Quels sont les enjeux du droit à l’eau et à l’assainissement?

eauAlors que l’eau potable et l’assainissement sont  indispensables à la vie, à la santé et à la dignité de tous, selon le Rapport 2013[i] de l’OMS et l’UNICEF sur les progrès en matière d’assainissement et d’alimentation en eau, "2,4 milliards de personnes, soit un tiers de la population mondiale n’auront toujours pas accès à des services d’assainissement amélioré en 2015". La réalité peut être bien pire, puisque des millions de personnes échappent aux statistiques. Si l’Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD) pour la cible eau potable est déjà atteint, 800 millions de personnes n’y ont pas encore accès. Celui relatif à l’assainissement et qui consiste à diviser par deux le pourcentage de la population qui n’avait pas accès à ce service en 1990 sera manqué de 8% en 2015.

La crise de l’eau et de l’assainissement trouve son origine selon l’ONU dans la pauvreté et l’inégalité, et elle est aggravée par des problèmes sociaux et environnementaux, comme l’accélération de l’urbanisation, les changements climatiques, la pollution et l’appauvrissement des ressources en eau.[ii] De plus en plus consciente de cette crise, la communauté internationale a inscrit l’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans un cadre intégrant les droits de l’homme. C’est ainsi qu’en juillet 2010, l’Assemblée générale des Nations unies avait reconnu le droit de l'homme à l'eau potable et à l'assainissement. Plusieurs Etats développés qui s’étaient abstenus lors du vote initial craignant ce que cela implique ont fini par y être favorables. En novembre 2013, un consensus est trouvé sur une nouvelle résolution non contraignante qui prouve tout de même selon les observateurs que ce droit est unanimement reconnu par tous les Etats au niveau international[iii]. De fait, les Etats qui ne l’avaient pas inscrit dans leur ordre juridique doivent le faire.

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU le présente comme ceci : "Le droit fondamental à l’eau potable et à l’assainissement découle du droit à un niveau de vie suffisant et qu’il est inextricablement lié au droit au meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint, ainsi qu’au droit à la vie et à la dignité"[iv] Au-delà d’un simple accès à une source d’eau, il exige une prise en compte globale, responsable et transparente. Ce droit n’est réalisable que "si l’eau potable et l’assainissement sont disponibles, accessibles, sûrs, acceptables et abordables pour tous, sans discrimination".

Les aspects liés au droit à l’eau sont les suivants :

  • L’eau disponible pour chaque personne doit être suffisante et constante pour les usages personnels et domestiques, à savoir la boisson, le lavage du linge, la préparation des aliments ainsi que l’hygiène personnelle et domestique.
  • L’eau destinée à des usages personnels et domestiques doit être salubre et de qualité acceptable.
  • L’eau et les installations d’assainissement doivent être accessibles physiquement et sans danger pour toutes les couches de la popula­tion, compte tenu des besoins des groupes particuliers, notamment les personnes handicapées, les femmes, les enfants et les personnes âgées.
  • Les services d’alimentation en eau doivent être financièrement accessibles pour tous. Personne ni aucun groupe de population ne devrait être privé de l’accès à l’eau potable au motif qu’il ne peut se le permettre financièrement.

S’ils peuvent être garantis en théorie, la réalité est tout autre notamment lorsque l’accès est trop onéreux. C’est dans l’application qu’apparaissent clairement les enjeux liés à ce domaine. Deux approches différentes sont identifiées autour de l’eau : celle qui consiste à faire des bénéfices avec la distribution d’eau et celle qui s’emploie à dire que l’eau n’est pas une marchandise[v]. Le modèle économique et financier dominant privilégie la privatisation et la marchandisation de l’eau et des services d’assainissement contrôlés en grande partie par des puissantes multinationales. Il est décrié par ceux qui voient en l’eau un véritable service public qui doit être mis à la disposition de la population. C’est ainsi qu’ils conçoivent la garantie pour tous de disposer de ce droit. Sur ces terrains, il n y a donc pas de consensus. Tout comme sur celui du financement effectif de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Si cet accès doit être réalisé dans le sens d’un droit humain fondamental, alors les actes juridiques doivent être contraignants afin d’en faire bénéficier rapidement toutes les couches de la population. Les pays développés craignent qu’un effort supplémentaire leur sera exigé en plus des mécanismes déjà existants. C’est aussi ce que réclament les pays en développement notamment les Etats d’Afrique Subsaharienne. En attendant, ces Etats réaffirment leur volonté de faire démentir les prévisions en atteignant les OMD en 2015.

