Non, Monsieur Macron, le défi de l’Afrique n’est pas civilisationnel

Au détour d’une conférence de presse[1] en marge du sommet du G20 à Hambourg, Emmanuel Macron a affirmé en substance que « le défi de l’Afrique … est civilisationnel », une thèse passéiste, fondée sur des constats erronés, et totalement décalée par rapport aux dynamiques en cours sur le continent. Reprenons le fil du raisonnement.

Le défi de l’Afrique selon Macron

Selon Macron, les promesses d’aide au développement de l’Afrique ont été tenues, mais l’aide financière seule ne suffit pas car le défi de l’Afrique serait civilisationnel. Il serait caractérisé par des Etats faillis, des processus démocratiques complexes, une transition démographique mal maîtrisée, l’insécurité et le fondamentalisme violent. Une litanie de maux en dépit des taux de croissance significatifs de certaines économies qui peuvent laisser entrevoir des perspectives positives. Le rôle des pays développés en général et plus particulièrement de la France serait donc de promouvoir la primauté du secteur privé, de financer l’investissement dans les biens publics (infrastructures, éducation et santé) et de garantir la sécurité en lien avec les organisations régionales. Dans ce cadre, la responsabilité des gouvernements africains serait d’assurer la bonne gouvernance, de lutter contre la corruption et surtout de maîtriser la transition démographique car, selon le président français, « avec 7 à 8 enfants par femme, investir des milliards d’euros ne stabilise rien ».

Une répétition de la posture paternaliste

Parler de défi civilisationnel présuppose d’une part qu’il existerait une norme unique de progrès humain et d’autre part que l’Afrique en serait particulièrement dépourvue. Or, les connaissances accumulées à partir de recherches archéologiques permettent d’affirmer qu’il existe plutôt des civilisations, variant dans le temps et dans l’espace, avec chacune des apports majeurs à l’humanité. Il en est ainsi des civilisations égyptienne, maya, chinoise, grecque, romaine, etc. Dans ce contexte, la civilisation occidentale ne saurait servir de modèle pour tous. L’idée que l’Afrique serait dépourvue de civilisation et qu’il faille y transposer un modèle venu d’ailleurs entre en résonance avec le discours d’un passé récent prononcé par le président Sarkozy à Dakar. Il témoigne d’un déni d’histoire de l’Afrique pourtant attestée par plusieurs sources formelles. L’ouvrage de l’UNESCO sur le sujet ou les innombrables objets d’art africains présents dans les musées français en sont quelques preuves. Il entre également en résonance avec un autre discours d’un passé plus lointain, celui de Victor Hugo prononcé en 1879, en prélude à la colonisation du continent. La vraie question que soulève cette affirmation est pourquoi, plus de 150 ans après Victor Hugo, le numéro un français reprend la même thèse. Pourquoi l’Afrique n’a-t-elle pas évolué depuis ? N’est-ce pas là le résultat de la posture paternaliste qui a toujours caractérisé les relations entre l’Occident et l’Afrique ? De la colonisation sur laquelle Emmanuel Macron a plutôt eu une lecture éclairée aux indépendances molles ?

Des constats discutables

La thèse de Macron est fondée sur des constats erronés trop souvent usités par manque de recul. En effet, en matière d’aide au développement, rien n’a encore été fait pour l’Afrique. Selon les statistiques de l’OCDE seulement 0,3% du Produit National Brut (PNB) des pays développés est dédié à l’aide au développement, deux fois moins que les 0,7% promis depuis 1970. Or, l’aide au développement, loin d’être une charité, est une contrepartie des manques à gagner générés par l’ouverture commerciale des pays en développement. Ce déficit est largement comblé par les Africains de la diaspora qui prennent le relais en transférant des fonds vers leurs pays d’origine. Ces transferts dépassent largement l’aide au développement et servent à atténuer les chocs de revenus et à financer l’entrepreneuriat et l’investissement dans le capital humain.[2]

