Le coup d’Etat du 3 juillet 2013 : rupture ou renouveau?

Cet article présente les positions aussi articulées que tranchées d'analystes de Terangaweb-l'Afrique des Idées sur le coup d'état survenu le 03 Juillet dernier en Egypte. L'ardeur des opinions et des passions soulevées par les évènements actuels en Egypte demande que les arguments en faveur ou contre ce coup d'état soient présentés de la façon la plus forte et intelligible. Voici la contribution de Terangaweb-l'Afrique des Idées à cette conversation.

Rosalie Berthier & Loza Seleshie


Une nouvelle chance pour l'Egypte

Morsi MoubarakCe qui est advenu en Egypte, le 3 juillet, est un coup d'Etat – en tout cas si l'on se tient à une définition assez vague qui voit dans le coup un moyen de prendre le pouvoir par la force. La vraie question était de savoir si ce coup d'Etat était de la catégorie qui marque les pages les moins glorieuses de l'histoire d'une nation ou si l'on en parlerait comme une étape indispensable à la construction de la démocratie en Egypte.

Théoriquement un coup d'Etat est condamnable et à condamner. Surtout s'il est commis par un groupe qui s'autoproclame garant de la démocratie en renversant un Président dont la légitimité vient des urnes; surtout si ce groupe s'empresse de prendre des mesures anti-démocratiques visant à faire taire les partisans de l'ancien régime; encore plus lorsque ce groupe se trouve être l'armée, corps autonome, sans contrôle et ayant à son actif l'exercice du pouvoir dictatorial.

La condamnation aurait donc dû être directe et sans appel. Pourtant, appel et hésitation il y eut. Pourquoi ? La réponse se trouve au début de la description du coup. Mohamed Morsi avait-il toujours la légitimité nécessaire à l'exercice du pouvoir ? Et, au-delà, sa conduite au pouvoir a-t-elle renforcé ou affaibli cette légitimité ?

La légitimité démocratique ne se limite pas aux intrants.

Le 30 juin 2012, Mohammed Morsi a été choisi par plus de 13 millions d'électeurs comme premier Président élu en Egypte. Sa légitimité est démocratique et lui garantit le soutien d'une majorité de la population et la reconnaissance dans le système international. Mais la légitimité démocratique ne se limite pas aux intrants. Elle se travaille au quotidien. De nombreux éléments permettent néanmoins de douter de la légitimité effective de M. Morsi au moment de son renversement. Il faut d'abord rappeler que les élections n'avaient mobilisé qu'une petite moitié de la population. Ensuite, on se souviendra que le second tour opposait au candidat islamiste, Ahmed Chafik ancien Premier Ministre de l'ère Moubarak. Pour de nombreux révolutionnaires de deux maux il s'agissait de choisir le moindre. Or M. Morsi a agi comme s'il ne devait son élection qu'à une majorité approuvant l'orientation islamiste de sa politique. Il n'a même pas feint la diversité pour tenter de représenter le corps électoral – sans parler des maladresses comme la nomination d'Adel Mohamed Al-Khayat, comme gouverneur du Louxor alors que celui-ci appartient au mouvement islamiste Gamaa el -islamya responsable d'attentats dans la même région. Enfin, M. Morsi n'a pas tenu ses 64 promesses – ni dans le délai de 100 jours qu'il s'était fixé, ni dans celui d'un an que les militaires lui ont accordé [voir aussi le « morsimeter », baromètre des promesses rompues de Morsi].

Un coup d'Etat, était-ce vraiment la seule solution? Les problèmes soulevés par les coups d'Etat sont nombreux mais un est ici particulièrement important : ils invalident le processus démocratique. EN approuvant le coup d’état, l'élite libérale agit avec de bonnes intentions puisque désirant sauver le peuple de sa propre ignorance. Mais quelle légitimité pour une démocratie qui enseigne l'égalité des citoyens mais ne l'applique pas dans les faits. Une démocratie sur mesure plus ou moins flexible selon les individus n'existe pas. Cependant dans le cas de l'Egypte il faut comprendre que l'intégration du processus démocratique se fait des deux côtés. Ainsi M. Morsi a-t-il appris, à ses dépens, que se voir confier la responsabilité de gouverner ne signifie en aucun cas être un Moubarak en CDD. Un chef de l'Etat ne fait pas ce que bon lui semble, il est responsable devant les électeurs et cette responsabilité n'est pas seulement mise en jeu au moment des élections mais tout au long du mandat.