 

Djamal HALAWA

 

 

 

 


[v] Le forum mondial de l’eau, quelle solution pour les pays africains ? Objectif Terre : Bulletin de liaison du développement durable de l’espace francophone Volume 15 numéro 2 – Décembre 2013, Pages 24-27

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Touche pas à mon passeport !

Revue de « La nationalité en Afrique » de Bronwen Manby, – Open Society Foundations et Khartala 2011

The essence of tyranny is not iron law. It is capricious law.”
Christopher Hitchens, I fought the law, Vanity Fair, Février 2004
 
Comme la santé, la mémoire (et un organe masculin très précis), la nationalité est l’un de ces attributs dont on ne saisit l’importance que lorsqu’ils nous font défaut. Et autant je tiens à ma mémoire, à ma santé (et peut-être encore plus au seul joujou à ne pas mettre dans la bouche d’un enfant), je n’ai jamais accordé beaucoup d’importance à ma nationalité[1].
 

Quoi qu'il en soit, j'ai passé l’essentiel des deux dernières semaines – dans le cadre d'un projet de TW – immergé dans des bouquins et articles plus ou moins illisibles[2] sur la situation des minorités en Afrique. L’essai de Bronwen Manby, « La nationalité en Afrique », publié en 2011 par Open Society Foundations et Karthala est le plus brillant du lot – et paradoxalement, le plus difficile à lire : on est plus d'une fois pris à la gorge par la franche grossièreté des procédés et l'increvable stupidité des fins auxquelles sont soumis les codes de nationalité, en Afrique subsaharienne, tels qu'ils apparaissent dans cette passionnante étude.

 
Discriminations et no-man’s-land juridiques
 

Avec une patiente et une érudition irréprochables, l’auteur, vétérane de la défense des droits de l’homme, expose les singularités du droit de la nationalité en Afrique subsaharienne et sa politisation, les discriminations qui en découlent, les exclusions savamment construites et introduites parfois à l'intérieur même dans les textes constitutionnels. Aucun pays n’y échappe. Aucune discrimination n’en réchappe.

 
Qu’il s’agisse de celles basées sur des critères raciaux comme en Sierra Leone et au Libéria où ne peuvent être "citoyens d'origine" que les seules personnes « d’ascendance noire » ; linguistiques comme au Ghana ou au Botswana où la connaissance d’une des langues locales est un préalable à la naturalisation ; socio-ethniques comme en RDC ou en Ouganda, où « la nationalité d’origine est réservée aux personnes membres d’une ‘communauté autochtone’ présente dans le pays au moment de l’indépendance » ; ou religieuses comme dans certains pays du Maghreb et à Madagascar où les vingt mille membres de la communauté Kanara (d’origine indo-pakistanaise) vivent dans un no-man ’s-land juridique, citoyens d’aucun pays, interdits de titres de voyages.
 
Mais les inégalités de droit les plus constantes (documentées dans cet ouvrage avec la précision maniaque du paléoanthropologue) restent celles entre hommes et femmes notamment les difficultés qu'ont ces dernières à transmettre directement leur nationalité à leurs enfants – accentuant ainsi  leur dépendance au milieu familial d'origine, et/ou leur subordination à leurs conjoints. Si au lendemain des Indépendances, la règle était claire – la nationalité se transmet par le père – le renouveau féministe des années 90 a changé la donne et le Droit s’est fait plus subtil. Page après page, Manby décortique les subterfuges légaux mis en place pour cimenter cette inégalité : constitution « démentie » par la loi, loi ignorée dans la pratique, arbitraire des agents de l'état (juridiquement encouragé) , etc.
 