Contrairement à l’idée répandue, la croissance démographique n’est pas un problème, ni pour l’Afrique, ni pour l’Europe. La peur de la démographie africaine est trop souvent entretenue par ceux qui appréhendent l’immigration. Or, elle peut être une chance si chaque jeune africain avait la liberté de se réaliser, cette liberté parfois restreinte par les politiques des pays développés protégeant leurs intérêts par le biais de dictateurs-prédateurs sur le continent. Par ailleurs, contrairement à l’affirmation d’Emmanuel Macron, il n’y a pas de lien de cause à effet entre population et développement.[3] La théorie malthusienne de la surpopulation a longtemps été remise en cause par les effets positifs du dividende démographique et du caractère universel de la transition démographique. Les forts taux de fécondité s’observent dans des environnements où le taux de mortalité infantile est élevé. Il en a été ainsi jusqu’au XIXème siècle en Europe et cela n’a pas entravé son essor économique.

L’Afrique qui renaît

Le discours de Macron à Hambourg témoigne du regard porté encore sur l’Afrique à travers un prisme tronqué donnant lieu à des interprétations en déphasage par rapport aux dynamiques actuelles. L’Afrique se transforme par le biais de mécanismes difficilement quantifiables et donc orthogonaux aux taux de croissance du PIB. Ses jeunes entreprennent, innovent et aspirent à une société plus libre.[4] Ses leaders se renouvellent et rompent avec les liens et pratiques anciens. Comme le suggère Felwine Sarr, partout en Afrique, il y a comme une phase de travail, préalable à la naissance d’une société nouvelle dont la nature ne demande qu’à être définie. C’est en cela que consiste le défi de l’Afrique, il n’est pas civilisationnel, mais transformationnel. A l’heure où les nationalistes ont le vent en poupe, où bon nombre de jeunes africains entretiennent un rapport de défiance vis-à-vis de la France, il n’est pas opportun d’adopter une posture paternaliste dans les relations franco-africaines. Plaidons, dans la mesure du possible, pour de la co-construction.

Georges Vivien HOUNGBONON

[1] Le Président Macron répondant à la question du journaliste Philippe Kouhon d’Afrikipresse. Lien vers la vidéo de la conférence (à partir de la 25ème minute) : http://www.elysee.fr/videos/new-video-17/

[2] Cf. Perspectives Economiques Africaines 2017

[3] L’exemple de 7 à 8 enfants par femme est d’ailleurs très anecdotique car ne correspondant qu’au Niger. Selon les perspectives économiques en Afrique, le taux de fécondité y est de 4,5 enfants par femme en 2016.

[4] Voir par exemple le dernier rapport thématique des perspectives économiques en Afrique.

Mise en ligne le 12.07.17

Considérations sur la démographie mondiale

Les sujets d’ordre démographique ont de tout temps suscité interrogations et appréhensions, car ils posent avec acuité la question de la pérennité de l’espèce et de son environnement. Si la démographie a de tout temps suscité la curiosité des hommes (des auteurs antiques tels qu'Hérodote, Thucidide, Platon et Aristote sont déjà familiers de ce sujet), les thématiques qui lui sont liées varient elles dans le temps. Hier, explosion démographique et surpopulation ; aujourd'hui, transition démographique et vieillissement généralisé.  Un changement de paradigme qui est d'abord fonction de la tendance démographique d'une époque donnée, et qui est en soit révélateur du dynamisme du peuplement humain. 

Le XXe siècle qui s'est achevé aura par exemple été absolument unique dans l'histoire démographique. Un siècle qui aura été témoin d'une croissance exponentielle, et qui aura vu la population de la planète passée de 1,65 à 6,06 milliards entre 1900 et 2000, selon les estimations établies par l’ONU. Depuis, la barre des 7 milliards a été franchie. Une progression de près de 5,5 milliards de personnes depuis 1900,  alors que cet accroissement n'avait été "que" de 280 millions au XIXe siècle pour l'ensemble de la Terre .

