Lancement de la nouvelle rubrique « Energie & Environnement »

L’Afrique n’est plus à un paradoxe près. Le cas de la Guinée Equatoriale[1] est l’un des plus connus : le revenu par tête y est parmi les plus élevés d’Afrique et – selon les critères pris en compte – du monde, alors même que 3/4 de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et que le taux de malnutrition atteint 40%. La manne pétrolière qui alimente cette richesse (78% du PIB) n’a permis ni réduction de la pauvreté, ni véritable création d’emplois (à peine 4% de la main d’œuvre est employée dans le secteur pétrolier).
 
 Energie Eolienne AfriqueSi la situation dans ce pays est certainement un cas extrême de corruption et de mauvaise gouvernance, la Guinée Equatoriale illustre assez bien, néanmoins, deux énigmes et défis du continent à l’heure actuelle : les carences du secteur énergétique en Afrique et l’insuffisante prise en compte des questions environnementales.
 
Il est habituel de traiter ces deux aspects comme étant séparés, sinon antagoniques. L’excuse toute trouvée est généralement une variante de « si l’humanité entière consommait autant d’énergie qu’un américain moyen, il faudrait ‘7 planètes Terre’, etc. » Il faudrait en quelque sorte choisir : ou la croissance de la consommation énergétique ou la protection de l’environnement.
 
Cette dichotomie est fausse, évidemment. La « terre entière » ne peut, ni ne veut être Las Vegas. Il n’est inscrit nulle part qu’il n’est de développement possible que sous la forme énergivore et parfois destructrice, adoptée dans bien des pays développés.
 
Mais ramenée au  cadre de l’Afrique contemporaine, ce choix imposé a de vagues intonations de chantage et de coercition.
 
Bon gré, mal gré l’Afrique devra accroître sa consommation énergétique pour répondre aux défis de la croissance économique et du développement. Tout comme elle en devra gérer les aspects environnementaux. Que des réponses soient apportées ou non à ces défis, l’Afrique devra répondre aux besoins énergétiques liés à sa croissance démographique et à son urbanisation. Elle aura, de la même façon, à développer des réponses innovantes quant à la gestion des déchets (urbains, industriels, médicaux, etc.) engendrés par celles-ci. Que les énergies renouvelables soient considérées ou non comme une priorité en Afrique, que l’idée d’une ceinture verte dans le Sahel soit concrétisée ou non, le fait est que le Sahara n’est pas près de disparaître.
 
On peut être asphyxié de plusieurs façons, par manque d’énergie ou parce que l’air est pollué. Opposer ainsi ces deux urgences (l’énergie et l’environnement) reviendrait à asphyxier l’Afrique : par manque d’imagination et de lucidité.
 
Depuis maintenant plus de deux ans, les analystes Terangaweb-l’Afrique des Idées contribuent à alimenter la réflexion sur les questions énergétiques et environnementales en Afrique, sous tous les angles. Qu’il s’agisse des besoins énergétiques du continent, de l’efficacité de la production[2] et de la consommation énergétique[3] ou  de l’état des infrastructures. Qu’il s’agisse des aspects économiques, politiques[4] ou même géopolitiques[5] de la question. Et cela en tachant de présenter la réalité et la complexité de la situation aussi clairement que possible. Nous avons également œuvré à présenter les réformes[6] en cours et proposé des solutions innovantes[7] et applicables[8] à cette problématique.
 
Ce faisant, nous avons aussi souvent que possible montré à quel point il serait vain de détacher le thème de l’énergie des autres problématiques du continent, et surtout de la question de l’environnement. Même si la déforestation, la pollution, la mise en danger de la faune et de la flore africaines et le changement climatique étaient reléguées au second rang des urgences en Afrique – ce n’est certainement pas la position de Terangaweb-l’Afrique des Idées[9] – le bon sens économique voudrait qu’au moins la question des énergies renouvelables soit abordée avec sérieux[10].
 
Energie et Environnement en AfriqueAujourd’hui, 13 Avril 2013 se tient à Paris un atelier-débat co-organisée par Terangaweb-l’Afrique des Idées et l’agence Global Careers sur le thème : "Energies en Afrique : lumières sur les défis du secteur et les opportunités de carrières" Ce sera l’occasion de présenter les réalités du secteur énergétique en Afrique, les défis qu’il pose et les opportunités qu'il ouvre. Cet évènement marque aussi la reconnaissance grandissante de l’intérêt que nous avons toujours porté à cette question et de l’expertise que nous avons sur ce thème.
 