L'intervention de l'armée donne une nouvelle chance à l’Egypte

Des tentatives de négociation ont eu lieu tout au long de l'année et M. Morsi semble les avoir toutes méprisées. Utiliser le coup d'Etat pour mettre un Président face à ses responsabilités est certes une solution extrême, le dialogue de sourds entre Morsi et les libéraux avait probablement atteint cette extrémité.

Il ne faut cependant pas que cette option devienne une habitude. Ce coup d'Etat rappelle à ceux qui l'auraient oublié que l'armée contrôle toujours le pouvoir en Egypte. Elle avait décidé que Gamal Moubarak ne serait pas Président, elle a décidé que Morsi ne le serait plus. La priorité actuelle est de mettre en place les bases de la démocratie dont le peuple et lui seul serait dépositaire. L'intervention de l'armée donne une nouvelle chance à l'Egypte de recommencer le processus en apprenant de ses erreurs. La Constitution devrait par exemple prévoir un équilibre plus stable des pouvoirs. Si le Président Adli Mansour et son Premier Ministre Hazem Beblaoui parviennent à former un gouvernement accepté également par les Frères et à sortir le pays de la crise interne qui la divise, ce coup sera vu par l'histoire comme une étape du succès de la Révolution. Cela suppose que toutes les parties impliquées soient d'abord concernées par la victoire de la démocratie et non leur propre victoire pour le contrôle du pouvoir.

Rosalie Berthier


Le paradoxe de Tahrir

Mohamed Morsi est le premier président élu de manière démocratique (52% des voix) en Egypte. A un moment où la plupart des pays touchés par le printemps arabe sombraient dans le marasme, en juin 2011, l’Egypte, par les Egyptiens, a su donner du poids et un sens à la révolution en établissant un gouvernement issu de la légitimité des urnes.

Les contradictions entre Tahrir I et Tahrir II

Feb11_VICTORY_Planting_Democracy_in_Tahrir_Square_2Il y a une importante contradiction entre les valeurs défendues, il y a un peu plus d’un an, sur la place Tahrir, et les revendications actuelles. Si on parle de valeurs démocratiques, il ne faut pas se contenter d’en saisir la moitié. Il est vrai que la démocratie doit permettre d’instaurer un gouvernement élu à la majorité, mais il est aussi vrai qu’une fois ce gouvernement élu, il est légitime jusqu’à la fin de son mandat. Ce point reste essentiel pour qu’une tradition démocratique puisse subsister dans un pays qui n’a connu que des dictatures jusque-là.

Les nouveaux  occupants de la place Tahrir dénoncèrent un non-respect de la démocratie contrairement à une absence de celle-ci, comme c’était le cas il y a un an. Mohammed Morsi est accusé, en autres, d’abus de pouvoir avec les modifications constitutionnelles comme le décret constitutionnel du 22 novembre dernier lui permettant de légiférer par décret. Cette démarche avait aussi été reprochée au conseil militaire qui avait assuré la transition post-Mubarak.

 Il se peut également, comme il a beaucoup été critiqué, que le gouvernement soit incompétent dans certains domaines (surtout l’économie). Bien que la révolution ait permis une ouverture importante des médias et donc une expression plus libre des opinions politiques, elle a aussi paralysé une part non-négligeable de l’économie comme c’est le cas du tourisme. Il est vrai que la relance a été plus lente que prévu, aggravée par la crise alimentaire jamais totalement résolue depuis 2008 et aggravée récemment.                              

