Les villes africaines manquent d’eau

En dépit des efforts de modernisation de l’infrastructure de distribution de l’eau, passant notamment par la vague de privatisation des sociétés qui en avaient la charge, expérience qui a montré ses limites, l’accès à l’eau courante et potable demeure un problème de très grande ampleur dans la plupart des villes africaines. Le dossier de Pambazuka News dresse un état des lieux alarmant.

Mombasa : peuplée de 3,3 millions d’habitants, c’est la deuxième ville du Kenya. Seuls 52% des habitants de cette ville ont accès à l’eau potable, 16% étant connectés directement au réseau d’eau courante chez eux, et 36% y ayant accès par l’intermédiaire de bornes fontaines. Le reste de la population, et notamment celle des bidonvilles, n’a accès à l’eau potable que par le biais des vendeurs d’eau ambulants, qui vendent le litre d’eau à des prix prohibitifs (jusqu’à 10 fois celui de la borne-fontaine !). Distant des ressources en eau de plusieurs centaines de kilomètres, le réseau d’alimentation et de distribution de la ville se caractérise par sa vétusté, qui entraîne des pertes considérables (fuites d’eau). Une étude a chiffré le coût de la réhabilitation de ce réseau, dans l’optique d’une desserte de l’ensemble des habitants en eau courante, à 1 milliard $US. Un coût en investissement que le pouvoir d’achat des habitants de Mombassa est incapable d’amortir. Etant donné les externalités négatives des problèmes liés à l’eau sur le développement économique et social général de la ville, il serait sans doute judicieux de trouver d’autres sources de financement (taxation des entreprises, des revenus élevés, etc.).

Nairobi : la situation de la capitale du Kenya n’est pas plus reluisante que celle de sa consœur. Elle est particulièrement dramatique dans l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique, Kibera, relié à aucune sorte de système de distribution d’eau. Face à ce marché captif, le prix du litre d’eau potable en bouteille s’est envolé et est plus cher que celui de l’essence. Construit dans la plus complète anarchie, ne bénéficiant de quasiment aucune infrastructure, Kibera est également confronté au problème de l’assainissement. Le bidonville s’est rendu célèbre pour ses « toilettes volantes » : « les habitants se débarrassent de leurs excréments dans des sacs plastiques qu’ils lancent en l’air, n’importe où » (Michel Makpenon). Dans le reste de la ville, le réseau de distribution d’eau existant, vétuste, gaspille l’eau et fait l’objet de branchements sauvages par des consommateurs pirates.

Cotonou : la première ville du Bénin présente a priori une situation plus enviable : 98,9% des habitants y ont accès à l’eau potable. Mais seuls 43,6% ont l’eau courante à la maison, fournie par la Société Nationale des Eaux du Bénin (SONEB). Le reste de la population achète l’eau par seaux d’eau chez des voisins qui ont l’eau courante. Cela implique donc de nombreuses contraintes pour les femmes, les principales concernées par cette tâche. Le besoin d’extension du réseau d’eau courante se fait pressant, d’autant plus que la ville connaît un boom démographique important. De lourds investissements en perspectives…

Dakar : selon le sociologue Moussa Diop, la capitale sénégalaise fournit un exemple intéressant de volontarisme politique en faveur de l’accès à l’eau. Deux plans d’investissements, le Projet Sectoriel Eau (PSE, 1996-2003, 216 milliards de FCFA) et le Plan Sectoriel à Long Terme (PELT, 2003-2007, 300 milliards FCFA), financés par des bailleurs de fonds internationaux avec pour chef de file la Banque mondiale (44%) et l’Agence française de développement (28%), ont permis d’augmenter la production d’eau potable de 83% entre 1996 et 2006 à Dakar, et d’y augmenter le nombre de clients de la Société des eaux (SDE, l’Etat en étant l’actionnaire majoritaire) de 60%. Dorénavant, 76% des Dakarois ont un branchement privé.
Au-delà de cet effort d’extension du réseau de distribution, la SDE se singularise par son action sociale : les tarifs diffèrent selon les revenus des consommateurs. « Le Sénégal, comme la plupart des pays en développement, a choisi d’adopter une tarification progressive de l’eau potable qui dépend du volume d’eau consommé. Pour les abonnés domestiques, le système de tarification comporte trois tranches – tranche sociale, tranche pleine (ou normale) et tranche dissuasive – pour les lesquelles le tarif varie dans un rapport de un à quatre : 191,32 de francs CFA/m3 dans la première et 788,67 de francs CFA/m3 dans la troisième. », (Moussa Diop). Concrètement, la tranche sociale est subventionnée par l’Etat à hauteur de 60%.
Malgré tous ces efforts, les banlieues dakaroises (Pikine Guinaw rails,Thiaroye, Grand Yoff, etc.) souffrent toujours d’importants problèmes d’accès à l’eau, de coupures d’eau récurrentes. Les constructions anarchiques, en dehors de toute planification urbaine, rajoutent au problème du raccordement au réseau d’eau courante. Et les projections démographiques indiquent que dès 2015, le réseau actuel ne sera plus en mesure de répondre à la demande en eau des Dakarois. En considérant le statut privilégié au Sénégal de la capitale dans son accès à l’eau courante, on mesure l’étendue des défis qui se posent aux planificateurs publics.

 

Emmanuel Leroueil