C’est aussi avec beaucoup de plaisir que nous annonçons le lancement de la nouvelle rubrique « Energie & Environnement » de Terangaweb-l’Afrique des Idées.
 
Nous espérons ainsi consolider le travail réalisé jusqu’ici sur cette thématique et ouvrir de nouvelles pistes de réflexion pour un développement durable et inclusif en Afrique.
 
C’est une nouvelle aventure qui commence ! Nous espérons compter sur votre soutien !
 
 
Djamal Halawa, Véra Kempf, Stéphane Madou & Joël Té-Léssia
 
 
 
* Remerciements à Nacim K. Slimane et Amara Touré pour leurs contributions à la rédaction de ce document.
 


[1] Pour une présentation plus complète de la situation de ce pays, on pourra se reporter à cette étude détaillée de Jacques Leroueil http://terangaweb.com/zoom-sur-un-pays-guinee-equatoriale/
[3] Foly Anounou « La facture énergétique, un frein pour une bonne performance économique de l’Afrique ? » (À venir sur Terangaweb.com)
[5] Alioune Seck, L’Afrique: nouvelle « Arabie » des Etats Unis http://terangaweb.com/lafrique-nouvelle-arabie-des-etats-unis-2eme-partie/
[10] Nacim Kaid Slimane, L’avenir des énergies renouvelables se joue en Afrique http://terangaweb.com/lavenir-des-energies-renouvelables-se-joue-en-afrique/

Comment conquérir 1 milliard de consommateurs africains ?

Ils seront 1,3 milliards en 2030. Dans un contexte économique mondial morose, difficile d’ignorer le formidable relais de croissance représenté par les consommateurs africains. Le marché est énorme, mais encore faut-il que les entreprises comprennent le profil de ces consommateurs, qui ne correspondent pas aux catégories socioprofessionnelles type, et la diversité de leurs besoins.

Explorer les poches de croissance du continent

L’explosion de la démographie en Afrique est un sujet connu : 1 milliard d’habitants en 2010, près de 2 milliards en 2050, selon les estimations des Nations Unis. Face à cette démographie plus que favorable, d’autres facteurs permettent de penser que l’Afrique représente le nouvel eldorado des entreprises commerciales : amélioration du pouvoir d’achat, urbanisation rapide et hausse du taux d’activité des femmes encouragent l’avènement d’une société de consommation africaine, qui permettrait de stimuler encore davantage la croissance du continent.

Cibler les attentes des consommateurs africains

Pour ces entreprises, l’enjeu réside d’abord dans le fait de bien cibler les attentes des consommateurs selon leurs revenus. Parmi les tentatives assez convaincantes pour définir une typologie du consommateur africain, on peut citer l’étude d’Accenture, The Dynamic African Market : Exploring growth opportunities in Sub-Saharan Africa, qui dessine 5 profils types :
(i) le « Basic Survivor » : revenu inférieur à 100 dollars par mois (50 275 FCFA), qui s’approvisionne dans les échoppes et les marchés pour ses achats de base : nourriture, vêtements et petites dépenses (cigarettes, alcool, crédit téléphone, transport)

(ii) la « Working Family » : revenu qui varie entre 100 et 250 dollars (125 700 FCFA) par mois. La différence de revenu avec le Basic Survivor s’explique par le fait qu’au moins deux adultes de la famille travaillent, ce qui permet de financer les dépenses liées aux enfants et à leur éducation

(iii) les « Rising Strivers » : cette catégorie correspond aux deux profils précédents ayant acquis une compétence recherchée sur le marché du travail, ou qui ont accès au crédit. Ce groupe représente 10 à 16% de la population sub-saharienne actuelle. Les familles disposent d’un revenu qui oscille entre 250 et 750 dollars (377 000 FCFA) par mois, ce qui leur permet d’acheter des produits non essentiels.

(iv)  les « Cosmopolitan professionals » disposent eux d’un revenu qui varie entre 700 et 1000 dollars (502 750 FCFA) par mois, qu’ils dépensent aux supermarchés et dans les centres commerciaux, et de plus en plus en ayant recours à des services bancaires. Ils représentent 2 à 3%  de la population sub-saharienne actuelle.

