Présidentielles 2013 au Mali : une question d’honneur

L’élection présidentielle malienne a vécu. Ces joutes électorales à haut risque, particulièrement surveillées par la communauté internationale, n’ont finalement pas donné lieu aux troubles annoncés. Ibrahim Boubakar Keita a été bien élu. Son adversaire au second tour, Soumaila Cissé, en reconnaissant rapidement sa défaite, a contribué à ouvrir, sans heurts, une nouvelle page de l’histoire de son pays. Actuellement au Mali, notre analyste Racine Demba nous livre les premiers chantiers qui attendent le nouveau président.


Honneur au vaincu

Dans la soirée du 12 aout 2013, Soumaila Cissé est venu gonfler les rangs de ces « grands vaincus » ouest africains, ces leaders qui ont su être grands dans la défaite : Abdou Diouf, John Atta-soumi-rend-visite-à-IBKMills en 2004, Abdoulaye Wade. La liste n’est pas longue.

Soumaila Cissé a parachevé le retour du Mali à la table des jeunes démocraties. Le choix de rompre avec « la tradition du coup de fil » pour se rendre au domicile de son adversaire avec femme et enfants afin de le féliciter est un des moments marquants de cette élection. Il relègue au second plan le score « à la soviétique » du président Keita (77,63% à l’issue du second tour).Il reste désormais à Cissé de se poser en chef de file de cette opposition forte qui a tant fait défaut au Mali ces dernières années. En cela, l’éclatement de l’ADEMA, parti le mieux implanté sur le territoire national pourrait jouer en sa faveur.

Les premières déclarations du leader de l’URD,  une fois sa défaite reconnue, montrent qu’il a déjà commencé à assumer ce nouveau rôle. Les élections législatives et locales prévues pour octobre 2013 seront déterminantes dans la confirmation ou non de sa stature d’opposant pouvant être une alternative crédible au nouveau régime.

IBK, le choix de l’honneur

« Pour l’honneur du Mali », voilà les mots qu’on peut lire sur les affiches du candidat Ibrahim Boubakar Keita encore bien visibles dans les rues de Bamako. En choisissant de faire campagne sur ce thème, le candidat du RPM et ses spin-doctors ont visé juste. La relance économique ou la réduction de la pauvreté ne s’étant  pas révélées être les soucis premiers des électeurs. Ces enjeux économiques devront, bien entendu, malgré leur importance moindre dans l’ordre de priorités de ces derniers, figurer en bonne place dans la liste des principales préoccupations du président élu. Au-delà du slogan, cette question de l’honneur – un honneur considéré comme n’étant certes pas perdu mais malmené par la crise de ces derniers mois-  revêt une importance capitale aux yeux des Maliens. La réputation d’homme à poigne de l’ancien chef du gouvernement et président de l’Assemblée nationale y a probablement contribué.

Personne n’a oublié sa gestion des affaires notamment la crise de l’éducation, dans les années 90. Alors qu’il était tout puissant Premier ministre d’Alpha Oumar Konaré, il refuse de faire la moindre concession aux syndicats d’enseignants et autres associations d’étudiants allant même jusqu’à durement les réprimer. Son intransigeance vaudra à l’école malienne une année blanche et lui coutera plus tard son poste. Venant s’ajouter à une forte opposition à ses méthodes au plan interne, sa tête aurait en effet été réclamée par les bailleurs de fonds. Ainsi le président Konaré aurait-il décidé de s’en séparer.

Cette intransigeance assimilée par certains à de l’arrogance que ses adversaires pointaient comme un défaut devant lui valoir la méfiance des électeurs est devenue, au gré des circonstances, son principal atout. Avec lui peut-être que l’armée disposera enfin d’un vrai commandant en chef et que le « problème » Sanogo pourra être géré ; la rébellion touarègue de même que les partenaires extérieurs auront devant eux un interlocuteur crédible.

IBK a déjà dit ne pas être engagé par l’accord d’Ouagadougou signé par le président de la transition Dioncounda Traoré. Il devra, pour ne pas perdre la confiance de l’essentiel de son électorat, rester constant dans cette fermeté affichée envers la rébellion même en cas d’ouverture de nouvelles négociations. Sa capacité à manœuvrer face à la France, parrain de cet accord, dont l’armée contrôle la ville de Kidal, ce qui selon l’opinion la plus répandue à Bamako fait le jeu du MNLA, sera déterminante. Le nouveau président juge la présence des troupes françaises sur le sol malien encore nécessaire au regard de la menace terroriste toujours d’actualité. Toutefois il est resté plus ambigu à propos du statut de cette ville du nord qui échappe encore, de fait, au contrôle de l’administration malienne.

 Après avoir fêté l’ancienne puissance coloniale pour lui avoir « rendu sa dignité en le sauvant du péril islamiste », le peuple malien semble faire de la « reconquête » de Kidal par ses soldats une question… d’honneur.

Racine Demba