L’économie camerounaise face aux Accords de Partenariat Économique ACP/UE

Depuis le début des années 2000, l’Union Européenne et les pays Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) ont entamé un processus visant à permettre la libéralisation de leurs échanges. Ces accords dits « Accords de Partenariat Économique » (APE) soulèvent de nombreuses questions sur leurs effets pervers sur les pays de la zone ACP, et le Cameroun ne fait pas exception.

Cet article, après avoir rappelé les bases des APE, visera à étudier leurs effets sur la compétitivité des entreprises camerounaises.

1. Contexte de ratification des Accords de Partenariat Economique par le Cameroun

Les Accords de Partenariat Économique (APE) sont des accords commerciaux visant à développer le libre échange entre l’Union Européenne (UE) et les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Plus spécifiquement, ils visent la création d’une zone de libre échange entre l’Afrique et l’UE avec l’ouverture des marchés, le transfert technologique, les coopérations et partenariats internationaux et les nouveaux débouchés.

Ces accords interviennent après la convention de Lomé initialisée en 1975 et l’accord de Cotonou passé en 2000. Ils comprenaient dans un premier temps la prolongation des « préférences commerciales » non réciproques[1] qui ont pris fin en 2014. Au cours de cette année, le Cameroun a signé un accord intermédiaire de manière isolée et ce dernier est entré en vigueur en Aout 2016 (Tidiane  Dieye, 2014). Une nouvelle étape dans son application a été conclue en Août 2016 lors de la signature de son décret d’application par Son Excellence Paul Biya (Camerpost, 2016). Il prévoit une suppression de 80% des droits de douanes pour les produits européens sur une période de 15 ans[2] (Ramdoo, 2015) ; ce qui aura tendance à densifier l’offre des biens sur le marché camerounais.

Toutefois, la ratification des APE liant les pays africains à l’Union Européenne (UE) intervient dans un contexte paradoxal pour le Cameroun. En effet, depuis plusieurs années, le pays a entamé le processus de diversification de ses partenaires internationaux. On note particulièrement la baisse de la part de l’UE dans le commerce extérieur du Cameroun et l’émergence de la Chine en terre camerounaise depuis plus de 5 ans. Elle représente aujourd’hui environ 17% des échanges extérieurs du Cameroun et est de plus en plus impliquée aussi bien au niveau du commerce des biens et services qu’au niveau des infrastructures routières, de l’hydroélectricité, des télécommunications, des logements sociaux et de l’alimentation en eau.

Si l’on s’en tient à ces aspects, on avancera que les APE vont favoriser et ou renforcer l’industrialisation des pays africains. Pourtant, l’expérience des USA, de la Corée du Sud, de la Chine et de la Suisse montre que pour se développer et s’industrialiser il faut parfois s’enfermer (Pougala, 2013). En effet, pour rester compétitifs face aux produits manufacturés venant de la Grande Bretagne au XIXème siècle, les industriels américains ont convaincu le congrès de voter une loi portant le droit de douane à 47% sur les produits manufacturés en provenance d’Europe. Cette configuration a permis à l’industrie américaine de se développer sans être perturbée par les forces extérieures.

Dès lors, nul doute que la ratification des accords de partenariat économique du 22 Juillet 2014 aura des répercussions négatives fortes sur les pays africains signataires en général. Nous étudierons ici les effets des APE sur l’économie camerounaise en particulier.

2. Conséquences ou perversité des APE au Cameroun

Le Cameroun est aujourd’hui le seul pays d’Afrique Centrale à avoir franchi le cap du démantèlement tarifaire[3]. La simulation de l’impact de ce démantèlement tarifaire, sans la mise en œuvre du volet développement et la mise à niveau des entreprises locales, dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’emploi (DSCE) exposait des pertes cumulées des recettes non pétrolières à 459,6 milliards de F CFA entre 2015 et 2020. En termes de recettes fiscales, ces pertes cumulées jusqu’en 2013 étaient estimées à 1330 milliards.