(v) les « Affluent », à savoir la classe aisée qui disposent d’un revenu supérieur à 1200 dollars (603 00 FCFA) par mois, qu’ils dépensent notamment dans des produits de luxe et des voyages.

Bien que cette catégorisation puisse être considérée comme simpliste, elle a le mérite de faire apparaître la spécificité africaine dans la typologie des consommateurs et de souligner le potentiel de croissance représenté par certains groupes (Working families et Rising Strivers), qu’il s’agira pour les marques d’exploiter.

Affiner les stratégies de vente

Suite à l’échec de l’uniformisation des campagnes marketing, les entreprises ont vite compris que le consommateur africain avait des besoins spécifiques, et se sont adaptées en conséquent. Revue de quelques stratégies marketing à succès.

Conditionnement : Le contexte africain (irrégularité des revenus pour la plupart des personnes actives, coupures d’électricité, consommateurs peu habitués à stocker des produits) a poussé les marques à proposer les produits en conditionnement réduit, ce qui permet de pousser le consommateur à l’acte d’achat, le prix initial étant attractif par rapport aux conditionnements classiques
Vente à l’unité : en s’inspirant du modèle indien, la plupart des multinationales proposent des produits vendus à l’unité pour les biens de consommation considérés comme non essentiel (yaourts, friandises, lessive). Le groupe Unilever vend ainsi sa lessive à l’unité (lingots), de même pour Danone, qui permet la vente de yaourts à l’unité.
Captation du revenu journalier : en prenant en compte la fluctuation des revenus et l’absence d’épargne de la plupart des consommateurs africains, les multinationales misent sur la petite monnaie dont chacun dispose au quotidien. En Egypte, la chaîne de fast-foods Mc Donalds a lancé ses populaires Menus « Fekka » (petite monnaie, en arabe) à bas prix, et les opérateurs de téléphonie proposent de recharger les téléphones en prépayé pour moins d’un euro.
Instaurer de nouvelles habitudes alimentaires : dans l’objectif de pousser progressivement les consommateurs vers l’alimentation industrielle, aux marges bien plus élevées que les produits de base, les multinationales ont créé de nouveaux réflexes alimentaires, jusque là quasi inexistants, comme le petit déjeuner « à l’occidentale », à grands renforts de céréales raffinées et de produits sucrés. La pratique du snacking, inexistante a elle été vantée dans des publicités diffusées quotidiennement, afin de développer une consommation instantanée et impulsive.
Vendre des produits jusque là gratuits : l’eau, jusqu’alors considérée comme un bien public mondial accessible à tous librement est dorénavant commercialisée comme n’importe quel autre bien marchand. Le marché de l’eau en bouteille a connu une forte progression ces dernières années sur le continent africain, les marques (Nestlé, Coca Cola, Pepsi) profitant de la mauvaise qualité du réseau de distribution d’eau public pour capter la ressource et la revendre à des prix élevés compte tenu du niveau de vie local.
Développer des stratégies de vente multicanal : face à la taille du secteur informel en Afrique et à son poids financier, les entreprises commerciales ne distribuent pas leurs produits uniquement en supermarché, peu accessibles pour l’ensemble de la population, et ont multiplié les points de ventes. Dans les régions rurales, les revendeurs parcourent ainsi les villages à mobylette pour distribuer leurs produits.

L’Afrique représente donc un formidable relais de croissance pour les entreprises multinationales, et peut-être le dernier marché restant à conquérir. C’est pourtant le continent où il est le moins facile pour les marques de s’implanter, en raison d’une insuffisance au niveau des infrastructures, et du poids de l’économie informelle. Pourtant l’amélioration du climat des affaires et une tendance à la stabilisation politique de la plupart des pays africains favorisent l’installation durable d'entreprises commerciales performantes, qu'il s'agisse d'entreprises locales ou de multinationales, avec à la clé des créations d’emploi et une amélioration de la qualité de vie, même si à l’évidence tous n’en profiteront pas.

 

Leïla Morghad

La croissance africaine est-elle condamnée à ne pas générer d’emplois ?

À l’heure où l’économie chinoise ralentit et que les principales puissances économiques peinent à croître durablement, les pays africains se placent en tête de la liste des pays ayant la plus forte croissance économique en 2012. Ainsi, la Zambie, avec une croissance de 7,38%, est le douzième pays de la liste, tandis que la Mozambique occupe la dixième place, l’Éthiopie la huitième, le Liberia la quatrième ; l’Angola, avec 10,5% occupe la troisième place, et le Niger connaît la plus forte croissance économique à l’échelle mondiale, à hauteur de 15,4%.

