Faut-il un fonds souverain en Côte d’Ivoire ?

3h1e8fovA l’instar de la plupart des économies africaines, la question du difficile accès des PME au financement s’est toujours présentée en Côte d’Ivoire comme un défi auquel les décideurs politiques et économiques peinent à trouver des solutions efficaces et durables. En effet, les conditionnalités actuelles d’accès au crédit restent quasi impossibles à franchir par les PME ivoiriennes, qui occupent pourtant une place primordiale dans le tissu industriel du pays : selon le ministère du commerce, les PME représentent 80% des entreprises et contribuent pour près de 20% au PIB et emploient environ 23% de la population active. C’est à juste titre qu’à l’occasion de la cérémonie d’inauguration du siège du patronat ivoirien baptisé« la Maison des entreprises »  qui s’est tenue à Abidjan le 19 septembre 2014, le Chef de l’Etat AlassaneOuattara a fait cet appel de pieds aux institutions financières implantées dans le pays :«En Côte d’Ivoire le constat est clair: le secteur financier ivoirien ne contribue pas encore suffisamment au financement de l’économie nationale ».

Des raisons complexes à la base du difficile accès des PME au financement…

Une analyse profonde de la question permet de réaliser que la problématique du difficile accès des PME au financement est plus complexe qu’elle ne parait. En effet, s’il est vrai que de nombreuses institutions financières, guidées par leur logique purement capitaliste, ne jouent pas pleinement leur rôle de financement de l’économie, la réalité du terrain nous impose néanmoins, de constater que la plupart des PME présentent un profil de risque élevé en raison du manque de visibilité de leurs activités dû à un environnement politico-économique fragile ; ce qui contribue à les rendre insolvables. Ainsi, le mécanisme traditionnel de financement par prêt bancaire s’avère inefficace puisque le risque de non remboursement est réel.

…qui nécessitent une intervention de l’Etat à travers la mise en place d’un fonds souverain

Dans ce contexte d’impasse, l’Etat de Côte d’Ivoire ne doit pas se contenter de dénoncer l’inaction des banques. Il doit prendre ses responsabilités en se positionnant clairement comme un partenaire financier privilégié des porteurs de projet. Pour parvenir à jouer efficacement ce rôle de partenaire financier,  une solution idoine s’offre à notre pays : la création d’un fonds souverain.  En effet, la Côte d’Ivoire peut capitaliser sur son énorme potentiel en ressources naturelles pour constituer une manne financière importante en vue de mettre en place son fonds souverain. De fait, le secteur primaire qui représente plus de 29% du PIB en 2013 (BAD, African Economic Outlook) est dominé par l’exploitation forestière et les cultures industrielles d’exportation (café, cacao, palmier à huile, hévéa etc.). En plus de cela, le secteur minier qui a contribué en 2013 à hauteur de 4.6% au PIB (BAD, African Economic Outlook) prend progressivement de l’ampleur dans l’économie du pays. En Avril 2014 par exemple, le groupe français TOTAL a fait l’une de ses plus grandes découvertes  de pétrole en Afrique de l’Ouest  au large de San Pedro, dans le sud-ouest de la Côte d'Ivoire.

Le gouvernement de Côte d’Ivoire peut réaménager l’utilisation des recettes issues de l’exploitation de ses ressources naturelles pour consacrer une partie au financement d’un fonds souverain dont le but sera de soutenir le développement des PME. En effet, à condition d’être rigoureusement géré, les fonds souverains se présentent comme un puissant levier pour répondre efficacement au défi de financement des PME.

Ainsi, face à la stratégie d’investissement des partenaires financiers privés qui repose essentiellement sur la recherche de rentabilités élevés à court terme, le fonds souverain devra proposer aux PME, un package de solutions de financements moins exigeants qui privilégientleur développement sur le long terme. Il s’agit pour le fonds souverain, d’adopter la posture d’un allié dont le but est d’abord et avant tout d’aider les PME à transformer leurs faiblesses en force pour devenir à moyen ou long terme, des champions nationaux qui porteront l’économie du pays.

Un recours croissant aux fonds souverains à travers le monde.

En plus d’offrir des opportunités de financement pour les entreprises, l’une des raisons qui pousse les pays à créer des fonds souverains est qu’ils favorisent la gestion optimale des revenus issues des ressources naturelles afin d’éviter la fameuse «malédiction des ressources naturelle». Les exemples de réussite de fonds souverains à travers le monde sont légions. Grâce à ses revenus pétroliers, la Norvège a réussi à bâtir le plus gros fonds souverain au monde qui est aujourd’hui une structure clé dans l’architecture économique du pays. La plupart des pays du golf arabe producteurs de pétrole disposent de fonds souverains qui jouent un rôle de premier plan dans le financement de leurs économies.

En Afrique subsaharienne, l’Angola et le Nigeria sont en tête du classement des plus gros fonds d’investissement. D’autres pays tels que le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Ghana ont également mis en place des fonds souverains. Tout récemment, le Sénégal qui dispose pourtant de très peu de ressources naturelles a lancé son fonds souverain pour apporter une réponse appropriée à la question du manque de financement des PME.

Des conditions préalables à respecter pour le succès du fonds souverain

Bien que les fonds souverains soient un levier capable d’apporter une réponse à l’épineux problème du financement des entreprises, il convient de noter que leur existence en soi n’est pas une panacée.Pour éviter de créer un effet de massue, les fonds souverains doivent être utilisés à bon escient. Ainsi, le succès de tout fonds souverain est subordonné entre autres aux préalables suivants :

  • Diversifier les sources de revenus destinées à alimenter le fonds : La Côte d’Ivoire dispose de diverses ressources naturellesqui peuvent servir de base de collecte des revenus (taxes, prime d’exploitation etc.) pour alimenter les fonds souverains.Le fonds se présentera comme une caisse unique qui centralise l’ensemble des revenus de l’Etat non destinés directement au financement du budget.
  • Transparence et rigueur dans la gestion des ressources : Le manque de transparence et de rigueur sont lesprincipales causes de l’échec des fonds souverains. Il est donc crucial de créer les conditions d’une gestionrigoureuse qui s’inscrit dans une vision claire et ambitieuse
  • Mécanisme d’investissement : Le fonds souverain devra apporter des capitaux sous forme de fonds propres pour prendre des parts dans le capital des PME. Ceci permet à la fois de bénéficier des dividendes généréset d’avoir un regard sur la gouvernance afin de contribuer à améliorer la gestion de la société pour l’inscrire sur la voie de la croissance.
  • Définir une stratégie d’investissement efficace : La ligne directrice du fonds doit être clairement établie. Il s’agit de définir entre autres : les secteurs cibles prioritaires, le montant des tickets de financement, la durée moyenne de l’investissement, la nature de la prise de participation (minoritaire vs majoritaire) etc.Pour ce faire, l’équipe dirigeante devra être composée de professionnels confirmés rompus au métier de la finance et de l’investissement

La Côte d’Ivoire devrait s’inspirer de ces success stories pour lancer son fonds souverain avec pour objectif spécifique de contribuer au financement des PME qui seront des champions nationaux capables de porter l’émergence du pays.  Avec son énorme potentiel en ressource naturelles et le dynamisme de son économie, les conditions sont favorables à la réussite d’un fonds souverain en Côte d’Ivoire.

Lagassane Ouattara

La démocratie de l’angoisse (2ème partie)

Dr. Gilles Olakounlé Yabi est consultant indépendant sur les questions de conflits, de sécurité et de gouvernance en Afrique de l'Ouest. Il était auparavant directeur du projet Afrique de l'Ouest du think-tank International Crisis Group. Cet article a initialement été publié sur le site d'African Futures et sur son blog (http://gillesyabi.blogspot.com). Nous le republions ici avec son accord.  

JPG_Elections180614Dans la première partie de cet article, l’auteur a décrit le contexte politique dans lequel se dérouleront les élections présidentielles dans les six pays d’Afrique de l’Ouest concernés par ces scrutins souvent à haut risque cette année et en 2015. Il a examiné en particulier l’intensité anticipée de la compétition électorale dans chacun des pays, un des trois éléments d’appréciation des risques de violence. Dans cette deuxième partie, il s’interroge sur le contexte sécuritaire actuel des différents pays et sur l’environnement institutionnel qui devra encadrer les processus électoraux.

 

Lorsqu’on s’intéresse au contexte sécuritaire général, un deuxième élément d’appréciation capital pour une analyse approximative des risques liés aux élections présidentielles à venir, il n’y a pas de quoi être rassuré. Parmi les déterminants principaux du contexte sécuritaire, on peut s’appesantir sur l’existence ou non dans le pays de groupes armés rebelles ou ex-rebelles, le degré de contrôle politique et d’intégrité professionnelle des forces de sécurité et des forces armées, le niveau d’alignement des affinités politiques avec l’appartenance ethnique et régionale, les conditions pacifiques ou non des élections présidentielles les plus récentes ainsi que l’ampleur et la forme de l’implication politique et/ou sécuritaire d’acteurs extérieurs importants.

Le Nigeria apparaît sans conteste comme l’environnement sécuritaire le plus fragile. L’élection de 2015 va se dérouler dans un pays déjà aux prises avec le groupe terroriste Boko Haram au Nord-Est, un pays qui abrite également des groupes armés organisés dans le Delta du Niger aussi prompts à soutenir politiquement qu’à exercer des pressions sur le président Jonathan lui-même issu de cette région du South-South, et un pays qui connaît des niveaux élevés de violence combinant des dimensions politiques, économiques, ethniques et religieuses dans le Middle Belt (centre du pays) et ailleurs sur le territoire. La fédération nigériane est aussi habituée à des lendemains d’élection meurtriers, comme ce fut le cas en 2011, alors même que le scrutin avait été jugé mieux organisé et plus crédible que tous les précédents.

Plus de 800 personnes avaient été tuées en trois jours d’émeutes et de furie dans douze Etats du nord de la fédération, l’élément déclencheur ayant été la défaite du candidat nordiste Muhammadu Buhari face à Jonathan. Le Nigeria n’avait pas besoin du terrorisme de Boko Haram pour atteindre de tels niveaux de violences mettant aux prises des concitoyens entre eux, avec certes une dose de spontanéité mais aussi un degré certain de préparation des esprits à la violence par des entrepreneurs politico-ethniques et des extrémistes religieux. Dans la perspective de 2015, le chantage à la violence a déjà commencé dans le pays, animé aussi bien par des groupes de militants du « si Jonathan n’est pas réélu, ce sera le chaos » que par ceux du « si Jonathan est réélu, ce sera le chaos ». Quand on ajoute à cette préparation mentale le très faible degré de confiance des populations nigérianes dans l’intégrité et le professionnalisme des forces de sécurité, la crainte d’un sombre début d’année 2015 dans la grande puissance de l’Afrique de l’Ouest paraît fort légitime.

La Guinée, du fait du prolongement ethno-régional de la polarisation politique et du passif de violences, est également très fragile du point de vue sécuritaire. Il convient de reconnaître les progrès indéniables qui ont été faits sous la présidence Condé dans la réforme du secteur de la sécurité qui se traduit par une amélioration de la capacité des forces de l’ordre à contenir des manifestations de rue sans tuer en une seule journée plusieurs dizaines de personnes. Ce n’est plus l’époque de Lansana Conté ou celle de Dadis Camara mais on n’est encore très loin d’un comportement exemplaire des forces de sécurité et d’une neutralité politique des responsables du maintien de l’ordre et de la haute administration territoriale. Les différentes manifestations qui avaient rythmé la longue et difficile marche vers les élections législatives de septembre dernier s’étaient tout de même traduites par des violences parfois meurtrières. On peut déjà anticiper un face-à-face explosif entre manifestants de l’opposition et forces de sécurité lorsque sera engagé le processus menant à l’élection présidentielle.

Le contexte sécuritaire n’est pas particulièrement rassurant non plus en Guinée Bissau et en Côte d’Ivoire. Dans le premier pays, les chefs de l’armée se sont toujours considérés autonomes par rapport au pouvoir politique civil et on parle de réforme du secteur de la sécurité depuis une dizaine d’années sans avoir jamais réussi à l’enclencher. En Côte d’Ivoire, des efforts significatifs ont été faits pour gérer les conséquences catastrophiques du conflit armé postélectoral de 2011, mais il faudra encore quelques années pour doter le pays de forces de défense et de sécurité cohérentes, efficaces et politiquement neutres. L’héritage difficile des années de rébellion et de conflit risque de peser lourdement dans l’environnement sécuritaire et les développements politiques… après l’élection de 2015. Aussi bien en Guinée Bissau qu’en Côte d’Ivoire, la présence d’acteurs extérieurs mandatés pour le maintien de la paix, la mission militaire de la CEDEAO (ECOMIB) et l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) respectivement, est un facteur d’apaisement relatif.