A l’heure actuelle, la population mondiale continue d'augmenter chaque année de 80 millions de personnes environ (l'équivalent d'un pays comme l'Egypte) ; les deux-tiers de cet accroissement concernant l'Afrique et l'Asie. Ce tableau d’ensemble cache cependant de profondes disparités : dans certains pays développés (Allemagne, Japon, Italie) les conditions sont réunies pour un véritable crash démographique à relativement courte échéance. Quant aux pays du Sud, les problèmes de surpopulation que connaissent certains d'entre eux (Inde, Bangladesh pour l'Asie et Rwanda, Burundi pour l'Afrique) n'empêcheront pas que dans l'ensemble, ils devront faire aussi face au problème du vieillissement à plus ou moins long terme ; la transition démographique en étant la cause. Aspect particulièrement révélateur, la communauté internationale est progressivement passée, au fil des décennies écoulées, du vocable « d’explosion démographique » à celui plus mesuré de « transition démographique » consacrant de la sorte l’inflexion en cours de l’accroissement de la population mondiale.

La démographie : Un sujet historiquement ancien

Dès l’Antiquité, la question du nombre optimal de la population paraît en filigrane. Il est intéressant de constater que des sociétés telles Rome, l’Egypte et la Grèce, traditionnellement enclines à faire l’apologie de la procréation et de la famille nombreuse, pratiquaient et autorisaient la contraception et l’avortement. Certes, cette démarche, loin d’être d’inspiration étatique, était d’abord perçue comme un problème relevant strictement du couple, et donc de la sphère privée. Autrement dit, seul le danger associé à la grossesse ou l'impossibilité d'entretenir une famille nombreuse, pouvait la justifier. Il faut cependant attendre les travaux de Thomas Malthus à la fin du XVIIIe siècle pour que la question de la population (et de la crainte explicite de son excès) soit théorisée de façon systématique. Dans son ouvrage publié en 1798, Essai sur le principe de population, les préoccupations de démographie, et plus particulièrement de démographie économique, deviennent pour la première fois un champ de réflexion à part entière. Une augmentation de population est-elle bénéfique ou non pour la société et l'économie ? Telle est la problématique, dont Malthus pose les bases, et à laquelle il répond par la négative. « Ce n’est plus, comme en l’An Mil, la comète qui nous tombera dessus, mais c’est encore la fin du monde qui nous est promise : cette fois, les hommes eux-mêmes seraient, de par leur nombre, les artisans de leur propre perte », dit-il dans l’ouvrage ci-mentionné. 

Pour illustrer sa thèse, Malthus confrontait dans une opposition très nette deux lois, auxquels il donnait un tour mathématique frappant, qu’il est possible de formuler ainsi :

1) Toute population humaine, si aucun obstacle ne l’en empêche, s’accroît, de période en période, en progression géométrique.

2) Les moyens de subsistance ne peuvent eux, dans les circonstances les plus favorables, augmenter que selon une progression arithmétique.

Confrontant ensuite les deux progressions, il montrait sans peine que la première l’emportait énormément sur la seconde, qu’une antinomie formidable existait entre la faculté reproductive des hommes et la productivité de la terre. Néanmoins, Malthus ne prétendait pas que la terre soit arrivée à sa plus haute puissance de production et ne puisse nourrir beaucoup plus d’habitants qu’il n’en existait alors. Il soutenait en revanche l'idée que toute augmentation de la production alimentaire aurait pour conséquence une augmentation correspondante de la population. Chaque nation et la Terre entière devaient être considérées comme surpeuplées, non pas par rapport à la surface, mais par rapport aux produits disponibles. 