Un optimisme exagéré ?
Si la croissance économique dans les pays africains est une source indubitable d’espoir, dans la plupart des cas, elle n’implique pas pour autant une réduction significative de la pauvreté. En effet, croissance n’est pas nécessairement synonyme de meilleure distribution de richesses, tandis que la transparence reste de l’ordre du fantasme. De fait, lors du récent Forum Africain pour le Développement qui s’est tenu à l’École d’Études Africaines et Orientales de l’Université de Londres, le Docteur Patricia Daley, professeur de géographie humaine à l’Université d’Oxford, s’est posée la question de savoir qui, réellement, bénéficiait de la croissance économique en Afrique. Bien que cette croissance soit dynamique, les secteurs qui la favorisent demandent, en général, plus de capitaux que de main-d’œuvre ; l’investissement provenant de l’étranger étant directement injecté dans les zones les plus développées. Cette croissance n’impacte donc que très peu les sans-emplois et ceux qui survivent dans la précarité et les emplois informels, sans disposer de protection sociale. Ainsi, selon le Docteur Daley, « en dépit de la croissance, il n’y a pas de transfert des ressources du haut vers le bas. La croissance reste concentrée dans la production et l’extraction de matières premières, ce qui ne permet pas de créer beaucoup d’emplois ».

Une croissance qui ne génère pas d'emplois
Suite aux annonces de hausse du chômage en Afrique, un rapport de l’African Economic Outlook a rappelé que la stabilité politique et sociale du continent noir serait déterminée par la capacité des pays à utiliser leur plus précieuse ressource : la jeunesse de sa population, qui est amenée à doubler vers 2045. De nos jours, 60% des chômeurs africains ont entre 15 et 24 ans. Il est crucial que des politiques soient menées afin de former les jeunes, et qu’ils puissent ainsi intégrer le marché africain du travail, un marché dont l’étendue devrait dépasser celle des marchés de l’Inde et de la Chine à l’horizon 2040.

Les politiques gouvernementales devraient s’appliquer à rendre les programmes d’éducation plus pertinents, en accord avec les demandes du marché du travail. À l’heure où beaucoup d’entreprises recherchent des profils techniques, l’Afrique détient le record d’étudiants inscrits en sciences sociales, et beaucoup d’entre eux finissent sans emploi. Traditionnellement, les systèmes éducatifs ont été bâtis pour répondre aux besoins de la fonction publique ; mais les universitaires devraient garder un œil sur le marché africain, faisant ainsi progresser l’initiation des jeunes à des formations techniques et à l’agriculture. Selon une étude de l’African Economic Outlook, mettre en adéquation l’éducation aux besoins du marché du travail sera crucial dans les prochaines années car 54 % des chercheurs d’emploi ont de hautes qualifications, mais qui ne répondent pas aux besoins des entreprises.

Cependant, il sera aussi crucial d’étudier l'offre d’emplois afin de transformer la croissance en développement. La jeunesse africaine a certes été bien instruite grâce à des politiques de développement qui se sont appuyées sur l’éducation, mais elle manque tout de même d’opportunités d’emplois, ce qui conduit à ce que 72% de la jeune population du continent vivant avec moins de 2 dollars par jours. Sur 200 millions de personnes âgées de 15 à 24 ans, seules 21 millions sont considérées comme dotées d’un emploi « salarié » – paramètre permettant de mettre en évidence les emplois « sérieux » – tandis que 53 millions ont des emplois précaires qu’ils sont obligés d’accepter du fait de leur pauvreté. Selon Jan Rielaender, économiste au centre du Développement de l’OCDE, « L’Organisation Internationale du Travail estime qu’entre 2000 et 2007, la population active a vu ses rangs gonfler de 96 millions d’individus, alors que le nombre d’emplois créés était juste de 63 millions. Avec 10 à 12 millions de jeunes intégrant le marché du travail africain chaque année, les jeunes qui ne travaillent ou n’étudient pas constituent un gaspillage des ressources de leur pays ».