Le positionnement politique des forces de défense et de sécurité et le maintien de leur unité sont des éléments d’incertitude qui pèsent sur le contexte sécuritaire au Burkina Faso qui a connu de violentes mutineries en 2011. Impossible de savoir comment l’armée burkinabè et les différentes générations qui la composent vivent actuellement la situation inédite d’incertitude politique sur l’après 2015. Les hauts responsables militaires dont beaucoup ont été nommés au lendemain des mutineries de 2011 pour reprendre en main ce pilier essentiel du pouvoir de Compaoré considèrent-ils leur sort lié au maintien de ce dernier au palais présidentiel après 2015 ? Comment les officiers les plus proches du président qui l’ont accompagné depuis les premières années d’un régime alors très brutal appréhendent-ils l’avenir ? Beaucoup de questions et peu de réponses, ce qui ne devrait pas atténuer l’angoisse des Burkinabè et de nombre de leurs voisins ouest-africains. Au Togo, la question du positionnement politique des forces de sécurité et de l’armée se pose beaucoup moins : le verrouillage sécuritaire par le pouvoir de Lomé semble résister à l’usure du temps.

Il convient enfin de s’interroger sur le cadre institutionnel dans lequel se dérouleront les scrutins présidentiels dans les différents pays. Ce cadre désigne ici l’ensemble des règles, procédures, institutions qui sont mobilisées du début à la fin du processus électoral et qui jouent un rôle déterminant dans la crédibilité des scrutins, en particulier celle des résultats définitifs qui désignent le vainqueur. Si la crédibilité du processus électoral n’est pas une garantie d’absence de crise et de violences, la perception d’un déficit important de crédibilité est quasiment toujours un déclencheur de troubles. De plus, lorsque l’élection présidentielle se passe dans un pays dont l’environnement sécuritaire est déjà fragile et dans le contexte d’une intense compétition pour le pouvoir, la crédibilité du cadre institutionnel régentant l’élection peut être décisive pour sauver le pays d’un basculement quasiment certain dans une crise postélectorale.

Il ne faudra pas trop compter sur cela. Partout, les dispositions des lois électorales, les conditions d’établissement des fichiers d’électeurs, la neutralité politique et la compétence technique des institutions chargées d’organiser les élections et d’examiner les éventuels recours font l’objet de controverses. Aucun des pays concerné par une élection présidentielle en 2014 ou 2015 n’est un modèle dans la région en matière d’organisation de scrutins libres, transparents et crédibles. Certains ont accompli, à l’instar du Nigeria, des progrès notables en la matière au cours des dernières années, mais ils sont tous encore loin, bien loin, des modèles en Afrique de l’Ouest que sont le Ghana, le Cap-Vert et le Sénégal où des commissions électorales et/ou d’autres dispositifs et institutions ont su gérer et crédibiliser des élections parfois très compétitives.

Au Nigeria, nombre de réformes qui avaient été recommandées par les experts au lendemain des élections générales de 2011, certes mieux organisées que les précédentes, pour corriger les plus graves failles du système n’ont pas été mises en œuvre. En Guinée, il a fallu des médiations, une forte implication technique internationale et un accord politique âprement négocié pour arriver à organiser des élections législatives en septembre 2013. La liste des tâches à accomplir pour rendre le dispositif électoral plus crédible pour la présidentielle de 2015 est très longue. Elle comprend l’établissement d’un nouveau fichier électoral et la mise en place d’une institution cruciale comme la Cour constitutionnelle qui doit remplacer la Cour suprême dans le rôle de juge ultime du contentieux électoral. Même en Côte d’Ivoire, où l’actuel président avait promis une révision de la Constitution, rien n’a été fait pour fermer la page des dispositions spéciales issues des accords de paix et doter le pays d’un nouveau cadre électoral et d’un mode de composition de la commission électorale indépendante susceptible de créer davantage de confiance de la part de tous les acteurs politiques.

On ne peut, en guise de conclusion, que donner raison aux citoyens d’Afrique de l’Ouest déjà angoissés à l’approche des échéances électorales à venir. Lorsqu’on prend en compte simultanément les trois éléments d’appréciation, aucun des pays ne sera à l’abri de tensions fortes susceptibles de dégénérer en violences plus ou moins graves. En prenant le risque de se tromper, – qui peut vraiment prévoir tous les scénarios possibles dans chacun de ces pays plusieurs mois avant les différents scrutins ? -, il est raisonnable de classer le Nigeria et la Guinée dans une catégorie de pays à très haut risque, le Burkina Faso dans une catégorie de pays à haut risque et la Guinée Bissau, la Côte d’Ivoire et le Togo dans une catégorie de pays à risque modéré, ce qualificatif ne voulant surtout pas dire « faible » ou « inexistant ».

Les élections calamiteuses ne sont pas cependant des catastrophes naturelles imprévisibles et inévitables. Les citoyens de chacun des pays concernés, la CEDEAO et les acteurs internationaux importants ont les moyens de dompter l’angoisse par une forte mobilisation pour prévenir des crises violentes. Mais il y a aussi un risque à appréhender les élections uniquement ou principalement comme des moments de danger d’implosion des Etats, et à ne rechercher que des élections sans violence. Cela revient souvent, pour les organisations régionales et internationales, à préférer la manipulation des processus électoraux au profit du camp le plus puissant, et donc le plus à même de provoquer le chaos en cas de défaite, à des scrutins réellement ouverts à l’issue incertaine. Le risque est celui d’oublier et de faire oublier à quoi devraient servir les rituels électoraux dans des démocraties jeunes et fragiles : à ancrer petit à petit une culture démocratique dans la société. Si les populations doivent continuer à aller voter tous les quatre ou cinq ans, la peur au ventre, c’est l’adhésion populaire à l’idéal démocratique en Afrique de l’Ouest qui finira par être menacée.

Dr. Gilles Yabi

La démocratie de l’angoisse (1ère partie)

Dr. Gilles Olakounlé Yabi est consultant indépendant sur les questions de conflits, de sécurité et de gouvernance en Afrique de l'Ouest. Il était auparavant directeur du projet Afrique de l'Ouest du think-tank International Crisis Group. Cet article a initialement été publié sur le site d'African Futures et sur son blog (http://gillesyabi.blogspot.com). Nous le republions ici avec son accord.  

JPG_WestAfrica040614C’est l’estomac noué et la gorge serrée que les citoyens de six pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’apprêtent à entrer dans une période électorale devenue synonyme, dans une trop grande partie du continent, de risque maximal de crise violente. Les premiers qui devraient être convoqués aux urnes sont les électeurs de Guinée Bissau où un scrutin présidentiel et des législatives censés tourner la page d’une période de transition sont prévus le 13 avril prochain. Dans ce pays lusophone, le seul de la région avec les îles du Cap-Vert, le calendrier électoral a été systématiquement perturbé depuis la démocratisation formelle au début des années 1990 par des coups de force militaires, des assassinats politiques et dernièrement par la mort naturelle du président. Mais c’est en 2015 que l’actualité électorale sera extraordinairement chargée.[1] Des élections présidentielles sont prévues au premier trimestre au Nigeria et au Togo, puis au dernier trimestre au Burkina Faso, en Guinée et en Côte d’Ivoire.[2]
 
Pour chacun de ces pays et pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, les élections présidentielles à venir représentent un enjeu crucial pour la paix, la stabilité politique mais aussi pour le progrès économique et social. Si la région n’avait pas connu une série de crises violentes au cours des dix dernières années, les échéances de 2014-2015 auraient dû surtout servir de test pour la consolidation de la pratique et de la culture démocratiques dans chacun des pays concernés et, par là même, pour l’ensemble de cette région du continent. Cette question ne sera que secondaire autant pour les citoyens que pour les organisations régionales et internationales à l’approche des différents scrutins présidentiels. La préoccupation première sera celle d’éviter que ces moments censés incarner la vitalité démocratique ne se transforment en périodes d’explosion de violences, ou pire, de basculement dans des conflits armés. Au regard des évènements politiques et sécuritaires des dernières années, ces craintes sont légitimes.
 
Mais quelle est l’ampleur des risques associés à chacune des élections présidentielles à venir dans la région ? Où sont-ils les plus importants ? Pour tenter de répondre à ces questions, trois éléments d’appréciation méritent d’être mobilisés: ce qu’on pourrait appeler l’intensité anticipée de la compétition présidentielle, le contexte sécuritaire général du pays et le cadre institutionnel appelé à régenter le processus électoral. Anticiper l’intensité de la compétition pour la fonction présidentielle revient à s’interroger, dans chaque pays, sur les chances que le scrutin soit ouvert et qu’il n’y ait pas de candidat quasiment sûr de gagner bien avant l’échéance. Classer les pays en fonction de ce premier critère n’est pas si simple, alors qu’on ne connaît pas encore avec certitude qui seront les candidats en course pour chacune des élections présidentielles.
 
En Guinée Bissau, le scrutin doit mettre fin à une situation d’exception née d’un coup d’Etat…contre un Premier ministre qui était en passe de devenir président, Carlos Gomes Júnior. Organisée en avril 2012, la dernière élection présidentielle s’était arrêtée entre les deux tours. Gomes Júnior, largement en avance à l’issue du premier tour, avait été brutalement sorti du jeu par les chefs militaires du pays qui lui étaient résolument hostiles. L’ancien Premier ministre reste en 2014 un acteur politique influent mais contraint à l’exil d’abord au Portugal et désormais au Cap-Vert, toujours considéré inacceptable pour la hiérarchie militaire et peut-être pour des acteurs régionaux importants, on ne voit pas comment il pourrait rentrer dans son pays en sécurité et se présenter à nouveau à une élection présidentielle. Il a sollicité l’investiture de son parti, le PAIGC (Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde, Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert), mais le choix de ce dernier s’est porté le 2 mars sur l’ancien ministre des Finances et ancien maire de la capitale, José Mário Vaz.
 
Le PAIGC, qui continue à bénéficier de son statut historique de  parti ayant conduit la lutte armée pour l’indépendance des deux anciennes colonies portugaises d’Afrique de l’Ouest, reste la force politique dominante dans le pays malgré ses divisions internes. Il partira favori pour les élections législatives, face au PRS (Partido para a Renovação Social, Parti pour la rénovation sociale), également divisé, et aux autres partis plus petits. La compétition pour le fauteuil présidentiel devrait être plus ouverte en raison notamment de quelques candidatures indépendantes susceptibles de séduire un électorat désorienté par les luttes politiques partisanes. Mais le plus dur en Guinée Bissau n’est pas toujours de doter le pays d’un président démocratiquement élu. C’est de lui garantir de bonnes chances de survie politique et physique jusqu’à la fin de son mandat, surtout s’il lui venait à l’esprit de toucher aux intérêts des chefs militaires et/ou des alliés locaux des réseaux internationaux de trafic de drogue actifs dans ce pays et dans toute l’Afrique de l’Ouest.
 
Au Nigeria non plus, on ne sait pas encore avec certitude qui sera candidat, mais l’attention se concentre sur les intentions du président sortant Goodluck Jonathan. Evoquant un principe non écrit de rotation entre candidats nordistes et sudistes désignés par le PDP (People’s Democratic Party, Parti démocratique du peuple), parti au pouvoir depuis le retour à la démocratie en 1999, nombreux sont ceux qui s’opposent à une nouvelle candidature du président actuel. Vice-président en 2007, Jonathan avait hérité du poste de président après le décès de Umaru Yar’Adua en 2010 avant de se faire élire en 2011 pour un premier mandat plein de quatre ans. Les défections de personnalités très influentes du PDP se sont multipliées ces derniers mois et elles continuent, affaiblissant le camp du président.
 
L’opposition au PDP semble par ailleurs n’avoir jamais été aussi forte, en raison de la fusion en février 2013 de quatre partis importants dans une grande formation, l’APC (All Progressives Congress, Congrès de tous les progressistes) qui est aussi bien implanté que le parti au pouvoir dans tous les Etats de la fédération. Les moyens financiers, déterminants dans la bataille électorale colossale qui se profile, ne manqueront pas d’un côté comme de l’autre, même si le camp au pouvoir dans cette puissance pétrolière qu’est le Nigeria disposera inévitablement d’un avantage certain en la matière. La compétition sera selon toute probabilité très intense. Elle le sera dans tous les cas, y compris dans l’hypothèse très improbable d’un retrait du président sortant de la course à l’investiture du PDP, et quel que soit le candidat qui sera choisi par l’APC. Ce choix ne sera pas aisé et pourrait provoquer des failles dans l’unité affichée jusque-là par le nouveau grand parti d’opposition.
 
