Plaidoyer pour un capitalisme d’État en République du Congo

UntitledL'expression "capitalisme d’État" désigne un système économique dans lequel l'Etat possède ou contrôle une part essentielle des moyens de production, notamment le capital des grandes entreprises. L'Etat intervient alors directement dans l'économie et dans la conduite des entreprises qu'il possède ou contrôle.

Notion qui naguère avait été mise à mal en Afrique par la vague des privatisations des années 80, celle-ci semble avoir été remise au goût du jour avec la crise financière et économique que connaît le monde actuellement. En effet, certains Etats, en recapitalisant massivement des entreprises menacées de faillite par la crise financière internationale, en ont pris dans certains cas, le contrôle. C’est ainsi qu’en France par exemple, il a été crée le Fonds Stratégique d’Investissement (FSI)[1] qui a pour objectif de prendre des participations dans des entreprises opérant dans des secteurs porteurs ou en restructuration. Dans le même élan, un ministère, celui du redressement productif, dont le rôle s’apparente à celui d’un pompier, a été créé. Même les Etats-Unis, pourtant haut lieu du libéralisme économique n’échappent pas à cette tendance. En effet, au plus fort de la crise économique en 2008-2009, le gouvernement avait décidé de nationaliser le constructeur automobile, General Motors, en faisant l’acquisition de 60% du capital social de cette société. Cette décision est intervenue dans le cadre du financement de la restructuration du constructeur automobile[2].

Dans le contexte congolais, ce n’est pas la crise financière qui justifierait ce postulat mais plutôt la préparation de l’après pétrole. Cela nécessitera toutefois la mise en place de certains préalables.

1. La préparation de lAprès pétrole

Les échanges extérieurs du Congo sont dominés par le pétrole, qui représente près de 85 % des exportations et près de 65% du PIB. Le taux de croissance du PIB réel a baissé à 3.4 % en 2013, contre 3.8 % en 2012, en raison de la chute de la production pétrolière consécutive au vieillissement des puits pétroliers.

Bien que les performances et les perspectives économiques du Congo demeurent globalement favorables, la transformation structurelle de l’économie reste un défi majeur. Il est impératif d’envisager la diversification de l’économie, afin que celle-ci puisse générer des revenus complémentaires. L’atteinte en janvier 2010 du point d’achèvement à l’initiative PPTE[3] qui a abouti à la réduction de la dette extérieure de la République du Congo de 1,9 milliard de dollars, participait à cet objectif.

L’usage de la Provision pour Investissements Diversifiés (PID)[4] pourrait ainsi servir au financement des entreprises opérant dans des secteurs vitaux de l’économie ou à rentabilité avérée. Cela pourrait se faire ainsi via un fonds d’investissement national qui en serait alimenté. Les secteurs de l’immobilier, de l’énergie et de l’agriculture, par exemple, pourraient ainsi bénéficier de ces fonds.

Aussi, à l’instar des dragons asiatiques ou des émirats du golfe, cette politique se traduirait au Congo  par la création de « Champions nationaux[5] » qui interviendraient dans des secteurs stratégiques et seraient soutenus par la présence de l’Etat dans leur actionnariat. L’Etat s’associerait avec des entreprises jouissant d’une certaine expertise dans le secteur en question de telle sorte qu’un transfert de technologie au profit de l’entreprise publique soit possible. Contrairement à une privatisation totale, cette option intermédiaire offre l’avantage à l’Etat, d’intervenir dans la définition de la stratégie de l’entreprise et à l’investisseur de réduire le risque associé à ce type d’opération.

Pour finir, la mise en place d’un secteur public ou parapublic fort au Congo viendrait pallier aux faiblesses du secteur privé, qui pour de multiples raisons est encore embryonnaire, et peine  à se développer. Bien entendu, l’idée ici n’est pas d’empêcher l’éclosion d’un secteur privé mais de participer également à son développement en lui offrant notamment des débouchés.

