La dette, un frein au développement

La dette extérieure des pays classés Pays En Développement (PED) est de 2800 milliards de dollars. La dette extérieure des pays d’Afrique est de 215 milliards de dollars. Quel avenir pour des pays comme la Côte-d’Ivoire dont la dette atteint près de 11 milliards de dollars ? Ces chiffres paraîtraient à coup sûr moins alarmants si l’endettement croissant des pays africains était généré par des politiques de développement audacieuses, nécessitant des emprunts faramineux. Il n’en est rien. L’Afrique s’endette mais reste hors du jeu de la mondialisation. Alors d’où vient cet endettement ? Qu’est-ce que cela implique pour le devenir économique du continent noir ? On cherchera ici les réponses au travers du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM). Le CADTM est une organisation fondée en 1990 en Belgique, dont l’action principale est de lutter contre la dette des pays du tiers monde. Le mouvement prendre sa source au discours de T.Sankara lors de la 25e conférence de l’OUA de 1987, où le président du Burkina Faso d’alors, demanda l’annulation de la dette de tout le continent. Cet objectif se retrouve dans l’article 4 de la charte de l’organisation : « annulation pure et simple de la dette ».

Pour le CADTM, la dette publique africaine est le résultat de trois événements. Tout d’abord, la décolonisation. Suite à leurs indépendances, les pays africains ont besoin de liquidités pour se développer alors que dans le même temps, les pays européens doivent trouver des débouchés aux dollars amassés grâce au Plan Marshall, lancé quelques quinze années plus tôt. Des prêts massifs vont donc être accordés par les Etats européens aux Etats nouvellement indépendants d’Afrique. Ensuite, le choc pétrolier. Suite à la multiplication par 30 du baril de pétrole en 1973, les membres de l’OPEP placent leurs pétrodollars dans les banques occidentales privées. Ces dernières en profitent pour accorder des prêts avantageux aux pays africains afin qu’ils investissent plus massivement. Encore aujourd’hui, les pétrodollars constituent une grande partie de la dette extérieure privée du continent. Enfin, la crise économique du milieu des années 1970. Cette crise va obliger les pays d’Europe à trouver de nouveaux débouchés pour leurs produits manufacturés. Ils se rabattent sur le continent africain, alors globalement en forte croissance. Le système des crédits d’exploitations est alors employé. Les crédits d’exploitation sont des crédits accordés à taux très faibles à condition que les pays emprunteurs consomment exclusivement des biens du pays préteurs, dans le domaine prédéfini dans le contrat. Pour le CADTM, les crédits d’exploitations sont les principaux responsables de la dette des pays africains aujourd’hui et par là même, de leur incapacité à se développer.

C’est en effet bien de cela qu’il s’agit. La dette n’aurait que peu d’importance s’il elle n’était pas un frein à la croissance des Etats africains, comme c’est le cas aux Etats-Unis, par exemple. Sur ce point précis, si les dirigeants africains sont les premiers responsables, ils sont, par ailleurs, bien aidés par les instances internationales. Le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD ou Banque mondiale) travaillent aujourd’hui de concert à la lutte contre l’endettement des PED. Mais que cache en réalité cette lutte ? Lorsqu’un pays se retrouve au bord de la faillite, car dans l’incapacité d’honorer ses dettes, il est placé à sa demande (mais a-t-il vraiment le choix ?) sous la tutelle du FMI. L’instance prend alors les mesures nécessaires pour permettre le recouvrement de la dette. C’est le Plan d’Ajustement Structurel (PAS). Seulement, le PAS n’est appliqué que pour permettre aux pays de rembourser leurs dettes et non de se développer. Les changements apportés à l’économie locale, qu’ils soient conjoncturels ou structurels, sont souvent incompatibles avec une stratégie facilitant l’essor économique : politiques de rigueur, dévaluation monétaire etc.

Dans le même ordre d’idée, en 1996, le FMI et la BIRD ont créé l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) qui consiste à encadrer économiquement les pays les plus endettés au monde. La charte de l’initiative PPTE stipule que les pays membres doivent avoir « parfaitement mis en œuvre des réformes et de saines économies dans le cadre de programmes soutenus par le FMI et la BIRD ». Mais qu’est-ce qu’une réforme saine ? Les mêmes ressorts ne sont pas à utiliser selon que l’on soit un pays endetté et riche ou un pays endetté et exsangue. Et quels sont ces programmes soutenus par les deux instances ? Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’Economie en 2001 et ancien économiste pour le compte de la BIRD, explique dans Globalization and its discontents (2002), que des programmes tels que les PAS ou les PPTE sont des stratégies en trompe-l’œil, car le FMI, comme la BIRD ne servent que les intérêts de leur actionnaire majoritaire : les Etats-Unis. Face à une telle situation le CADTM tente de riposter intelligemment en essayant d’aider les pays concerner à mieux satisfaire les besoins de leurs populations : «encourager les alternatives économiques et sociales locales (…)en fonctions des situations » art.4 . Il tente également la synergie avec les mouvements sociaux et réseaux africains ayant le même but que lui.

En juin 2005, la Banque Mondiale, en concertation avec les PAI les plus puissants (Pays Anciennement Industrialisés), a décidé une annulation partielle de la dette du Tiers Monde. 40 milliards de dollars effacés de l’ardoise, pour 18 pays dont 14 africains. Cette annulation avait pour but de donner plus de souplesse dans les politiques budgétaires des pays concernés, afin de leur permettre de se développer. Paul Wolfowitz, alors président de la BIRD, avait déclaré que cette annulation serait cruciale dans le renouveau économique du Tiers Monde et qu’il serait attentif au fait que ce « gain » profite bien aux populations. Si les pays africains ont aujourd’hui un ratio dette/PIB qui améliore leur classement mondial, il n’en reste pas moins que plus 6 ans après les propos de Wolfowitz, les résultats concrets, sur le plan social, se font toujours attendre. L’exemple de la dette des PED permet d’observer à nouveau que les instances internationales semblent avoir pour but premier de figer les positions entre les puissantes nations et les autres. Sans compter qu’en 20 ans, les taux d’intérêt de la dette sont passés de 5% à 16% en moyenne, la situation n’est donc pas prête de s’arranger.

Giovanni Djossou