Les stratégies de réduction de la pauvreté (DSRP) ont-elles été efficaces ?

img-8Depuis les années 2000, plusieurs pays africains se sont engagés dans des stratégies, initiées par la Banque Mondiale et étendues plus tard aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), pour lutter contre la pauvreté. Ces stratégies, consignées dans ce qui est communément appelé « Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté » (DSRP), s’appuient sur le dogme selon lequel la croissance suffit à réduire la pauvreté. Elles mettent donc l’accent sur l’accélération de la croissance et identifient des mesures à mettre en œuvre pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres.

Discutant de l’efficacité de ces programmes, avec l’avènement des OMD, les institutions de Brettons Woods, FMI notamment, indiquaient que ces stratégies constituent une rupture par rapport aux autres programmes de développement existants et offraient un pool de mesures qui devraient sans doute permettre de résorber la pauvreté. Alors que les OMD ont atteint leur point d’achèvement et que les données sont disponibles, il est loisible de se demander si ces stratégies ont porté les fruits escomptés. Une tentative de réponse est fournie par Daouda Sembene[i] qui analyse l’impact des DSRP sur la croissance, les inégalités et la pauvreté dans les pays d’Afrique subsaharienne. Son analyse compare les pays ayant adopté les DSRP à ceux qui ne l'ont pas adopté.

De son analyse, il ressort que si la mise en œuvre des DSRP a permis une réduction significative de la pauvreté ailleurs dans le monde, dans les pays d’Afrique subsaharienne qui l’ont adopté (32 au total), il demeure difficile d'identifier son impact sur la pauvreté et les inégalités. En effet, le rythme de progression de la pauvreté est quasi-similaire dans tous les pays de la région, qu'ils aient adopté ou pas les DSRP. La bonne nouvelle est que les DSRP ont permis aux pays qui l'ont adopté d’être plus performants et plus résilients par rapport aux chocs économiques. Par exemple, les pays-DSRP enregistraient des taux de croissance bien plus stables et substantiels depuis la mise en place des DSRP (2.13% en moyenne en 1990-1999 contre 5.12% entre 2000 et 2012). Au contraire, les économies n'ayant pas adopté les DSRP ont connu des performances plus erratiques (de 7,1% en moyenne entre 1990-1990 à 5,3% entre 2000 et 2012). De plus, la crise financière et économique de 2008 a eu moins d'impact sur les pays-DSRP que sur les non-DSRP : croissance moyenne de -1,9% en 2009 pour les non-DRSP; alors que les pays DSRP affichaient une croissance moyenne de 4%. 

Au sens des DSRP, seule l’action publique peut permettre de générer une croissance durable, source de réduction de la pauvreté. Les actions à mettre en œuvre dans le cadre des DSRP dans les pays d’Afrique subsaharienne concernés étaient donc pro-croissance. Elles concernaient notamment les infrastructures et le capital humain (santé et éducation), la diversification et le développement du secteur privé mais aussi certains aspects transversaux comme la promotion de la bonne gouvernance et le développement rural. Pour que la croissance générée par le biais de ces mesures puissent réduire la pauvreté et les inégalités, il fallait donc renforcer les canaux de redistribution. Les DSRP prévoyaient, à cet effet, d’améliorer l’accès aux services sociaux de base, à l’emploi ou aux activités génératrices de revenus. Les transferts de fonds (conditionnels ou inconditionnels) et l’accès prioritaire des pauvres aux emplois publics constituaient en outre des piliers fondamentaux de ces documents de stratégies. 

L’échec de ces stratégies à réduire la pauvreté et les inégalités tient surtout à la stratégie de redistribution adoptée. Par exemple, les programmes de transferts sociaux ne sont généralement pas conditionnés à des résultats à atteindre de la part du ménage récipiendaire en matière de santé et d'éducation des enfants. Selon des travaux de Kakwani et al. (2005)[1], dans près de 15 pays d’Afrique subsaharienne, les programmes de transfert mis en place étaient conditionnés par l’inscription et la fréquentation régulière de l’école et les montants concernés n’était pas suffisant pour sortir les bénéficiaires de leur situation de pauvreté. Une autre forme de redistribution est la mise en place de subvention (soit dans le secteur de l’agriculture, de l’énergie, de l’alimentation ou de l’énergie). Il s’agit de loin de la forme de redistribution la plus pratiquée sur le continent ; chaque pays Africain dispose de subventions dans l’un ou plusieurs de ces secteurs : le Nigéria et le Ghana  par exemple ont mis en place des subventions pour les secteurs agricole et énergétique. D’autres sont plus concentrés sur le secteur agricole (Tanzanie) ou énergétique (Niger, Sénégal, Mali). Ces subventions censées bénéficier aux plus pauvres et qui mobilisent une part non négligeable des ressources budgétaires, ne produisent pas réellement les effets escomptés[2]. Elles profitent davantage aux plus riches, qui consomment une part importante des produits et services subventionnés.

Somme toute, la mise en œuvre des DRSP a notamment permis d'améliorer la gouvernance économique dans les pays qui l’ont adopté, se traduisant par une embellie de leurs performances économiques et une forte résilience aux chocs exogènes. En matière de pauvreté et d’inégalités, ces stratégies ont été moins performantes. Un échec qui serait lié à la stratégie de conception des DSRP. De fait, si dans leur conception, les DSRP offrent les conditions pour la réduction de la pauvreté avec un focus sur la croissance, leur mise en œuvre est rendue difficile par la capacité institutionnelle des pays à identifier avec précisions les cibles de ces politiques. Les politiques visant à réduire la pauvreté et les inégalités devraient davantage s’appuyer sur les réalités locales mais aussi intégrer des mesures visant à une appropriation par les autorités locales, afin de définir des politiques de redistribution plus adaptées au contexte local et dont la mise en œuvre serait plus en lien avec les compétences et les capacités institutionnelles du pays. C’est une démarche que les pays tentent déjà d’adopter dans le cadre de leurs propres programmes de développement qui sont ensuite soumis à leurs partenaires, pour financement. Les programmes régionaux, ou ceux initiés par des institutions internationales, devraient donc subir, suivant chaque pays, la même refonte pour renforcer davantage les mécanismes de redistribution.

Foly Ananou


[1] Kakwani, Nanak, Fábio V. Soares, and Hyun H. Son (2005). Conditional Cash Transfers in African Countries. UNPD International Poverty Centre, Working Paper n° 9, Brasilia.

[2] Lire Faut-il supprimer les subventions à l’énergie en Afrique ? pour le cas de l’énergie.