La politique étrangère de l’Afrique du Sud : entre idéalisme et realpolitik

Plus que tout autre pays, l'Afrique du Sud devrait être un défenseur et un promoteur des droits de l’homme en raison de son passé. Le pays a le potentiel d’être à l’avant-garde du combat pour un ordre international plus démocratique.

 


Dans un article écrit pour Foreign Affairs en 1993, Nelson Mandela, qui était à l’époque chef de l’ANC et futur Président, a articulé la politique étrangère de l'ANC dans une Afrique du Sud post-apartheid. Son message visionnaire disait : «que les questions des droits de l'homme sont au cœur des relations internationales et vont au-delà du fait politique pour englober le domaine économique, social et environnemental ; que des solutions équitables et durables aux problèmes de l'humanité ne peuvent venir que par la promotion de la démocratie dans le monde ; que les considérations de justice et de respect du droit international devraient guider les relations entre les nations; que la paix est l'objectif que tous les pays devraient s'efforcer de suivre et lorsque celle-ci échoue, que ce soient les mécanismes basés sur le consensus international et la non violence …. Que les préoccupations et les intérêts du continent africain devraient être reflétés dans nos choix de politique étrangère ... ».

Depuis 1994, l'Afrique du Sud a joué un rôle croissant sur le continent et dans le monde. Le pays fut par deux fois élu membre non-permanent du Conseil de sécurité ; Il fait parti des pays de l’IBSA et plus récemment des BRICS ; Au sein de l'Union Africaine, son rôle en tant que médiateur et contributeur aux forces chargées du maintien de la paix sur le continent s’est accru de manière exponentielle.

La politique étrangère de l'Afrique du Sud a la difficile tâche de satisfaire les attentes en matière de leadership dans le domaine de droits de l’homme (et son envie de jouer ce rôle sur la scène mondiale) et l’inévitable nécessité de realpolitik dans un paysage géopolitique aux rapports de forces en constante évolution. De plus les ambitions propres à l’Afrique du Sud, comme leader en Afrique et comme leader africain dans le monde, amène ses dirigeants à définir leur politique et leurs alliances de manière prudente et ce sur chaque problématique.

Zuma au Benin

 

Alors que sa puissance et son influence continuent de s’affirmer, les priorités et les objectifs de la politique étrangère de Pretoria font l’objet d’une attention croissante, et parfois de critiques sévères, y compris de l’icône de la lutte contre l’apartheid, l’archevêque Tutu, qui a remis en question le bilan du pays en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité, en soulignant notamment les efforts entrepris pour faire en sorte que le Zimbabwe ne figure pas à l’ordre du jour du Conseil. Ces critiques ont peut-être été plus appuyées en raison des attentes particulières envers l’Afrique du Sud post-1994 ; des attentes liées à son propre passé dans le domaine des droits de l’homme et à l’arrivée au pouvoir d’un parti de libération qui a produit 3 lauréats du prix Nobel et qui a donné naissance au leadership moral de modèles comme Mandela et l’archevêque Tutu. La politique étrangère d’une Afrique du Sud démocratique était censée être à l’avant- garde, particulièrement dans les domaines de la justice sociale et des droits de l’homme. Ce sont des attentes que d’autres pays émergents comme le Brésil, la Turquie ou l’Inde par exemple n’ont pas eu à satisfaire.

Bien que l'Afrique du Sud puisse ne pas être totalement à l’aise au sein de certains groupes de pays émergents comme les BRICS, elle partage un même désir commun de remodeler les dynamiques actuelles du pouvoir mondial, notamment la volonté d’inciter une réforme du Conseil de sécurité pour le rendre plus représentatif et démocratique. Cette volonté de remodeler les dynamiques de pouvoir et de défier le statu quo a inclus la remise en question de la communication sur les droits de l’homme qui met en avant certaines situations au détriment d’autres. Pourquoi, par exemple, l'opinion mondiale ne se mobilise pas autour des violations des droits de l’homme au Sahara Occidental ou à Guantanamo Bay de la même manière qu’elle le fait lorsque des intérêts bien établis sont en cause. Dans le débat annuel du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental qui eu lieu l'année dernière, l’ambassadeur d’Afrique du Sud accusa le Conseil de double standard, en soulignant le contraste entre la réponse apportée au Printemps arabe avec le refus de permettre un mécanisme permanent de surveillance des droits de l’homme dans la région et l’accusant d’une «approche sélective des droits de l'homme». Ceci est en accord avec une critique plus générale émanant de Pretoria envers ceux qui détiennent le pouvoir sur la scène internationale et le fait qu’ils utilisent les droits de l’homme comme prétexte afin de poursuivre des intérêts nationaux, les invoquant dans certains cas tout en les ignorant dans d'autres.

Ce point sert à rappeler qu'il n'y a pas de «politique étrangère des droits de l’homme» et que le fait d’évaluer une telle politique uniquement sur la base d’une problématique est biaisé sur le plan analytique. Il est plus approprié de fournir une analyse contextuelle de l'objectif général d’un Etat en matière de droits de l'homme, en reconnaissant la cohérence là où elle existe, mais en se concentrant sur ​​les tendances qui peuvent être révélatrices des priorités. Cela peut aider à comprendre à quoi le nouvel ordre mondial peut ressembler si les puissances émergentes continuent de voir leur influence croître sur la scène mondiale.