Les Togolais devraient, comme les Nigérians, aller aux urnes au premier trimestre 2015. Le président sortant Faure Gnassingbé, élu dans des circonstances controversées et violentes en 2005 après la mort naturelle de son père, Eyadema Gnassingbé, puis réélu en 2010, pourra se porter candidat une troisième fois sans avoir à faire modifier la Constitution en vigueur. Depuis le retour forcé à un système démocratique formel, le pouvoir togolais n’a pas arrêté de jouer avec la disposition de limitation à deux du nombre de mandats présidentiels successifs. En 2002, une révision constitutionnelle avait non seulement supprimé cette disposition mais elle avait également consacré le principe d’une élection présidentielle à un seul tour. Malgré les recommandations d’un accord politique global signé en 2006 et les demandes répétées de l’opposition, les dispositions actuelles de la Constitution et du code électoral restent très favorables à une tranquille pérennité du régime du président Gnassingbé. Le parti présidentiel UNIR (Union pour la République) dispose d’une majorité absolue au Parlement et s’assurera que rien ne soit entrepris pour réduire les chances de victoire de son chef en 2015. Par ailleurs, la machine sécuritaire au service du pouvoir et l’insuffisante coordination des forces politiques de l’opposition ne militent pas pour l’instant en faveur d’une compétition électorale ouverte et intense pouvant déboucher sur une alternance politique réelle dans un pays qui n’en a pas connue depuis le coup d’Etat d’Eyadema Gnassingbé en… 1967.
 
Au Burkina Faso, il n’y a même pas eu d’alternance générationnelle comme ce fut le cas au Togo en 2005. Au pouvoir depuis octobre 1987, Blaise Compaoré devrait avoir passé 28 ans à la tête de l’Etat au moment de l’élection présidentielle de 2015. La Constitution limitant le nombre de mandats successifs à deux, le président ne pourra être candidat qu’à condition de réussir à faire passer une nouvelle révision de la loi fondamentale dans les mois à venir. Cette intention ne faisant plus de doute, la mobilisation des adversaires à une énième manœuvre visant à prolonger le règne du président Compaoré a commencé à Ouagadougou. Elle a même affaibli le pouvoir beaucoup plus rapidement qu’on ne pouvait le prévoir, un large groupe de personnalités de poids du parti présidentiel, le CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès) qui ont toujours soutenu Compaoré, ayant décidé de quitter le navire pour rejoindre en janvier dernier le camp des adversaires de toute révision constitutionnelle.
Le Burkina Faso est de fait déjà entré dans une période  tendue et cela devrait durer jusqu’à ce que le pouvoir décide de renoncer à toute modification constitutionnelle ou choisisse de convoquer un référendum sur cette question. Dans ce dernier cas, de fortes contestations sociopolitiques seront inévitables et leurs conséquences incertaines. La compétition  électorale en 2015 sera forcément intense. Dans l’hypothèse où Compaoré renoncerait à prétendre à un nouveau mandat, la compétition devrait être très ouverte. Elle pourrait juste être moins tendue et explosive qu’en cas de candidature du président sortant.
 
En Guinée, le président Alpha Condé devrait être candidat en 2015 pour un second et dernier mandat. Pas d’obstacle légal à contourner. Il devrait par contre faire face à des rivaux politiques organisés, déterminés et capables de le priver d’un nouveau mandat. Arrivé au pouvoir en décembre 2010, au terme d’un scrutin laborieux et controversé, le président avait été largement distancé au premier tour par l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo avant de l’emporter au second. Les récentes élections législatives, elles-aussi organisées au forceps après une série de reports et grâce à une forte implication internationale, ont encore montré que le camp du président Condé n’était pas capable d’écraser l’opposition. Cette dernière, même éclatée en plusieurs pôles, a quasiment fait jeu égal avec le parti du président, le RPG (Rassemblement du peuple de Guinée) et ses alliés.
 
L’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo reste une force politique significative qui, si elle s’allie à d’autres partis importants comme l’Union des forces républicaines (UFR) de Sydia Touré ou le PEDN (Parti de l’espoir pour le développement national) de Lansana Kouyaté, pourrait devenir majoritaire à l’occasion du second tour d’un scrutin présidentiel. Dans l’hypothèse, pour le moment improbable, d’une candidature unique de l’opposition, le président Condé serait particulièrement menacé par une défaite électorale, malgré les avantages habituels conséquents d’un président-candidat. Aucun doute n’est permis sur l’intensité de la bataille pour la présidence de la Guinée à la fin de l’année 2015. Elle  sera l’une des plus rudes de la région.
 
Au cours de ce même dernier trimestre 2015, les Ivoiriens seront eux-aussi convoqués aux urnes pour reconduire le président Alassane Ouattara ou choisir un nouveau chef d’Etat. Arrivé au pouvoir au terme d’une élection compétitive qui a dégénéré en conflit armé avec celui qui était le président sortant, Laurent Gbagbo, Ouattara a rapidement indiqué qu’il serait bien candidat à un second et ultime mandat. Si son parti, le Rassemblement des républicains (RDR) sera à coup sûr uni derrière le président pour la future bataille électorale, le soutien franc et massif du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), allié important et potentiellement décisif, n’est pas nécessairement acquis. Le scrutin ne sera pas gagné d’avance mais la faiblesse et le passif du Front populaire ivoirien (FPI) de l’ex-président Gbagbo, détenu à la prison de la Cour pénale internationale aux Pays-Bas, sont tels que le président sortant devrait partir favori. Son bilan en termes de relance de l’économie ivoirienne et des mesures récentes allant enfin dans le sens de l’apaisement et de la réconciliation nationale devraient aussi jouer en sa faveur. On peut anticiper une compétition présidentielle modérément intense dans un pays dont les électeurs ont encore à l’esprit le traumatisme postélectoral de 2010-2011.
 
Gilles Olakounlé Yabi
 
[1] L’autre élection présidentielle de l’année 2014, prévue en juin, aura lieu en Mauritanie, pays à cheval sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord qui s’est retiré de la CEDEAO en 2000.

[2] Dans la foulée, au début de l’année 2016, les électeurs du Niger et du Bénin seront à leur tour appelés aux urnes pour choisir leurs chefs d’Etat. Dans les deux pays, l’atmosphère politique est déjà marquée par de fortes tensions à plus de deux ans des échéances électorales. Le Cap-Vert, la Gambie puis le Ghana seront aussi concernés par les élections au second semestre 2016.

 

 

Comment gère-t-on les déchets domestiques à Abidjan?

D’emblée, il est important de relever que la gestion des déchets domestiques à Abidjan a toujours été à la charge des pouvoirs publics (l’Etat de 1960 à 1980 puis la Ville d’Abidjan et maintenant le District d’Abidjan) dans la mesure où ils ont toujours été le maitre d’œuvre de celle-ci. L’analyse de la gestion du secteur montre que 2 grands systèmes l’ont marqué : un système avec monopole et un système sans monopole[i]. Chacun de ses systèmes a connu des évolutions, tant législatives qu’institutionnelles. Ainsi la gestion de ce service public a connu quatre grandes périodes depuis l’indépendance de la Cote d'Ivoire :

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Decharge d’ordures d’Akouedo

  • de 1960 à 1980 : système de privatisation avec monopole, géré par l’Etat ;
  • de 1980 à 1999 : système de privatisation avec monopole, géré par la Mairie Centrale d’Abidjan ;
  • de 2003 à 2007 : système de privatisation sans monopole, géré par le District et les Communes ;
  • depuis 2008 : système de privatisation sans monopole, géré par l’Agence Nationale de la Salubrité Urbaine (ANASUR).

De ces différentes périodes, il ressort que ce service public a toujours été privatisé (excepté pendant la très courte période allant de Janvier 1992 à Août 1992, période de transition).

L’organisation institutionnelle découlant de l’application des textes législatifs et réglementaires fait intervenir 2 types d’acteurs : les acteurs politico-administratifs et les acteurs techniques.

Les acteurs politico-administratifs sont :

  • les collectivités territoriales ;
  • le Ministère de tutelle technique ;
  • le Ministère de l’Intérieur ;
  • la Direction et Contrôle des Grands Travaux (DCGTx), et le Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD) par la suite ont aidé les collectivités territoriales à superviser la gestion des ordures ménagères.

Les tâches dévolues à ces 4 entités sont aujourd’hui du ressort de l’ANASUR.

  • le Ministère de l’Economie et des Finances ;

Les acteurs techniques qui interviennent dans la gestion des déchets ménagers ont évolué au fil du temps.

De 1960 à 1999, dans le système de privatisation avec monopole, la SITAF (1960 à 1992) puis ASH International (1992 à 1999) assurait la collecte, le nettoyage des voies principales et la mise en décharge. Cette collecte était réalisée soit par le porte-à-porte à l’aide de camions-tasseurs, soit à l’aide de conteneurs placés dans les lieux publics tels que les écoles et les marchés. Les déchets, une fois collectés, sont acheminés vers une station de transfert puis transportés vers la décharge. Toutes ces opérations, de 1960 à 1999 étaient réalisées par les entreprises prestataires (SITAF puis ASH International).

Il est important de noter qu’après la résiliation du contrat de SITAF avec la Ville d’Abidjan, il est revenu à cette dernière d’assurer la gestion des déchets domestiques de la ville entre Janvier 1992 à Août 1992.

A partir de 1999, avec le système de privatisation sans monopole, plusieurs entreprises, en plus de ASH International, ont fait leur apparition dans le système de gestion des déchets ménagers. Ces entreprises assurent chacune sur un territoire défini par les autorités, la pré-collecte, la collecte, le transport des déchets jusqu’à la décharge.

Au-delà des entreprises du secteur formel, un important secteur informel s’est développé autour du système de gestion des déchets domestiques à Abidjan, depuis la défaillance de la SITAF, avec l’apparition des pré-collecteurs. Ils récupèrent les déchets domestiques en faisant du porte à porte et les acheminent à l’aide de brouettes ou de pousse-pousse vers les centres de groupage et de transfert.

Le système de gestion des déchets domestiques est caractérisé principalement par la production moyenne journalière qui s’élevait en 2009 à environ 3500t[ii], soit environ 0.95kg/habitant/jour (en supposant qu’Abidjan a 3.692.570[iii] habitants).

Il est important de noter que le budget alloué par la Ville d’Abidjan en 2000 pour la gestion des déchets est d’environ 3 milliards de francs CFA. Aussi la décharge d’Akouédo,  la plus grande d’Abidjan ouverte en 1965[iv] pour une période initiale de 25 à 30 ans, reçoit entre 2 000et 2 500 tonnes  de déchets par jour.

Cette belle architecture organisationnelle souffre, à l’évidence, d’un manque d’efficacité, vu les tas d’immondices qui jonchent les rues de la « Perle des Lagunes ». Sans un diagnostic plus approfondi, il n’est pas raisonnable de pointer le doigt vers tel ou tel acteur du système. Néanmoins il faut souligner que :

  • le caractère informel de l’activité et le manque de formation des pré-collecteurs sont souvent à la base de dépôts anarchiques dans la ville d’Abidjan,
  • les entreprises qui ont la charge de la collecte et du transport de ces déchets ne possèdent pas toujours les matériels adaptés et le personnel qualifié,
  • le contrôle des différents acteurs du système par les pouvoirs publics n’est pas toujours efficient
  • la décharge d’Akouédo, principale décharge du pays est saturée depuis belle lurette.

Il importe donc, au vu du niveau du budget alloué par les pouvoirs publics au secteur, que tous les acteurs du système de gestion des déchets domestiques réfléchissent à une organisation qui puissent garantir une plus grande efficacité de ce service public et à une valorisation (pourquoi pas énergétique) de ces déchets.

 

Stéphane Madou

 


[i] Source : «  Gestion des ordures ménagères d’Abidjan : Diagnostic », Mémoire de fin d’étude de Monsieur N’Guettia Kouakou Yves.

 

 

[iii] Données du Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 1998

 

 

[iv] « La politique de gestion de l’environnement dans les capitales africaines : le cas de la ville d’Abidjan en Côte d’Ivoire » de G. Touré page 94

 

 

 

 

 

 

Souvenons-nous de Biaka Boda

BiakaVoici l’histoire de Biaka Boda, telle que racontée par Devalois Biaka.