2. Aménagement du cadre juridique et institutionnel

Le capitalisme d’Etat comme modèle de développement économique n’est pas une nouveauté au Congo, même si pendant la période marxiste-léniniste qu’a connu notre pays, il n’était pas fait mention du terme capitalisme, il n’en demeure pas moins que le fond et l’esprit étaient bien les même que l’idée défendue dans cet article. En effet, pour des raisons idéologiques l’ensemble de l’appareil de production était aux mains de l’Etat. Déjà en 1963, une ordonnance consacrait les Sociétés d’Economie Mixtes (SEM). La loi du 22 juin 1967 qui détermine certaines modalités d’administration et de gestion communes aux entreprises d’Etat, a fait de l’Etablissement Public à Caractère Industriel et Commercial (EPIC) le mode privilégié de l’entreprise publique. C’est ainsi que la plupart des entreprises publiques congolaises (SNE, SNDE, SNPC…etc.) ont la forme d’EPIC.

Les dispositions de la loi de 1967 ont été complétées par la loi instituant la Charte des Entreprise du 14 mars 1981, qui à ce jour constitue le texte de référence des entreprises publiques au Congo. Toutefois, le régime juridique des entreprises publiques devrait pouvoir évoluer de telle sorte qu’elles soient en mesure de s’adapter aux contraintes des entreprises modernes et qu’elles acquièrent leur autonomie vis-à-vis de l’Etat. La forme juridique ou le montage juridique retenu devrait permettre à l’Etat de s’associer à des partenaires stratégiques bénéficiant d’une expérience certaine dans le domaine d’activités susvisé.

La transformation de ces entreprises publiques en société anonyme par exemple, pourrait constituer un début de réponse à cette problématique. Cette forme juridique aurait l’avantage de permettre, une fois devenue mature, d’être cotée en bourse en vue de lever des fonds sur les marchés de capitaux et ainsi ne plus vivre de subventions de l’Etat. Il n’est donc pas illusoire d’imaginer que ces entreprises puissent être cotées à la Bourse des Valeurs Mobilières d’Afrique Centrale (BVMAC). En outre, une forme juridique appropriée devra également permettre aux créanciers de ces entreprises de faire valoir leurs créances et le cas échéant d’engager des procédures d’insolvabilité.

L’acte uniforme OHADA sur les sociétés récemment amendé offre des possibilités intéressantes en termes de forme et de montages juridiques.  La seule exigence tient au fait que les choix effectués doivent correspondre aux missions et objectif de ces entreprises. Le rôle du législateur sera donc de faciliter une telle évolution.

Concernant le cadre institutionnel, nous  ne pouvons que saluer son évolution notable, en ce qu’il consacre le rôle de l’Etat actionnaire. Aujourd’hui, le Ministère des Finances comprend en son sein, une Direction Générale du Portefeuille Public. Cette direction assiste le Ministère dans la conduite de ses missions, à savoir :

  • Veiller à la gestion optimale du portefeuille public,
  • Acquérir et gérer les participations de l’Etat dans les entreprises,
  • Proposer des stratégies de prise et de cession des participations de l’Etat,
  • Procéder à l’évaluation économique et financière des droits, actions, parts sociales et obligations souscrits par l’Etat.

Cette organisation a, à notre avis, toutefois l’inconvénient de confier les fonctions de l’Etat actionnaire et celle de l’Etat régulateur à une même entité : le Ministère des Finances.

On pourra objecter à juste titre que les fonctions de l’Etat actionnaire seront quant à elle, accomplies par la Direction Générale du Portefeuille, il n’en demeure pas moins que celle-ci est une entité administrative dépendant dudit ministère. Aussi, l’initiative de créer le fonds congolais d’investissement[6] doit-elle être saluée. Le fonds congolais d’investissement, qui est un établissement public à caractère industriel et commercial, doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, est placé sous la tutelle du Ministère chargé des finances.