Il est aussi nécessaire d’indiquer que cette croissance économique, comme on peut s’en douter, impacte de façon différente les populations en fonction de leur sexe. Les femmes sont particulièrement désavantagées dans l’accès à un travail de bonne qualité, à cause de facteurs tels que l’accès limité à l’éducation. Ce fait pousse beaucoup d’entre elles à s’activer dans des secteurs économiques informels et à basse valeur ajoutée, où elles sont sujettes aux petits salaires, à la précarité, et se rendent vulnérables à l’exploitation. De ce fait, il s’avère très important de faciliter leur accès à des emplois décents afin d’améliorer leur revenus et leur bien-être.

Pour une croissance inclusive

Les gouvernements sont aujourd’hui incapables de créer assez d’emplois chaque année pour réduire le chômage de façon significative, le secteur public ayant des moyens limités dans beaucoup de pays d’Afrique – un héritage des Programmes d’Ajustement Structurel de la Banque Mondiale. Le secteur privé est appelé à combler ce déficit, mais son assiette reste limitée. Les espérances portées sur le secteur privé pour qu'il génère les emplois nécessaires pour répondre à la croissance démographique et intégrer les nouveaux entrants sur le marché du travail semblent démesurément optimistes. Par exemple, 100 000 étudiants diplômés intègrent le marché du travail du Sénégal chaque année, se disputant moins de 30 000 emplois formellement recensés.

Augmenter la productivité et les revenus dans les emplois industriels nécessitant le plus de main d’œuvre dans les petites et moyennes entreprises serait une solution plus viable. Le rapport de l’AEO stipule d’ailleurs que « étant donnée la taille immense du secteur informel dans la majorité des pays africains, et le fait qu’il naisse d’une absence d’alternatives, il doit être vu comme une partie de la solution, et non comme le problème ».
Pour y parvenir, l’attitude des gouvernements africains à propos de l’économie informelle doit changer. L’histoire de Mohamed BOUAZIZI, vendeur clandestin de légumes qui s’est immolé par le feu dans les rues de la Tunisie pour protester contre la répression constante qu’il subissait de la part des autorités locales, déclenchant une réaction en chaîne qui mena à la révolution, devrait suffire comme exemple aux gouvernements.

Une option plus crédible consisterait à augmenter la productivité et les revenus dans les secteurs plus intensifs en main d'oeuvre, notamment au niveau des petites et moyennes entreprises et du secteur informel. Le rapport de l’AEO stipule d’ailleurs que « étant donnée la taille immense du secteur informel dans la majorité des pays africains, et le fait qu’il naisse d’une absence d’alternatives, il doit être vu comme une partie de la solution, et non comme le problème ». Pour y parvenir, l’attitude des gouvernements africains vis-à-vis de l’économie informelle doit changer.

Un optimisme mesuré

Si une opinion plus positive de l’Afrique représente une alternative providentielle à l’image classique d’un continent miné par les maladies, les gouvernements véreux et la pauvreté, l’assimilation de la croissance économique à un hypothétique développement mènera inévitablement à de la déception. Une croissance non supportée par des investissements à long terme dans les infrastructures locales et l’éducation ne produira pas les transformations structurelles nécessaires au développement. Pour que l’aide extérieure serve d'instrument effectif sur le chemin du développement économique et la réduction de la pauvreté, il est nécessaire qu’il y ait un équilibre entre la diligence à accueillir des investisseurs étrangers et le respect des droits des populations destinées à intégrer le marché du travail.

Le Docteur Daley soutient que « L’Africa Youth Charter et l’Africa Women Protocol doivent être pris en considération dans le développement de programmes visant à faire bénéficier les femmes et les jeunes de la croissance économique. Au final, orienter des politiques pérennes vers les défis que rencontrent les femmes et les jeunes face au marché du travail est la seule solution pour que la croissance africaine devienne, un jour, plus inclusive. Une telle action permettrait d’avoir un socle plus solide pour l’afro-optimisme ».

 

Kiran Madzimbamuto-Ray, article intialement paru chez notre partenaire Think Africa Press

Traduction de l'anglais au français réalisée par Souleymane LY, pour le compte de TerangaWeb – l'Afrique des idées

 

Pour aller plus loin :

Emploi des jeunes : Que faire ? par Georges-Vivien Houngbonon

Pour une croissance inclusive en Afrique par Nicolas Simel

Quelle politique de l’emploi au Sénégal dans un contexte d’accroissement démographique ? par Khadim Bamba

Algérie : la bataille de l’emploi au pays des méga-contrats chinois par Leïla Morghad

Leçons de croissance venues d’Orient

Le 2e sommet Afrique-Inde s’est conclu la semaine dernière. L’Inde s’est engagée à débloquer 5 milliards de dollars de prêts en direction de l’Afrique pour les trois prochaines années. C’est l’occasion de s’intéresser aux spécificités du modèle indien et à l’exemple qu’il représente pour les pays africains.
 
