Considérations sur la démographie mondiale

Les sujets d’ordre démographique ont de tout temps suscité interrogations et appréhensions, car ils posent avec acuité la question de la pérennité de l’espèce et de son environnement. Si la démographie a de tout temps suscité la curiosité des hommes (des auteurs antiques tels qu'Hérodote, Thucidide, Platon et Aristote sont déjà familiers de ce sujet), les thématiques qui lui sont liées varient elles dans le temps. Hier, explosion démographique et surpopulation ; aujourd'hui, transition démographique et vieillissement généralisé.  Un changement de paradigme qui est d'abord fonction de la tendance démographique d'une époque donnée, et qui est en soit révélateur du dynamisme du peuplement humain. 

Le XXe siècle qui s'est achevé aura par exemple été absolument unique dans l'histoire démographique. Un siècle qui aura été témoin d'une croissance exponentielle, et qui aura vu la population de la planète passée de 1,65 à 6,06 milliards entre 1900 et 2000, selon les estimations établies par l’ONU. Depuis, la barre des 7 milliards a été franchie. Une progression de près de 5,5 milliards de personnes depuis 1900,  alors que cet accroissement n'avait été "que" de 280 millions au XIXe siècle pour l'ensemble de la Terre .

A l’heure actuelle, la population mondiale continue d'augmenter chaque année de 80 millions de personnes environ (l'équivalent d'un pays comme l'Egypte) ; les deux-tiers de cet accroissement concernant l'Afrique et l'Asie. Ce tableau d’ensemble cache cependant de profondes disparités : dans certains pays développés (Allemagne, Japon, Italie) les conditions sont réunies pour un véritable crash démographique à relativement courte échéance. Quant aux pays du Sud, les problèmes de surpopulation que connaissent certains d'entre eux (Inde, Bangladesh pour l'Asie et Rwanda, Burundi pour l'Afrique) n'empêcheront pas que dans l'ensemble, ils devront faire aussi face au problème du vieillissement à plus ou moins long terme ; la transition démographique en étant la cause. Aspect particulièrement révélateur, la communauté internationale est progressivement passée, au fil des décennies écoulées, du vocable « d’explosion démographique » à celui plus mesuré de « transition démographique » consacrant de la sorte l’inflexion en cours de l’accroissement de la population mondiale.

La démographie : Un sujet historiquement ancien

Dès l’Antiquité, la question du nombre optimal de la population paraît en filigrane. Il est intéressant de constater que des sociétés telles Rome, l’Egypte et la Grèce, traditionnellement enclines à faire l’apologie de la procréation et de la famille nombreuse, pratiquaient et autorisaient la contraception et l’avortement. Certes, cette démarche, loin d’être d’inspiration étatique, était d’abord perçue comme un problème relevant strictement du couple, et donc de la sphère privée. Autrement dit, seul le danger associé à la grossesse ou l'impossibilité d'entretenir une famille nombreuse, pouvait la justifier. Il faut cependant attendre les travaux de Thomas Malthus à la fin du XVIIIe siècle pour que la question de la population (et de la crainte explicite de son excès) soit théorisée de façon systématique. Dans son ouvrage publié en 1798, Essai sur le principe de population, les préoccupations de démographie, et plus particulièrement de démographie économique, deviennent pour la première fois un champ de réflexion à part entière. Une augmentation de population est-elle bénéfique ou non pour la société et l'économie ? Telle est la problématique, dont Malthus pose les bases, et à laquelle il répond par la négative. « Ce n’est plus, comme en l’An Mil, la comète qui nous tombera dessus, mais c’est encore la fin du monde qui nous est promise : cette fois, les hommes eux-mêmes seraient, de par leur nombre, les artisans de leur propre perte », dit-il dans l’ouvrage ci-mentionné. 

Pour illustrer sa thèse, Malthus confrontait dans une opposition très nette deux lois, auxquels il donnait un tour mathématique frappant, qu’il est possible de formuler ainsi :

1) Toute population humaine, si aucun obstacle ne l’en empêche, s’accroît, de période en période, en progression géométrique.

2) Les moyens de subsistance ne peuvent eux, dans les circonstances les plus favorables, augmenter que selon une progression arithmétique.

Confrontant ensuite les deux progressions, il montrait sans peine que la première l’emportait énormément sur la seconde, qu’une antinomie formidable existait entre la faculté reproductive des hommes et la productivité de la terre. Néanmoins, Malthus ne prétendait pas que la terre soit arrivée à sa plus haute puissance de production et ne puisse nourrir beaucoup plus d’habitants qu’il n’en existait alors. Il soutenait en revanche l'idée que toute augmentation de la production alimentaire aurait pour conséquence une augmentation correspondante de la population. Chaque nation et la Terre entière devaient être considérées comme surpeuplées, non pas par rapport à la surface, mais par rapport aux produits disponibles. 

Démographie mondiale : évolutions et perspectives

Deux siècles plus tard, le monde compte 7 milliards d’êtres humains. Sept fois plus qu'à l'époque de Malthus ; l'Afrique comptant à elle seule autant d'habitants que la Terre entière à cette époque. Une Terre qui n'a jamais été aussi peuplée, et qui dans l'ensemble (cette notion "d'ensemble" cachant cependant mal de profondes disparités, toujours persistantes) n'a jamais été également aussi bien nourrie, grâce aux différentes révolutions agricoles connues jusqu'à nos jours. Pour reprendre l'idée malthusienne de surpopulation, la Terre n'est donc pas considérée en l'état actuel comme "surpeuplée" puisque sa production alimentaire d'ensemble permettrait de nourrir ses habitants. C'est la répartition de celle-ci qui pose problème : Excédents agricoles d'un côté (Amérique du Nord, Europe), disettes et famines de l'autre (Corne de l'Afrique, Sahel). 