En évaluant la politique étrangère de l'Afrique du Sud, en particulier en ce qui concerne les questions de guerre et de paix, il faut comprendre que ce pays appréhende ses relations internationales à travers le prisme de sa propre histoire consistant à parvenir à une solution négociée dans laquelle la recherche de la paix et de la justice sont des impératifs qui se renforcent mutuellement. Il ne faut donc pas s'étonner que dans les cas où l’Afrique du Sud a été la plus sévèrement jugée, elle a poursuivi une politique de recherche de solution négociée. En Libye, bien que l'Afrique du Sud ait voté en faveur des deux résolutions du Conseil de sécurité 1970 et 1973, la zone d'exclusion aérienne et le renvoi à la CPI, elle a continué à chercher une solution négociée dans le cadre d'un panel de haut niveau de l'UA qu'elle a dirigé. De même en Syrie, alors que sa position au Conseil de sécurité en 2012 a été largement critiquée, l'approche adoptée, à tort ou à raison, est le reflet d’un effort incessant visant à trouver des solutions négociées à des conflits apparemment insolubles.

L'approche de l'Afrique du Sud à la Cour Pénale Internationale montre la manière dont elle tente de concilier les impératifs des différents groupes, ses propres engagements en matière de droits de l'homme et ses objectifs d’ordre plus général tels que la gouvernance mondiale.

Dans ses déclarations devant le Conseil de sécurité, l'Assemblée générale et l'Assemblée des États Parties au Statut de Rome, l'Afrique du Sud a souvent mis en avant l'importance de la lutte contre l'impunité et la contribution importante apportée par la CPI pour renforcer la responsabilisation et encourager d'autres États à devenir signataires du Statut de Rome tout en soulignant les questions telles que le financement et la non-coopération qui entravent le travail de la Cour. Dans le même temps, l'Afrique du Sud a soulevé des préoccupations au sujet de la politique suivie par la CPI et le manque de cohérence comme étant une menace pour la légitimité et l'efficacité de la Cour elle-même en s’interrogeant sur les intentions cachées.

L'Afrique du Sud a toujours soutenu la Cour, mais a également appelé à un processus à deux voies dans des situations telles que le Darfour qui permettrait à la fois une voie de la justice et de la responsabilité ainsi qu’une voie politique pour traiter de questions plus larges dont celles concernant une paix durable. C'est dans ce contexte qu'elle a appelé à un report de l’article 16 au sujet de la situation au Darfour, visant également à respecter les efforts régionaux pour résoudre les conflits.

La gestion des relations avec le président soudanais Béchir montre combien il peut parfois être délicat pour l’Afrique du Sud de trouver un équilibre entre certaines contradictions. Alors que le président Béchir fut invité à l’investiture du président Zuma en 2009, il aurait également été informé via les canaux diplomatiques non officiels ne pas y assister avant qu’il ne soit annoncé qu'un mandat d'arrêt avait été émis et qu’il serait utilisé au cas où il poserait le pied sur le sol sud-africain.

Cette solution permis à l’Afrique du Sud de remplir ses obligations, de relever l'indépendance de son système judiciaire et de maintenir ses relations diplomatiques avec un chef d'Etat et sa capacité à entrer dans un processus de médiation et de résolution de conflit. De même, tout en ne soutenant pas les objections de l'Union Africaine sur le fait que le tribunal visait à «cibler les africains», l'Afrique du Sud a incité le Conseil de sécurité à accepter la demande émise par l’UA de report du mandat d’arrêt contre Béchir.

Il est peut-être trop tôt pour faire le bilan d'un pays qui est encore en train de négocier un rôle croissant sur ​​la scène internationale. Ce que nous savons, c'est que les éléments clés de la politique étrangère prévus par l'ancien président Mandela en 1993 demeurent en place : la promotion d'un ordre du jour africain, de la paix, de solutions négociées et le respect des droits de l'homme en tant que composante essentielle des objectifs visés par la politique étrangère de L’Afrique du Sud. Malgré certaines contradictions et incohérences, le désir fondamental de contester le pouvoir établi pour un ordre international plus démocratique est clairement perceptible. Ceci peut en soi déjà être considéré comme un ordre du jour en faveur des droits de l’homme.

 

Dire Tladi & Nahla Valji

Pour Open Global Rights

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Sur les auteurs

Dire Tladi est Conseiller Juridique Principal (droit international) au ministère des Relations internationales et de la coopération sud-africain.

Nahla Valji est spécialiste des questions d'état de droit et de justice à ONU Femmes, agence de l'ONU oeuvrant  pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes.

 

Pour aller plus loin

 

Reproduction de l'article sous licence Creative Commons

Illustration : Visite officielle du Président Jacob Zuma au Bénin

Licence CC – Flickr @GovernmentZA

Diplomatie et hégémonie régionale en Afrique subsaharienne (2)

La géographie du Congo ou l'économie du Gabon : à qui le Centre ?

RDC
« L’Afrique est un revolver dont la gâchette est le Congo », disait Frantz Fanon. Cette assertion sonne comme un vœu pieux tant la RDC, à l’image de l’ensemble des Etats d'Afrique centrale, semble loin de l'émergence politique et économique. L’instabilité chronique dans cette région en est la cause principale. Le Congo, territoire immense aux ressources naturelles abondantes semble victime d'une malédiction. Son décollage aux premières lueurs de l'indépendance a été altéré par l'épopée de Mobutu ; les années qui suivirent son éviction du pouvoir furent marquées par un changement de direction politique qui n’a toutefois pas permis de rompre avec les vieux démons de la violence et d’une exploitation prédatrice des ressources nationales. L'est de la RDC est une zone poudrière qui est, à elle seuls, un nœud diffus de problèmes et d'enjeux multiples. En effet, sur ce territoire frontalier du Rwanda, cohabitent une multitude de groupes armés avec tous des agendas et des structurations différents. On y retrouve les Maï Maï, les Interhamwe, les FDLR, les rebelles du M23, les dissidents du RCD-Goma, etc.