C'est en 1913 dans le village de Dahiépa que voit le jour l'une des plus belles étoiles que la Cote d'ivoire ait connue.

L'histoire de notre étoile débute donc dans ce village de Dahiépa dans la région de Gagnoa en Côte d'ivoire. Très tôt orphelin de père et de mère, l'enfant de Dahiépa est recueilli et élevé dans la pure tradition bété par ses parents maternels dans le village de Biakou.

En 1920 le jeune fils de Dahiépa se sépare de ses parents et prend la direction de Gagnoa pour commencer son parcours scolaire. À l'école supérieure de Bingerville, il obtient son brevet d'étude primaire supérieur en 1930. Il sortira de à l'école de médecine de Dakar avec le titre de médecin africain en 1937. Durant toute la durée de ses études, Biaka fait preuve d'une vive intelligence et se fait remarquer par son caractère frondeur et rebelle.

A cette même époque les peuples de Côte d'ivoire sont soumis au diktat du colonisateur…

A sa sortie de l'école de médecine, notre nouveau médecin est affecté en Guinée. C'est au cours de son séjour en Guinée qu'il fait la rencontre du leader africain Ahmed Sékou Touré, alors président de la section du RDA en Guinée.

Le RDA est à cette époque le plus grand mouvement panafricain d'Afrique de l'ouest qui lutte pour l'émancipation de l’Afrique.

Cette rencontre sera l'occasion pour le médecin d’adhérer au RDA. Epris de liberté et farouchement opposé aux injustices subies par le peuple de Côte d’Ivoire, son engagement au sein du RDA n'est pas une surprise. Cet ainsi qu'il est admis au comité directeur du RDA en Guinée où il ne cesse de fustiger le colonialisme. L'administration coloniale va commencer à surveiller ce « révolutionnaire » qui, grâce à sa fougue oratoire, sème le trouble dans la colonie guinéenne.

Mais c'est en Côte d'ivoire que le combat du jeune médecin va prendre une autre dimension. En 1947 il quitte définitivement la Guinée pour la terre de ses ancêtres.

Quand il retourne dans la colonie de Côte d'ivoire il rejoint dans l'arène du combat contre l'exploitation coloniale Jean-Baptiste Mockey, Ouezzin Coulibaly, Jacob WilliamMathieu EkraDignan Bailly, Anne-marie Raggie ou encore Sery-koré.

A cette même époque le travail forcé, prolongation de l'esclavage, est pratiqué sur la terre d'Eburnie…

Élu en 1948 sénateur dans le cadre de l'union française notre médecin s'envole pour la métropole française où il compte porter fièrement la cause des siens. Son passage au sénat français est salué par ses condisciples qui ne cessent de vanter ses talents d'orateur. Le fils de Dahiépa gagne le respect des sénateurs de par sa droiture et son intégrité.

Mais dans la colonie ivoirienne les années 49 et 50 sont des années difficiles pour les militants du RDA. En effet l'administration coloniale a décidé de mener une lutte sans merci aux leaders du RDA qui étaient encore à cette époque un parti anticolonialiste. Tous les leaders de ce parti son arrêtés, brimés, emprisonnés et intimidés. Les populations acquises à la cause du RDA sont tuées ; souvenons-nous de la répression de Bouaflé. C'est dans cette période trouble que notre sénateur revient sur sa terre pour continuer le combat sur le terrain. A son retour il est l'un des rares leaders du RDA en liberté assumant son statut de leader. Il continue la lutte en fustigeant les dérives du colon et en sillonnant de nombreuses villes de la colonie ivoirienne pour prôner l’insurrection.

A cette époque les femmes marchent sur la prison de Grand-Bassam pour libérer leurs maris enfermés par l'administration coloniale…

Le 18 novembre 1949 dans la ville de Daloa il prononce un discours dont la virulence n'a d'égal que sa détermination à libérer la Côte d'ivoire du joug colonial. Ce discours est la goutte d'eau qui fait déborder le vase…

Le 27 janvier 1950, notre sénateur prend la route de Gagnoa. Après une panne de son véhicule à quelques kilomètres de la ville de Bouaflé, il décide de s'y rendre à pieds afin d'y passer la nuit. En arrivant il se fait héberger par l'Almamy Ali Diaby. Le sénateur ne se doute de rien mais un complot se prépare contre lui. En effet dans la nuit, il a été enlevé et tué dans un bosquet à proximité de Bouaflé.

Ainsi se termine le combat de l'honorable fils de Dahiépa, Victor Biaka BODA.

Durant plusieurs années l’administration coloniale a refusé de communiquer sur la disparition du sénateur, refusant même de remettre sa dépouille mortelle à sa famille. Malgré l'octroi de l'indépendance, le premier dirigeant de la colonie indépendante n’a pas honoré la mémoire de Victor Biaka Boda. Aucune sépulture digne de son rang ne lui sera offerte et aucun hommage national ne lui sera rendu. Victor Biaka Boda est un oublié de l'histoire de la Côte d’Ivoire, très peu d'ivoiriens se souviennent ou même connaissent ce nom. Il fut un grand militant et une figure de proue de la résistance à l'oppression coloniale. Mort pour la lutte et pour son peuple, souvenons-nous du sénateur Victor Biaka Boda et de son combat. 

 

Joël-Armel Nandjui

Décrocher le Bac, au pays de Kandia

Kandia Camara« Vive l’école ivoirienne »… C’est par cette formule que Kandia Camara, ministre de l’éducation nationale, a conclu son annonce des résultats de la session 2013 du Baccalauréat. Le Kandia-bashing est devenu une spécialité d’une partie des Ivoiriens, depuis la nomination de l’ancienne championne de Hand-ball au gouvernement. Les saillies de la ministre sont nombreuses : arrestation des cours, capturation, corrigeurs d’examen, recrutation des enseignants. Au point où l’application et les précautions de langage de la ministre au cours des derniers mois, sont pénibles à voir : on sent l’effort et la concentration. Beaucoup se sont précipités dans la brèche, trouvant en elle le maillon faible du gouvernement ivoirien sous Alassane Ouattara. S’il n’y avait que ça.

Avant d’être une ministre de l’éducation souffrant de nombreuses lacunes en français, Kandia Camara a été professeur d’anglais pendant plus de vingt ans – comme son CV, mis en ligne sur le site du gouvernement s’empresse de le rappeler[1]. Ce qui devrait surprendre et inquiéter c’est moins le fait qu’elle se soit retrouvée au gouvernement – que des générations de collégiens aient eu à souffrir le professeur Camara pendant autant d’années. Il faut plus de qualités pour faire un instituteur moyen qu’un bon ministre de l’éducation. Mais admettons… Si le cabinet entourant la ministre est bon, tout n’est pas perdu. Hélas…

L’annonce même des résultats du bac 2013 constitue un exercice de manipulation assez cru que la presse ivoirienne n’a même pas daigné corriger : le taux de réussite étant passé de 25.22% en 2012 à 33.58% cette année, « une hausse de 08.36% » selon la ministre qui s’en félicite… Le premier collégien venu sait bien qu’il s’agit plutôt d’une hausse de 33% du taux de réussite [(33.58-25.22)/25.22 = 0.33] La ministre a accompli un miracle en un an, sans que personne ne s’en aperçoive… A moins qu’il s’agisse simplement d’une kantiatisation de l’école ivoirienne, un affaissement du niveau, une autre régression vers le plus petit dénominateur commun.

J’exagère à peine : ce type d’erreur est assez fréquent. Soit. Mais il est évident que cette annonce n’a pas été rédigée par la ministre elle-même, mais par un membre de son équipe. Si les conseillers en charge de combler les handicaps de la patronne sont eux-mêmes incompétents. Quiconque pense qu’il n’y a pas grande différence entre 8% et 33% devrait me contacter, j’aimerais lui emprunter de l’argent.

 Sur le sujet du baccalauréat en tant que premier diplôme universitaire, il est impossible d’avoir une opinion tranchée. Les extraordinaires taux de réussite constatés en Europe (Entre 70% et 90%) sont difficiles à imaginer en Afrique. Ils seraient d’ailleurs probablement catastrophiques étant donné le surpeuplement des résidences et amphithéâtres universitaires dans bien des pays africains.

Pourtant, n’y a-t-il pas quelque chose d’indécent dans les taux de réussite au bac faméliques que l’on constate dans certains pays africains ?

Taux de réussite au bac

 

Depuis 2008, en moyenne (non-pondérée) plus de 75% des candidats au baccalauréat en Côte d'Ivoire ont échoué. Les taux d'échecs sur la même période se situaient entre 60 et 65% au Sénégal, au Bénin et au Burkina Faso. Depuis 2010, l'examen du baccalauréat au Mali comporte 7 matières – contre 4 précédemment – en conformité avec les critères en place dans les autres pays de l'UEMOA. Cette réforme, introduite juste avant le déclenchement de la crise, n'a rien fait pour améliorer les taux de réussite au Mali : en 2012 et 2013, à peine plus d'un candidat au baccalauréat sur dix a été reçu.

Une réponse cynique à ce désastre serait d'admettre la possibilité que moins de la moitié des élèves atteignant la terminale (ce qui représente seulement une minorité de chaque classe d'âge, dans la plupart de ces pays) méritent d'aller à l'université. Mais cette réponse n'est pas suffisante.

Le sophisme implicite dans ce type d'argument est l'idée qu'il n'existe qu'une seule solution pour accroître le taux de réussite au bac, étant donné le niveau des élèves : abaisser le niveau de difficulté des examens. Hors, rien dans ce "niveau" n'est donné. Chaque année, ces élèves ayant subi grèves de professeurs, suspensions de cours, manuels et cours désuets, professeurs absents et mal formés sont lancés à l'assaut du bac : advienne que pourra.

La vraie mesure ici n'est pas le taux de réussite, mais l'adéquation de la formation reçue aux exigences de l'examen, et des carrières auxquels il donne accès. L'ajustement peut se faire de deux façons : la plus facile consisterait à relâcher les critères de réussite, la plus exigeante et la seule qui vale la peine serait d'élever le niveau des élèves – et de leurs enseignants.

En Côte d'Ivoire cette tâche a été confiée à Kandia Camara : la recrutation et l'évaluement des professeurs peuvent commencer!

 


[1] La consultation des CV des membres du gouvernement ivoirien est un immanquable moment d’hilarité que je recommande à tous. Il y a Alain Lobognon, ministre de la jeunesse qui a pour objectif de « servir, bien servir, [s]on pays, la Côte d’Ivoire » et qui a « internet [et l’] informatique » comme centres d’intérêt ; Kaba Nialé, ministre des finances – pourtant surdiplômée et compétente – qui prend quand même la peine de préciser qu’elle parle, lit et écrit le français ; Toure Gaoussou, ministre des transport qui mentionne ses années d’école primaire (EPP Odienne) entre 1960 et 1965 ; Patrick Achi, ministre des infrastructures qui n’a pas voulu qu’on le reconnaisse sur son CV ; Moussa Dosso, ministre de l’industrie, dont le CV est aux couleurs du drapeau (orange-blanc-vert), Kobenan Adjoumani, ministre des ressources animales qui, pour ceux que ça intéresse, a quand même reçu une « formation en communication du ‘training video’ de présetation efficace de Dale Carnegie à Paris ; Charles Diby, ministre des affaires étrangères dont le CV débute par son numéro de matricule. Etc.

 

 

 

Daniel dans la fosse aux lions

Declaration-Primature-duncan-kablanPauvre Daniel Kablan Duncan! La dernière tournée du premier ministre ivoirien l'a mené à Paris, où il s'est même exprimé devant les étudiants de Sciences Po (les lecteurs habituels de Terangaweb retrouveront pas mal de visages familiers dans le reportage de la RTI sur cet évènement). Les banalités d'usage si j'ai bien compris, sur la croissance revenue, l'espoir rétabli, la paix qui ne viendra pas au détriment de la justice. Oui! Oui. On sait.

Le site de la primature reprend les données développées par le premier ministre, pour quiconque à la patience de les consulter. Je ne compte pas discuter longtemps la vraie-fausse polémique sur le vrai-faux cafouillage qui aurait eu lieu durant cette intervention. Divers sites ivoiriens mantiennent que la conférence a été perturbée par des "pro-Gbagbo". Informations démenties par les organisateurs de la conférence. Ce qui n'empêche personne de récupérer cette "information" ("une info+un démenti =deux scoops", après tout) comme il l'entend, soit pour condamner la barbarie "des" partisans de Laurent Gbagbo, soit pour se féliciter de cette heureuse interruption. Les Ivoiriens sont de plus en plus pénibles.

