Réforme du système de gestion des cartes grises au Nigéria : le développement de l’Afrique en 3 leçons

Au Nigéria, les états fédéraux ont confié l’enregistrement et la gestion des cartes grises des véhicules à Courteville Plc une société nigériane qui a développé AutoReg, un système qui utilise de manière astucieuse les nouvelles technologies pour faciliter les démarches administratives. Un condensé de quelques ingrédients de la recette du développement pour les économies africaines : un protectionnisme intelligent pour soutenir le tissu industriel local, l’utilisation des nouvelles technologies et un Etat qui, conscient de ses lacunes, sait interagir avec les acteurs privés.

Dans de nombreux pays africains, la lenteur et la complexité des démarches administratives freinent l’activité économique. Au Nigéria, l’immatriculation et l’obtention des cartes grises des véhicules ont été pendant longtemps un chemin de croix pour les automobilistes et motocyclistes nigérians. De même, la connaissance de l’état en temps réel du parc automobile était particulièrement difficile pour les différentes autorités fédérales, responsables au sein d’un dispositif fortement décentralisé de la gestion des cartes grises au sein de chaque Etat fédéral. Mais tout cela, c’était avant AutoReg, un système automatisé d’enregistrement et de renouvellement des cartes grises de véhicules.

AutoReg a été créé en 2008 par Courteville Plc, une société nigériane créée par Bola Akindele, un entrepreneur nigérian. Elle opère aujourd’hui dans 18 des 36 états nigérians et ambitionne de se développer dans d’autres pays africains. AutoReg a permis d’automatiser et d’informatiser la gestion des cartes grises au Nigéria. Pour créer leur gigantesque base de données, Courteville a créé un nombre important de centres d’enregistrement à travers le Nigéria dont près de 600 dans la seule ville de Lagos. Ainsi lorsque les automobilistes et motocyclistes ont dû renouveler leurs cartes grises, AutoReg a pu commencer à enrichir da base de données qui contient aujourd’hui 2,5 millions de véhicules. AutoReg permet de s’enregistrer en quelques minutes au lieu des quelques jours avant le système. AutoReg a aussi doté les policiers nigérians d’un outil mobile relié en temps réel à la base de données des licences pour faciliter les contrôles routiers. Pour les Etats, AutoReg facilite la collecte des primes et réduit le risque de falsification des documents.

L’histoire et le succès d’Autoreg est un condensé des ingrédients indispensables au développement économique des pays africains.

Un Etat volontariste et conscient des faiblesses du secteur public

Tel que déjà évoqué dans un article paru sur TerangaWeb, l’amélioration de la qualité du secteur public est primordiale pour le développement. En effet, en plus des infrastructures, les Etats doivent être capables de fournir des prestations de qualité, de manière à fluidifier le fonctionnement de l’économie. Mais la mise en place de prestations de qualité prend un temps considérable. Ainsi entre la prise de conscience d’un Etat sur la faiblesse de son service public et l’implémentation par l’Etat de mesures correctrices, les délais peuvent être longs. Dès lors, une des solutions pour pallier aux insuffisances de l’Etat est de sous-traiter la fourniture de services publics à des acteurs privés.

La sous-traitance d’une prestation de service public à un opérateur privé doit néanmoins faire l’objet d’une vigilance accrue de l’Etat. Un cahier des charges précis doit être fixé déterminant une qualité minimale de service attendue ainsi que le prix éventuel fixé au consommateur final. De plus, la réalisation de l’appel d’offres doit être « presque » transparente afin d’atteindre le meilleur compromis possible entre la qualité du service et le maintien de l’autorité de l’Etat sur les opérations stratégiques.

On pourrait objecter que la vague de privatisations imposées par les bailleurs de fonds internationaux aux pays africains dans les années 1990 n’a nullement permis à ces pays d’émerger. Néanmoins, prenons le temps d’examiner la situation dans les pays dits développés, le cas de la France par exemple. Si en apparence, les anciennes sociétés d’Etat sont aujourd’hui privatisées (France Telecom, GDF, EDF, Areva etc.), il convient de noter que ces grandes sociétés privées sont toutes gérées pour la plupart par un groupe d’élites françaises venant de l’élite française des écoles (X, HEC, ENA, Corps d’Etat) qui veillent d’abord à défendre les intérêts de la France…

Un Etat légèrement protectionniste pour soutenir un secteur local dynamique

Le dynamisme sain d’une économie passe par un secteur privé dynamique et soutenu. N’en déplaise aux adeptes du libre-échange, les pays africains et les entreprises locales ont besoin de protection. En effet, le protectionnisme permet aux entreprises d’obtenir des positions de leader sur le marché local. Une fois que ces sociétés locales auront atteint la taille critique pour pouvoir résister à la concurrence des entreprises extérieures, l’Etat peut décider de rouvrir les marchés afin de permettre à la société locale d’attaquer elle aussi les marchés extérieurs.

Le dynamisme des sociétés locales nécessite de manière pratique une stabilité des carnets de commande. Même si l’émergence d’une classe moyenne est annoncée en Afrique, le principal client potentiel pour les entreprises privées reste encore l’Etat. Les investissements publics via les appels d’offre notamment sont encore aujourd’hui en Afrique un des moteurs principaux de la croissance économique. Dès lors, en attribuant les plus importants contrats publics à des sociétés locales, les Etats africains participent à la dynamisation du secteur privé et s’assurent que les produits de l’investissement public restent bien dans le pays sous la forme d’emplois, de dividendes aux actionnaires locaux et d’impôts.

Mais cela nécessite que les Etats fassent confiance au savoir-faire local. Ce qui n’est pas chose aisée dans des contextes encore fortement complexés par l’Occident. Le fondateur d’AutoReg confie que de nombreuses autorités à qui ils s’adressaient voulaient savoir de quelle entreprise occidentale ils étaient la filiale, car ils avaient du mal à imaginer une telle qualité de service 100% made in Nigeria.

Les nouvelles technologies pour brûler les étapes…

Autrefois principalement manuel, le système de gestion des cartes est aujourd’hui totalement automatisé et informatisé dans les Etats qui ont choisi d’implémenter la solution AutoReg. La dernière innovation d’AutoReg est de doter les policiers d’un outil mobile de vérification de la validité des cartes grises des automobilistes et motocyclistes.

L’adoption des nouvelles technologies permet des gains considérables en efficacité. C’est aussi un des rares secteurs dans lesquels les « petits » acteurs africains peuvent concurrencer les multinationales occidentales comme c'est le cas dans un autre article traitant d'une entreprise Kenyane. Comme décrit dans notre article, les NTIC constituent une opportunité considérable pour les pays africains. Les Etats africains doivent donc mettre en place à l’instar de l’Inde de véritables plans pour favoriser l’excellence et soutenir l’innovation dans ce secteur.

Ted Boulou