Les APE favoriseront également l’éviction des contrats réalisables à moindre coût à cause de la corruption permanente (Pougala, 2013). Alors que de nombreux projets étaient jusqu’ici négociés de pays à pays, ils devront désormais être soumis au marché des appels d’offres et à toutes ses dérives, en réponse à la législation européenne désormais appliquée.

Par ailleurs, le cœur de la politique économique de l’UE étant que l’Etat ne doit avoir de contrôle sur aucune entreprise, les APE vont également favoriser la privatisation des entreprises publiques (Pougala, 2013). De la sorte, par ces accords, le Cameroun doit s’attendre à des procès d’entreprises européennes dénonçant le fait que les entreprises camerounaises qui fournissent les services de base soient les propriétés plus ou moins exclusives de l’Etat.

Au-delà de ces aspects, la principale inquiétude réside dans le fait que la mise en œuvre des APE se fera au détriment du commerce intra africain, les entreprises nationales seront confrontées à l’intensification de la concurrence internationale des firmes plus aguerries de l’Union Européenne. Ce qui ne sera pas sans incidence négative sur l’économie camerounaise à cause de la faible productivité et de la faible compétitivité de celle-ci.

En le classant 115ème sur 145 pays en 2013[4], le forum économique mondial (World Economic Forum) réaffirme la capacité limitée des entreprises du Cameroun à créer les richesses et les emplois. Même sans les APE, la mise à niveau des entreprises camerounaises est un impératif pour exister dans un monde en pleine globalisation. Le principal défi pour cette économie est d’assurer la compétitivité de son secteur privé.

3. Les perspectives pour la compétitivité des entreprises camerounaises

Plusieurs « instruments » ont été mis en œuvre pour favoriser la compétitivité des entreprises. L’on peut citer le comité de compétitivité, le projet de compétitivité des filières de croissance, le Cameroon business forum, la banque agricole, l’agence des petites et moyennes entreprises (Eloundou, 2014). Mais les résultats obtenus ne sont pas assez satisfaisants et suscitent de nouvelles recommandations. A côté du plan d’adaptation de l’économie camerounaise, évalué à 2500 milliards de francs CFA, qui vise le renforcement du tissu économique à travers l’amélioration de la compétitivité des entreprises nationales et de l’enveloppe de 6,5 milliards de l’UE pour soutenir cette même  compétitivité, plusieurs actions sont envisageables.

L’élargissement de l’assiette fiscale

Contre la baisse des droits de douane, on peut envisager un élargissement de l’assiette fiscale. En 2011, le secteur informel représentait 90% de la population active et contribue à environ 30% du PIB de l’économie nationale avec 2,5 millions d’unités de production informelles (INS, 2011 ; Mbodiam, 2017). Les intégrer aux moyens de reformes appropriées aidera à collecter de nouvelles ressources pour répondre aux exigences de la compétitivité entre autres. La première exigence est la création d’un cadre macroéconomique favorable aux affaires, la deuxième exigence est la culture de l’innovation.

La création d’un cadre macroéconomique favorable aux affaires

Plus de la moitié des chefs d’entreprises interrogés donnent une opinion défavorable de l’environnement des affaires au Cameroun. Les facteurs les plus dégradants font référence aux infrastructures, à la corruption, à la concurrence déloyale, à l’accès au crédit, aux coûts élevés des facteurs de production, aux formalités administratives, etc. (RGE, 2009). Il en résulte que le gouvernement doit effectivement devenir un partenaire efficace du secteur privé en renforçant la construction des infrastructures, le développement des techniques de l’information et de la communication et les projets structurants dans le domaine de l’énergie. Ceci nécessite d’avoir également des institutions fortes.

La culture de l’innovation

La culture de l’innovation permet d’enrayer l’intensification de la concurrence par les prix en mettant l’accent sur d’autres facteurs de différenciation. Il est démontré qu’elle est un important facteur de production, de compétitivité ainsi qu’un levier de croissance, d’emploi, d’investissement et de consommation (Eloundou, 2014). Ainsi, les entreprises qui utilisent les innovations technologiques par exemple sont les plus productives. Par ce canal donc, les entreprises camerounaises pourront aisément se distinguer et se lancer à la conquête des gains et des nouveaux marchés.