De tout façon, la vraie fosse aux lions dans laquelle DKD est plongé ce n'est pas celle vers laquelle trois agités ont voulu le rabattre à Paris. C'est la spirale d'esquives et d'insincérités que sa position lui impose. Ni durant cette conférence, ni durant aucune des interviews que Duncan a accordées par la suite, ni nulle part ailleurs la question de la "justice des vainqueurs" n'a obtenu de vraie réponse. L'excuse standard dont il use et abuse est la même "le temps de la justice n'est pas celui de la politique". Il l'a ressortie à Christophe Boisbouvier de RFI, qui n'a rien trouvé à redire.

Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire? Qu'est-ce que ça peut signifier quand aucune, absolument aucune des personnalités proches du régime actuel n'a eu à répondre d'aucun des crimes dont elles sont accusées? Quelle idée Daniel Kablan Duncan se fait-il de ses interlocuteurs, quand il prétend que rien de cela n'est politique? Vraiment?

Saint Daniel. Ni vu, ni connu. Innocent et honnête comme d'habitude. Daniel Kablan Duncan a beau avoir été en charge des finances ivoiriennes sous Ouattara (alors 1er ministre d'Houphouët-Boigny) pendant que ce pays passait sous les fourches caudines du FMI. DKD n'y est pour rien. Il était bien en place quand les "privatisations" servaient à brader les joyaux de la couronne et quand les barons du PDCI se remplissaient les poches. Daniel Kablan Duncan, ministre des finances puis premier ministre n'a rien vu, rien entendu. Il était là lorsque son propre parti insinuait le virus de la haine et de l'ivoirité dans l'ADN de ce pays. Daniel n'y pouvait rien. Il ne savait rien, Daniel. Il travaillait.

Aujourd'hui Daniel Kablan Duncan est de retour à la primature. Et il n'y est toujours pour rien. Les "enquêtes" sont en cours. La "justice viendra". Il ne manque plus que "chaque chose en son temps" et "qui vivra verra" pour que la boucle soit bouclée.

La Côte d'Ivoire est sur la bonne voie selon son premier ministre. C'est une bonne chose. Comme disait George Constanza : "ce n'est pas un mensonge, si tu y crois vraiment".

 

Le premier jour du reste de la haine

120413ReportagePhoto2-271_179Mark Anthony : "Listen. Why so quiet? A tyrant is dead. Surely the people should be happy? Where is the cheering throng at your door? Where are the joyful cries of "Liberty"?"

Rome, HBO, 2005


Jusqu'à ce jour, la logique derrière l'offensive d'Ansar El Dine et des autres mouvements islamistes vers le Sud du Mali, en février dernier, m'échappe complètement. J'imagine bien que l'objectif officiel était de prendre le contrôle du pays et d'y imposer la Charia. Soit. (Rêver est un droit fondamental : j'espère bien devenir un jour le fils de Dieu, mais je me garde bien de le dire devant des enfants) Mais aussi désorganisée qu'ait été l'armée malienne, et aussi lente que la CEDEAO ait pu être, je ne peux pas croire une seule seconde que ces groupes islamistes aient vraiment pensé l'emporter.

Peut-être que le but était de provoquer une intervention de l'armée française qui légitimerait la lutte contre les "infidèles", comme cela avait été le cas en Somalie. Peut-être qu'une telle action était nécessaire pour remobiliser les jeunes recrues que la vie dans le Nord occupé commençait à ennuyer.

Quoi qu'il en soit et quelle qu'ait été la logique sous-jacente, la stratégie pèche sur un point essentiel : que faire le lendemain de la victoire? Même si les islamistes l'avaient emporté militairement et si aucune force étrangère n'était intervenue, que comptaient-ils faire des populations civiles? S'imaginaient-ils un instant qu'il suffirait de s'assurer un contrôle militaire sur une zone pour que l'affaire soit dans le sac?

La même question se pose, sous une forme légèrement différente, en Côte d'Ivoire.

pb-110411-simone-gbagbo-2p-photoblog900Avant avril 2011 et l'assaut sur la résidence présidentielle occupée par Laurent Gbagbo, personne n'avait exercé autant de pouvoir dans ce pays que ne le fait aujourd'hui Alassane Ouattara. Ni Houphouët-Boigny dont les desiderata étaient cahin-caha contenues par le contexte historique et les nécessités du système de patronage ethnique et politique qu'il avait instauré. Ni Robert Guéï trop dupe et mal conseillé pour savoir s'en servir. Ni Laurent Gbagbo qui au cours de la décennie qu'il passa à la tête de l'Etat n'eut jamais de majorité parlementaire, ni le contrôle total sur les forces armées, ni même un premier ministre de son choix, la plupart du temps.

Aujourd'hui, seul, Alassane Ouattara peut ordonner le renvoi du premier ministre de consensus issu des rangs du second parti de la majorité et ancien parti au Pouvoir, le PDCI, sans subir le moindre coût politique. Il peut ordonner la libération au compte-goutte des leaders de l'opposition (détenus parfois dans des conditions d'insalubrité et de brutalité infra-humaines), selon ses besoins politiques; il peut promettre à tel ou tel ex-adversaire politique qu'il peut rentrer en toute quiétude sans être questionné par la justice, tout comme il peut faire arrêter tel autre par Interpol.

Même la presse – médiocre et partisane comme elle l'a toujours été – vit aujourd'hui sous un sorte de toiture électrifiée. Des pressions ont toujours été exercées sur elle, mais aujourd'hui ces pressions là ont un ton plus légaliste que jamais. Et vu "l'indépendance" de la justice, plus effrayant encore.

Au plus fort du pouvoir de Laurent Gbagabo, il était contraint de faire avec une rébellion, un pays divisé, une armée infiltrée de traîtres et d'agents étrangers, et un premier ministre de consensus ou issu de cette rébellion. Aujourd'hui, Alassane Ouattara dispose légalement de l'autorité suprême sur les forces armées légitimes et sur celles issues de la rébellion – toutes amalgamées maintenant dans cette sorte d'armée mexicaine comptant presque autant d'officiers que de caporaux.

Tout le monde a oublié aujourd'hui les raisons invoquées en septembre 2002 pour justifier la tentative de coup d'état devenue rébellion et rupture de l'intégrité territoriale du pays. Qui se souvient encore que deux réformes essentielles avaient été exigées, celle du code de la nationalité et celle de l'accès à la propriété terrienne? Plus de dix ans sont passés, après tellement de morts, de destruction, de brutalité et de haine, personne ne sait ni quand, ni comment ces réformes seront introduites.

La presse s'est focalisée sur les haines entre travailleurs immigrés et paysans autochtones dans l'Ouest du pays. Mais les grands propriétaires terriens ne sont pas à Guiglo, Duekoué ou Man. Ils sont à rechercher parmi les militants traditionnels et les sponsors du PDCI. Les bénéficiaires des concessions minières ne sont pas à chercher au sein des populations martyrisées du grand-ouest, ou parmi les enfants d'Abidjan privés d'éducation, de soin et de leur future par dix ans de conflit.

h-20-2463751-1302610455Vu l'état des antagonismes dans ce pays, qui croit encore qu'une réforme du Code de la nationalité suffira à les faire disparaître? Ou qu'il suffira d'une baïonnette et d'une carte d'identité pour que les discriminations et murmures désapprobateurs d'hier, et les vraies haines bien endurcies d'aujourd'hui s'effacent?

Ceci me ramène à la question de départ : lorsqu'en 2002 Soro Guillaume, ses amis, ses soutiens lançaient l'offensive sur Abidjan, qu'espéraient-ils vraiment? Être accueillis par une population reconnaissante?

Une décennie après, ce camp a obtenu la victoire militaire et politique – et à quel coût! Vu de l'extérieur, on a l'impression – renforcée par les mille appels du pied, menaces et tentatives de subornation de l'opposition – que les vivas et les bras ouverts manquent à l'appel. Oh, une partie plus ou moins importante de la population a célébré le départ de Gbagbo  – la même qui considère que la Côte d'Ivoire existe seulement depuis novembre 2010. Mais le reste… Si le dictateur a été éliminé où sont, deux ans après, les signes de joie et de soulagement?

A Abidjan, comme à Mopti, j'ai l'impression que personne ne s'est vraiment soucié du lendemain. Ce jour d'après, qui peut être autant celui de l'amour que de la haine.

La justice « comme si » de la CPI

Gbagbo HayeLe 28 février dernier s’est achevée, à la Haye, l'audience de confirmation des charges retenues par le bureau du procureur de la Cour Pénale Internationale contre l’ancien président Ivoirien Laurent Gbagbo. Ce fut une assez lamentable et honteuse procédure.

J’ai écrit ici, et je maintiens qu’il est dans l’ordre des choses que Laurent Gbagbo et les autorités officielles du pays durant les dix ans qu’il passa à sa tête aient à s’expliquer et à répondre des crimes qui leur sont imputés. C’est bien le minimum.

Bon gré, mal gré ils dirigeaient au moins une partie de la Côte d’Ivoire quand bon nombre de violences ont été commises. Il serait insupportable que justice ne soit pas rendue. Mais de quelle justice parle-t-on exactement ? Pour quiconque a suivi l’audience de la semaine dernière, en fait pour quiconque a suivi l’attitude de la CPI depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo en avril 2011, il est impossible d’y retrouver l’idéal de justice contenu dans le traité de Rome.

Le propre bureau du procureur de la CPI impute un peu moins d’un millier de meurtres, agressions sexuelles et autres violations des droits de l’homme au « camp Gbagbo »… sur les plus de 3000 supposément commis durant la crise post-électorale de 2010-2011. Le propre bureau du procureur de la CPI demande la condamnation de Laurent Gbagbo en tant que « co-auteur indirect » de ces crimes.

Ainsi, le premier procès de la "crise ivoirienne" conduit par la CPI concerne le "co-auteur indirect" supposé, d’un peu moins d’un tiers des crimes commis durant un cinquième des dix années de conflits en Côte d’Ivoire… 

Le langage corporel des magistrats de la Haye, la semaine dernière était pénible à décrypter. Eux-mêmes savent, cela se voit, cela se sent, qu’en poursuivant sur cette voie la CPI s’instaure comme auxiliaire du pouvoir d’Alassane Ouattara et agit, consciemment ou non, comme caution morale de la liberté accordée à Foffié Kouakou et aux autres « commandants de zone » de la rébellion dirigée par Soro Guillaume. Et surtout comme voile aux violences qui aujourd'hui encore se produisent dans le pays.

Aujourd’hui, on l’oublie un peu, Guillaume Soro est président de l’Assemblée Nationale – et compte sur la protection d’Alassane Ouattara, pour le jour où la CPI penserait vouloir commencer à s’intéresser à son cas. Et les commandants de zone ont tous nommés « commandants de légions », officiers supérieurs de la nouvelle armée « réunifiée », responsables des principales garnisons militaires du pays, par Alassane Ouattara. Les crimes commis par ces hommes et/ou sous leurs ordres dans le centre, le Nord et surtout l’ouest de la Côte d’Ivoire, au cours de la dernière décennie défient même les limites pourtant lâches dans ce domaine, en Afrique occidentale.

Le problème, contrairement à ce qui est affirmé depuis le début par les partisans de Laurent Gbagbo, n’est pas le « deux poids, deux mesures » de la CPI, ni même la « justice des vainqueurs » conduite par le pouvoir d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire. Le vrai problème c’est que l’idée même de justice, dans le cadre de la crise ivoirienne, est désormais un non-sens. Quel qu’il soit le verdict de la CPI sera teinté et souillé. Il rappelle également l’incroyable impuissance de la Cour Pénale Internationale.

Fatou Bensouda, procureure de la CPI, n’a probablement jamais été plus honnête que lorsqu’elle déclare à Jeune Afrique : « notre rôle est de nous assurer que leurs principaux auteurs seront poursuivis, mais nous ne pouvons engager des poursuites contre tous. » En revanche, elle ne peut pas être sérieuse lorsqu’elle ajoute : « L'action de la CPI permettra de faire éclater la vérité pour faciliter la réconciliation. (…) Mais, rassurez-vous, aucune partie prenante à la crise ne sera épargnée. »

Bien sûr que les crimes commis par les soutiens d’Alassane Ouattara resteront impunis tant qu’il aura besoin de leur appui pour se maintenir au pouvoir. Faut-il le rappeler? La CPI ne dispose d'aucun pouvoir de police et ne peut intervenir qu'à la demande des Etats. Et bien évidemment, le procès de Laurent Gbagbo à la Haye qui aurait pu – s’il avait eu un sens, s’il s’était déroulé en même temps que celui d'un des responsables du camp d'en face – Soro Guillaume, qui sait? à défaut d’avoir Alassane Ouattara lui-même à la barre des accusés – aider à repartir les responsabilités et commémorer la mémoire de toutes les victimes, s’oriente vers une pitrerie préchrétienne où un bouc émissaire doit porter seul les péchés du peuple.

