Le système éducatif Africain : un héritage colonial ?

La colonisation de l’Afrique : une histoire douloureuse et de profondes mutations. Le système éducatif africain a subi les conséquences  de ces grands bouleversements historiques qui ont modifié la trajectoire du continent. Cet article se propose de revenir sur plus d’un siècle de colonisation, pour comprendre son impact  sur le système éducatif actuel en Afrique.


imagesBien avant les premières conquêtes et  la période coloniale, l’éducation traditionnelle était l’institution en charge de l’enseignement. Il s’agit d’une forme d’éducation collective, où l’apprentissage se fait par voie orale et par l’observation. L’enfant apprend par l’expérience de ses pairs. C’est en s’imprégnant du milieu dans lequel il vit qu’il devient un être accompli. Cette vision initiale de l’enseignement a été modifiée par la colonisation. Les deux principales puissances colonisatrices, dont la France et la Grande Bretagne, se sont attelées à imposer leurs visions de l’éducation. Quel héritage ont-elles transmis à l’Afrique ?

Des choix territoriaux distincts.

L’Education est le résultat d’une offre et d’une  demande qui varient selon les territoires.  Or, dès le début, les choix territoriaux faits par la France et la Grande Bretagne n’étaient pas équivalents de ce point de vue. La Grande Bretagne a adopté une stratégie commerciale, en s’intéressant à des pays africains économiquement stables et forts. La France, elle, cherchait à satisfaire son désir de conquête militaire, s’accaparant des terres plus pauvres. Les colonies anglaises, plus influentes que les françaises, étaient donc, au départ, beaucoup plus réceptives vis-à-vis de l’enseignement.  La demande de ces populations était forte car la formation d’une main d’œuvre opérationnelle relevait de la nécessité.

Après distribution des terres africaines, les puissances colonisatrices ont développé des politiques éducatives divergentes. Divergences qui s’expriment majoritairement à travers les positions prises vis-à-vis de l’Etat et de l’Eglise.

Gouvernance indirecte ou Assimilation ?

Le système anglais de la gouvernance indirecte « indirect rule » préconisait un système éducatif décentralisé et flexible. L’administration coloniale ne modifie pas les structures traditionnelles. Au contraire, elle s’appuie sur les écoles de missionnaires, déjà bien implantées,  pour diffuser les bases de l’enseignement aux populations. Cela lui a permis de réduire les coûts liés au fonctionnement du système. Après la première guerre mondiale, une reprise partielle du contrôle par l’Etat va être opérée. Celui-ci supervise les établissements scolaires à travers un système de subventions chargé de récompenser les écoles les plus conformes aux normes étatiques. 

Au niveau du contenu éducatif, les colonisateurs autorisent l’utilisation de la langue locale et  cherchent à dispenser un niveau d’enseignement basique. Les programmes scolaires ainsi que les examens sont calqués sur ceux dispensés dans la métropole. 

Du côté français, la politique soutenue était celle de l’assimilation. Les colonisés africains devaient devenir des citoyens français. L’école inculque les valeurs françaises sous le contrôle de l’Etat. Les écoles missionnaires, sans le soutien de l’Etat français,  disparaissent en grand nombre.  Contrairement à la politique anglaise, les chefs locaux sont désinvestis de leurs fonctions,  pour être remplacés par une nouvelle élite formée sur les bancs de l’école française. Un système très élitiste et sélectif est mis en place où la récompense de l’éducation est l’accès à des postes dans l’administration. Les cours sont dispensés intégralement en français et suivent un curriculum imposé par l’Etat. C’est un système éducatif peu accessible aux masses qui se développe.

L’Education par le biais des missionnaires. 

La Grande Bretagne a choisi de faire des écoles missionnaires sa force. L’Etat a préféré s’occuper de maintenir l’ordre et de laisser aux missions déjà en place le rôle éducatif.

La France a adopté une position différente. Depuis la loi de 1905, L’Eglise et l’Etat sont séparés et le principe séculier s’applique au domaine éducatif. Le système qui se met en place dans les colonies d’Afrique est donc dual. Les écoles gérées par l’Etat cohabitent avec des écoles missionnaires précoloniales encadrées par l’Etat. Celles qui ne coopèrent pas disparaissent, ainsi plus de deux tiers de ces écoles ferment (*).  Cette position française vis-à-vis des écoles missionnaires, s’explique aussi par le fait que la France, compte parmi ses colonies, beaucoup de pays musulmans. L’Etat a préféré interdire les missions dans ces pays par crainte de nourrir l’hostilité envers le colonisateur. 

Les conséquences des politiques coloniales.

Le système éducatif colonial s’est poursuivi, après la décolonisation. C’est pourquoi, il est juste d’affirmer qu’il existe une relation entre les résultats des politiques éducatives actuelles et leurs fondements coloniaux.