Le fonds congolais d’investissement a pour mission principale l’acquisition et la gestion des actifs financiers étrangers, en particulier les bons de trésor, les obligations des Etats et les autres obligations ; la prise des participations dans des entreprises étrangères susceptibles d'investir au Congo ; la gestion des actions des entreprises étrangères en sa possession, en visant à maximiser la rentabilité des capitaux investis ; ainsi que l’acquisition et la gestion des actifs immobiliers et autres produits dérivés étrangers. Cette structure jouerait ainsi pour le compte de l’Etat, le rôle d’un investisseur et d’un actionnaire professionnel à même de dialoguer avec le management des entreprises dont il détient des participations. Pour remplir la mission qui lui est assignée, le nouvel établissement public disposera de ressources provenant des produits de ses activités, des dividendes des participations, des autres apports de l’Etat, et de divers dons et legs. Ce mode d’organisation est déjà utilisé dans beaucoup de pays émergents. Le Gabon et l’Angola pour ne citer qu’eux ce sont dotés de fonds souverains qui fonctionnent selon la même logique.

La création d’un fonds souverains permet à l’Etat de générer des ressources supplémentaires grâce aux fonds provenant des activités liées à l’exploitation de ressources naturelles et de ce fait de développer son économie, de la rendre moins dépendante de ces ressources. Pour le Congo qui affiche un taux de croissance de 5 % en moyenne depuis quelques années, il s’agit principalement d’excédents budgétaires ou de liquidités liés aux ressources pétrolières dont le pays est doté et qui représentent près des deux tiers du PIB national, près de 75 % des recettes publiques et environ 90 % des recettes d’exportations. Le fonds d’investissement congolais n’étant pas encore opérationnel, il est trop tôt pour tirer un bilan de son action. Espérons toutefois qu’il réponde aux promesses placées en lui, à savoir contribuer à la préparation de l’après pétrole. 

Article de Loïc Mackosso, associé-gérant à ARIES Investissements


[1] Le FSI a été créé le 19 décembre 2008 sous la forme d’une société anonyme détenue à 51 % par la Caisse des dépôts et 49 % par l’État français.

 

 

[2] La dette de General Motors qui était évaluée à 172,8 milliards de dollars pour des actifs de 82,3 milliards de dollars, l’a contraint a déposer le bilan et invoquer le « Chapitre 11 » de la loi américaine sur le faillite.

 

 

[3] L'initiative pays pauvres très endettés est une initiative qui vise à assister les pays les plus pauvres du monde en rendant leurs dettes internationales « soutenables ». Les pays doivent satisfaire à certains critères, s’engager à réduire la pauvreté par des réformes et établir de bons antécédents au fil du temps.

 

 

[4] La PID ou provision pour investissements diversifiés est fixé à 1% de la valeur de la production nette. Elle est destinée à être utilisée pour des investissements en dehors du secteur pétrolier

 

 

[5] Un champion national est une entreprise choisie par l'Etat pour devenir le producteur ou prestataire dominant sur le marché national.

 

 

[6] Loi n°1 2014 du 6 janvier 2014 portant création du fonds congolais d’investissement

 

 

Les déchets : gisement d’opportunités économiques au Congo

Cet article continue la série d'analyses développées par Vera Kempf sur la gestion des déchets et l'environnement en République du Congo. 

 

Le thème des déchets fait rarement la une, à tort. Réinventer du neuf avec du vieux, voilà une expérience innovante. C’est aussi le cœur de l’économie verte, ce nouveau concept dont le Congo Brazzaville a fait son fer de lance en matière de développement.

plastique Congo

Le Congo vise le statut de pays émergent d’ici 2025, et malgré ses 4 millions d’habitants, il observe aujourd’hui une croissance démographique rapide. Par conséquent, un niveau de vie en hausse et des habitudes de consommation plus polluantes sont à prévoir dans les prochaines décennies. A terme, une quantité de déchets plus importante va être générée.

Le gouvernement congolais, par le décret n° 2011 – 485 du 20 juillet 2011 [PDF], a interdit l’usage de sacs plastiques pour des biens de consommation, notamment alimentaires. Difficile aujourd’hui d’évaluer l’impact de cette loi, ses effets rebonds ou ses corollaires. Elle démontre cependant une prise de conscience des pouvoirs publics pour la question des déchets.