Les leaders nationaux les « étrangers » d’Afrique
 
La meilleure partie de l’ouvrage est celle consacrée à la "déchéance de la nationalité et à l’expulsion de citoyen". Avec un humour pince-sans-rire, Bronwen Manby expose le cas des leaders nationaux les « étrangers » d’Afrique : chefs d’état, de gouvernement et parti et de syndicats devenus « étrangers »par le hasard d’une alternance politique. Les cas les plus aberrants sont connus, mais leur juxtaposition dans l’ouvrage accentue encore leur absurdité :
  • Alassane Ouattara, ancien gouverneur de la BCEAO (poste réservé traditionnellement à un ivoirien), ancien premier ministre, né en Côte d’Ivoire d’une mère ivoirienne, aujourd’hui Président de la République, est poursuivi depuis vingt ans par la légende noire de sa non-ivoirité (quel mot !) On retrouve encore, ici, et , l’affreuse formule « Mossi-Dramane » utilisée par des « démocrates » et des «patriotes », insistant sur la – dirions-nous « burkinabéité » ou « Mossisitude » ? – de Ouattara. L’opposition au régime d’Alassane Ouattara et Soro Guillaume est aujourd’hui paralysée par l’intransigeance de ceux qui contestent au premier le droit d’occuper la magistrature suprême en terre d’éburnie, du fait de sa nationalité[3].

  • En 1999, Kenneth Kaunda, leader de l’indépendance, premier président de la Zambie fut déclaré non-citoyen du pays qu’il avait dirigé de 1963 à 1991[4]. Il fallut un arrêt de la Cour Suprême pour mettre un terme à cette vendetta menée par le nouveau pouvoir contre un opposant politique. Soit dit en passant, cette même année, la justice ivoirienne déclarait invalide le certificat de nationalité présenté par Alassane Ouattara.

  • John Modise, leader et fondateur du Botswana National Front (1978), plongé durant vingt ans, dans un no-man’s land juridique, où ni le Botswana (son pays de résidence), ni l’Afrique du Sud (son pays « d’origine supposée ») ne le reconnaissent comme citoyen.

  • Ou encore, Jan Sithole, leader de la Fédération des Syndicats du Swaziland (1985-2009) dont le passeport fut confisqué par les autorités policières et qui fut informé, soudainement, en 1995 de son statut d’étranger et de sa nationalité mozambicaine.

 
Il est facile de mépriser la protection accordée par la nationalité. "La nationalité en Afrique" de Bronwen Manby montre les dangers de ce désengagement! Trop souvent, en Afrique, les critères d’appartenance à la communauté nationale, sont définis par cette espèce particulièrement intransigeante d’apparatchiks et d’idéologues : les « nationalistes ». Il est temps de réclamer l’égalité et  – dans le cas du droit de la nationalité – proclamer simplement, clairement, puissamment : touche pas à mon passeport!
 

Joël Té-Léssia

La Nationalité en Afrique de Bronwen Manby est disponible à la vente en ligne ici et


[2] Je crois que je ne pardonnerai jamais à la direction de Terangaweb de m'avoir obligé à lire des saloperies telles que "Le droit des minorités aurait eu une mobilisation heureuse si la dialectique déjà évoquée comme corrélat de la complexité n'aurait pas été celle figée en thèse académique telle que l'ont présentée les disciples de Platon, d'Aristote et de Hegel" [« Le droit des minorités dans la vacuité de sa positivité » par Jean-Paul SEGIHOBE BIGIRA http://www.dhdi.free.fr/recherches/etudesdiverses/articles/segihobeminorites.pdf ]
[3] L’argument selon lequel le même conseil Constitutionnel, composé des mêmes membres, sous le même mandat, ne peut déclarer successivement vainqueurs, les deux candidats présents au second tour de l’élection présidentielle – ceci d’autant plus que selon l’article 98 de la constitution, les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent à toutes les autorités, y compris le… Conseil Constitutionnel –  est apparemment trop subtil pour exciter les foules.