Comme s’il y avait un peuple (quiconque croit encore aux chimères d'une "réconciliation" n'a qu'à faire un tour sur n'importe lequel des forums "Facebook" qui s'organisent spontanément sur le site www.abidjan.net pour perdre toute illusion.)

Comme si aujourd’hui encore, à l’instant même où j’écris ces lignes, les sbires du régime proches du régime de Ouattara ne sillonnaient pas les camps de réfugiés, à la recherche de « sympathisants » de Gbagbo.

J’écrivais qu’il fallait souhaiter longue vie à Guillaume Soro, dans l’espoir qu’un jour ou l’autre, une alternance politique en Côte d’Ivoire lui fasse perdre la protection dont il bénéficie, et qu’il puisse répondre – lui et la racaille qui l’entoure – du coup d’état manqué de septembre 2002 et de la barbarie qui s’en suivit.

J’avais tort, la vieille maxime « justice delayed is justice denied » s’applique aussi à l’Afrique. Au moins autant que le Traité de Rome.  

 

Joël Té-Léssia

PS : Il va sans dire que cette chronique n'engage que moi, et ne prétend nullement représenter la position "officielle" de Terangaweb et de ses membres.

Camarade Soum, artiste

"Et puis vers la fin
Allez-vous gouverner des ossements?
'vive la République" sous dix cadavres
l'Assemblée Nationale au cimetière
Plus d'opposition -[ça c'est bon]
Il n'y aura plus de marches
Prenez tout 
Prenez tout
Gardez tout
Gardez tout
Allez-y volez tout
Au nom de la démocratie
Tuez-nous donc Messieurs,
Puisque c'est votre métier"
Soum Bill, 'République de Présidents"
 
En Côte d’Ivoire les artistes sont au pouvoir. Ou plutôt : il y a les artistes du pouvoir et ceux de l’opposition. Ceux qui applaudirent la rébellion, puis Alassane Ouattara et ceux qui soutinrent Laurent Gbagbo. Musiciens, chanteurs, écrivains – toute velléité artistique oubliée – se rangèrent dans des cases politiques, par conviction, affinité ou clientélisme. Tiken Jah Fakoli d’un côté, Gadji Celi de l’autre; Maurice Bandaman devenu ministre, Bernard Dadié momie déconsidérée.

Et l’on s’étonne que cette décennie ait été la moins créative de l’histoire de ce pays. Oh, ce n'est pas tant qu’ils n’aient « créé » de nouveaux « concepts ». Sagacité, Décaler-couper, Boboraba et autres ont remplacé le Zouglou (si riche, si jeune), le Zoblazo (si puissant, si physique) ou le Mapouka (si sensuel). Des mouvements de gymnastique sont présentés comme nouveaux « pas de danse » : "senvollement, senvollement, petit-vélo, petit-vélo". Borborygmes et onomatopées ont remplacé les paroles : "zoing zoing, grougroulougou, Tchoin, tchoin, tchoin" et j'en passe.

D'ailleurs, à quoi bon s’intéresser au "style" quand il suffit de gueuler « la grippe aviaire est vaincue en Côte d’Ivoire », trois cent fois d’affilée pour faire un tube ? Pourquoi s’échiner à composer une mélodie si un bon synthé suffit à faire d’une nullité comme « Douk Saga » un « artiste ». Quand je pense que des convois entiers de jeunes ivoiriens ont suivi le cercueil de ce moins-que-rien…

Il y avait encore, dans les années 90, des chansons ivoiriennes dont les paroles étaient en Ebrié, en Baoulé, en Dioula, en Bété ou d'autres langues locales. Désormais, tout le monde prétend chanter en "lingala" : "Episangana, Eh bissé maman hein" — je défie quiconque de trouver une traduction à de telles âneries. Autre signe des temps, si on trouva longtemps des groupes tels que "Poussins chocs", "Espoir 2000", "Les salopards", "Les garagistes", tout artiste ivoirien se doit dorénavant d'avoir un pseudonyme qui dise "egomaniaque" en toutes lettres : "DJ Arafat très très fort", "Roland le binguiste", "Tiesco le Sultan", "Erickson le Zoulou" …

Dans le domaine purement "littéraire" Venance Konan est désormais considéré comme un écrivain… Je veux bien! Même si je crois que victime d’un AVC, ivre-mort, la main gauche plâtrée, mon corps ligoté à un trampoline, j'écrirais malgré tout, mieux que lui. Isaïe Biton Coulibaly, continue de vendre ses bouquins comme des petits pains – j'ai renoncé à trouver une "explication" à son succès. On a les lecteurs qu'on mérite.

Hormis les plus anciens (Meiway et Alpha Blondy, essentiellement), seuls « Magic System » et… Soum Bill ont échappé à l’abrutissement général. Les premiers ont fini par avoir ce qu’ils méritaient : devenir des caricatures d'Africains en France (et des alliés objectifs de la Droite nationaliste), pensez aux titres de leurs albums : Cessa kié la vérité (2005) · Ki dit mié (2007) · Toutè Kalé (2011)

Soum Bill seul, loin devant, continue d’écrire des chansons d’amour, d’humour et d’humeur, qui n’ont pas leur pareil. Pensez à la simplicité poignante, désabusée de "L'ingrat que je suis" dans l'album "Zambakro" : "On voit des images partout/ à la télé, dans les journaux/ 'Des bandits tués'/ On veut nettoyer ce qu'on a versé/ Ces bandits…/ C'est tout ce que le système a fait de meilleur". Et ceci au plus fort du régime Guéï, le "châtieur châtié", quand les autres appelaient à l'apaisement. Sur le même album, l'équilibre, la souplesse, la puissance que sa voix atteint dans "le changement" est un joyau unique, parfait, épuré – on dirait du Ismaël Lô. L'ironie aussi, dans "Unité" : "Quand tu pars à l'hôpital/ Le docteur te dit 'repose en paix'"
 
Artiste. Il n’y a rien à jeter, que ce soit dans Zambakro, Terre des hommes ou Que la Lumière Soit ! De petites merveilles d’homme blessé et en colère, exilé volontaire au plus profond de lui-même.

La Côte d’Ivoire en Afrique et dans le monde

Un pays de 322 000 km² pour une population de 22 millions d’habitants soit une densité de 68 habitants au kilomètre carré. L’économie de la Côte d’Ivoire, avec un PIB par habitant qui s’élève à environ 980 dollars fait partie des économies en voie de développement. L’indice de pauvreté atteint 50 % en 2011. La monnaie du pays est le franc CFA, dont la parité avec l’euro est fixe (1 euro = 655,957 francs CFA). La Côte d’Ivoire est un « petit pays » soumis aux aléas de la conjoncture internationale, à qui les prix de ses produits sont donnés (price taker). Les progrès constatés au cours des quinze premières années de l’indépendance (le miracle ivoirien) ont fait place à une longue période de récession, favorisée par la chute des cours mondiaux des matières premières agricoles (café-cacao) et aggravée par divers facteurs dont la crise politico-militaire déclenchée en 2002 pour prendre fin seulement en avril 2011.

En 2005, le Conseil de Sécurité de l’ONU a interdit l’exportation des diamants ivoiriens, soupçonnés de financer le trafic d’armes qui alimente les guerres civiles dans le pays. Les Etats Unis ont fait autant par la résolution 508 (Foreign Assistance Act). En conséquence, L’économie de la Côte d’Ivoire a progressivement décliné depuis le déclenchement de la rébellion armée en septembre 2002, qui a eu pour conséquence une réduction drastique de la plupart des aides extérieures (sauf l’aide humanitaire), augmentant ainsi la dette domestique et extérieure et entraînant un ralentissement sévère de l’investissement étranger et domestique. Le niveau de vie de la population n’a cessé de se dégrader depuis 2002. Près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté aujourd’hui. De pays à revenu intermédiaire dans les années 70-80 (plus de 1000 dollars par tête), la Côte d'Ivoire est descendue à moins de 1000 dollars par tête aujourd’hui. D’un niveau de développement équivalent à celui de la Corée du Sud dans les années 60, la Cote d’Ivoire demeure un pays sous développé 50 ans après.

Une économie extravertie
L’économie ivoirienne est une économie extravertie qui dépend largement de facteurs exogènes, tels que les conditions climatiques le prix des matières premières sur le marché international et la demande extérieure. Dans le contexte de la crise financière mondiale, En 2009, la valeur des échanges a baissé de près de 10 % par rapport à l’année précédente cette situation s’explique en grande partie par les effets de la crise internationale sur les économies des principaux partenaires commerciaux de la Côte d’Ivoire. Cependant, l’activité économique ivoirienne a relativement bien résisté. Bien que le taux de chômage ait augmenté (près de 16 % en 2009), l’inflation est restée sous contrôle (environ 3 %), même si on assiste présentement à une flambée des prix.

La Côte d’Ivoire est membre de l’Union Economique et monétaire ouest-africaine, dont la monnaie, le franc CFA est arrimé à l’euro. Le but de cet arrimage est d’assurer la stabilité de la monnaie et de profiter de la crédibilité de la Banque centrale européenne, indépendante des pouvoirs politiques. La Côte d’Ivoire, dès le début des années 1960 axe sa politique de développement sur l’expansion des exportations de matières premières et la substitution aux importations reposant sur quelques industries. Les stratégies mises en œuvre sont alors particulièrement adaptées aux contraintes extérieures et à l’environnement général. Une forte croissance est enregistrée et les changements structurels s’opèrent sans véritables déséquilibres internes ou externes. Le taux de croissance moyen reste élevé (plus de 8 %) pendant les quinze premières années de l’indépendance du pays (1960-1975). C’est le Miracle Ivoirien.
Des problèmes de corruption liés à l’exécution de projets financés par l’Union Européenne ainsi que les arriérés de paiement des dettes contractées auprès des institutions internationales, conduisent, en 1998, celles-ci à rompre leur partenariat avec la Côte d’Ivoire. L’impact négatif de cette situation sur l’économie est aggravé par le coup de force militaire de décembre 1999 et l’instabilité politique qui en résulte. Le pays sombre dans une nouvelle dépression et le taux de croissance en 2000 est négatif : – 2,3 %. La crise politico-militaire qui éclate en 2002 aggrave encore la situation et plonge le pays dans une « décennie perdue » Le miracle pas soutenu par un développent technologique conséquent s’est mué en mirage.

Un pays pauvre et inégalitaire
L’indice de pauvreté en Côte d’Ivoire (proportions de personnes en dessous du seuil de développement humain admis) atteint 40,3 % en 2004, mettant le pays au 92e rang de 108 pays en développement. La Côte d’Ivoire reste donc pays à économie sous-développée. La pauvreté s’est fortement aggravée durant la période précédant la crise. L’indice de pauvreté est ainsi passé de 32,3 % en 1993 à 36,8 % en 1995. En 2003, il s’est situé entre 42 % et 44,2 % pour se situer aujourd’hui à près de 50%. Les premiers chiffres connus de la Cote d’Ivoire en termes d’Indice de Développement Humain datent de 1975 avec un IDH d’environ 0,42. Il a progressé en moyenne jusqu’en 1985 pour se retrouver à un niveau de 0,452. Depuis lors, il est en perpétuelle baisse avec un niveau de 0,393 en 1987. Il est à 0,400 en 2011 pour être 170ieme sur 187 pays, donc mal classée avec une espérance de vie moyenne à la naissance de 54,4 ans et une durée moyenne de scolarisation de 3,3 ans.