Rwanda
A coté de cette kyrielle d'organisations militaires, le voisin rwandais est aussi une donnée à analyser avec grand intérêt. Paul Kagamé, président du Rwanda est constamment accusé de fragiliser et déstabiliser la RDC en accordant son soutien aux groupes armés qui opèrent sur le territoire congolais, avec comme base arrière le sol rwandais. Son but serait de disposer ainsi d'un levier de pression sur son puissant voisin. C'est une stratégie hélas courante sur le continent, utilisée par la Gambie qui s’est longtemps servie de la Casamance comme un moyen de pression sur le Sénégal ou de l'Algérie, qui s'appuie sur le Front Polisario pour contrarier le Maroc, etc.
L’impulsion derrière la diplomatie de Paul Kagamé est d’assumer un rôle de premier plan dans la région des Grands Lacs et, au delà, en Afrique de l'Est. Le Rwanda s'est donné les moyens de cette politique de retour après les tragiques épisodes du génocide de 1994 par le biais d'une diplomatie active et d'une économie en forte croissance.. Ce retour s’effectue avec le soutien des Etats Unis et de la Grande Bretagne qui accueillent avec bienveillance ce pays dans leur giron. Faut-il rappeler que le Rwanda post-génocide a tourné le dos à la France, allant même jusqu'à renier son identité francophone. Le rôle joué par Paris durant le génocide de 1994 reste controversé.

Gabon
Par ailleurs, dans la région centrale de l'Afrique, le Gabon occupe une place particulière malgré la modestie de sa taille et de sa population. Ainsi, ce pays joue un rôle de premier plan au sein de la CEMAC dont il est la locomotive, eu égard à sa puissance économique et financière. Le Gabon a pu s'appuyer sur ses richesses issues du pétrole pour acquérir une importance et une notoriété qui dépassent au-delà des frontières du continent. Cette importance du Gabon sur la scène internationale est aussi le fait d'une diplomatie généreuse surtout vis-à-vis de l'ancienne puissance coloniale. En effet, Omar Bongo a fini par symboliser, à lui seul, les méfaits et travers de la « Françafrique ». Sa loyauté vis-à-vis de la France a fait du Gabon un pays privilégié du pré-carré et une sorte de prolongement de l'ancienne métropole en Afrique. Omar Bongo a été fidèle à la France, que celle-ci soit de gauche ou de droite. Et elle le lui a bien rendu, notamment avec la présence de Nicolas Sarkozy à ses obsèques et l’acquiescement de l'Elysée à la transmission quasi-filiale du pouvoir à Ali Bongo, en porte-à-faux avec ses imprécations au respect de la démocratie et à la transparence dans les processus électoraux en Afrique.

Malgré elle, la Somalie plaque tournante d'une lutte d'influence féroce

La Somalie
L'Afrique orientale est sans doute la zone la plus troublée du continent avec une instabilité notoire entre les deux voisins Soudanais, les troubles frontaliers entre l'Ethiopie et son voisin érythréen, les visées rwandaises sur une partie du territoire congolais et la désagrégation de la Somalie qui est aujourd’hui, peut-être plus que l’Afghanistan, le modèle du failed state.
Aux côtés de Kigali, Nairobi et Addis-Abeba veulent aussi se positionner, voire se maintenir comme les acteurs majeurs de la zone. Curieusement, la Somalie constitue une zone d'exercice de l'influence que ces pays cultivent en Afrique orientale. La faillite de ce pays, divisé de fait en plusieurs micro-entités aux mains de chefs de guerre, de fondamentalistes shebabs et de pirates opérant dans le golfe d'Aden, inspire de la part de ses voisins une entreprise de normalisation qui cache mal un dessein hégémonique régional.

Le Kenya
Le Kenya, d’ordinaire réservé sur le plan militaire, a envahi le territoire somalien afin de combattre les milices islamistes qui ont procédé à des enlèvements de touristes et de travailleurs humanitaires étrangers sur le sol kenyan. L'Ethiopie a suivi en investissant la Somalie afin de combattre aussi les shebabs et d’éviter ainsi une jonction avec les populations autonomistes de l’Ogaden à majorité musulmane. Ces opérations, accompagnées d’un soutien logistique nécessaire au gouvernement provisoire somalien plus que dépendant de l'étranger, cachent mal une volonté des deux pays d’affirmer une puissance régionale dont le terrain de jeu est la Somalie.

Les luttes d'influence font rage en Afrique à l'instar des autres continents. Et il est intéressant de les appréhender selon une grille de lecture faisant appel à différents paramètres. Comment les intérêts nationaux peuvent-ils diverger, se croiser ou se compléter dans un grand ensemble qui est fortement tributaire des décisions et orientations prises hors de son sein ? En effet, il est courant de voir le continent africain indexé comme la cible d'une compétition hégémonique entre d'autres acteurs du jeu mondial. L'Europe qui veut préserver l'antériorité de son influence acquise par le biais du colonialisme. La Chine, qui se réveille et dont les besoins énergétiques orientent nécessairement vers le continent. L'Amérique qui veut intégrer l'Afrique dans son combat à visée universelle contre le terrorisme. C'est à oublier parfois qu'il existe une diplomatie intra africaine qui se pratique avec des leviers classiques de la politique étrangère dont dispose chaque Etat. Cette diplomatie est intéressante, notamment dans la mesure où elle se heurte aux difficultés structurelles qu'imposent souvent le caractère limité des moyens humains et matériels, mais également par la présence continue et influente des puissances occidentales à qui souvent revient le dernier mot sur des questions essentiellement afro-africaines. C'est ça aussi le paradoxe de l'Afrique, et cela ne fait que rendre la course hégémonie encore plus importante.