Une puissance émergente
 
L’Inde a retrouvé sa dynamique de croissance d’avant-crise en 2010 avec un taux de croissance exceptionnel de 8.6%. Deuxième pays le plus peuplé au monde (1.2 Mds d’hbts), l’Inde pourrait occuper la position de 3e puissance économique mondiale dans les années 2020. Son secteur agricole performant le classe au rang de premier producteur mondial de nombreuses denrées alimentaires dont le lait, la  banane ou encore les viandes bovines. Sa production industrielle est impressionnante : 4e producteur mondial de fer avec une production de 140 millions de tonnes et 8e producteur d'acier avec 31,8 millions de tonnes. De plus en 2005, l'inde était le 3e producteur mondial de charbon. L’Inde est aussi le berceau de multinationales telles que Tata et Mittal.
 
Un modèle dans l’industrie des services
 
La plupart des économies émergentes (les BRICS notamment) ont en commun ces réussites dans les secteurs primaires et secondaires. En effet, l’abondance des matières premières (pétrole, produits agricoles pour le Brésil, gaz pour la Russie) leur permet à leur secteur primaire de prospérer d’une part, et le coût réduit de la main d’œuvre leur permet d’occuper une place de choix dans la production industrielle mondiale, au grand de la main-d‘œuvre des pays développés.
Mais peu d’économies émergentes réussissent à attaquer le marché des services, chasse gardée des économies développées. Et c’est cela qui fait la spécificité de la puissance indienne : sa position impressionnante dans le secteur des services.
 
Les services représentent plus de la moitié du PIB national. Et environ un tiers des emplois sont dans ce secteur. Le secteur informatique a connu une croissance de 19% en 2010. L’Inde est aujourd’hui le pays privilégié de l’offshoring mondial pour les services informatiques, version politiquement correcte de délocalisation des emplois dans le service informatique… IBM, Accenture, SAP pour ne citer qu’elles, font partie des nombreuses sociétés européennes et américaines qui ont décidé de délocaliser une partie de leurs effectifs en Inde (ou de les renforcer) ou encore d'investir de fortes sommes dans ce pays pour y implanter une de leurs structures.
 
Un choix stratégique
 
En 1991, sous la conduite du populaire Mohammad Singh, l’Inde a entrepris une série de réformes pour passer d’un modèle de planification socialiste à un mélange libéral et social-démocrate. Le Gouvernement, à ce moment, le choix d’une insertion dans l’économie mondiale autour spécialisation centrée sur les services informatiques.
Dès lors, l’Inde s’est donné les moyens pour atteindre ces objectifs et a mis en place des politiques domestiques de soutien au secteur informatique. Des zones géographiques précises proposant des conditions fiscales avantageuses pour le secteur informatique nt été créées. Aujourd’hui, une vingtaine de zones spécialisées se font concurrence. L’Inde forme chaque 500 000 ingénieurs qui sont pour la plupart hautement qualifiés et bilingues. Parmi eux, 7500 sortent d’universités d’excellence dédiées à l’informatique.
 
Un exemple pour les pays africains
 
Finalement, deux facteurs peuvent expliquer cette réussite indienne dans l’informatique : un choix stratégique visionnaire et la pise en place de véritables politiques pour accompagner ce choix stratégique.
Les pays africains ont trop souvent tendance à axer leur développement sur les matières premières. Ce qui peut sembler naturel, vu les ressources abondantes dont la plupart dispose. En effet, de nombreux pays africains occupent des positions importantes dans la production de pétrole ou de denrées agricoles. C’est la fameuse « malédiction des ressources » théorisée par Richard Auty, pour expliquer que les pays les mieux dotés en matières premières se retrouvent à la traîne économiquement.
De fait, axant leur développement sur l’exploitation des matières premières, les pays africains font le choix du court-terme. L’exploitation des matières premières nécessite soit de la main-d’œuvre qualifiée étrangère (cas des industries extractives), soit de la main-d’œuvre locale peu qualifiée (cas de l’agriculture). Dans les deux cas, il n’y a pas de nécessité d’une main-d’œuvre locale qualifiée. L’exploitation des matières premières nécessite peu de planification, peu de stabilité. La preuve en est qu’elle est très souvent la première source de revenus même pour des pays peu stables politiquement. En cas de transition non démocratique par exemple, les premières industries sur lesquels s’appuient les régimes putschistes sont les industries extractives.
 