La décennie perdue pour la Côte d’Ivoire du fait de la grave crise socio-économique qu’elle a connue, l’a fait reculer de plusieurs positions au niveau de nombreux indicateurs du développement. Les statistiques de cette période révèlent, entre autres maux : En matière de sante, 12% des pauvres n’ont pas accès à un centre de sante et 26% des pauvres n’ont pas accès à un hôpital général ; en ce qui concerne l’éducation, 46% des pauvres n’ont pas accès aux universités et grandes écoles, 34% à l’école maternelle et 26% à l’école secondaire ; les chômeurs sont majoritairement jeunes car les 2/3 d’entre eux ont moins de 30 ans. Ces chiffres sont plus alarmants en termes de taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans, d’accès à une source d’eau potable, etc. Les inégalités restent très marquées, et se sont accentuées en 2002. Les 10 % des plus riches cumulaient 36 % du revenu national contre 20 % pour les 50 % les plus pauvres.
La Côte d’Ivoire reste donc, l’un des pays les plus pauvres de la planète et également une contrée fragile au plan social. Malgré la fin progressive de la crise, les problèmes et conséquences liés à l’inégalité restent encore visibles. Le taux de couverture en eau potable sur Abidjan est de 82 % et de 75 % sur l’ensemble du territoire national. Le reste de la population consomme l’eau de puits privés, celle distribuée par des vendeurs d’eau informels, ou encore celle des rivières ou autres sources d’eau non hygiéniques.

Et pourtant, une économie qui compte
La Côte d’Ivoire reste toutefois un poids économique important pour la sous-région ouest-africaine : elle représente 39 % de la masse monétaire ouest-africaine (UEMOA). Le pays est la 2ème grande économie de la CEDEAO après le Nigéria. Depuis l’instauration du commerce triangulaire lors des premiers contacts avec les explorateurs, l’économie est dominée par l’exportation de produits dits de rente, en particulier le café et le cacao, pour lesquels la Côte d’Ivoire occupe de bons rangs sur le plan mondial : Premier pour le cacao et troisième pour le café. L’économie de la Côte d’Ivoire est principalement fondée sur l’agriculture. Le secteur contribue à près 30 % du PIB et emploie les deux tiers de la population active du pays. La Côte d’Ivoire est le plus grand producteur de cacao et aussi le plus grand exportateur de graines de cacao, et l’un des plus grands exportateurs de café et d’huile de palme du monde. La production ivoirienne de caoutchouc a augmenté de manière substantielle ces dernières années.

Si l’économie ivoirienne repose à titre principal sur le secteur agricole que favorise un climat chaud et humide, l’apport de l’industrie au PIB n’est pas négligeable et est évalué à 20 % et celui du secteur tertiaire à 50 %. La Côte d’Ivoire possède de beaucoup de potentialités minières non négligeables. En effet, la Côte d’Ivoire est un pays producteur de pétrole et de gaz. Le secteur pétrolier commence à prendre une place importante dans l’économie du pays, avec un taux de croissance de 1,2 % depuis l’année 2008. Certaines activités d’extraction ont lieu dans le pays, notamment l’or, le diamant et le nickel. Elle produit en outre de l’électricité, dont une partie est revendue aux pays voisins. La Côte d’Ivoire est le centre des activités économiques et commerciales en Afrique de l’ouest. La part du commerce extérieur dans le PIB du pays est de 90 %. La Cote d’Ivoire est membre de l’UEMOA qui impose un Tarif Extérieur Commun (TEC en décembre 2008). La Côte d’Ivoire appartient également à la zone franç. La Côte d’Ivoire a également signé un Accord de Partenariat Economique d’étape (APE) avec l’union Européenne en novembre 2008. Cet accord vise essentiellement à préserver le système de préférences. La Côte d’Ivoire est membre des institutions de Breton Woods, membre et siège de la BAD et de beaucoup d’autres institutions du Monde et de l’Afrique. Elle a ratifié plusieurs conventions chartes et traités internationaux.

Au plan commercial, les trois principaux clients du pays sont l’Allemagne, le Nigéria et les Pays-Bas. Elle exporte principalement du cacao (40 %) des revenus d’exportations. Les trois principaux fournisseurs de la Côte d’Ivoire sont le Nigéria, la France et la Chine. Les articles importés sont les carburants minéraux, les véhicules, les bateaux, les machines et les céréales
Ainsi, la France n’est plus que le deuxième fournisseur de la Côte d’Ivoire, derrière le Nigéria (respectivement 20 % et 26 % des importations ivoiriennes), La Côte d’Ivoire commerce avec tous les pays du monde et accueille en son sein une large mosaïque de cultures et de nationalités. Mais elle offre surtout aux investisseurs l’avantage d’être un pôle économique qui ouvre sur tous les marchés de la sous-région. Ceci lui a permis de conforter son 4e rang au sein des pays africains au sud du Sahara, derrière l’Afrique du Sud, l’Angola et le Nigéria en termes de flux entrants d’IDE et son 78e rang des pays d’accueil des stocks d’IDE dans le monde. Le pays jusqu’en 2002 ne faisait pas partie des Etats africains les plus affectés par le recul global des investissements directs étrangers, selon la CNUCED. Depuis 2002 cependant, la courbe d’investissement a fléchi. L’investissement privé a stagné en 2004 par rapport à 2003, et s’est contracté en 2005. Bien que l’économie du pays repose encore en grande partie sur les investissements français, ceux-ci sont cependant, d’un niveau relativement moyen : 3,5 milliards d’euros. Ils ont en fait beaucoup diminué depuis que Sucden (sucres et denrées) a été supplanté par l’américain Philbro dans le contrôle des matières premières de Côte d’Ivoire. Le nombre de Français est ainsi passé de 50 000 à 16 000 des années 1980 aux débuts des années 2000.

Fort des signes de vitalité et d’opportunités de diversification à la faveur de la relance économique actuelle, le pays cherche à séduire les investisseurs, en améliorant l’environnement des affaires notamment le code des investissements. L’objectif affiché étant d’attirer le plus d’investissements internationaux possibles, la Côte d’Ivoire procède non seulement, à un renforcement du partenariat public-privé, mais aussi à diversifier les partenaires, tout en continuant à s’appuyer sur son partenaire traditionnel, la France. Dans un contexte de reconstruction, les besoins s’avèrent énormes, les autorités ivoiriennes se veulent accueillantes et les structures d’accueil telles que le Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI), la chambre du commerce et de l’industrie (CCI-CI) et la Chambre du Commerce et d’Industrie Française en Côte d’Ivoire (CCIFCI) font montre de dynamisme à cet égard. La diaspora gagne en importance, surtout depuis la crise et joue un rôle de plus en plus essentiel dans l’économie du pays. Elle est estimée à environ 1 500 000 personnes dont 127 000 dans la seule Île de France auxquels s’ajoutent ceux des autres villes françaises, des autres pays d’Europe (Belgique, Suisse, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie…) et de ceux d’Amérique du Nord.

Elle constitue un véritable soutien pour les familles restées au pays, mais aussi pour l’ensemble de l’activité économique. Dans certains secteurs, elle constitue un pourcentage non négligeable de la clientèle des entreprises. C’est le cas plus particulièrement du marché de l’immobilier pour lequel la diaspora ivoirienne représente entre 25 et 40 % des acheteurs. La Côte d’Ivoire, un pays économiquement dynamique et envié, cependant socialement mal classé. Au total, la Côte d’Ivoire est un petit pays pauvre, mais qui compte au plan économique aussi bien dans le monde qu’en Afrique. Si la Côte d’Ivoire économique promet, la Côte d’Ivoire sociale reste à construire.

 

Pierre Roche Seka, article initialement paru chez notre partenaire La Diplomatique d'Abidjan

Les mots du pays

Home is where one starts from
T. S. Eliot    East Coker V, Four Quartets
 
Des années durant, rentrer à Abidjan signifia retrouver un pays qui momentanément avait cessé d'être le mien, une famille qui s'était agrandie sans moi et surtout – plus douloureux que le reste – retrouver une langue qui n'était plus tout à fait la mienne – léger dépaysement en terre natale.
 
 
Vu de l'extérieur, le parler des Ivoiriens est une forteresse. Il n'y a pas de policiers en Côte d'Ivoire, mais des Yous. Pas de militaires mais des monos. Pas de palabres, mais des "draps" ; Y a pas draps, Y a Fohi. Je pouvais tranquillement abandonner la prononciation des "r", des "déterminants"; abandonner le subjonctif et l'imparfait du conditionnel. Des raccourcis tels que "c'est par rapport à par rapport" seraient compris dans la seconde, par des gens qui parlaient comme moi : mes compatriotes, mes compagnons de barricade. L’ancien assaut, lancé des décennies plus tôt, contre la langue du colon restait aussi solide que jamais. Nous avions récupéré la langue de l'administrateur colonial, du coopérant, de l'académicien et de l'instituteur et en avions fait un parler à notre démesure.
 
Peu de choses m'agaçaient autant, à Saint-Louis, que d'entendre les Sénégalais critiquer ou "imiter" cette langue que nous avions mis tant d'années à bâtir. Peu importe ce qu'en disait le Larousse, NOUS savions NOUS qu'il ne s'agissait ni d'un pidgin (quelle horreur), ni d'un dialecte (nous laissions ça au Wolof). C'était une langue impure et compliquée, changeante et franchement irritante. (Les moues condescendantes que je recevais à Abidjan, chaque fois que je devais demander le sens d'une nouvelle expression : "Tu ne sais pas ce que veut dire 'prends mon gbon'? Tu fais quoi chez nous même? – et l'estocade – retourne chez les Nagadefs!")
 
Rentrant de Dakar, j'avais un rituel : me laisser courtiser par les chauffeurs de taxi (le plaisir de s'entendre appeler "mon lieutenant" quand on n'a pas droit à ce titre!), puis me résigner à rejoindre le domicile familial où invariablement mon arrivée était "fêtée" d'un "Ah, tu es arrivé! C'est bien : dis  tu sais comment changer l'ampoule de la cuisine?"ou quelque chose de ce genre – et je rentrais de 10 mois épouvantables dans un internat militaire, j'aurais été kidnappé que la réception n'aurait pas été fondamentalement différente! Et je passerais dix jours à me réhabituer au débit, au rythme et aux mots de mon pays.
 
Aujourd'hui… Je me connecte parfois sur Abidjan.net pour lire les épouvantables nouvelles du pays. L'armée n'est toujours pas sous contrôle. Aucun des griefs censés "justifier" la rébellion de 2002 n'a été adressé – encore moins résolu. La liberté de la presse recule chaque jour davantage. On parle d'envoyer des soldats Ivoiriens combattre au Mali — oui, oui, au Mali, ce pays qui abrita et forma ceux qui en 2002 projetaient de faire un coup d'état en Côte d'Ivoire, mais passons. Des enlèvements. Des exécutions sommaires. De nouvelles attaques contre un commissariat, un poste frontalier, un camp – take your pick. On parle (encore?) d'ennemis intérieurs et d'agents étrangers. Tout ça peut passer.
 
Ce qui me manque le plus, dans cette république bananière qu'est devenue la Côte d'Ivoire, c'est l'inventivité de la langue. En quatre ans, depuis mon dernier passage en 2008, qu'est-ce que j'ai pu rater! Que la violence, l'insécurité et la misère me retiennent de "rentrer chez moi" est grave. Qu'elles m'empêchent de revoir les miens est scandaleux. Qu'elles me privent de ma langue est criminel!

Le Pardon et ses avatars

 
Existe-t-il à ce jour quelqu’un qui accepte encore l’explication selon laquelle, quelque part vers septembre 2002, les Ivoiriens se seraient décidés à s’entretuer ? Évidemment non. Mais on trouve des bataillons de commentateurs et de journalistes (le plus souvent étrangers d’ailleurs, ce qui n’est pas surprenant), absolument convaincus qu’il suffit de parler de « réconciliation » pour que tout aille bien. Comme s’il avait s’agit d’une folie passagère, un moment de fièvre, un fugace quoique particulièrement éprouvant cauchemar. Tout va bien, mon fils. Embrassons-nous, c’est fini. Regarde le jour se lève.
 
On oublie facilement que si les crises « éclatent », les tensions qu’on blâme souvent, ont elle perduré, perdurent encore, pendant des décennies. Pourquoi dégénèrent-elles en violence à des moments particuliers ? Quelle garantie existe-t-il que le sang versé eut la moindre vertu cathartique ? Et encore, on admet ici une hypothèse de travail assez dangereuse : l’ensemble de la population serait lassée par la violence. Tout l’abyme de complexités que cela ouvre : la possibilité que de solides minorités n’aient pas eu leur saoul ; la certitude que justice n’a pas été rendue ; la sensation que cette fois, ce ne sont pas les meilleurs qui ont eu la meilleure main. Tout ça est complètement sacrifié sur l’autel d’un pardon extorqué par la baïonnette, le plus souvent à sens unique. Même si on laisse ces questions de côté, demeure le fait qu’à moins d’être résolues les « tensions » qui menèrent à la guerre restent présentes, en veille, à peine assoupie, en hibernation, emmitouflée sous les communiqués, les monuments et les embrassades.
 