Même si les deux problèmes cités plus haut ne sont pas des résultats directs de la prise de pouvoir par Morsi, le fait que l’administration n’ait pas pu y remédier a servi et sert encore de justification valable pour les manifestations de la place Tahrir.  Cela est  compréhensible mais  la dimension supplémentaire de mise en cause du pouvoir en place ne l’est pas. C’est anticonstitutionnel, comme la pétition demandant la démission de Mohammed Morsi  qui aurait obtenu 22 millions de signatures. Il est précisément inscrit dans la constitution qu’une telle mesure est illégale et c’est sans doute pour cela que la cour constitutionnelle l’a refusée étant donné que les articles 151 et 152 de la constitution prévoient une destitution dans le cas où le président présente une lettre de démission ou qu’une mesure d’ « impeachment » est entreprise après un vote de la chambre des députés.

Le "dernier" des derniers coups d'états?

Y aura-t-il un coup d’état à chaque fois que le bilan d’un gouvernement ne sera pas à la hauteur des attentes d’une partie du peuple ?Le fait de destituer du pouvoir non pas uniquement le président, mais son entière administration est encore une fois une atteinte à la démocratie. D’après l’article 153 de la constitution égyptienne, si le poste de président se retrouve vacant de manière permanente, la personne présidant la chambre des députés assurera la transition. Dans le cas où la chambre ne serait pas entrée en session, comme c’est actuellement le cas, la personne présidant le conseil Shura prendra sa place. Or, les militaires ont nommé, en dehors des procédures prévues, le président de la cour constitutionnelle Adly Mansour à la tête du gouvernement de transition.

Pourquoi le dialogue n’a-t-il donc pas été favorisé ? Tour d’abord par ce que le temps fixé par le camp des militaires a été insuffisant : trois jours pour que le gouvernement en place et l’opposition puissent venir à bout de la crise. L’opposition n’est pas unie, il serait donc naïf de croire qu’un dirigeant émergerai sous le poids de la contrainte. Les alliances qui se seraient formées n’aurait-elles été plus par volonté de s’unir face à un ennemi commun que par affinités politiques ?  Plus grave encore : qui est légitime et qui ne l’est pas dans l’opposition ? La désignation au poste de premier ministre de Hazim el-Beblawi  semble confirmer  le fait que la nouvelle administration cherche à calmer les tensions.

La position des anti-Morsi par rapport aux militaires est également ambigüe. Si le fait que Morsi ait écarté du pouvoir le maréchal Tantaoui deux mois après sa prise de pouvoir a été acclamé, (surtout parce qu’il symbolisait la fin du mandat du conseil militaire, longtemps perçu comme un vestige du régime de Moubarak), il semble étrange que les actions de son remplaçant le Général Al-Sissi soient salués comme un acte de sauvegarde de la démocratie. Il est vrai que les militaires ont contribué à la réussite de la révolution en se rangeant finalement du côté des manifestants mais cela ne leur donne pas directement droit au pouvoir. Si la démocratie est la réelle cause pour laquelle on manifeste toujours sur la place Tahrir, pourquoi le coup d’état militaire n’est-il pas dénoncé ?

Le risque de radicalisation renforcé

Plus grave encore, la déposition de Morsi ne fait que ralentir un processus démocratique qui avait déjà eu beaucoup de mal à se mettre en place. Même si le camp anti-Morsi est important en nombre, celui des supporters des Frères musulmans n’est pas à négliger. Il serait très risqué de les exclure du peu de dialogue démocratique qui reste à cause de la dimension religieuse supplémentaire que risque de prendre leur combat, dans tous les sens du terme. Nombreux sont ceux qui ont déclaré vouloir aller « jusqu’au bout ». Cela mènerai-t-il jusqu’à la guerre civile au nom de l’Islam ? Morsi, avec la Tunisie est l’un de rares exemples de prise de pouvoir pacifique et démocratique par un parti Islamiste. La tournure qu’on prit les évènements au Caire lundi 8 juillet ne prédit rien de bon avec déjà 51 morts du côté des pro-Morsi et risquerait de pousser le mouvement des Frères à se tourner vers un rapport de forces avec le gouvernement et l’armée.