Hamidou Anne

Diplomatie et hégémonie régionale en Afrique subsaharienne (1)

Comprendre les mécanismes de la diplomatie en Afrique subsaharienne exige une flexibilité dont sont dépourvus les prismes classiques de lecture : rapports de force et jeux d’intérêts. Les relations diplomatiques en Afrique dépendent du politique, de l'économie, de la religion et des relations interethniques autant qu’elles répondent aux rapports de force entre entités étrangères qui trouvent en Afrique leur théâtre d'application.

Appréhender le continent comme un bloc monolithique ne concevant ses rapports diplomatiques que vis-à-vis d'autres ensembles géopolitiques comme l'UE, les USA ou l'Asie serait une erreur. Il existe une diplomatie intra africaine avec ses rapports de forces, ses luttes d'influence et ses alliances de circonstance résultats intense compétition économique, politique et militaire dans laquelle aucun cadeau n'est permis.

L'Afrique australe tirée par un arc en ciel géant

Afrique du Sud

Deux décennies après la fin de l'Apartheid, l'Afrique du Sud assume un leadership certain au sein de la South African Development Community (SADC) ; une position acquise et maintenue grâce à sa superficie, sa démographie et surtout une puissance économique associée à une grande stabilité politique. Compte tenu du rôle central de ce pays par rapport aux problématiques de la zone, il est peu probable que cette situation soit amenée à évoluer.

Mais assez étonnamment, ce leadership tarde à se matérialiser par des actes concrets et de grande incidence sur la zone d'influence naturelle de ce pays. En effet, l'Afrique du Sud, à la différence de plusieurs autres “Etats pivots”, selon le concept de Kissinger, n 'a toujours pas réussi à imposer une influence définitive sur ses voisins immédiats.

Plus encore, la crise politique qui a sanctionné la fin du second mandat de Thabo Mbeki et la rupture qui a frappé l'ANC avec la naissance du COP (mouvement fondé par des dissidents proches de Mbeki) ont laissé apparaître un début de fissure au sein du parti qui règne sans partage depuis la fin de l'apartheid. Cette crise est essentiellement d'ordre idéologique, car elle met en exergue une timide ligne de fracture entre l'aile gauche de l'ANC, radicale dans son approche et ses méthodes (Zuma, Malema) et l'aile droite, plus modérée, que symbolisaient Mbeki et Lekota. Si, à l'avenir, cette divergence idéologique se creuse , elle peut déboucher sur une crise interne de plus grande envergure qui peut remettre en cause le leadership diplomatique de l'Afrique du Sud dans la région et en Afrique de façon globale.

Zimbabwe
Au Zimbabwe, Robert Mugabe demeure encore au pouvoir malgré son attitude continue de défiance vis-à-vis de la communauté internationale. Dans ce dossier, le géant sud-africain, qui pour des raisons historiques liées à un passé commun, accorde un soutien indéfectible à son encombrant allié, est très mal à l'aise. Sa position allant bien évidemment en contresens de la réprobation que le régime de Mugabe inspire depuis la réforme agraire qui a plongé le pays dans un profond chaos social, depuis le milieu des années 1990.

Namibie
Dans un autre registre, la Namibie confirme son ancrage démocratique malgré l’hyper domination du parti au pouvoir, la SWAPO (South West Africa People's Organisation), avec la réélection de Hifikepunye Pohamba – élu une première fois en 2004, confortablement reconduit en 2009 – qui marche doctement dans les pas de Sam Nujoma, le « Père de la nation ». Mais le pays continue résolument une trajectoire isolationniste symptomatique d'un fort désintérêt pour les questions d'intégration ou même d'unité africaine.

Angola
Contrairement à ces deux cas, l'Angola a amorcé depuis quelques années un grand virage qui pourrait en faire un géant diplomatique, à même de rivaliser avec l’Afrique du Sud, et sur lequel il faudra naturellement compter dans les toutes prochaines années. Ce pays sorti d'une guerre civile qui dura près de trois décennies (1975-2002), a vécu sa convalescence d'une façon relativement positive. Profitant de la rente du pétrole et de son ouverture aux capitaux étrangers, l'Angola a su aussi profiter de l'arrivée massive de la Chine sur le continent. La bonne santé économique s'accompagnant, souvent d'une ambition militaire croissante, l'armée angolaise est de plus en plus présente dans certains théâtres d'opérations, parfois bien éloignés. Ainsi, de nombreux observateurs ont été surpris de voir les soldats angolais investir la Guinée Bissau après le coup d'Etat de 2012 qui a encore rompu le fonctionnement des institutions bissau-guinéennes. Luanda dispute t-il le leadership en Afrique australe à Pretoria ?

A quand le tour du Nigéria ?