Chaque colonisateur, qu’il soit anglais ou français a eu un impact  sur ses anciennes colonies. En guise d’exemple, le cas du Sénégal et de l’Ouganda :

Au Sénégal, ancienne colonie française, l’élitisme est resté très ancré. L’accès à l’éducation pour les enfants des campagnes reste restreint. Si l’éducation a permis le développement des secteurs formels et informels, l’impact économique du capital humain est resté limité du fait de la sélectivité des cursus scolaires.

En Ouganda, ancienne colonie anglaise,  il existe une forte corrélation entre l’éducation coloniale et les niveaux de performances économiques actuelles. L’éducation de masse a permis d’améliorer la productivité agricole et a encouragé la hausse des salaires. D’après Appleton et Balihuta (**), l’acquisition des bases scolaires a permis aux fermiers d’implanter des procédés qui améliorent la productivité, tels que l’utilisation d’engrais et de pesticides. Ainsi, un fermier, qui a suivi pendant quatre ans un cursus scolaire,  développe  des résultats 7% supérieur à ceux qui l’auraient eu s’ils n’avaient pas été à l’école. 

Les résultats économiques des anciennes colonies françaises sont moins fulgurants notamment car elles restent en retard sur leurs consœurs anglaises, en matière d’éducation. Intéressons-nous à des pays comme le Ghana et le Togo. En effet, réunis au départ sous la colonisation germanique, ils ont été divisés entre l’Angleterre et la France après la Seconde Guerre Mondiale. Partis d’une base similaire au niveau éducatif, ils n’ont pas connu les mêmes évolutions.

Le Ghana, ancienne colonie anglaise avait un Taux Brut de Scolarisation, pour l’école primaire, équivalent à 70% en 2000  alors que celui du Togo, ancienne colonie française était de 55%. (*)

De plus, le graphique ci-dessous, compare pour le sud du Ghana et du Togo,  le taux d’achèvement du cycle primaire (à gauche) et le taux d’alphabétisation (à droite) en 1998.  Dans les deux cas, on constate un avantage pour le Ghana avec des courbes aux tendances beaucoup plus élevées que celles du Togo. 

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Figure 1: Différences de taux d’achèvement du cycle primaire et d'alphabétisation à la frontière entre le Ghana et le Togo du Sud en 1998 (*)

Cela s’explique par le fait que les anciennes colonies anglaises ont toujours eu un nombre d’établissements scolaires beaucoup plus important que les anciennes colonies françaises. Or il est moins coûteux d’investir dans un système déjà bien en place. De plus, les colonisateurs anglais ont toujours défendu un modèle flexible qui pouvait s’adapter aux populations locales. Pour ces raisons, la propagation de l’éducation est beaucoup plus rapide du côté anglais.

C’est à l’ombre du passé que l’on comprend le présent. A travers son passé coloniale, l’éducation africaine s’est construite. Malgré les divergences entre modèle anglophone et francophone, la relation positive qu’il existe entre performance économique et éducation coloniale ne peut être niée. Il ne faudrait pas pourtant s’arrêter à cette première assertion. Si la colonisation a été un enrichissement pour le système éducatif africain, on peut regretter qu’elle ait aussi tant détruit sur le plan culturel.

 

 

Débora Lésel

(*)Denis Cogneau & Alexander Moradi, Borders that Divide: Education and Religion in Ghana and Togo since Colonial Times, 2011

(**)Education and Agricultural productivity: Evidence from Uganda 

L’Enseignement supérieur en Afrique (1) : Etats des lieux et défis

diplômés africainsL’éducation est l’un des moteurs de la croissance économique et du développement humain. Cette assertion est depuis longtemps reconnue par les experts et  organisations internationales. Si les niveaux primaire et secondaire font l’objet d’investissements pour le développement de l’Afrique, l’apport  du niveau supérieur à la croissance africaine a longtemps été négligé. Avec la nécessité d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) pour réduire la pauvreté, l’intérêt pour l’enseignement supérieur devient aujourd’hui incontournable pour assurer une croissance inclusive. Ne serait-ce que pour le rattrapage des pays avancés, les pays africains ont besoin d’ingénieurs, de cadres et de chercheurs capables de comprendre et de mettre en œuvre les nouvelles technologies inventées dans les pays développés. En présentant l’état des lieux et les défis de l’enseignement supérieur en Afrique, cet article introduit une série de publications sur l’analyse et la compréhension des différents modèles universitaires africains.

Etat des lieux : Un secteur en crise

Le système universitaire africain traverse une crise: deux constats amènent à cette conclusion. D’abord, le rayonnement international des établissements africains est à construire. D’après le classement mondial de Shanghai, une seule université africaine se positionne dans le top 300 alors qu’on y décompte 130 universités américaines, 123 universités européennes et 35 universités asiatiques. A l’échelle internationale, les universités africaines ont donc une place à conquérir.

Ensuite, les étudiants africains ont une mobilité importante. Pour beaucoup de pays africains, le taux de mobilité vers l’étranger  (rapport entre le nombre d’étudiants africains à l’étranger et celui des étudiants restés dans les établissements nationaux) était supérieur à 25% en 2008.  Celle-ci s’effectue à la fois au sein du continent et à l’extérieur de celui-ci. Le graphique ci-dessous montre les principales destinations prisées par les étudiants mobiles d’Afrique.