Evolution de la population mondiale

Deux grands facteurs commandent l’évolution démographique. La fécondité et la mortalité. La première, bien qu’en forte baisse, tourne aujourd'hui autour de 2,5 enfants par femme au niveau mondial. En même temps, la vie s’allonge. Un bébé qui naît aujourd’hui peut espérer vivre 65 ans dans les conditions de mortalité actuelle, au lieu de 46 ans il y a un demi-siècle. Des moyennes qui masquent bien entendu d’importantes différences, suivant les zones géographiques.

Dans les pays occidentaux, les conditions actuelles militent pour un déclin démographique à moyen terme. La conséquence de cette évolution est inéluctable: d'abord une forte baisse de la croissance démographique (plus que 0,3 % par an actuellement) suivie d'une diminution en chiffres absolus. Ceci n'ira pas sans conséquence, naturellement, tant du point de vue de l'équilibre interne que de l'équilibre externe. Sur le plan interne, le vieillissement de la population posera de sérieux problèmes du point de vue du financement de la sécurité sociale. Le nombre de bénéficiaires ne cessera d'augmenter tandis que celui des contributeurs se rétrécira. La condition sine qua none à un relatif maintien du niveau de vie et des prestations offertes dépendra en grande partie de la croissance économique future. Il est cependant raisonnable de penser que le dynamisme d'une population vieillissante et donc sa faculté à susciter une croissance économique vigoureuse et durable n'égale pas nécessairement celui d'une population jeune. D'autre part, on peut penser qu'une population où la majorité du corps électoral est relativement âgée privilégiera les dépenses de santé ou de sécurité plutôt que celles d'éducation ou d'investissement, et partant son développement futur. 

D'un point de vue externe, la baisse de la part de l'Occident dans la population mondiale diminuera son influence relative dans le monde. De quel poids pèseront encore demain les discours vieillissants et moralisateurs d'une population en déclin ? Enfin, un monde riche, mais en déclin démographique devient naturellement un terreau pour l'immigration en provenance des pays les plus pauvres et ce avec toutes les questions que cela soulève. 

S’agissant des pays du Sud, il paraît pertinent de rappeler que sur les 7 milliards d'individus peuplant aujourd'hui la planète, 80% vivent dans ces pays. L'Afrique et son milliard d'habitants compte pour 14 % de la population mondiale.  La croissance démographique de ces pays est d'abord due aux progrès de l'alimentation, de l'hygiène et des conditions sanitaires ainsi qu'à un recul de la mortalité infantile et un relatif allongement de la vie. 

Evolution estimée de la population africaine entre 2010 et 2050. (Credit photo : Courrier International)

Et prévisions pour quelques pays…

Un accroissement qui devrait rester encore important au cours des prochaines décennies. La population de l'Afrique passerait ainsi selon les dernières projections de 1 milliard aujourd'hui à 2 milliards en 2050, et celle de l'Asie de 4 à 5,3 milliards. Une équation à venir qui sera ardue à résoudre, mais qu'il est néanmoins possible d'envisager avec une confiance raisonnable, en raison de la modification des comportements démographiques des populations du Sud. Ces dernières font dorénavant moins d'enfants tout en bénéficiant de conditions sanitaires améliorées dans l'ensemble.  

En définitive, il est désormais possible de constater à l’échelle mondiale, bien qu’à des degrés divers, un ralentissement progressif mais néanmoins inéluctable de l’augmentation de la population. Les propos alarmistes de ces dernières années relatifs à la surpopulation mondiale apparaissent donc de plus en plus infondés. D'année en année, les projections démographiques sont revues à la baisse. La population continue à croître, certes, mais le taux de croissance diminue régulièrement : il est passé de 2,04 % de croissance démographique annuelle en 1960 (maximum atteint historiquement) à environ 1,3 % aujourd'hui. Quant au nombre d'enfants par femme, il a aussi fortement diminué pendant la même période, passant de 5 enfants par femme en moyenne à 2,5. Il apparaît donc qu'aujourd'hui, le principal facteur de croissance de la population doive de plus en plus être trouvé dans l'augmentation de la longévité que dans la fertilité. La structure de la population mondiale par âge se modifie rapidement à l'échelle mondiale et ce dans le sens du vieillissement . L'âge médian est passé de 23,5 ans en 1950 à 28 ans aujourd'hui. En 2050, il devrait atteindre 38 ans. Quant aux proportions respectives de personnes âgées de moins de 15 ans et de plus de 60 ans, elles seront passées de 34 % et 8 % en 1950 à 20 et 22 % en 2050. Il faut donc se rendre à l'évidence : si la tendance actuelle se maintient, il n'y aura pas d'explosion démographique à l'échelle de la planète et ce qui s'est passé au XXème siècle du point de vue de la démographie ne se répétera pas. La population mondiale devrait se stabiliser à 10 milliards au XXIème siècle. 

 

Jacques Leroueil