Les déchets : Une spécialisation pas comme les autres

Véra Kempf poursuit ses analyses sur la gestion des déchets. Cet article est le resultat d'échanges avec un acteur du domaine.

Urbain Anselme Nkounkou a plusieurs casquettes. Vous le croiserez peut-être dans les rues de Clichy où il est adjoint au Directeur des Services de la Ville, dans les couloirs de l'Université du Mans où il enseigne depuis 1998, ou même encore à Pointe-Noire où ce brazzavillois passe quelques semaines par an auprès des étudiants de l'Ecole Supérieure Technique du littoral. Au cœur de toutes ses activités : les déchets, sous toutes leurs formes et tout au long de leur cycle de vie. Voici quelques éléments de discussion avec un homme qui se dit « tombé dans les poubelles très jeune » !

Un parcours terre-à-terre en France

Urbain Nkounkou est chimiste de formation. Commençant par étudier les comportements des sols, il finit par s'intéresser aux déchets comme l'un des composants qui, comme les organismes vivants, modifient l'écosystème. Au-delà des externalités négatives qu'ils génèrent en s'accumulant (pollution des sols, dépôts chimiques, etc), les déchets ont aussi souvent été utilisés en France pour réhabiliter des espaces, par exemple transformer des anciennes carrières en décharges municipales.

Pour sa thèse, Urbain Nkounkou planche sur la « Gestion des déchets en Ile de France : corrélations entre les lieux, l'espace habité et la composition des ordures ménagères ». Sujet dont on pourrait penser qu'il a facilement été traité à partir de statistiques, bien confortablement derrière un bureau. Bien au contraire, et parce qu'il a appris que pour appréhender un problème, il faut le côtoyer, le jeune Urbain s'est livré à une analyse de terrain microscopique des déchets générés par des communes de 5 000, 8 000, 15 000, 22 000, 50 000 et enfin 90 000 habitants. Type d'habitat, catégorie socio-professionnelle, structure du foyer : tout s'explique dans une poubelle. A contrario, « donnez-moi votre poubelle, je vous dirai qui vous êtes » dit-il en souriant !

Une compétence déployée en Afrique

Dans le cadre d'une coopération décentralisée entre la ville de Clichy et la commune de Ouakam au Sénégal, Urbain Nkounkou a eu l’occasion de transposer son savoir-faire au continent africain.

CIMG1003L'objet de sa mission était alors de planifier un système de pré-collecte des déchets, qui soit performant et adapté au terrain. Il a ainsi arpenté toutes les rues et ruelles de la ville afin d’établir une base de données sur le type d'habitat, les voies accessibles en camion ou avec une brouette, la présence de caniveaux ou de décharges sauvages, etc. Pour envisager le type et la quantité de déchets générés, ce sont les élus municipaux qui ont servi de cobayes. Avec son expérience au Sénégal, Urbain Nkounkou confirme l'enquête de la Banque Mondiale[1] : pour des raisons culturelles et d'habitudes alimentaires, la majorité des déchets générés par les ménages africains sont organiques, et par là biodégradables.

Les recommandations tirées de son enquête n'ont malheureusement pu aller bien plus loin. La collecte des déchets ménagers de Ouakam incombe en réalité à l'agglomération de Dakar. Si celle-ci s’est révélée défaillante, Ouakam ne peut changer seule la situation des déchets sur son territoire sans moyens supplémentaires. Des initiatives privées se sont alors organisées pour pallier ce manquement et assurer la salubrité du quartier. Lors de précédents articles, j'ai pu souligner à quel point je suis persuadée que le secteur privé a un rôle essentiel à jouer dans le secteur des déchets en Afrique, et qu'il peut y trouver son compte. Urbain Nkounkou pense pour sa part que sans Etat fort, rien ne sera possible à long-terme. Un cadre règlementaire pour la collecte des déchets existe bien souvent dans les pays africains, mais le principe de « celui qui a l'argent dans la rue décide si le camion poubelle passe» empêche son application.

En attendant, Urbain Nkounkou finit par reconnaître qu’il est possible de faire avancer la cause des déchets à court-terme, par des actions de sensibilisation et d’appui… au secteur privé !

Deux clés pour une gestion efficace des déchets

Conscientiser les populations. Pour ce faire, la ville de Clichy poursuit son action à Ouakam avec un budget de 630 000€ sur trois ans. Au programme, sensibiliser les habitants aux conséquences sanitaires de l'accumulation des déchets (maladies hydriques, moustiques, etc). Urbain Nkounkou a identifié les personnes ressources, les sages et les « écoutés », ceux qui pourront se faire les relais de cette information. Les femmes et les écoles occupent un rôle tout particulièrement important dans cette stratégie.

Valoriser. Un déchet ne pourra être valorisé localement en Afrique que s'il connaît déjà un débouché. Urbain Nkounkou est convaincu que la marche à suivre consiste à professionnaliser et à structurer les filières existantes, autrement dit valoriser le savoir-faire local et s’adapter aux réalités du terrain. En Afrique centrale par exemple, la ferraille, le bois, la sciure sont bien valorisés à petite échelle. Ils pourraient donc être à l’origine de projets de plus grande envergure. Suivant cette logique, il ne nous reste qu'à imaginer un système d'avantages comparatifs dans la revalorisation !

Les déchets ne sont pas seulement un gisement d'opportunités, une source de richesse incroyable, ils sont pour Urbain Nkounkou une véritable mine d'or ! A exploiter au plus vite, avant que  cet or ne  vienne plomber le développement.

 

Véra Kempf

 

 

 

 

 

 


[1]    Daniel Hoornweg and Perinaz Bhada-Tata, March 2012, No. 15, Urban development Series, commenté dans l'article Poubelles d'Afrique, http://terangaweb.com/poubelles-dafrique/