Entreprendre dans les déchets

Le manque de stratégie et de moyens publics en matière de déchets, ainsi que l’importance du travail à réaliser, ouvrent des opportunités réelles pour le secteur privé. Emergent ainsi à Pointe-Noire plusieurs PME bien décidées à s’emparer du marché. Parmi elles, nous avons rencontré SURYA et Healthy Environment. Deux exemples d’une application concrète de l’économie verte au Congo et une mise en avant des éléments qui freinent encore son développement.

Sans être philanthropiques, ces deux entreprises ont été créées avec le but affirmé de participer à l’amélioration des conditions de vie des populations. Elles ont un impact direct et observable sur la création d’emplois et sur la salubrité des quartiers dans lesquels elles opèrent.

Créer des emplois verts décents, voilà une des convictions du Bureau International du Travail (BIT) à propos de l’économie verte[1]. Un emploi stable, un salaire régulier, une profession valorisée, des conditions de travail sécurisées, et dans de nombreux pays africains, cela va de pair avec la sortie de l’informel. Les éboueurs informels sont encore nombreux dans les rues de Pointe-Noire, ils ont disparu des rues de Nkayi où la mairie a externalisé la gestion des déchets pour la confier à SURYA. En revanche, ce sont  190 emplois de créés à Nkayi et 90 à Pointe-Noire, pour ces seules deux entreprises actives sur le marché depuis deux ans et avec une parité hommes-femmes presque atteinte (48% – 52%). Après une période d’essai, les employés sont embauchés en contrat à durée déterminée renouvelable. Les éboueurs portent des tenues de travail adaptées à leur activité et reçoivent un salaire chaque mois, versé par un organisme de micro-finance.

Les difficultés du secteur

Patience et endurance sont nécessaires pour gagner la confiance des ménages qui s’en remettent souvent au secteur informel, pour démarcher des clients et collecter l’argent auprès des particuliers. Chaque entreprise a sa méthode de facturation : à la quantité, à la fréquence de collecte, à la distance… Même largement subventionnée comme à Nkayi, la contribution de 240 Fcfa demandée est parfois difficile à percevoir à la fin du mois. A cela se rajoutent les coûts élevés pour obtenir l’agrément étatique, et ceux de dépôts à la décharge municipale. A Pointe-Noire, pour 3m3 d’ordures les entreprises payent 3 500 Fcfa. Malgré ces difficultés de trésorerie et les coûts annexes, SURYA enregistrait en 2012 une progression de 21% de son chiffre d’affaires par rapport à 2011. Le green business est là, sous nos yeux.

Aller au-delà de la collecte

On ne change pas les mentalités en signant un contrat de service avec un ménage. Les immondices qui jonchent les rues ne rentrent pas dans les compétences des entreprises, elles constituent donc encore un risque important d’insalubrité dans les quartiers. Si l’on en croit cependant l’exemple de Nkayi après deux ans d’activité de SURYA, les décharges à ciel ouvert disparaitront avec le temps et le professionnalisme des entreprises, qui sensibilisent autant qu’elles assainissent.

L’implication du secteur privé dans les déchets permet une efficacité dans la collecte, premier maillon de la chaîne de gestion des ordures. Perdure la question du traitement et du stockage, que ces petites PME n’ont pas encore les moyens de prendre en charge. Enfouis dans les décharges municipales, ou incinérés, les déchets ne sont ni recyclés ni valorisés en dehors du secteur informel. Les entreprises le savent, et parlent d’avoir leur propre zone de stockage comme d’un objectif à atteindre à moyen terme, quand elles pourront vivre décemment de leur activité de collecte.

Pour rentrer complètement dans l’économie verte, les entreprises du secteur doivent encore relever l’enjeu de la valorisation. Pour cela, les financements demeurent essentiels. Un Fonds pour l’Economie verte en Afrique centrale devrait voir le jour sous peu. Espérons qu’il répondra à leur demande, ou que les mairies sauront inventer des partenariats dynamiques et exigeants pour le développement urbain.