La Shoah a tué des Juifs mais pas l’antisémitisme. Simon Bolivar n’a pas racheté la barbarie des conquistadors. Une saison de machettes et la stratégie des antilopes de Jean Hatzfeld reportent des témoignages et propos tenus par les ex-génocidaires, qui glacent le sang. Malgré cela, les prêtres du pardon restent vigilants. Toute hérésie est condamnée. Même le deuil, le saint deuil des éplorés est sinon interdit du moins hautement suspect et tenu au silence. L’humeur du moment est à la « réconciliation ». Ils y mettraient 666 R majuscules si on leur en laissait la liberté. Et je crois que je les comprends. Pour pardonner, il faut reconnaissance de faute et contrition, plaidoyer et justice. Pour cohabiter, il faut s’habituer, se réhabituer les uns aux autres. Pour s’aimer, il faut être ouvert à l’amour. Alors que pour se « réconcilier », il faut juste un groupe de gens bien décidés, qui répètent bien fort que tout est calme sur le front ouest. La réconciliation est au pardon ce que le hug est au baiser, un avatar. C’est le pardon des lâches.
 
Joël Té-Léssia

Réformes du secteur de l’électricité en Côte d’Ivoire

C’est une lapalissade de dire qu’il est urgent de mener des réformes structurelles dans différents secteurs d’activités en Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement en Côte d’Ivoire. Dans le domaine de l’électricité, un constat s’impose : un habitant de Côte d’Ivoire consomme en moyenne 170 KWh par an, tandis qu’aux Etats Unis, ce chiffre s’élève à 14170 kWh et en France à 6890 KWh. Si comme le révèlent certaines études, la consommation d’énergie en général (pas uniquement d’électricité) est en relation avec le niveau de développement, les chiffres précédents montrent, si besoin en était, l’urgence des réformes dans ce secteur afin d’avoir une production abondante, bon marché et d’augmenter le taux de couverture des populations.

 

A la faveur de la réforme du secteur de l’électricité, encouragée (pour ne pas dire plus) par les institutions financières internationales, la Côte d’Ivoire s’est dotée de trois sociétés d’Etat en remplacement de la défunte EECI1 qui croulait sous les dettes :

  • Une autorité de régulation du secteur a été créée. Elle est en charge du contrôle du concessionnaire et des producteurs indépendants. Elle est aussi responsable de l’arbitrage et des contentieux entre les différents intervenants et la clientèle.

  • Une société en charge de la gestion du patrimoine et de la gestion des flux financiers a vu le jour. Sa mission est de sauvegarder les actifs et les immobilisations de l'Etat en assurant la gestion des loyers résultant de la location ou de la mise à disposition de ce patrimoine ainsi que la gestion comptable et financière des investissements de l’Etat dans le secteur.

  • Une société d’ingénierie a été constituée. Elle est chargée de la planification de l’offre et de la demande en énergie électrique, de la maîtrise d’œuvre des investissements publics et du suivi technique des différents contrats et conventions de concession (contrôle des flux énergétiques).

En plus de ces sociétés d’Etat, une société privée dans laquelle l’Etat est actionnaire à 15% a une convention de service public. Cette dernière a un contrat d’affermage pour la production, le transport et la distribution de l’électricité. En clair, l’Etat lui loue ses installations (barrages hydroélectriques, lignes électriques, transformateurs, etc…) et elle a la responsabilité de l’exploitation et de l’entretien courant de ces dernières. Les gros travaux de réparation et d’entretien étant du ressort du propriétaire c’est à dire l’Etat.

Cette réorganisation du secteur s’est effectuée en vue de donner plus de place aux capitaux privés. Ainsi de nouvelles sociétés privées de production d’électricité sont apparues. Dans le jargon, elles se nomment les Producteurs Indépendants d’Electricité (PIE ou IPP en anglais). L’Etat ivoirien est aussi actionnaire minoritaire (15% environ) dans ces différentes sociétés, qui aujourd’hui sont au nombre de 2. Elles portent des projets de création et d’exploitation d’unités de production dans le cadre de conventions de concession de type BOOT (Build, Own, Operate and Transfer). Elles ont des contrats de type « Take or pay » avec l’Etat dans lesquels elles s’engagent à fournir une quantité minimale d’électricité que l’Etat est obligé d’acheter. L’Etat ivoirien s’engage aussi à fournir le combustible nécessaire à la bonne marche des installations. Cette formule sécurise les investissements et leur garantit une certaine rentabilité.

 

Il est indéniable que cette réforme finalisée en 1998 présente certains avantages. Elle permet l’afflux massif de capitaux privés pour assurer la production d’électricité. Cet afflux est salutaire au vu des besoins croissants du pays (8% de croissance de la demande par an) et du manque de ressources de l’Etat. De plus avec cette réforme, théoriquement, le recentrage de l’Etat sur ses activités régaliennes est censé aller de pair avec une plus grande responsabilisation du secteur privé. Ce qui engendre, une plus grande rationalisation dans l’utilisation des moyens et dans la gestion des entreprises. Enfin cette réforme montre une certaine volonté de modernisation de l’Etat ivoirien en vue d’assurer la compétitivité du secteur.

Cependant à la faveur du délestage important observé en Côte d’Ivoire en 2010, la question de la place de l’Etat dans le secteur se pose. En dépit des avantages évidents que l’Etat soit actionnaire des différentes sociétés présentées précédemment, des problèmes demeurent. Les investissements qui doivent être faits par l’Etat dans le but d’assurer la maintenance des installations ne sont pas faits. Les installations hydrauliques ne fournissent que 33% de leur énergie maximale (1750 GWh produits en 2010 pour une capacité de 5300 Gwh installés) à cause du fonctionnement en baisse de charge, des interruptions intempestives dues aux défaillances de matériel et plus généralement du non-respect du calendrier des investissements. C’est pourquoi la défaillance d’une turbine de 150 MW de la centrale d’un PIE en décembre 2009, a complètement rompu le mince équilibre offre-demande du système.

 

Il est nécessaire d'approfondir les réformes engagées à travers :

  • une plus grande clarification des missions des sociétés d’Etat créées avec éventuellement un regroupement de certaines d’entre elles,

  • une plus grande indépendance de l’Autorité de Régulation vis-à-vis de l’Etat et des sociétés privées du secteur,

  • un désengagement total de l’Etat des PIE afin d’exercer des contrôles sans conflit d’intérêt,

  • un renforcement de la part de l’Etat dans la société qui a la convention de service public en vue d’assurer une équité des citoyens par rapport à l’accès à l’électricité et d’avoir un plus grand pouvoir sur les prix pour le consommateur final.

  • une vente complète des installations de production publiques (barrages hydroélectriques par exemple) aux entreprises privées.

Ces aménagements permettraient de sortir du flou actuel qui entoure le secteur, de favoriser l’investissement afin de maintenir la qualité des installations et de donner la possibilité à l’Etat de concentrer ses moyens pour favoriser l’électrification rurale.

Stéphane MADOU

1 EECI : Energie Electrique de Côte d’Ivoire crée en 1952 et liquidée en 1998.

Crédit photo: africaexpress.fr

 

L’aventure ambiguë de Soro Guillaume

 
 
« Si nous ne devons pas réussir, vienne l’Apocalypse !»
L’aventure ambiguë, Cheikh Ahmidou Kane
 
Avec son sens habituel de la mesure, lorsqu’il s’agit de la Côte d’Ivoire, l’hebdomadaire panafricain « Jeune Afrique » barrait sa Une, il y a quelques semaines, du titre « Le fabuleux destin de Soro Guillaume. » Curieux non-sens. Pour qui s’en souvient, le film de Jean-Pierre Jeunet mettait en scène une jeune fille semi-gaga, semi-idéaliste, outrageusement altruiste qui décide de rendre joie et bonheur à une fournée de proches inconnus dans un Paris désincarné et reconstruit à la mesure de ses lubies.
 
Je défie quiconque de trouver la moindre trace d’altruisme, de sincérité ou d’idéalisme dans le parcours glacé, calculé – et au passage assez sanglant – de l’ancien Président de la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire. Pour la rédaction de Jeune Afrique, ce n’est pas très important. Ce qui compte, c’est la finalité, les résultats. Il suffit pour cela de constater la méprisable extase de ces « journalistes » devant le succès du bonhomme ! Saint-Soro n’a pas pris de vacances en cinq ans (c’est lui qui le dit)! Quelle aventure : chef de rébellion à 29 ans, ministre d’état à 30, premier ministre à 34 ans, président de l’Assemblée nationale à 39. Si tout va bien et qu’Alassane Ouattara arrive au bout de ses deux mandats (rien que ça), Guillaume Soro n’aura que 48 ans en 2020.
 
Qu’il ait pris la tête d’une bande armée qui sema la mort dans la moitié de son pays, n’est que la preuve de sa détermination à « sauver » celui-ci. Qu’il ait abondamment trahi et comploté afin de s’assurer un pouvoir sans partage au sein de cette rébellion (au point où – et Jeune Afrique frétille d’excitation devant le scoop – c’est par son propre vouloir, unique et autoproclamé, que Guillaume Soro, au lendemain de la « bataille d’Abidjan » se refuse à prendre le pouvoir et le laisse à Alassane Ouattara) est signe de son sens politique et de son respect de l’ordre constitutionnel. Qu’il ait Blaise Compaoré comme mentor est le signe qu’il réussira. On croît rêver.
 
Jusqu'au cynisme implacable avec lequel, Guillaume Soro analyse les décisions de la CPI, tout émerveille la rédaction de Jeune Afrique : « La CPI va juger Jean-Pierre Bemba ; elle n'a pas, que je sache, mis en cause Joseph Kabila. » quelques lignes plus loin, le commis d’office qui signa le papier ajoute « Serein peut-être mais aussi préoccupé, l'ancien chef de guerre sait que, dans la pire des hypothèses, Alassane Ouattara ne le lâchera pas. On le sent pourtant désireux d'être au plus vite soulagé de ce qui apparaît comme une sourde menace, histoire qu'elle ne vienne pas s'immiscer en travers de son destin. »  On sent la plume qui frétille quand le gratte-papier cède au lyrisme (au sujet des ambitions présidentielles du nouveau président de l’Assemblée Nationale) : « cette ambition, naturelle chez un homme aussi jeune, aussi brillant et avec un tel parcours, n'a rien d'illégitime » Et c’est écrit sans second degré. Sur son élection au perchoir (236 votes sur 249, vive le pluralisme), le « jeune homme brillant » conclut en toute modestie : « Quant aux treize députés qui se sont abstenus, je les remercie. L'unanimité aurait été embarrassante. » Je n’invente rien, tout est tiré des pages de Jeune Afrique. On est partagé entre le rire et la gêne.
 
Chacun peut penser ce qu’il veut de l’aventure personnelle de Guillaume Soro. Dans les rangs même de TerangaWeb (et c’est une vieille polémique), il en est qui considèrent que c’est le parcours d’une jeune homme ambitieux, courageux et tactique, qui comprit très vite que dans le contexte ivoirien de la fin des années 90, la voie radicale était la plus sûre, pour quiconque nourrissait une ambition politique. En cela, son évolution personnelle n’est pas si éloignée que ça, de celle d’un Blé Goudé, par exemple : « Forces Nouvelles » contre « Jeunes patriotes ». Au passage, tous deux sont issus des rangs de la Fesci. Soit. Mais de là à décrire ce parcours comme l’accomplissement d’un sacerdoce, comme une responsabilité imposée, presque par défaut, à un jeune homme désintéressé dépasse l’entendement. Mais cela ne m’étonne qu’à moitié du journal qui publie les très oubliables chroniques de Fouad Laroui.
 
Je sais par expérience, à quel point il est difficile de trouver un bon titre. C’est tout un art. En général, il faut un rédacteur en chef assez efficace pour faire comprendre au journaliste que « Je hais l’Islam, entre autres » est meilleur que « Quelques considérations sur la question musulmane dans la France contemporaine. » Référence, pour référence et sauf mon respect pour les très honorables scribouillards de la rue Hoche, « L’aventure ambigüe de Soro Guillaume » correspondrait mieux à la réalité que « le fabuleux destin de Soro Guillaume »
 
En attendant, qu’on me pardonne de ne pas me prosterner, ébaubi par la "destinée" fulgurante de Guillaume Soro . A 35 ans, il était ministre d’Etat ? A 35 ans, un de mes oncles fut abattu froidement par les membres des Forces Nouvelles de Guillaume Soro "Chef de Guerre", parce qu’il souhaitait protéger notre résidence ancestrale du pillage.
 
Joël Té-Léssia