Loza Seleshie

Illustrations

Licence CC 3.0 par Gigi Ibrahim et Carlos Latuff

Technique du coup d’Etat

Le sujet du livre tient en une phrase : « Comment on s’empare d’un Etat moderne et comment on le défend ». Tout au long de l’essai, Curzio Malaparte démontre que les circonstances favorables à un coup d’Etat ne sont pas nécessairement de nature politique et sociale, elles relèvent plutôt d’une organisation technique et tactique. Il base son argumentation sur des exemples historique, dont le principal est le coup d’Etat bolchevique de 1917, modèle du genre. Il fait également état de l’échec du coup d’Etat de Kapp en 1920 à Berlin ; de la préparation des journées d’octobre 1922, modèle d’insurrection tactique, qui livrèrent l’Italie au Duce. Il introduit également la menace du parti nazi sur l’Allemagne (rappelons que le livre parait en 1931), et livre une analyse remarquable d’anticipation sur la technique d’Adolf Hitler pour s’emparer du pouvoir.

Si Technique du coup d’Etat  explique comment « prendre » un Etat moderne, il expose également la stratégie de défense des Etats face à toute tentative de renversement arbitraire. C’est en cela qu’il est considéré comme un « traité de l’art de défendre la liberté ».Dans la révolution bolchevique de 1917, Malaparte distingue Lénine le stratège, et Trotski le tacticien. Selon lui, Lénine le stratège n’est pas indispensable au coup d’Etat, qui est l’œuvre principalement de Trotski et de ses hommes de main. Trotski qui déclare : « Pour s’emparer de l’Etat moderne, il faut une troupe d’assaut et des techniciens : des équipes d’hommes armés, commandés par des ingénieurs. » Malaparte affirme ainsi : « La clé de l’Etat, ce n’est pas l’organisation bureaucratique et politique, mais l’organisation technique, c’est-à-dire les centrales électriques, les chemins de fer, les téléphones, le port, etc. » Il explique que dans un Etat moderne, tous les instruments de répression du désordre, de la contestation, à savoir la police, l’armée, etc., sont conditionnés à faire face à des mouvements de foule, et non à protéger les point stratégiques de l’appareil d’Etat contre des unités d’assaut d’élite. Pour Malaparte, les systèmes de police ne permettent pas de protéger l’Etat contre les techniques modernes de l’insurrection. Il ajoute par la suite : « Si les communistes de tous les pays d’Europe doivent apprendre de Trotski l’art de s’emparer du pouvoir, c’est de Staline que les gouvernements libéraux doivent apprendre l’art d’assurer la défense de l’Etat contre la tactique insurrectionnelle communiste. » En effet, en 1927, Trotski veut fêter le dixième anniversaire de son coup d’Etat en remettant le couvert, en renversant Staline. Ce dernier s’attend à la tentative de coup d’Etat, et confie à Menjenski le soin de prémunir la Russie d’un nouveau renversement du pouvoir. La tactique de Menjinski ne consiste pas à défendre de l’extérieur, par un grand déploiement de forces, les édifices menacés, mais à les défendre de l’intérieur, avec une poignée d’hommes. A l’attaque invisible de Trotski, il oppose une défense invisible. Le deuxième coup d’Etat de Trotski échouera.

Malaparte explique l’échec du coup d’Etat de Kapp en Allemagne en 1920 par sa non compréhension de la technique d’insurrection moderne : « L’incapacité de la bourgeoisie à défendre l’Etat était compensée par l’incapacité des partis révolutionnaires à opposer une tactique offensive moderne à la méthode défensive désuète des gouvernements, à opposer aux mesures de police une technique révolutionnaire. » Il s’attache aussi à distinguer la sédition communiste de la sédition fasciste. Il s’appuie pour ce faire sur l’exemple de la tactique de Mussolini. Il explique ainsi : « En prévision de l’action insurrectionnelle pour la conquête de l’Etat, il était nécessaire de déblayer le terrain de toutes les forces organisées (qu’elles fussent de gauche, de droite ou du centre), susceptibles soit de fournir un appui au gouvernement, soit d’entraver le fascisme dans la phase déterminante de l’insurrection et de lui couper les jarrets au moment décisif du coup d’Etat. » En gros, le parti fasciste doit seul occuper le champ de l’organisation civile de la société.