Etant donné que cette innovation est fonction de la taille des entreprises, on peut comprendre pourquoi elle reste encore limitée au Cameroun où la plupart des entreprises sont de petite taille et ne disposent par conséquent pas de moyens pour supporter les coûts très élevés de recherche. En 2009, le pays comptait 75% de très petites entreprises[5] contre 1% de grandes entreprises[6]. La promotion de l’innovation nécessite le financement des activités de recherche-développement d’une part, et l’exploitation des résultats des travaux menés par les chercheurs d’autre part. Selon le recensement général des entreprises de 2009, seuls 11% des chefs d’entreprise en faisaient usage et on peut imaginer que ce chiffre n’ait pas beaucoup évolué.

La limitation de l’impact des mesures non tarifaires

Il s’agit de lever les obstacles non tarifaires que les acheteurs du monde imposent aux PME camerounaises et de limiter l’impact des mesures non tarifaires qui plombent les échanges commerciaux. Au moins 10% des entreprises camerounaises sont confrontées à des mesures non tarifaires contraignantes tant pour les exportations que pour les importations. Elles concernent notamment l’administration de la preuve à l’origine et des obstacles techniques au commerce. Par ailleurs, aucun produit camerounais de la première phase de démantèlement du 4 Août 2016 ne répond aux normes européennes. La limitation de l’impact de ces mesures peut se faire en assurant la cohésion au niveau national desdites règles, en rationalisant les dispositifs et en favorisant la transparence au niveau des mesures.

En somme, le développement des capacités productives du secteur privé camerounais exige que les entreprises camerounaises soient soutenues et remises à niveau pour être capables de répondre aisément aux exigences des marchés.

La signature des accords de partenariats économiques entre l’UE et le Cameroun en 2016, soulève de nombreuses interrogations, notamment sur leurs potentiels effets pervers sur l’économie camerounaise. Certaines mesures visant à améliorer la compétitivité des entreprises et le climat des affaires peuvent néanmoins être envisagées.

Claude Aline Zobo

[1] C’est-à-dire la levée des droits de douane pour les exportations des pays ACP tout en permettant le maintien des barrières tarifaires sur leurs importations en provenance de l’Europe.

[2]Pour plus de précisions sur l’évolution des tarifs, confère Brice R. MBODIAM « Cameroun : le Président Biya déclenche le démantèlement tarifaire progressif suite à l’entrée en vigueur des APE Avec l’UE », investir Au Cameroun, Août 2016.

[3] Abattement des droits de douane.

[4] 119ème sur 138 pays en 2017.

[5] C’est-a-dire les entreprises avec moins de dix salariés.

[6] C’est-à-dire les entreprises dont l’effectif est supérieur à 5000.

Références

Cheick Tidiane DIEYE (2014) : « Accord de partenariat économique : l’interminable saga aura bientôt une fin ? ».

Isabelle RAMDOO (2015) : « APE : quels gains pour l’Afrique et que peut elle perdre ? », ICTSD.

Jean Paul POUGALA (2013) : « APE Cameroun : voici pourquoi le Cameroun ne doit pas signer l’APE final », www.pougala.org.

Jocelyne NDOUMOU-MOULIOM (2016) : « APE : un déséquilibre à réduire », Cameroun Tribune.

Laurice ETEKI ELOUNDOU (2010) : « La compétitivité des entreprises camerounaises par l’innovation ».

Samuel NTOH (2009) : « La compétitivité et l’internationalisation de l’entreprise camerounaise face à l’ouverture des marchés ».

Quand l’informel s’impose : cas du Bénin

image_galleryLe secteur informel est considéré depuis toujours comme un secteur de survivance pourvoyeur d’emplois précaires. Cette vision du secteur a perdu du terrain car le secteur informel joue de plus en plus un rôle socio-économique fondamental dans les pays en développement. Malgré toutes les tentatives des autorités gouvernementales pour amener les acteurs du secteur à se formaliser, les activités informelles prennent de l’ampleur au point où elles sont devenues un élément essentiel dans le fonctionnement et la régulation sociale. 98% des entreprises au Bénin sont individuelles et évoluent dans le secteur informel[1]. L’administration béninoise adopte des comportements qui confortent les partisans des acteurs informels. Aujourd’hui presque tous les secteurs d’activités de l’économie béninoise contiennent une part informelle.