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Cette mobilité pourrait être envisagée de façon positive. En effet, elle est vectrice de gain de productivité pour le continent car les étudiants partis étudier à l’étranger gagnent en expertise. Cependant, pour que ces gains de productivité soient effectifs, il faudrait que les étudiants mobiles reviennent dans leur pays d’origine. Or, bien souvent l’effet inverse se produit, l’Afrique est victime d’une « fuite de cerveaux ». Cette mobilité est souvent le reflet d’un mal-être de l’enseignement supérieur africain. Les étudiants immigrent car ils trouvent des opportunités meilleures hors de leur pays.

Les défis : gérer les effectifs et accroître les ressources

Comment expliquer un tel retard de l’enseignement supérieur africain? Quelles sont les défis à relever ?

Les rapports de la Banque mondiale (*) et de l’Unesco (**) nous permettent de distinguer les problèmes majeurs qui entravent le rayonnement de l’enseignement supérieur en Afrique.

L’enjeu clé pour le continent africain est  de faire face à la croissance explosive des effectifs dans l’enseignement supérieur. Ainsi, les effectifs scolarisés en Afrique subsaharienne sont passés de 200 000 à 4,5 millions entre 1970 et 2008 selon le rapport de la Banque Mondiale. Cette augmentation fulgurante des effectifs a été soudaine et peut en partie s’expliquer par le développement de la scolarisation au niveau secondaire. Les universités, peu préparées aux répercussions d'un tel accroissement ont tenté d’accorder des places à cette nouvelle masse d’étudiants au détriment de la qualité de l’enseignement. Ce manque de places au sein des universités  est d’autant plus alarmant qu’on constate que la participation à l’enseignement supérieur des populations d’Afrique subsaharienne est très en dessous de la moyenne mondiale. En effet, leur taux brut de scolarisation (TBS) est de 6% en 2007 contre un taux brut mondial de 28%, selon les données statistiques de l’Unesco. Qu’arrivera-t-il alors lorsque la participation scolaire africaine aura rattrapé la moyenne mondiale ?

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Source: Institut Statistique de l’Unesco

On sait que la demande de scolarisation n’ira pas  en diminuant étant donné les perspectives démographiques des années à venir. Il est donc urgent pour les universités africaines d’apprendre à gérer la croissance des effectifs scolarisés tout en maintenant la qualité de leurs formations.

Pour résoudre ce premier problème, il faut en solutionner un second : l’insuffisance des ressources des universités africaines. Bien que la situation reste très contrastée à l’échelle continentale, on constate que de nombreux pays au bas taux de scolarisation brut souffrent d’un coût unitaire par étudiant très élevé. Selon le bulletin d’informations de l’Unesco,  Le Burkina Faso, le Burundi, l’Éthiopie, le Madagascar, le Niger, le Rwanda, l’Ouganda, la République Centrafricaine et le Tchad présentent des niveaux de dépenses publiques concernant l’éducation qui dépassent 100 % du PIB par tête, alors que leur TBS pour l’enseignement supérieur est inférieur à 5 %. Si à long-terme la réduction des coûts unitaires par étudiant est inévitable ;  à court-terme il est important pour les universités africaines  de réorganiser la répartition de leurs ressources, afin d’encourager la recherche et le renouvellement des outils pédagogiques. Ces deux défis passent par l’autonomisation financière de l’enseignement supérieur vis-à-vis de l’Etat.

Par ailleurs, pour contribuer à la croissance de demain, l’enseignement supérieur africain doit réussir à adapter son offre de formation à l’offre du marché de l’emploi. Il faut que les étudiants puissent être orientés vers les filières porteuses d’emplois et encouragés à se tourner vers des métiers créateurs d’emplois tels que l’entreprenariat, l’agriculture, les NTIC et les énergies renouvelables.

Le dernier enjeu n’est pas des moindres, l’enseignement supérieur africain devra réduire les inégalités entre les sexes. Malgré une évolution notable, les femmes sont toujours sous-représentées  en matière de scolarisation supérieure dans le continent africain. Le TBS dans l’enseignement supérieur des femmes en Afrique subsaharienne s’élève à 4,8 %, contre 7,3 % pour les hommes selon les données statistiques de l’Unesco.

C’est en gardant en mémoire ces différents enjeux que l’on s’intéressera aux universités d’Afrique. Comment s’adaptent-elles à ces différentes contraintes ? Quelles sont leurs atouts et leurs défauts ? Quel avenir réservent-t-elles à l’Afrique ? Comment peuvent-elles contribuer à une croissance inclusive en Afrique ?

Débora Lésel


(*)Document de travail de la Banque Mondiale n°103 : « Enseignement supérieur en Afrique francophone. Quels leviers pour des politiques financièrement soutenables »

(**) Bulletin d’informations de l’ISU. Décembre 2010.N°110 « Tendance dans l’enseignement supérieur : l’Afrique subsaharienne »

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