne d’origine russe. Le Maroc, un voisin de l'Algérie, a également lancé un programme de modernisation militaire en 2008, et a commandé 24 F-16C, avions de combat d’origine américaine, une grande frégate FREMM made in France et 3 petites SIGMA-90, frégates achetées aux Pays-Bas. Un autre voisin de l'Algérie, la Libye était en train de négocier du temps du régime de Kadhafi avec plusieurs fournisseurs au sujet des contrats pour des quantités importantes d'armes lourdes.
Certains Etats africains souhaitent ne plus simplement importer leurs armes conventionnelles. Le Nigéria a ainsi décidé de produire une partie de ses besoins en armement sur son territoire national en important la technologie de fabrication et les composants des armes. Une entreprise nigériane, la DICON company, fabrique des copies du fusil d’assaut AK-47 et ses munitions depuis 2008.
Ces chiffres appellent à s’interroger sur deux sujets : l’impact de ce commerce sur la corruption et la violence en Afrique. L’absence de transparence dans les transactions nationales et internationales d’armes est soulignée dans l’étude du SIPRI. Ce manque de transparence et de contrôle approprié permet à un nombre important de fournisseurs et d’intermédiaires non identifiés d’intervenir dans les transactions militaires vers ces trois régions du continent. Bien qu’il ne soit pas possible de chiffrer précisément les montants versés pour des commissions plus ou moins occultes, nul doute que ces commissions participent significativement à entretenir la corruption dont profitent de nombreux responsables africains.
Quant à l’impact des dépenses militaires sur le cycle de violence, encore faut-il préciser qu’il est ici question des armes conventionnelles (faisant l’objet de contrats de vente, donc légales), et pas des armes non-conventionnelles (achetées à des trafiquants d’armes, en contravention le plus souvent avec les traités internationaux de non-prolifération). Si les armes conventionnelles sont souvent plus dangereuses (chars, avions de guerre, frégates, etc.), ce sont les armes non conventionnelles (machettes, kalachnikov, mines anti-personnelles) que l’on retrouve dans les guerres civiles et les conflits non étatiques, causant le plus de victimes en Afrique. Toutefois, l’usage d’armes conventionnelles par des Etats en situation de guerre ou de conflit armé n’est pas sans laisser présager des dérives. Pour se prémunir de ces dangers, l’Organisation des Nations Unies impose des embargos sur les armes conventionnelles des pays à risque. Actuellement, dans les trois zones africaines étudiées, ces embargos concernent la Libye, le Libéria, la Sierra Leone, la République Démocratique du Congo et la Côte d’Ivoire. L’histoire récente a toutefois montrer la faible efficacité de ce dispositif, le Liberia de Charles Taylor ayant réussi à contourner ses contraintes sans trop de difficultés. Un traité sur le commerce d’armes conventionnelles (Arm Trade Treaty) est en discussion à l’ONU, et aurait notamment pour but de renforcer les contraintes en cas d'embargo et de mieux contrôler le commerce international des armes de manière général. Au niveau africain, il conviendrait que les chefs d'Etat et de gouvernement se mobilisent pour plus de transparence dans le commerce des armes conventionnelles. Ces disposition pourraient mettre fin à plusieurs sources d’armement des groupes rebelles. Et accessoirement renforcer la paix et la sécurité en Afrique.
Papa Modou DIOUF