Nigéria
Toutes les circonstances géographiques, économiques et humaines concourent à accorder au Nigeria un rôle hégémonique en Afrique de l'Ouest. La nation fédérale est le pays le plus peuplé d’Afrique et membre du cercle très fermé des pays producteurs de pétrole. Le Nigéria aurait naturellement dû s'arroger le titre de géant de la région. Il n'en est rien compte tenu de plusieurs facteurs endogènes.
Premièrement, l'instabilité institutionnelle marquée par la multitude des coups d'Etat et des régimes autoritaires a longtemps privé ce pays de la reconnaissance généralement accordée aux pays démocratiques et d’état de droit. En outre, la situation ethnico-religieuse extrêmement tendue, avec des affrontements meurtriers réguliers entre communautés musulmane et chrétienne, pose la question d’une unité nationale incomplète, accentuée par le fédéralisme, gangrenée par la violence et la corruption. La stabilité interne est une des conditions indispensables à toute diplomatie. Les capacités de projection du Nigéria sont aussi réelles (vu la force de frappe militaire et l'importance de son armée) qu’elles sont hypothétiques, du fait des instabilités internes et de la fragilité des institutions. Un pays peut difficilement espérer s'imposer sur la scène internationale sans au préalable avoir pu trouver une solution pacifique à des difficultés ethniques ou religieuses, avec la violence en toile de fond. D’autres questions se posent, en filigrane : le Nigeria prétend-il réellement à une place prépondérante sur la scène ouest-africaine ? Sa supériorité militaire est telle suffisamment solide pour en faire la tête de file d'une armée ouest africaine ? L'exemple de l'ECOMOG semble être pour le moment le seul haut fait de l'armée nigériane dans la région. Dans ce contexte où les crises multiformes se multiplient en Afrique de l'Ouest, la voix du Nigeria n’est pas aussi prépondérante qu’elle le devrait. A la seule exception du conflit post-électoral Ivoirien , où l’intervention de Goodluck Jonathan, agissant dans son rôle de président de la conférence des chefs d’états de la CEDEAO, fut déterminante.

L'islamisme radical a pour la première fois, en Afrique de l’Ouest, un territoire où décliner son ambition totalitaire. Le Mali a perdu le nord sous les assauts variés des milices touaregs et d'Ansar dine. La Guinée Bissau ne parvient décidément pas à clore son cycle des coups de force consubstantiel à la naissance de l'Etat. La Mauritanie montre de plus en plus de signes de nervosité avec récemment « l'accident » ubuesque du général Aziz. Sur toutes ces questions, l'on ressent plus l'implication d'autres Etats de la région comme le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire (qui est encore convalescente) et le Sénégal. Le Nigeria reste, résolument… inconstant. Cela peut être compris comme un refus d'Abuja de s'impliquer. L'ambition hégémonique est aussi une question de volonté qui rencontre des circonstances favorables. Les circonstances sont certes présentes, mais le Nigeria préfère faire fi du potentiel dont il dispose pour asseoir un leadership régional. En effet, même la présidence la Commission de la Cedeao ne fait pas courir Abuja contrairement à des pays comme le Ghana ou le Burkina Faso. 

Hamidou Anne

Le Nigeria et l’Afrique du Sud face à la crise ivoirienne

Plusieurs lectures peuvent être faites du déroulement comme de la conclusion du conflit postélectoral ivoirien qui, du 28 Novembre 2010, date du second tour des présidentielles, déboucha le 11 avril 2011 sur l’arrestation de Laurent Gbagbo : triomphe de la démocratie après une décennie de tensions politico-militaires, victoire in fine de la rébellion militaire de septembre 2002, dernier avatar de l’impérialisme occidental et/ou de la Françafrique, défaite du mysticisme militariste de Laurent Gbagbo, etc. Un aspect pourtant essentiel de cette crise passe inaperçu : le bras de fer diplomatique que se livrèrent l’Afrique du Sud et le Nigéria durant cette période.

C’est le sujet de « Jeux de puissance en Afrique : le Nigeria et l'Afrique du Sud face à la crise ivoirienne », très complète étude de Vincent Darrack, docteur en Sciences Politiques du Centre d’Etdues d’Afrique Noire (CENA) de Sciences Po Bordeaux, publiée dans le dernier numéro de Politique Étrangère. Les deux géants de l’Afrique subsaharienne se sont livrés de décembre à avril 2011 une intense bataille diplomatique, au terme de laquelle l’Afrique du Sud a dû se rallier, bon gré mal gré, à l’intransigeante position du Nigéria de Goodluck Jonathan  en faveur d’Alassane Ouattara.

Fermeté initiale du Nigéria contre tergiversations sud-africaines

Le président nigérian Goodluck Jonathan  aura été, de loin, le partisan le plus intransigeant d'un départ sans conditions de Laurent Gbagbo et d’une intervention militaire si nécessaire. Il fut l’instigateur de la déclaration de la CEDEAO, le 24 décembre 2010, évoquant la possibilité d’une intervention militaire de l’organisme régional. Un mois plus tard, le ministre nigérian des affaires étrangères, demandait officiellement au Conseil de Sécurité de l’ONU, l’autorisation d’une telle intervention.

Vincent Darrack analyse avec une grande subtilité les raisons d’une telle résolution. Le Nigéria, pays le plus peuplé du continent, deuxième armée et 1er producteur africain de pétrole s’est distingué au cours des dernières décennies comme le plus pro-occidental de la sous-région, participant à des nombreuses missions de maintien de la paix de l’ONU et dirigeant les interventions de l’ECOMOG au Libéria et en Sierra Leone. En endossant la certification du représentant de l’ONU et en exigeant le respect du verdit, le Nigéria se positionne évidemment dans le camp légitimiste et pro-démocratie du continent, continuant ainsi une tradition d'interventionnisme militariste entamée sous le Président Obasanjo.

Il est pourtant difficile de séparer les parts respectives de calcul et de conviction dans le soutien de Jonathan à Ouattara. Le positionnement stratégique du Nigéria en faveur d’Alassane Ouattara permet d'une part, de faire passer sous silence le déficit de démocratie dans ce pays et de l'autre, ne peut qu'être positif dans l'éventualité d'une candidature nigériane à un poste permanent au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU. On peut aussi voir derrière le soutien de Goodluck Jonathan au musulman Ouattara, un signe d’apaisement et un gage adressé à l’électorat musulman nigérian, qui n'a pas tout à fait "digéré" la candidature de Jonathan aux présidentielles d’avril 2011. Calcul politique donc ? Pas nécessairement.