Démographie mondiale : évolutions et perspectives

Deux siècles plus tard, le monde compte 7 milliards d’êtres humains. Sept fois plus qu'à l'époque de Malthus ; l'Afrique comptant à elle seule autant d'habitants que la Terre entière à cette époque. Une Terre qui n'a jamais été aussi peuplée, et qui dans l'ensemble (cette notion "d'ensemble" cachant cependant mal de profondes disparités, toujours persistantes) n'a jamais été également aussi bien nourrie, grâce aux différentes révolutions agricoles connues jusqu'à nos jours. Pour reprendre l'idée malthusienne de surpopulation, la Terre n'est donc pas considérée en l'état actuel comme "surpeuplée" puisque sa production alimentaire d'ensemble permettrait de nourrir ses habitants. C'est la répartition de celle-ci qui pose problème : Excédents agricoles d'un côté (Amérique du Nord, Europe), disettes et famines de l'autre (Corne de l'Afrique, Sahel). 

Evolution de la population mondiale

Deux grands facteurs commandent l’évolution démographique. La fécondité et la mortalité. La première, bien qu’en forte baisse, tourne aujourd'hui autour de 2,5 enfants par femme au niveau mondial. En même temps, la vie s’allonge. Un bébé qui naît aujourd’hui peut espérer vivre 65 ans dans les conditions de mortalité actuelle, au lieu de 46 ans il y a un demi-siècle. Des moyennes qui masquent bien entendu d’importantes différences, suivant les zones géographiques.

Dans les pays occidentaux, les conditions actuelles militent pour un déclin démographique à moyen terme. La conséquence de cette évolution est inéluctable: d'abord une forte baisse de la croissance démographique (plus que 0,3 % par an actuellement) suivie d'une diminution en chiffres absolus. Ceci n'ira pas sans conséquence, naturellement, tant du point de vue de l'équilibre interne que de l'équilibre externe. Sur le plan interne, le vieillissement de la population posera de sérieux problèmes du point de vue du financement de la sécurité sociale. Le nombre de bénéficiaires ne cessera d'augmenter tandis que celui des contributeurs se rétrécira. La condition sine qua none à un relatif maintien du niveau de vie et des prestations offertes dépendra en grande partie de la croissance économique future. Il est cependant raisonnable de penser que le dynamisme d'une population vieillissante et donc sa faculté à susciter une croissance économique vigoureuse et durable n'égale pas nécessairement celui d'une population jeune. D'autre part, on peut penser qu'une population où la majorité du corps électoral est relativement âgée privilégiera les dépenses de santé ou de sécurité plutôt que celles d'éducation ou d'investissement, et partant son développement futur. 

D'un point de vue externe, la baisse de la part de l'Occident dans la population mondiale diminuera son influence relative dans le monde. De quel poids pèseront encore demain les discours vieillissants et moralisateurs d'une population en déclin ? Enfin, un monde riche, mais en déclin démographique devient naturellement un terreau pour l'immigration en provenance des pays les plus pauvres et ce avec toutes les questions que cela soulève. 

S’agissant des pays du Sud, il paraît pertinent de rappeler que sur les 7 milliards d'individus peuplant aujourd'hui la planète, 80% vivent dans ces pays. L'Afrique et son milliard d'habitants compte pour 14 % de la population mondiale.  La croissance démographique de ces pays est d'abord due aux progrès de l'alimentation, de l'hygiène et des conditions sanitaires ainsi qu'à un recul de la mortalité infantile et un relatif allongement de la vie. 

Evolution estimée de la population africaine entre 2010 et 2050. (Credit photo : Courrier International)

Et prévisions pour quelques pays…

Un accroissement qui devrait rester encore important au cours des prochaines décennies. La population de l'Afrique passerait ainsi selon les dernières projections de 1 milliard aujourd'hui à 2 milliards en 2050, et celle de l'Asie de 4 à 5,3 milliards. Une équation à venir qui sera ardue à résoudre, mais qu'il est néanmoins possible d'envisager avec une confiance raisonnable, en raison de la modification des comportements démographiques des populations du Sud. Ces dernières font dorénavant moins d'enfants tout en bénéficiant de conditions sanitaires améliorées dans l'ensemble.  