Le domaine agricole est majoritairement informel. Le Bénin tire une grande partie de sa richesse du secteur primaire (38% du PIB) dont l’agriculture est une composante principale (75%), surtout de la culture du coton qui représente plus de 85% des exportations béninoises[2], contribuant ainsi fortement à la création de richesse. Selon les estimations des autorités béninoises, l’égrenage de 50000T de coton augmente le taux de croissance de 1%.

De façon indirecte, le secteur informel est l’un des principaux fournisseurs de l’administration centrale. Lorsque les entreprises formelles sont sollicitées par l’administration publique pour la fourniture des produits tels que les matériels informatiques, les matériels de bureau ou encore des matériaux de construction, ces dernières s’approvisionnent auprès des marchands informels. Surpris en train d’acheter des matériels en quantité importante auprès de vendeurs ambulants nigérians, une entreprise contractante auprès de l’Etat indique que "ce sont des matériels électriques que je m’apprête à aller livrer dans un département ministériel; mais avant de remettre les produits je les mettrai dans des emballages préfabriqués". Ainsi les produits acquis dans l’informel, en provenance essentiellement du Nigéria ou du Togo, font l’objet de reconditionnement par des unités économiques formelles avant d’être livrés à l’administration. Le Gouvernement béninois à travers la Loi de finances de 2015 a pris l’option d’accorder une place prépondérante aux artisans locaux (majoritairement informels) pour les besoins de l’administration publique (près de 60% des achats envisagés).

Les commerçants informels n’ont en aucun cas recours au système bancaire et très rarement aux services de la microfinance dans les éléments constituant leurs capitaux. C’est dire que beaucoup d’entre eux ne pensent pas domicilier leurs revenus dans des structures financières officielles. Ils gardent toujours leurs revenus dans leurs maisons, évitant certainement l’administration fiscale. Cette attitude, très générale, est liée à la crise bancaire qu’a vécue le Bénin pendant la période révolutionnaire marxiste léniniste de 1972 à 1989. Les acteurs informels empruntent auprès des structures tontinières pour leurs investissements. Ces entreprises tontinières exercent dans des domaines réservés le plus souvent aux banques et aux sociétés d’assurances. Il est souvent constaté de nos jours que ces structures tontinières octroient des crédits à des petites unités de production et reçoivent des épargnes à court et à moyen termes comme le font les assureurs. Elles sont devenues quasiment un substitut aux compagnies d’assurance. En effet, les Béninois sont de plus en plus réticents à souscrire aux polices d’assurances (surtout celles relatives aux produits Vie). Même si la pauvreté peut expliquer cet état de chose, il y a des comportements développés par les assureurs eux-mêmes en cherchant à jouer tous les rôles y compris l’intermédiation, s’octroyant du coup les avantages y afférent. Malgré le référentiel tarifaire de la Direction des Assurances (DA), chaque société d’assurances se préoccupe de collecter les primes ou cotisations sans se soucier de l’obligation de règlement de sinistres. Les clients potentiels préfèrent se rendre auprès des gestionnaires des entreprises tontinières pour solliciter les services de ceux-ci. Ce qui fait que la cession des produits Vie diminue par rapport aux produits IARDT (l’assurance automobile étant obligatoire selon la réglementation en vigueur au Bénin). Pire les Polices Santé sont concurrencées par le RAMU[3] et les autogestions sanitaires faites par certaines entreprises. A cela il faut ajouter le système sanitaire qui est envahi par des pratiques informelles : administration des soins, commercialisation des produits pharmaceutiques issus du circuit informel aux patients par les animateurs des hôpitaux publics ou privés agréés.