Pour une croissance à l’envers ?
 
En 1991, quand l’Inde décrétait l’excellence informatique comme une des cinq priorités pour les années à venir, au même titre que la réduction de la pauvreté, elle ne possédait aucune « matière première informatique », si ce n’est l’ambition d’être un leader mondial dans les services informatiques. Et elle a mis toute son économie au service de cette ambition.
 
Imaginons qu’un pays d’Afrique Noire décide aujourd’hui d’être à l’horizon 2030 un leader mondial des services informatiques. Ce plan sera décliné en différentes politiques dans les différents secteurs de l’économie. Les programmes scolaires devront être adaptés pour permettre de former des futurs spécialistes du domaine. Des pôles de compétitivité seront créés pour permettre l’émulation ainsi que les rapprochements entre milieu universitaire et milieu industriel. Des programmes pour permettre aux étudiants locaux de se former dans les universités de référence mondiale seront mis en place. Les entreprises du secteur informatique pourront bénéficier d’avantages fiscaux pour encourager les différentes initiatives dans le domaine. Les autres secteurs bénéficieraient de manière collatérale des investissements consentis dans le secteur informatique.
 
Sur le plan politique même, l’idéal serait même que l’industrie des services devienne incontournable dans l’économie nationale. En effet, le fonctionnement de l’industrie des services nécessite beaucoup plus de stabilité politique et économique que l’industrie extractive. On imagine donc que personne dans le pays n’aurait intérêt à créer des troubles politiques. La pérennité de la principale source de revenus de l’économie nationale permettrait donc de garantir une certaine paix nationale.
 
Quand on regarde le poids grandissant des entreprises de services (Microsoft, IBM) sur les bourses mondiales, on comprend la pertinence du choix stratégique de l’Inde. Les pays africains en voie de développement ont la chance de pouvoir anticiper sur les futures tendances du monde. Plutôt de vouloir à tout prix profiter des ressources innées, ils gagneraient en mettre en place de véritables dynamiques de croissance sur des secteurs porteurs, qui leur permettraient à la fois d’irriguer les autres domaines de l’industrie et de faciliter leur insertion sur la scène mondiale. Et si en 2050, le champion mondial de la robotique était africain ?
 
Ted B.

Afrique centrale : un possible retour à la croissance

La région de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) a été durement éprouvée par la crise. Les recettes budgétaires globales issues du pétrole ont subi une forte contraction pendant que le taux de croissance hors pétrole diminuait aussi fortement pour s’établir à 2,5 % en 2010. En ce premier trimestre de l’année 2011, les économies de la région donnent les premiers signes de sortie du marasme.
Afin de mieux appréhender ce début de sortie de crise, l’Uneac1 a récemment publié l’édition 2010 du rapport Les économies de l’Afrique centrale. Ce rapport propose une analyse des changements économiques et sociaux de la région ainsi que des préconisations visant à mettre à profit les enseignements tirés de la récente crise.
 
Alors que les structures économiques actuelles des pays de la CEEAC reposent quasi exclusivement sur l’extraction de ressources naturelles, le rapport met en avant la nécessité de diversifier les structures productives, seule garantie de taux de croissance élevés sur le long terme. Cette diversification progressive devrait permettre aux pays de la région de réduire leur dépendance à l’égard des produits de base. Aussi l’accent est mis aussi bien sur les questions de vulnérabilité que sur la durabilité des options présentées.
 
Le rapport insiste surtout sur les difficultés que continuent de rencontrer la plupart des Etats de la CEEAC, à l’instar du Cameroun ou du Gabon, à mobiliser au mieux les ressources internes. Une meilleure allocation de ces ressources permettrait en effet non seulement d’élargir les structures productives, mais encore de répartir de manière optimale les financements en faveur des secteurs d’activité les plus porteurs.
 
 L’intégralité du rapport se trouve à cette adresse :
 
Tidiane Ly