L’intransigeance du Nigéria tient peut-être également au risque d’instabilité régionale qu’une seconde guerre civile en Côte d’ivoire ferait naître dans la région, économiquement, politiquement et en termes de sécurité régionale. Le Nigéria est plus proche, donc plus exposé. La CEDEAO craint également pour la sécurité des quatre millions de ses ressortissants vivant en Côte d’Ivoire. En faveur de la conviction plaide aussi, la visite intimidante de Jonathan au Bénin, en mars 2011, au cours de laquelle, il intima presque à l’opposition béninoise de respecter le résultat des présidentielles. Cette intervention, dans un pays mineur de la sous-région n'apporte aucun prestige diplomatique au Nigéria.

En face, l’attitude de l’Afrique du Sud est des plus ambiguës. Jacob Zuma ne reconnaît qu’à moitié la défaite de Gbagbo, ne se résolvant pas à accepter, dans un premier temps, les résultats proclamés par la Commission électorale indépendante. Durant le mois de Décembre 2010, tandis que le Nigéria évolue vers une position plus dure (intervention militaire de l’ONU), la diplomatie sud-africaine se montre de plus en plus critique à l’égard de Choi. Plusieurs explications à cela : d’abord l’anti-impérialisme traditionnel de l’ANC que l’ultimatum adressé mi décembre par Nicolas Sarkozy a Laurent Gbagbo a proprement exacerbé et surtout un approche résolument souverainiste de résolution des conflits qui aurait fait ses preuves en Afrique australe et centrale.

La défection du Ghana, début janvier, qui se déclare neutre et refuse d’engager ses troupes dans une intervention de la CEDEAO, l’opposition de la Russie et de la Chine au projet de résolution de Jonathan et surtout, les doutes internes sur la capacité des forces nigérianes à assumer de front la sécurité des élections dans ce pays et une intervention militaire à l’extérieur, conduisent la commission de la CEDEAO à renoncer à son projet militaire.

Reprise en main du dossier "Côte d'Ivoire" par l'Afrique du Sud

Si décembre 2010 a été dominé par le Nigéria, l’Afrique du Sud prend les devants en Janvier. Le président sud-africain qui s’était entre-temps rallier à la position du CPS de l’UA remet en cause, le 21 janvier, la validité des résultats proclamés par l’ONU et déclare qu’il serait « prématuré » de désigner un vainqueur. D’un côté le désir de se rapprocher des positions de la Chine et de la Russie – partenaires de l’Afrique du Sud au sein des BRICS – et la visite d’état du président Angolais Eduardo Dos Santos, à la mi-décembre ont fortement contribué à ce revirement. De l’autre, des lobbyistes très actifs ont été déployés par Laurent Gbagbo en Afrique du Sud : une fausse lettre de Nicolas Sarkozy enjoignant à la CEI de reconnaître Ouattara comme président est remise aux autorités sud-africaines qui la croiront authentiques et la présenteront à des parlementaires… Le sommet de l’UA du 24-31 janvier est l’occasion pour l’Afrique du Sud de reprendre définitivement la main sur le dossier ivoirien. L’idée est dans un premier temps d’obtenir que l’UA dessaisisse la CEDEAO du dossier ivoirien, marginalisant ainsi, de facto, le Nigéria ; ensuite d’obtenir une reformulation de la position officielle de l’UA quant à la fiabilité des résultats proclamés par la CEI. La réunion du CPS le 28 janvier est d’une rare violence. L’Afrique du Sud obtient qu’un groupe d’études de « haut niveau » composé de 5 chefs d’États (dont Jacob Zuma) soit formé, « avec mandat d’un mois pour étudier et proposer des solutions contraignantes pour les parties ». Le CPS réaffirme néanmoins la victoire d’Alassane Ouattara. Victoire en demi-teinte.

Victoire du Nigeria

Le 10 Mars 2011, le panel rend son rapport : Laurent Gbagbo a deux semaines pour organiser le transfert du pouvoir. Les Présidents burkinabé et tanzanien, membres du panel ont résisté aux pressions de Zuma, le mettant en minorité. De son côté, Choi est arrivé à le convaincre du « sérieux » de la certification de l’ONU. Cinq jours plus tard, l’Afrique du Sud endosse définitivement la position de l’UA. La victoire de la CEDEAO et du Nigéria est complète. L’Afrique du Sud est même réduite à voter, le 30 mars 2011, la résolution 1975 de l’ONU autorisant la mission de l’ONU en Côte d’ivoire (ONUCI) et les Forces Françaises de l’opération « Licorne » à utiliser « tous les moyens nécessaires » pour protéger les civils. Dix jours après Laurent Gbagbo était arrêté.

Si Vincent Darrack peint avec vivacité ces péripéties et lève le voile sur l’envers des tractations diplomatiques, son article a, en filigrane, le mérite supplémentaire de montrer deux stratégies opposées de domination régionale. La crise ivoirienne a montré que l’Occident et les organisations internationales pouvaient compter sur le Nigéria, comme partenaire solide et décomplexé dans la sous-région ouest-africaine. Elle a aussi confirmé le nouveau rôle joué par l’Afrique du Sud postapartheid : il est impossible de faire « sans elle » sur tout dossier concernant l’ensemble du continent. De la Lybie au réchauffement climatique, il semble indispensable aujourd’hui d’obtenir sinon l’aval, du moins, la neutralité de ce pays. L’appartenance de ce pays au G20, au G77 et aux BRICS, le rôle moteur qu’il joue dans l’intégration africaine (création de l’UA, du NEPAD, de l’African Peer Evaluation Mechanism, etc.) en plus de son importance militaire et économique en font un acteur incontournable, d’une grande souplesse diplomatique, qui plus est, comme l’a montré son action dans la crise ivoirienne.