S’appuyant sur les différents éléments d’appréciation mentionnés ci-dessus, il est évident que l’environnement institutionnel et juridico-administratif actuel du Bénin est inadapté aux activités informelles engendrant ainsi un nombre de contraintes qui nuisent aussi bien à l’émergence qu’au développement des unités économiques informelles. En 2014, les clients des 13 banques opérant sur le territoire du Bénin ont permis à celles-ci de réaliser un chiffre d'affaires de 2820 Milliards[4] de FCFA. Si on considère que le taux de bancarisation au Bénin est de 15,69%, et que les acteurs informels devraient aussi appartenir à la clientèle des ces institutions financières, ils leur auraient permis de réaliser en plus un chiffre d'affaires de près de 15000 Milliards de FCFA. L’informel constitue une niche d’opportunités qu’il faudrait saisir au lieu de le combattre avec véhémence, d’autant plus que la situation de précarité qui prévaut dans de nombreux pays africains, permet d’installer durablement ce secteur. En effet, la contribution du secteur informel dans l’économie nationale mérite qu’on y accorde une attention particulière. Lors du forum sur « Le secteur informel et développement économique du Bénin », il a été proposé la mise en place d’un cadre réglementaire et fiscal simple, et de la densification des relations entre Etat, le Secteur informel et le Secteur formel, afin d’envisager une restructuration du secteur informel, et d’en faire un contribuable. Une solution qui pourrait certainement permettre d’associer pleinement le secteur informel à l’économie. Ainsi, un secteur informel mieux organisé, peut participer à la création de richesse, contribuant ainsi efficacement à l’essor économique d’un pays.

Nicolas Olihide


[1]Dans le journal « Le Matinal » n° 3387 du 02/07/2010, (2ème Recensement Général des entreprises initié en Octobre 2008)

[2] Indicateurs macroéconomiques sur le Bénin de 2005 à 2099.

[3] RAMU : Régime d’Assurance Maladie Universelle mis en place et géré par le Gouvernement béninois.

[4] BENIN/MFE, 2014, http://french.china.org.cn/foreign/txt/2015-02/15/content_34826442.htm, consulté le 16 Février 2015.

INSPIRATION #2 : PRESENTATION DU FADEV

Avec l’explosion de sa démographie (1,9 milliards d’habitants prévus en 2050), la jeunesse de sa population active, la croissance urbaine la plus rapide du monde, ses richesses naturelles convoitées par le monde entier, l’Afrique est un continent en pleine mutation, riche de fortes espérances économiques.

Dans ce contexte, l’accélération de la réduction de la pauvreté par la croissance économique de son secteur privé est un enjeu majeur. Les MPME (micro, petites et moyennes entreprises) qui dominent le tissu productif du continent représentent sans aucun doute le cœur d'un développement économique réussi et endogène ainsi qu’un levier majeur d’amélioration durable des conditions sociales du continent.

En zone urbaine, comme en zone rurale, les TPE, PME et PMI, qu'elles soient formelles ou informelles, fournissent l'écrasante majorité des emplois, et donc des revenus stables à de nombreuses familles, de même que l’accès à des biens et services indispensables à la communauté. Leur développement doit consolider les postes existants et créer des emplois qualifiés qui permettront d'absorber les dizaines de milliers de jeunes africains qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Portées par des entrepreneurs ouverts et talentueux elles permettent aussi une large diffusion et adaptation des richesses culturelles et des savoir-faire traditionnels. Présentes sur l'ensemble des territoires, elles contribuent également à éviter les déséquilibres entre régions et ainsi à y amenuiser les tensions sociales.

Or, pourtant essentielles au développement de l’Afrique, les petites entreprises se trouvent majoritairement bloquées par la question de leur financement.

Le fondement de l'initiative du Fonds Afrique Développement (FADEV |www.fadev.fr) repose justement sur le constat d’un manque fondamental dans l'offre de financement aux MPME. Ce champ dit de la "mésofinance" reste encore très peu couvert par les institutions financières, à des conditions compatibles avec les besoins des MPME.

Créé en 2005, le FADEV est un fond d’investissement solidaire reposant sur un mécanisme « d’equity crowdfunding », il collecte l’épargne de particuliers et d’acteurs institutionnels et l’injecte dans le cœur de l’économie africaine, les MPME, en mutualisant les risques pour les souscripteurs.