Curzio Malaparte, auteur de l'essai Technique du coup d'Etat

Technique du coup d’Etat paraît au début des années 1930, dans une période de grande instabilité institutionnelle en Europe, qui voit les démocraties menacées par différents types d’insurrection révolutionnaire, qu’elles soient d’origine fasciste ou communiste. Dans ce contexte, l’essai de Malaparte n’est pas tant un manuel pour les séditieux de tous les pays qu’un guide de la défense des institutions démocratiques contre les tentatives brutales de renversement. L’ouvrage est devenu un classique du genre, dont les idées sont devenues tellement évidentes qu’on oublie qu’elles aient un jour été systématisées par un penseur original et hétérodoxe. Il est rare que la personnalité d’un écrivain dispute la vedette à son œuvre. C’est pourtant le cas concernant Curzio Malaparte (1898-1957), de son vrai nom Kurt Suckert. L’écrivain italien incarne en effet au plus haut point la figure de l’écrivain-engagé-aventurier, vivant l’actualité brûlante de son temps, lui donnant la perspective de sa réflexion, et les contours de sa plume. Orphelin allemand élevé par des paysans italiens de Toscagne, il s’engage volontairement au sein de l’armée française, à moins de 18 ans, lors de la première guerre mondiale, qu’il finit gazé, avec la croix de guerre et deux citations. Curzio Malaparte sera un témoin de première main de nombre de grands évènements de son temps. Il assistera ainsi à la Conférence de la paix à Versailles et fera partie de la Légation d’Italie en Pologne, malgré son jeune âge. En 1921, il s’inscrit en Italie au parti fasciste, fasciné, comme beaucoup d’autres jeunes italiens, par le courage militaire et le socialisme de Mussolini. Il n’en perd pas pour autant son esprit critique, et publiera un certain nombre de pamphlets à l’encontre du Duce. Il lui faudra tout de même dix ans pour rompre définitivement avec le fascisme qu’il n’aura de cesse dès lors de décrier. Ce qui le conduira en prison.

Malgré ses 80 ans d’âge, l’essai de Malaparte est plus que jamais d’actualité dans le contexte d’une Afrique postindépendance qui n’en a pas fini avec les démons des coups d’Etat et des renversements séditieux. Les insurgés africains ont parfaitement intégré la technique du coup d’Etat moderne, à savoir faire des attaques ciblées sur les points stratégiques de l’Etat : maîtrise des moyens de télécommunication (télévision, radio) ; maîtrise des moyens de transport (aéroports, postes frontières stratégiques, ports), maîtrise de la logistique (container d’essence, centrales électriques) et maîtrise des points stratégique de pouvoir (parlement, présidence, etc.). Comme l’ont illustré les exemples de la Guinée Conakry, du Niger, du Mali et de la Guinée Bissau, il suffit parfois d’une cinquantaine de militaires décidés et organisés pour renverser un Etat.

Si les militaires séditieux ont intégré depuis longtemps les leçons de Technique du coup d’Etat, il est temps que les défenseurs de la démocratie en Afrique s’approprient également la technique de défense contre les coups d’Etat, pour refaire de cet essai un « traité de l’art de défendre la liberté ».

 

Emmanuel Leroueil

Les coups d’Etat en Afrique

L’Afrique détient indéniablement le (triste) record du continent ayant connu le plus grand nombre de coups d’Etat ces cinquante dernières années. Au delà des facteurs internes propres à chaque pays et de contextes particuliers qui conduisent à une prise du pouvoir par la force, il convient de réfléchir sur ce phénomène source d’une instabilité chronique pour de nombreux pays, pour des régions entières, et au final, pour la sécurité de tout un contient.

Plus de 80 coups d’Etats en cinquante ans

Le continent Africain a connu entre 80 et 85 coups d’Etat « réussis » au cours des cinq dernières décennies. Ce chiffre cache évidemment de nombreuses tentatives plus ou moins abouties (tel que le coup d’état « air-air » contre Hassan II en aout 1972 au Maroc).  Le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, a ainsi connu huit coups d’Etat entre 1966 et 1993, dont certains se sont succédé au cours d’une même année… Autre pays important de la région, le Ghana, a enregistré quant à lui cinq coups d’Etat en l’espace de quinze ans (le dernier datant de 1981), autant que les Comores et le Burundi. L’Afrique de l’Ouest est la région du continent ou se concentrent ces changements brutaux, même si certains pays ont en été épargné. Le Burkina-Faso (4 coups d’Etats, entre 1980 et 1987), le Niger (4) ou encore la Guinée Bissau (3) s’ajoutent à ceux déjà mentionnés au Nigeria et au Ghana, en plus d’autres pays dans lesquels ce phénomène a été plus ponctuelle.