Enfin, il est intéressant de noter que l’attachement à la souveraineté nationale et l’opposition aux interventions militaires occidentales en Afrique, qui constituent quelques uns des fondements de la diplomatie sud-africaine et de l’UA de façon plus générale, semblent soudainement, démodées voire anti-démocratiques. Il est de bon ton aujourd’hui de se féliciter du sens chaque jour plus grand que prend cette notion de « responsabilité de protéger » qui paraît un « droit d’ingérence » non-assumé. L’article de Vincent Darrack ne fait pas exception à cette mode. La crise ivoirienne et l’intervention de l’OTAN en Libye réconfortent les tenants d’une telle approche de la protection internationale des droits de l’Homme. Il est étonnant de constater que le souvenir des coups d’états commandités par la France ou les États-Unis en Afrique et en Amérique Latine a complètement disparu. L’exemple plus récent de l’intervention américaine en Irak, aussi.

Vincent Darrack n’envisage pas une seconde la possibilité que les précautions – considérées comme des louvoiements – prises par la diplomatie sud-africaine, rétrospectivement, aient permis d’éviter une intervention précipitée de la CEDEAO, en janvier, qui aurait paradoxalement galvanisé les troupes de Gbagbo et déclenché une véritable guerre internationale avec intervention des alliés guinéens et angolais de Laurent Gbagbo. Il n’est pas le seul. Rappeler les vertus défensives de la souveraineté nationale et la fragilité de l’Afrique face à des appétits occidentaux ou orientaux encore aigus passe aujourd’hui pour sentimentalisme tiers-mondiste, tentation gauchisante, enfantillage. Il paraît qu’il faut s’en féliciter.

 

Joël Té-Léssia

Chronologie du ballet diplomatique

 

Décembre 2010

2 Décembre : proclamation de la victoire d’Alassane Ouattara par le Président de la Commission électorale indépendante.

3 Décembre :

Annulation par le Conseil Constitutionnel ivoirien des résultats du scrutin électoral dans 7 départements et proclamation de Laurent Gbagbo comme vainqueur des élections présidentielles.

Certification par  Young-Jin Choi des résultats proclamés par le CEI et reconnaissance de la victoire d’Alassane Ouattara.

4  décembre : l’Afrique du Sud « prend note de la situation. »

7 décembre : le sommet extraordinaire de la CEDEAO reconnaît la victoire d’Alassane Ouattara.

08 décembre : L’Afrique du Sud suit le Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA et la CEDEAO  et demande le départ de Gbagbo – la victoire de Ouattara n’est pas mentionnée.

13-15 Décembre : visite officielle du président angolais Eduardo dos Santos, soutient de Laurent Gbagbo, en Afrique du Sud.

17 décembre : ultimatum de Nicolas Sarkozy à Laurent Gbagbo.

24 Décembre : réaffirmation par la CEDEAO de la victoire d’Alassane Ouattara et  première évocation de  l’usage de la force.

Janvier 2011

28-29 Décembre et 18-20 Janvier 2011 : réunion des chefs d’États majors de l’organisation – modalités pratiques d’une intervention militaire.

21 janvier : Jacob Zuma, président de l’Afrique du Sud, remet en cause la validité des résultats tels que certifiés par l’ONU et estime prématurée la désignation d’un vainqueur.

24 janvier : Le Nigéria demande officielle une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU permettant à la CEDEAO d’user de la force en cas d’échec des négociations.

24-31 janvier : sommet de l’UA

   28 janvier : communiqué officiel du CPS de l’UA réaffirmant la victoire d’Alassane Ouattara.

o    L’Union Africaine prend en charge le dossier ivoirien et désigne un groupe de haut niveau (cinq chefs d’états : Zuma ainsi que des présidents burkinabé, mauritanien, tanzanien et tchadien) avec mandat d’étudier la situation et proposer des conclusions contraignantes pour les parties ivoiriennes.

o    L’Afrique du Sud propose le partage du pouvoir

Fin janvier : abandon par la CEDEAO de l’option militaire.

Février

Début février : le SAS Drakensberg, navire de guerre sudafricain est reporté au large des côtes Ouest-Africaines : le projet sudafricain est d’en faire une plateforme offshore de négociation

10 Février: Déclaration officielle du président de la Commission de la CEDEAO dénonçant l’appropriation du dossier ivoirien, relevant de la compétence de la CEDEAO, par l’UA et fustigeant à mots couverts les tentatives de l’Afrique du Sud en vue de manipulerle panel de chefs d’états

Mars

2-3 Mars : visite officielle en France du Président Jacob Zuma ;  Maite Nkoana-Mashabane, ministre  des  Relations  internationales au cours d’un tête-à-tête avec son homologue français Alain Juppé annonce : la crise ivoirienne est un problème africain à régler entre Africains

10 Mars : sommet extraordinaire du CPS et publication du rapport officiel du panel de l’UA 

o    Validation définitive des résultats tels que certifiés par l’ONU

o    Reconnaissance de la victoire d’Alassane Ouattara

o    Délai de deux semaines accordé à Laurent Gbagbo pour le transfert du pouvoir

15 mars : l’Afrique du Sud endosse la position de l’UA ; Jacob Zuma appelle Laurent Gbagbo pour le convaincre de céder

18 Mars : proclamation des résultats contestés des présidentielles béninoise – visite de Jonathan Goodluck, Président du Nigéria, exhortant (intimant ?) l’opposition à accepter pacifiquement la victoire de Yayi Boni.

