L’emprunt souverain sur les marchés financiers: une solution de financement ou un danger ?

Face au peu de succès des solutions traditionnelles de financement (investissements directs à l’étranger, dette concessionnelle provenant d’institutions internationales), les Etats Africains se tournent de plus en plus vers les marchés financiers et émettent des obligations souveraines dont les montants sont importants. C’est peut-être le signe d’un plus grand professionnalisme dans la gestion des finances publiques mais les risques associés sont énormes. De meilleures alternatives sont pourtant plus accessibles et se trouvent dans le développement des marchés et de l’épargne intérieurs.


Emprunt-obligataire-TchadEn dépit des inquiétudes soulevées dans le premier volet de cette série sur l’emballement des émissions obligataires souveraines africaines, il faut aussi y voir des signes positifs. L’émission sur les marchés financiers internationaux renforce la crédibilité macroéconomique du continent. Il faut pour ainsi émettre des obligations que les Etats acceptent de se soumettre à une notation de crédit, une démarche qui les pousse à assainir les comptes et les finances publiques.

D’ailleurs selon Graham Stock, directeur du département de recherche sur les marchés émergents de la banque d’investissement JP Morgan, la réussite des émissions obligataires africaines sur les marchés financiers internationaux est due à une plus grande crédibilité macroéconomique du continent : « la hausse des prix des matières premières, la forte demande chinoise et l’amélioration de la gouvernance et de la situation politique générale rendent les obligations africaines particulièrement attractives pour les investisseurs cherchant à diversifier leurs portefeuilles ». Pour le FMI aussi, ces émissions traduisent une reconnaissance du potentiel du continent lié "à l'abondance des ressources naturelles, à l'amélioration des politiques macroéconomiques et à de bonnes perspectives de développement".  Ensuite, contrairement au laxisme qui entourait les termes de la dette concessionnelle traditionnelle, le côté inflexible des marchés et la menace d’exclusion en cas de défaut, constituent une pression positive ex-ante pour investir dans des secteurs porteurs pour l’économie des Etats concernés. Cette nouvelle solution de financement prisée désormais par de nombreux pays africains pointe dans la bonne direction dans la mesure où ces pays prennent ainsi leurs responsabilités dans la recherche de financements – notamment pour les infrastructures et l’éducation – et refusent de plus en plus l’assistanat et le paternalisme des solutions de financement traditionnelles.

Les risques  associés à cette stratégie sont néanmoins réels. Le service de la dette pèse lourd dans les budgets nationaux et le risque d’entrer dans un cercle vicieux d’endettement conduisant quasi-inévitablement au défaut est énorme. D’ailleurs, les difficultés n’ont pas tardé à se manifester. En janvier 2011, la Côte d’Ivoire a fait défaut sur sa dette souveraine même si cet événement est lié à la situation politique compliquée que traversait alors le pays. Il y a un an, le Gabon a dû reporter le paiement des intérêts sur sa dette – d’un montant supérieur au milliard de dollars – et a échappé de justesse au défaut. Le cours élevé des prix des matières premières porte à bout de bras des pays comme le Congo et la Zambie ; un effondrement de ces derniers transformerait le service de la dette en un fardeau insupportable pour ces pays.

Il est donc évidemment crucial de réaliser les meilleurs investissements possibles avec les fonds collectés. Les projets à haut rendement qu’ils s’agissent d’infrastructures vraiment nécessaires au développement de l’économie ou d’investissements clés et intelligents dans le développement du capital humain ou dans l’amélioration de l’environnement des affaires sont à privilégier. Outre des stratégies d’investissement bien mûries, il faut aussi réduire la voilure quant aux montants de ces émissions afin d’éviter de créer les conditions de difficultés insurmontables dès le moindre revirement de la conjoncture.

Le mot clé est la diversification des sources de financement. Les emprunts obligataires souverains sur les marchés financiers participent de cette stratégie de diversification mais doivent également en pâtir, c’est-à-dire qu’ils doivent être une solution mais une solution parmi d’autres. Surtout que de meilleures alternatives existent et qu’elles sont intérieures, donc plus faciles d’accès. L’amélioration des marchés intérieurs par une bancarisation accrue des populations devrait être la priorité. Elle encourage et stimule l’épargne intérieure qui peut ainsi être investie pour répondre aux besoins de financement de l’Etat mais aussi de ceux des entrepreneurs, entrainant ainsi une hausse de l’activité et donc des recettes fiscales de l’Etat. Une telle stratégie pousse aussi à l’amélioration des marchés financiers intérieurs, qui elle aussi, soutient l’activité économique mais surtout réduit la vulnérabilité face aux comportements de vautours qu’adoptent souvent les grands fonds d’investissements internationaux lorsqu’un pays en développement se retrouve en difficulté pour honorer ses engagements. En se tournant vers leurs propres citoyens, les gouvernements africains peuvent mieux gérer ces phases de turbulence et inclure des procédés de retardement ou de lissage afin de tenir leurs engagements financiers sans sacrifier des pans essentiels de leur mandat social.

Les partenariats public-privé constituent une autre solution de financement, intérieure elle aussi. C’est le thème qu’aborde Nicolas Simel dans une série de deux articles dont le premier rappelle l’échec d’autres solutions de financement. Ces types de partenariat où l’Etat fait appel à un partenaire privé, le charge d’une mission de construction et/ou de gestion d’infrastructures publiques cofinancées, a l’avantage d’alléger la charge de financement publique tout en assurant une meilleure gestion des infrastructures, synonyme d’un meilleur rendement pour les citoyens, pour l’Etat et pour l’activité économique.