En définitive, il est désormais possible de constater à l’échelle mondiale, bien qu’à des degrés divers, un ralentissement progressif mais néanmoins inéluctable de l’augmentation de la population. Les propos alarmistes de ces dernières années relatifs à la surpopulation mondiale apparaissent donc de plus en plus infondés. D'année en année, les projections démographiques sont revues à la baisse. La population continue à croître, certes, mais le taux de croissance diminue régulièrement : il est passé de 2,04 % de croissance démographique annuelle en 1960 (maximum atteint historiquement) à environ 1,3 % aujourd'hui. Quant au nombre d'enfants par femme, il a aussi fortement diminué pendant la même période, passant de 5 enfants par femme en moyenne à 2,5. Il apparaît donc qu'aujourd'hui, le principal facteur de croissance de la population doive de plus en plus être trouvé dans l'augmentation de la longévité que dans la fertilité. La structure de la population mondiale par âge se modifie rapidement à l'échelle mondiale et ce dans le sens du vieillissement . L'âge médian est passé de 23,5 ans en 1950 à 28 ans aujourd'hui. En 2050, il devrait atteindre 38 ans. Quant aux proportions respectives de personnes âgées de moins de 15 ans et de plus de 60 ans, elles seront passées de 34 % et 8 % en 1950 à 20 et 22 % en 2050. Il faut donc se rendre à l'évidence : si la tendance actuelle se maintient, il n'y aura pas d'explosion démographique à l'échelle de la planète et ce qui s'est passé au XXème siècle du point de vue de la démographie ne se répétera pas. La population mondiale devrait se stabiliser à 10 milliards au XXIème siècle. 

 

Jacques Leroueil

L’urbanisation en Afrique : Source de Développement ou de Pauvreté ?

Des mouvements de populations ont toujours été observés à l’orée des grands progrès économiques. En Afrique, la population urbaine est passée de 115 millions en 1970 à 413 millions en 2010, soit presqu'un quadruplement en 40 ans[1]. Cette dynamique est encore plus importante en Afrique sub-saharienne où la population urbaine a été multipliée par 5 au cours des quarante dernières années. Les projections anticipent un taux d’urbanisation de 50% d’ici l'année 2030 et de 62% en 2050. Cette explosion de la population urbaine en Afrique est-elle source de progrès économique ou à la fois source et conséquence de la pauvreté?

D’un point de vue économique, l’urbanisation devrait être le résultat d’une plus grande attractivité de la ville du fait de l’industrialisation et des opportunités d’emplois s'y trouvent. Ainsi, la population non-agricole s’installe dans les centres urbains pour développer des activités manufacturières et commerciales. Dans le même temps, la population agricole se concentre en milieu rural pour produire et fournir les biens nécessaires au fonctionnement des manufactures et à la consommation des citadins. La forte valeur ajoutée des industries manufacturières engendrerait de nouvelles opportunités d’emplois en milieu urbain, sources d’exode rural. De plus, l’accroissement de la demande va entraîner plus de spécialisation dans les tâches, ce qui va conduire non seulement à des gains de productivité mais également à l’arrivée de nouveaux migrants en provenance du milieu rural. Ce mécanisme économique est pourvoyeur de croissance économique, de réduction des inégalités et de développement. Il a été observé dans la plupart des pays du monde qu'une forte croissance de la population urbaine s’est accompagnée d’une augmentation significative des revenus.

 Cependant, la dynamique de la migration urbaine en Afrique, et plus particulièrement au sud du Sahara, ne suit pas cette même logique économique. Une comparaison entre l’Asie du Sud Est et l’Afrique sub-saharienne est révélatrice de ce paradoxe. En effet, avec un taux d’urbanisation de 36%, l’Afrique sub-saharienne a un revenu par habitant de $601 EU contre $647 EU en Asie du sud Est qui a un taux d’urbani sation de 29%[2] . Ainsi, l’Afrique sub-saharienne aurait eu $803 EU si son urbanisation s’accompagnait des mêmes effets qu’en Asie du sud Est. 