30 mars : la résolution 1975 du Conseil de Sécurité de l’ONU, rédigée par le Nigéria et la France, est votée. Elle autorise l’ONUCI et la Force Licorne à utiliser tous les moyens nécessaires pour protéger les civils. L’Afrique du Sud vote la résolution.

Avril

5 avril : « je ne me rappelle pas avoir donnée un mandat à quiconque pour un bombardement aérien de la Côte d’ivoire » (déclaration de  Maite Nkoana-Mashabane)

11 avril : arrestation de Laurent Gbagbo

12 avril: le Nigéria se félicite d’une intervention réussie, entrant totalement dans le cadre de la résolution 1975 du Conseil de Sécurité de l’ONU.

 

Une diplomatie pour l’Union Africaine?

  A sa naissance en 1963, L’Organisation de l’Unité Africaine était le résultat d’un compromis entre deux approches panafricaines, celle de Kwame Nkrumah (plus globale et rapide) et celle de Julius Nyerere et Houphouët-Boigny acceptant les frontières des États-Nations héritées de la colonisation. Le résultat fut une réaffirmation des droits des États (souveraine égalité de chaque État-membre et non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État).
 
On en connaît la suite : les guerres civiles au Libéria, en Sierra-Leone, au Congo ; les autoritarismes ivoirien, centrafricain, ougandais et congolais ; les répressions au Biafra et au Tchad, le génocide rwandais et l’apartheid sud-africain, les guerres entre l’Éthiopie et la Somalie en 1977-78 puis entre la même Éthiopie et ce qui deviendra l’Érythrée entre 1998 et 2000, la question des mercenaires au Congo et au Nigeria dans les années 1960; malgré l’adoption en 1981 de la « Charte Africaine des droits de l’homme et des Peuples » et l’établissement en 1998 de la très faiblement dotée et notoirement inactive « Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples » ou l’entrée en vigueur de la « Convention pour l’élimination du mercenarisme » en 1985.  L’Union Africaine, entrée en fonction au sommet inaugural de Durban en 2000, devait, entre autres, mettre un terme à cette incapacité à prévenir les exactions commises contre les populations civiles et fournir un cadre institutionnel autorisant la protection des civils et la prévention des crimes contre l’humanité.
L’UA a le droit d’intervenir dans les affaires internes d’un État, en cas de « crimes de guerres, de crimes contre l’humanité et de génocides » suite à une décision de l’Assemblée (majorité des 2/3) ou dans le cas de « menaces sérieuses à l’ordre légitime ».
 
Pourtant, au-delà des quatre pays (Érythrée, Madagascar, Niger et Côte d’ivoire) suspendus de l’Union Africaine, aujourd’hui, conformément à l’article 4 de sa charte qui interdit les coups d’États et des différentes solutions adoptées par des organismes régionaux (partage du pouvoir au Kenya et au Zimbabwe, soutien aux organismes régionaux de résolution des conflits) ; il reste évident que la capacité de l’Union Africaine et de son Conseil de Paix et de Sécurité à résoudre les conflits en Afrique est encore à démontrer.
Ni les coups d’État nigérien et malgache, ni les manipulations électorales au Zimbabwe ou les conflits postélectoraux kenyan ou ivoirien n’ont été empêchés, résolus ou contenus par l’intermédiaire de la Commission de l’Union Africaine ; elle n’a été capable, à aucun moment d’intervenir ou d’organiser l’intervention d’un « hégémon » local dans un conflit interne, depuis sa naissance. Plus grave encore, il apparaît clairement que les récents développements politiques en Afrique du Nord ont lieu et sont développés sans l’Union Africaine. Elle n’est pas seulement absente des débats et tenues à l’écart des décisions prises, elle n’est pas consultée, personne ne pense à la consulter. Une telle idée paraîtrait saugrenue. Voilà le vrai bilan de près de dix ans de fonctionnement de l’organisme principal de coopération politique, économique et militaire en Afrique.
Et même lorsqu’elle agit, les résultats de la diplomatie de Jean Ping sont négligeables sinon néfastes : le pas-de-deux, les hésitations et accommodations dont elle a fait preuve avec Laurent Gbagbo sont aujourd’hui ridiculisés par son intransigeance.
 
Plus surprenant, il n’existe, à vrai dire, que peu d’Etats en Afrique (hormis l’Afrique du Sud), capable d’intervenir militairement dans aucun autre pays, sans que leur structure politique et économique n’en subissent de contrecoups définitifs et excessifs. Encore plus grave, il n’existe en Afrique de l’Ouest que deux pays, le Mali et le Nigéria dans le top 10 de ces pays militairement et économiquement capables d’assumer un rôle d’hégémon dans la région, et pourtant les contraintes imposées par leurs conflits internes et/ou limites budgétaires rendent cette capacité d’intervention inutilisable.
 
L’idée qu’un hub de pays pourrait décider d’appuyer le suivi systématique de l’Acte Constitutif de l’Union Africaine est elle-même mise à mal par l’espèce d’équilibre précaire entre différents hégémons régionaux aux intérêts divergents ou potentiellement différents. Non seulement la diplomatie militaire de l’Union Africaine est inexistante, mais elle n’est pas amenée à s’améliorer. Voilà le 1er chantier de Jean Ping.