Ce tableau doit néanmoins être nuancé par le fait que malgré la médiatisation et l’impact important que peuvent avoir des coups d’Etats plus récents (tel que ceux intervenus en Guinée en 2008 ou actuellement au Mali) la tendance qui consiste à destituer un chef d’Etat par la force est à la baisse. Neuf coups d’Etats ont été effectués ces dix dernières années (en Mauritanie, Niger, Madagascar, Guinée, Togo, Guinée Bissau et Centrafrique), contre 14 au cours des années 1990, 19 dans les années 1980 et 26 dans les années 1970, qui ont constitué « l’âge d’or » des coups d’Etats en Afrique. Ceux-ci étaient d’ailleurs souvent reconnus et salués par les opinions publiques et à l’Etranger. L’un des signes de cette tolérance de moins en moins admise a été l’adoption par l’Organisation de l’Union Africaine, en 1999 à Alger, d’une résolution condamnant l’usage de la force dans la prise de pouvoir et sanctionnant les régimes qui en seraient issus.

Des facteurs explicatifs ?

Les auteurs de coups d’Etat justifient le plus souvent leur passage à l’acte par des arguments (éventuellement vrais, parfois insuffisants) et annoncent vouloir restaurer la démocratie et remettre le pouvoir au peuple. Outre les rivalités personnelles ou claniques, qui peuvent expliquer un certain nombre de coups d’Etat, des facteurs endogènes peuvent être relevés.Les auteurs de coups d’Etat justifient le plus souvent leur passage à l’acte par des arguments (éventuellement vrais, parfois insuffisants) et annoncent vouloir restaurer la démocratie et remettre le pouvoir au peuple. Outre les rivalités personnelles ou claniques, qui peuvent expliquer un certain nombre de coups d’Etat, des facteurs endogènes peuvent être relevés.

Tout d’abord, la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne (ou de quelques unes), rend d’une part plus difficile un changement institutionnel par des moyens légaux, d’autre part, rend plus réaliste une prise de pouvoir « physique », dans la mesure ou le régime repose entièrement sur une seule tête qu’il suffirait d’isoler ou d’éliminer. La faiblesse des Etats dans nombre de pays Africains, la légitimité réduite de leurs institutions et la faible cohésion nationale qui les anime sont bien évidement des facteurs aggravants. En outre, les facteurs externes, régionaux et internationaux, ont joué un rôle plus au moins directs dans de nombreux coups d’Etats. Si dans le cas du Mali, la situation qu’a connu la Libye et la circulation des armes dans la région a servi de catalyseur, d’autres coups d’Etats ont pu être directement inspiré, voire dirigés depuis l’étranger.

Il est difficile d’expliquer pourquoi certains pays connaissant les mêmes conditions socio-économiques et le même contexte historique ne connaissent pas le même degré d’instabilité. Néanmoins, il faut noter qu’un coup d’Etat ne renverse pas uniquement un dirigeant donné mais fait entrer le pays dans un cycle d’instabilité qui peut durer des décennies. L’Histoire a montré est qu’un dirigeant arrivé au pouvoir par la force a plus de chance de se faire à son tour destituer par la force, même bien des années plus tard. De nous jours la prise de pourvoir par la force est unanimement condamnée par les institutions internationales et les gouvernements, peu importe la situation qui prévaut dans le pays où ils ont lieu. L’expérience a montré que ce type d’événements aggrave plus les problèmes qu’il ne les résout, et les graves événements qui secouent le Mali nous le rappellent aujourd’hui tragiquement.

Nacim Kaid Slimane

 

Crédit image : http://tsakadi.files.wordpress.com/2010/02/liberte-nc2b0-666-du-vendredi-19-fevrier-2010.jpg