Infographie-processus-FADEV-simple

 

Innovant et précurseur, le FADEV a adopté une démarche fortement ancrée dans l'économie sociale et solidaire, qui répond aux caractéristiques suivantes: 

  • Le FADEV investit exclusivement dans des PMEs en développement, pour un montant de financement où la demande est forte et l’offre faible ou encore peu adaptée (entre 10 000 et 100 000euros) et propose des prêts à conditions préférentielles. Ces PME sont identifiées par nos partenaires locaux ou postulent directement sur le site du FADEV : http://www.fadev.fr/obtenir-un-financement
  • Après s’être assuré que l’entreprise respecte les critères de sélection et de solidarité qu’il promeut, le FADEV en devient actionnaire minoritaire et met en place un accompagnement technique et technologique sur mesure en plus de son appui financier. Ce suivi est assuré par un cabinet local issu du réseau FADEV, sélectionné pour son sérieux, et qui peut également être appuyé par des souscripteurs bénévoles. C’est un véritable partenariat qui se tisse durant les 5 à 7 ans que dure l’investissement et à l’issue duquel est proposée une transition vers des partenaires financiers plus adaptés à la nouvelle stratégie de l’entreprise.
  • Le FADEV promeut une vision et des vocations solidaires. Enregistré comme une coopérative à intérêt collectif, son capital est détenu par des particuliers ou partenaires soucieux du développement économique et social de l’Afrique. Avec un risque mutualisé et des attentes de rentabilité modérées, les souscripteurs et les entreprises du portefeuille partagent la même ambition : la réussite des bénéficiaires. Son sérieux lui a également valu l’accréditation Finansol et le soutien de l’Agence Française de Développement.
  • Après avoir réalisé une vingtaine d’investissements sans aucune faillite, le FADEV s’est doté en 2014 d’une plateforme de crowdfunding afin de permettre à de nouveaux souscripteurs d’investir plus facilement et d’accroître ainsi sensiblement ses capacités.

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Gamme de savon de la SPH

Si l’arrivée très commentée de fonds d’investissement sur le continent africain apparait en premier lieu comme une opportunité, peu d’initiatives y associent étroitement des objectifs sociaux et environnementaux ; et rares sont celles privilégiant l’investissement technique et financier dans des petites entreprises. La longévité du FADEV et la réussite de ses premières opérations sont pourtant le signal qu’un autre modèle est possible et même souhaitable pour les PME africaines.

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Moumouni KONATE (au centre) et son equipe au centre de fabrication

Le dernier entrepreneur accompagné de bout en bout, la Savonnerie Parfumerie du Houet (Burkina Faso), en témoignait en ces termes dans le septième et dernier rapport d’exercice adressé au FADEV: « Je voudrais confirmer l’avenir promoteur de notre maison commune qu’est la SPH et profite de l’occasion pour exprimer ma reconnaissance vis-à-vis du FONDS AFRIQUE DEVELOPPEMENT pour le travail audacieux abattu ainsi que toutes les opportunités qui nous ont été offertes à l’occasion de ce partenariat ».

Régulièrement, nous vous proposerons de découvrir le portrait d’entrepreneurs africains accompagnés par le FADEV dans cette rubrique Entrepreneuriat !

Martin Fleury et Johann Fourgeaud, consultants FADEV

Pour aller plus loin : http://www.fadev.fr/

 

L’Afrique peut-elle bénéficier de l’agriculture biologique ?

L’agriculture biologique est encore peu pratiquée en Afrique et en particulier en Afrique Centrale. Pourtant l’Afrique a d’énormes atouts pour profiter de la demande mondiale en produits biologiques. Il suffit d’encourager la formation des agriculteurs aux techniques agro-écologiques et de mettre en place des normes de certifications équivalentes à celles des pays développés.

L’agriculture biologique combine imageà la fois les techniques agricoles modernes et les enjeux écologiques en s’inspirant de l’agriculture traditionnelle[i]. Ainsi, elle se caractérise par une faible utilisation de produits synthétiques tels que les pesticides et les engrais ; contrairement à l’agriculture conventionnelle ou intensive[ii]. Compte tenu de la prise de conscience croissante des enjeux environnementaux et sanitaires de l’agriculture intensive de la part des producteurs et des consommateurs, l’offre et la demande de produits d’agriculture biologique explosent depuis le début des années 2000[iii]. Quelle est la position de l’Afrique dans cette embellie? Existe-t-il des opportunités de développement de l’agriculture biologique en Afrique ? Quels sont les principaux obstacles à lever pour une émergence effective de cette agriculture? Cet article tente d’apporter quelques réponses à ces questions en mettant l’accent sur la situation de l’Afrique Centrale.