Tite Yokossi

Les Etats africains et l’emprunt souverain sur les marchés financiers

Face au peu de succès des solutions traditionnelles de financement (investissements directs à l’étranger, dette concessionnelle provenant d’institutions internationales), les Etats Africains se tournent de plus en plus vers les marchés financiers et émettent des obligations souveraines dont les montants sont importants. C’est peut-être le signe d’un plus grand professionnalisme dans la gestion des finances publiques mais les risques associés à cette stratégie sont énormes. De meilleures alternatives sont pourtant plus accessibles et se trouvent dans le développement des marchés et de l’épargne intérieurs.


recentes_obligations_souv_Afrique (2)Traditionnellement, les pays africains recourent à l’aide au développement, à la dette concessionnelle – en général négociée avec le FMI ou la Banque Mondiale – ou encore à des investissements directs venus de l’étranger pour financer les écarts souvent importants entre les dépenses inscrites au budget et les recettes intérieures. La donne est en train de changer depuis quelques années avec l’emballement autour de la dette souveraine émise sur les marchés financiers.

Dans un article paru récemment dans les Echos[1], Joseph Stiglitz[2] fait le point de la fièvre obligataire récente des Etats Africains, en souligne les risques associés et la possibilité d’une nouvelle crise systémique qui pourrait en découler. Le constat de l’emballement des pays Africains pour les emprunts obligataires est frappant. Avant 2007, la quasi-totalité des pays africains en dehors de l’Afrique du Sud se limitait aux solutions de financement traditionnelles.

Le vent du changement a d’abord soufflé au Ghana avec l’émission en octobre 2007 d’obligations d’un montant de 750 millions de dollars à un taux d’intérêt de 8.5% sur trente ans. La Côte d'Ivoire, le Sénégal, l’Angola, le Nigeria, la Namibie, la Zambie, la Tanzanie, le Gabon, la République du Congo et les Seychelles ont depuis suivi l’exemple du Ghana. Un engouement qui ne se dément pas. En juin 2013 par exemple, les deux Etats  africains suivants ont émis de la dette souveraine sur les marchés financiers: le Sénégal (172 milliards de FCFA) et la Côte d’Ivoire (93 milliards de FCFA).

Les principaux besoins mis en avant par les Etats débiteurs pour motiver ces émissions d’obligations sont en premier lieu les dépenses d’infrastructures. Ce fut le cas du Ghana en 2007, du Sénégal en 2009 et en 2011), de la Zambie en 2012 et de la Tanzanie en 2013. L’Afrique du Sud et le Nigéria (2011) ont fait des émissions de référence. Il s’agit là de pays dont le volume économique leur permet de lancer des obligations désormais de référence plutôt que des émissions ponctuelles et conjoncturelles. Enfin, plusieurs pays africains ont émis de la dette dans un cadre de restructuration de la dette contractée antérieurement. Les Seychelles en 2006 et en 2010, le Gabon en 2007, la République du Congo en 2007 et la Côte d’Ivoire en 2010 en sont des exemples récents.

Les raisons de cet engouement pour l’émission d’obligations souveraines africaines sur les marchés financiers internationaux sont multiples. Stiglitz y voit une manifestation de l’appétit des investisseurs pour le rendement, car les taux que promettent ces obligations sont largement supérieurs à ceux des obligations d’Etat américaines, par exemple, qui sont au plus bas. L’autre raison évoquée est l’autonomie et la liberté d’action que confèrent ces emprunts, une liberté qui fait complètement défaut aux dirigeants africains lorsqu’ils empruntent auprès des partenaires au développement. Le compromis classique était d’obtenir des taux d’intérêts bas, parfois nuls ou négatifs sur la dette mais en revanche d’accepter une surveillance drastique quant à la manière d’utiliser les fonds, une surveillance souvent  accompagnée de contraintes d’ajustement structurel.

D’un côté, on aurait donc des investisseurs obnubilés par l’appât du gain, prêts à prêter à des taux inférieurs à ceux de la dette souveraine espagnole, à des Etats comme la Zambie, malgré leur mauvaise note de crédit. Ces investisseurs iraient même jusqu’à espérer un sauvetage si les pays débiteurs se retrouvaient au bord du défaut, un sauvetage qui serait orchestré par les fameux partenaires au développement et qui pourrait rapporter gros aux institutions prêteuses. De l’autre côté, on aurait des dirigeants qui souhaiteraient bénéficier de la liberté d’utilisation et d’investissement des fonds collectés tout en faisant le calcul qu’il incombera aux dirigeants des mandatures à suivre de faire face aux difficultés liées au service de la dette. La rencontre de ces investisseurs et de ces dirigeants de pays africains, tous pensant uniquement à leurs intérêts et faisant preuve d’une vision très court-termiste serait à la base de cette exubérance, qui a en elle les germes d’une crise systémique dont les conséquences seraient catastrophiques.

Peut-on cependant y voir des signes positifs ? Que faire face aux risques liés à cette stratégie de financement ? Nous aborderons ces points dans le deuxième volet de cette série.

A suivre…

Tite Yokossi

 

 

 

 

 

 


[1] L’article est initialement paru sur Project Syndicate, une plateforme très influente où s’expriment régulièrement des économistes de renom

 

 

 

 

 

[2] Joseph Stiglitz, lauréat du Prix Nobel d’Economie en 2001, est professeur à la prestigieuse université de Columbia à New York.