Ce paradoxe est le résultat de deux problèmes spécifiques aux pays africains. D’une part, la faiblesse du tissu industriel caractérisé par l’inexistence de manufactures et la prépondérance des entreprises commerciales. La hausse continue des importations de produits de consommation en est une preuve. D’autre part, les inégalités grandissantes entre le milieu rural et le milieu urbain, comme le montre par exemple un rapport de la Banque Mondiale sur le Burkina-Faso. Elles sont présentes sur tous les plans allant des revenus aux besoins de base comme la santé et l’éducation. Cela engendre une forte préférence pour le milieu urbain chez des populations rurales qui s’appauvrissent au fil des années. En guise d’exemple, la pauvreté est plus importante en milieu rural qu’en milieu urbain quasiment dans tous les pays africains.

Ces deux facteurs combinés induisent une forte migration vers les villes sans réelles opportunités d’emploi. Les migrants sont essentiellement des jeunes sans qualification professionnelle. Il en résulte des bidonvilles avec des conditions de vie très peu décentes, car la ville ne dispose pas de moyens suffisants pour fournir à tous certains éléments de base tels que le logement, l’électricité et l’eau. Le cas de la ville de Dakar illustre bien les problèmes de fourniture d’électricité dus à la forte concentration de la population dans la même ville – la densité de la population de Dakar est de 5300hab/km2. Par ailleurs, les jeunes non qualifiés qui forment la majorité des migrants vont gonfler le secteur informel et exercer des activités dangereuses comme la vente d’essence frelatée ou destructrices du cadre de vie telles que le métier de taxi-moto « Zémidjan » à Cotonou.

En   somme, l’urbanisation en Afrique ne semble pas être une source de croissance économique, de réduction des inégalités et de développement humain. Même si elle a un impact sur ces différentes aspects, il est fort vraisemblable que la pauvreté supplémentaire qu’elle créé annihile son impact sur le développement. Que faut-il faire dans ce cas ? Contenir le flux de l’exode rural ou formuler de  nouvelles politiques plus adaptées à ce paradoxe?

Georges Vivien Houngbonon


[1] Estimation à partir des données de UN-Habitat

[2] Rapport de UN-Habitat

Afrique : la bombe démographique

Si l’Afrique comptait environ 200 millions d’habitants en 1950, elle a atteint le seuil du milliard d’habitants aujourd’hui et multipliera sa population par deux en 40 ans. Dans un article paru dans les Echos, Daniel Bastien fait une analyse très intéressante de ce boom démographique sans précédent, dont l’ampleur et les enjeux sont colossaux.
 
L’auteur expose une ribambelle de statistiques qui décrivent l’envergure du phénomène et permettent d’avoir en tête des ordres de grandeur qui ne sont probablement pas connus de tous. Pour ne citer que quelques exemples, une naissance sur quatre dans le monde a aujourd'hui lieu en Afrique ; un être humain sur cinq sera africain au milieu de ce siècle ; il naît chaque année au Nigeria davantage d'enfants que dans toute l'Union européenne.
 
Cet envol démographique qui selon Gilles Pison est lié à une transition démographique tardive du continent noir s’accompagne d’une urbanisation explosive.  Cette urbanisation africaine est bien singulière selon François Moriconi-Ebrard, chercheur au CNRS, « les mégalopoles africaines ne se font pas comme ailleurs par concentration, et verticalement, mais par étalement dans l'espace, vers la campagne, en une forme de "rurbanisation" à l'européenne. L'exode rural lui-même se fait du coup sur place, par une sorte d'urbanisation in situ ».
 
Daniel Bastien explique ensuite pourquoi ce « basculement urbain » pourrait favoriser le développement de l’Afrique et cite la FAO : « Partout sur la planète, l'urbanisation s'est accompagnée de croissance économique ». Ce développement à son tour réduirait certainement la fécondité africaine si on en croit la Banque Mondiale : « Le développement économique et social est le meilleur des contraceptifs », ce qui achèverait la transition démographique africaine.
 
Retrouvez l’intégralité de l’article de Daniel Bastien en suivant le lien : http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/dossier/020572835618.htm
 
Tite Yokossi