L’agriculture biologique est encore peu pratiquée en Afrique et en particulier en Afrique Centrale

fig1Comme le montre le graphique ci-contre, davantage de terres agricoles sont consacrées à l’agriculture biologique dans le monde et en particulier en Afrique. Ainsi, la superficie des terres d’agriculture biologique en Afrique a été multipliée par plus de 20 entre 2000 et 2011, passant de 50000 à 1,2 million d’hectares. Cependant, en 2011, elle ne représente que 3% de la superficie mondiale dédiée à l’agriculture biologique. Cette faible proportion ne doit pas néanmoins masquer des exemples de réussite tels que l’Ouganda, la Tunisie et l’Ethiopie qui sont les leaders de cette pratique en Afrique. Le cas de l’Ouganda est frappant. En 2010, ce pays représentait à lui seul 21% des terres d’agriculture biologique du continent, avec le plus grand nombre de producteurs et le système institutionnel le mieux organisé. En 2011, l’agriculture biologique en Afrique est davantage consacrée aux cultures de rente telles que le café, le coton, le cacao et l’huile de palme.

FIG2En ce qui concerne l’Afrique Centrale, les informations disponibles dans quatre des dix pays de la CEEAC (Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale), montrent une stabilité des superficies dédiées à l’agriculture biologique entre 2008 et 2011, à l’exception de la RDC et de Sao-Tomé et Principe.

L’Afrique a d’énormes atouts pour profiter de la demande mondiale en produits biologiques

La faible contribution de l’Afrique dans la production biologique contraste avec ses potentiels. Contrairement à l’intuition, le sous-développement de l’agriculture intensive sur le continent est un atout pour le développement de l’agriculture biologique. En effet, selon les conclusions de la conférence de la FAO (2007) sur l’agriculture biologique, les rendements de cette dernière sont plus élevés dans les régions qui utilisent initialement peu de produits synthétiques (notamment les pesticides). Cela est dû probablement à l’effet nocif des pesticides sur la fertilité des terres agricoles. Compte tenu de la structure actuelle du système agricole africain, caractérisé dans beaucoup de pays par une agriculture vivrière peu de produits synthétiques sont utilisés dans les terres. Par conséquent, l’état actuel du système agricole africain est très favorable à l’adoption de l’agriculture biologique.

FIG3Cet avantage se trouve renforcé par la disponibilité des terres agricoles sur le continent. Selon les statistiques de la FAO (voir graphique ci-contre), seulement 40% des terres agricoles ont été utilisées en Afrique en 2011. Cette proportion chute à 25% en Afrique Centrale, démontrant ainsi une plus grande marge de manœuvre disponible pour l’adoption de l’agriculture biologique dans cette région.

Par ailleurs, le scénario souvent évoqué dans la littérature est celui d’une agriculture biologique qui prendrait le pas sur l’agriculture conventionnelle, mettant ainsi en péril la sécurité alimentaire. Compte tenu de la disponibilité des terres, ce scénario semble très peu probable. En particulier, lorsqu’on considère la tendance de la production de céréales en Afrique, on s’aperçoit qu’elle n’a pas été affectée par l’augmentation fulgurante de la superficie des terres agricoles consacrée à l’agriculture biologique. C’est ce que montre le graphique ci-dessous.

Au-delà des enjeux environnementaux, l’agriculture biologique peut s’avérer être un choix économique stratégique pour le continent FIG4africain dans un contexte mondial caractérisé par une concurrence accrue de la part des pays développés, exacerbée par des barrières non tarifaires et encouragée par les subventions agricoles. En effet, les atouts et potentiels de l’Afrique dans l’agriculture biologique peuvent être utilisés pour diversifier et différencier l’offre de produits agricoles du continent sur les marchés internationaux. Si seulement ces potentiels étaient transformés en performances, à l’instar de l’Ouganda, l’agriculture biologique pourrait être d’une part une source d’entrée de devises grâce aux exportations et d’autre part un moyen de réduction de la pauvreté grâce à l’augmentation des revenus des paysans. Cependant, sa percée est encore entravée par la certification des produits biologiques, gage de débouchés sur les marchés internationaux.

Former les paysans et mettre en place des normes de certification

fig6Aujourd’hui, la production et les exportations des produits agricoles dépendent encore significativement de l’utilisation des pesticides. Comme le montre le tableau ci-dessous, la production et l’exportation de produits agricoles sont plus élevés dans les pays qui utilisent plus de pesticides. L’ordre de grandeur de cette corrélation est similaire qu’il s’agisse des exportations ou de la production de cultures vivrières ou de rente. Cette importance de l’utilisation des pesticides dans la production et l’exportation agricole est liée aux problèmes de certification des produits biologiques qui existent à l’échelle des grands pays/régions importateurs de produits biologiques tels que les Etats-Unis et l’Europe. A titre d’exemple, ce n’est qu’à partir de 2012 que l’Union Européenne et les Etats-Unis d’Amérique ont reconnu mutuellement leurs normes de certification. Cela permet donc aux importateurs de produits biologiques de chaque pays d’acheter des produits biologiques de l’autre pays sans demander une certification nationale.

En Afrique, le problème est encore plus alarmant, car très peu de pays disposent de normes et de réglementations régissant la production agricole biologique. Selon le rapport Organic World (2013) seuls le Maroc et la Tunisie disposaient d’une réglementation en 2012. L’Egypte, le Kenya, le Sénégal, l’Afrique du Sud, la Tanzanie, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe élaboreraient des réglementations. Là encore on note une absence totale des pays d’Afrique Centrale dans la normalisation et la règlementation de l’agriculture biologique. En ce qui concerne la certification des produits, seuls UgoCert (Ouganda) et Certysis (Belgique) sont accrédités depuis 2012 par l’Union Européenne pour certifier les produits d’agriculture biologique en provenance de l’Ouganda et de l’Afrique de l’Ouest (Burkina-Faso, Ghana, Mali, Sénégal) respectivement.

Ainsi, l’Afrique est en retard sur l’adoption de cette innovation agricole. Et pourtant, l’exemple de l’Ouganda, premier producteur africain de produits agricoles biologiques démontre bien que la clé du succès dans la production biologique réside dans la mise en place d’un système de normalisation et de certification, qui lui-même requiert une production de qualité. Cela passera nécessairement par une formation plus rigoureuse des paysans à l’agro-écologie et par la négociation d’accords bilatéraux d’équivalence des normes de certification. Il est d’ailleurs souhaitable que les programmes de normalisation et de réglementation soient mis en place à l’échelle régionale comme c’est le cas actuellement en Afrique de l’Est sur la normalisation de l’agriculture biologique. Pour le moment, l’Afrique est encore loin de cet idéal, l’Afrique centrale l’est encore davantage.

Georges Vivien HOUNGBONON

Pour aller plus loin, voir l’article de Leila Morghad sur le sujet.


[i] Le dernier colloque de l’INRA sur l’agriculture biologique montre l’intérêt économique et environnemental de l’agriculture biologique. Selon un article qui résume les conclusions de ce colloque, il ressort que le premier tri efficace des lignées est tout à fait possible, la rotation des cultures de céréales limite la propagation des maladies, l’association de céréales et de légumineuses est bénéfique en dépit de son coût élevé, et qu’enfin l’utilisation de la biodiversité pour lutter contre les prédateurs naturels des cultures est efficace.

 

 

 

 

 

[ii] La particularité des produits synthétiques est qu’ils sont absents du milieu naturel. Leur production en laboratoire nécessite donc des réactions de synthèses de plusieurs molécules dont les incidences sur la santé sont encore très peu connues.

 

 

 

 

 

[iii] Selon un article de l’UNEP, la demande mondiale de produits biologiques a cru de 10 à 20% entre 2000 et 2007.